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CHAPITRE IV : CONSÉQUENCES DES INTERACTIONS PEPTIDES FLUORÉS-PROTÉINES SUR

I) La maladie d’Alzheimer, une maladie de mauvais repliement protéique

1) Physiopathologie de la maladie d’Alzheimer

La maladie d’Alzheimer, est l’un des troubles neurodégénératifs les plus répandus affectant 30 millions de personnes dans le monde.157,158 Cette maladie possède une incidence croissante en Europe à cause du vieillissement de la population et représente un fléau majeur pour les systèmes de santé. Elle est la quatrième cause de mortalité en Europe et le nombre de personnes affectées pourrait tripler d’ici 2050.

La maladie d’Alzheimer altère la mémoire et les fonctions cognitives des malades et conduit progressivement à une démence, une déchéance physique et une perte d’autonomie, puis à la mort de l’individu atteint. Au niveau physiopathologique, la maladie d’Alzheimer est associée à l’accumulation progressive de deux protéines dans le cerveau, la protéine β-amyloïde (Aβ), présente sous forme d’agrégats extraneuronaux formant des amas couramment appelés « plaques séniles », et la protéine tau sous une forme anormalement hyperphosphorylée produisant des enchevêtrements neurofibrillaires intraneuronaux (NFT pour neurofibrillary tangles), qui vont mener progressivement à des dégâts neuronaux, axonaux et synaptiques.

Ces changements neurologiques sont présents dans le cerveau plusieurs années avant l’apparition des symptômes cliniques de la maladie. Les NFT sont initialement localisés dans le lobe temporal moyen (cortex entorhinal et hippocampe) puis s’étendent dans les régions corticales associatives puis dans l’ensemble du cortex cérébral, alors que les plaques séniles sont plus disséminées dans le cortex. Le délai entre les lésions neurologiques de la maladie et l’apparition

156 Dalvit, C. Prog. Nucl. Magn. Reson. Spectrosc. 2007, 51, 243-271. 157 Blennow, K.; de Leon, M. J.; Zetterberg, H. Lancet 2006, 368, 387-403 158 Abbott, A. Nature 2011, 475, S2-S4.

183 des troubles cognitifs suggère que les effets toxiques de la protéine Aβ et/ou des NFT érodent progressivement le cerveau jusqu’à ce qu’un seuil clinique soit dépassé et qu’apparaissent les premiers symptômes amnésiques.

1.1. Les fibres amyloïdes

Les dépôts amyloïdes nommés fibres amyloïdes ou plaques amyloïdes ont été les

premières décrites. Il s’agit de dépôts extracellulaires que l’on retrouve entre les neurones et qui apparaissent comme des masses sphériques d’un diamètre de 5 à 100 micromètres. Ces fibres sont des solides non cristallins et non solubles, ce qui les rend incompatibles avec les techniques de détermination structurale habituellement utilisées telles que la cristallographie par rayons X ou la RMN en phase liquide. D’après les études de diffraction des rayons X et les mesures de RMN en phase solide (couplage 13C-13C et 15N-13C), les fibres amyloïdes auraient une structure en feuillets β croisés dans laquelle les segments tressés sont perpendiculaires et les liaisons hydrogènes intermoléculaires parallèles à l’axe de la fibre (Figure 52).159,160 Ces structures en feuillets β seraient essentiellement stabilisées par des interactions hydrophobes.

Figure 52 : Modèle structural des feuillets β croisés parallèles formés par le peptide Aβ40. a) Modèle ruban b) Modèle atomique (vert : hydrophobe ; magenta : polaire ; rouge : chargé négativement ; bleu : chargé positivement) (d’après Petkova et al.160)

Le constituant principal de ces fibres est un peptide de 40 à 42 acides aminés, appelé peptide amyloïde A. Celui-ci est formé après clivage séquentiel par diverses sécrétases, du peptide précurseur amyloïde (APP) qui est une protéine transmembranaire de fonction

159 Miller, Y.; Ma, B.; Nussinov, R. Chem. Rev. 2010, 110, 4820-4838.

160 Petkova, A. T.; Ishii, Y.; Balbach, J. J.; Antzutkin, O. N.; Leapman, R. D.; Delaglio, F.; Tycko, R.; Proc. Natl. Acad. Sci.

