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CHAPITRE III : ETUDE DE L’HYDROPHOBIE DE PETITS PEPTIDES FLUORES

I) Etat de l’art sur les méthodes de mesure de l’hydrophobie des aminoacides et des peptides

1) Partage entre deux phases liquides

Le partage entre deux phases liquides non miscibles est la méthode la plus communément employée pour mesurer l’hydrophobie d’une molécule. Généralement, il s’agit d’étudier la partition d’un composé entre l’eau et un solvant organique non miscible (très souvent l’octanol) et de mesurer les concentrations du produit dans les deux phases après agitation du mélange. Cette mesure mène alors à la détermination d’un indice, le logP (coefficient de partage) ou le logD (coefficient de distribution) dont les valeurs reflètent l’hydrophobie du composé. Ces dernières sont le rapport des concentrations des solutés étudiés en phase organique sur leur concentration en phase aqueuse (Équation 1).

𝑙𝑜𝑔𝑃𝑜𝑐𝑡/𝑒𝑎𝑢= log ( (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑜𝑐𝑡𝑎𝑛𝑜𝑙 (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑒𝑎𝑢𝑛𝑜𝑛 𝑖𝑜𝑛𝑖𝑠é)

𝑙𝑜𝑔𝐷𝑜𝑐𝑡/𝑒𝑎𝑢 = log ( (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑜𝑐𝑡𝑎𝑛𝑜𝑙

(𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑒𝑎𝑢𝑛𝑜𝑛 𝑖𝑜𝑛𝑖𝑠é+ (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑒𝑎𝑢𝑛𝑒𝑢𝑡𝑟𝑒)

Équation 1 : Calculs des logP et logD

Le logP n’est valable que pour un composé non ionisé et représente le logarithme du rapport de la concentration du soluté étudié dans l’octanol sur sa concentration dans l’eau après partage. Le logD est l’équivalent du logP, pour un composé ionisable. Ainsi, il est généralement donné pour un pH donné, où le soluté étudié est présent en phase aqueuse sous ses deux formes

135 ionisée et non ionisée, dont les proportions dépendent du pKa des fonctions concernées. Il représente donc le logarithme du rapport de la concentration du soluté non ionisé dans l’octanol sur la somme des concentrations dans l’eau du composé sous sa forme neutre et sous sa forme non ionisée.

La valeur du logP d’un composé est un critère important en chimie médicinale pour apprécier s’il possède la capacité à devenir un bon médicament. En effet, il permet notamment de prédire si le composé pourra interagir facilement avec les membranes et les traverser ou combien de temps il restera dans l’organisme sous forme active. Ainsi, si le logP est positif et très élevé, la molécule considérée est plus soluble dans l’octanol que dans l’eau ce qui reflète son caractère hydrophobe. Typiquement, pour un médicament, le logP représente sa capacité à être absorbé par le corps humain :

Absorption orale : 1,8

Pénétration dans le cerveau : 2,0 Absorption percutanée : 2,6 Absorption sub-linguale : 5,5

Une grande majorité des échelles qui découlent de ce principe de partage liquide-liquide implique l’utilisation de divers solvants organiques choisis pour mimer l’intérieur d’une protéine et l’eau. Néanmoins, le problème souvent rencontré est que la plupart de ces solvants sont partiellement solubles dans l’eau ce qui ne permet pas d’obtenir des valeurs représentant réellement l’hydrophobie.

La première échelle majeure d’hydrophobie répertoriée et qui est la plus citée est sans aucun doute celle mise en place par Nozaki et Tanford en 1971.132 Leur théorie repose sur l’observation de la capacité de certains solvants organiques à dénaturer une protéine. En effet, si, en présence d’un solvant organique, les parties d’une protéine présente dans l’eau et jusqu’alors repliées à l’ « intérieur » s’exposent au solvant et interagissent plus facilement avec lui, celui-ci dénaturera la protéine. Pour expliquer ce phénomène, les auteurs mesurent la solubilité de divers aminoacides dans deux solvants organiques : l’éthanol et le dioxane à des pourcentages de 0 % à 100 % en proportion par rapport à l’eau. De ces mesures ont été calculées les énergies libres de transfert Δft de l’eau vers le solvant de quelques aminoacides d’après l’équation suivante (Équation 2).

∆𝑓𝑡 = 𝜇𝑖0 − 𝜇𝑖,𝑒𝑎𝑢0 = 𝑅𝑇𝑙𝑛 (𝑁𝑖,𝑒𝑎𝑢

𝑁𝑖 ) + 𝑅𝑇𝑙𝑛( 𝛾𝑖,𝑒𝑎𝑢

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Équation 2 : Calcul des énergies de transfert des aminoacides de l’eau vers un solvant organique

où 