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indéterminée et dont le gène est situé sur le chromosome 21.161 Plusieurs isoformes de ce peptide existent, les plus retrouvées sont les protéines Aβ 40 et Aβ42, de 40 et 42 aminoacides respectivement.162 La forme courte Aβ40 est produite dans le système trans-golgien alors que la forme plus longue Aβ42 est formée par clivage par les enzymes β- et γ-sécrétases (Figure 53) dans le réticulum endoplasmique des cellules.

Figure 53 : Processus protéolytique de l’AAP

Ces peptides circulent naturellement dans le plasma, le fluide cérébrospinal et le liquide interstitiel du cerveau, le plus souvent sous forme soluble Aβ 40. Les dépôts de fibres amyloïdes retrouvées dans le cerveau de patients atteints de la maladie d’Alzheimer sont eux constitués d’un mélange de peptides Aβ40 et Aβ42. Bien qu’Aβ40 soit plus abondant dans le cerveau qu’à Aβ42, il est moins toxique, en partie parce que sa cinétique d’agrégation est plus lente in vivo pour conduire à la formation de plaques amyloïdes. Les plaques sont composées (Figure 54):

- Au centre : de peptides Aβ qui s’agrègent entre eux (du fait de leur structure et leur insolubilité) et forment des faisceaux de filaments droits d’un diamètre de 6 à 9 nanomètres. Ce cœur amyloïde est aussi en contact avec des cellules microgliales responsables d’une réaction inflammatoire modérée.

- En périphérie : des prolongements nerveux (surtout axones) qui s’enroulent autour du cœur interne.

Elles apparaissent d’abord dans les cortex préfrontal et temporal, et envahissent rapidement le néocortex, puis atteignent les noyaux sous corticaux, le tronc cérébral et le cervelet.

161 Mori, H.; Takio, K.; Ogawara, M.; Selkoe, D. J. J. Biol. Chem. 1992, 267, 17082-17086.

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Figure 54 : A) Coloration des plaques amyloïdes à la thioflavine, B) Localisation et schématisation des plaques amyloïdes.

1.2. Les dégénérescences neurofibrillaires

Les dégénérescences neurofibrillaires ou écheveaux ou enchevêtrements neurofibrillaires, sont aussi dûs à l’agrégation anormale d’une protéine, la protéine Tau, mais à l’intérieur des neurones cette fois. Ce sont des amas de paires de filaments hélicoïdaux de microtubules associés à la protéine Tau sous une forme anormalement hyperphosphorylée.

La protéine Tau est normalement associée perpendiculairement aux microtubules, filaments du cytosquelette jouant un rôle prépondérant dans les mécanismes de transport intraneuronal du corps cellulaire vers les dendrites et les terminaisons de l’axone. Normalement, des protéines Tau se détachent périodiquement des microtubules, mais sont remplacées et rapidement dégradées chez le sujet sain. La maladie d'Alzheimer est caractérisée par des protéines Tau se détachant des microtubules et restant dans le milieu intracellulaire. Elles ne sont pas toutes dégradées et finissent par s'agréger et former les neurofibrilles. Trop de neurofibrilles bloquent le fonctionnement du neurone car elles ne permettent pas le transport axonal nécessaire à son activité. Les neurofibrilles compriment le neurone et provoquent une mort neuronale par apoptose.

Les enchevêtrements neurofibrillaires sont révélés par des imprégnations argentiques ou avec des anticorps anti-tau. Ces enchevêtrements sont également observés, comme nous l’avons vu, dans les neurites dystrophiques qui forment une couronne autour des plaques amyloïdes.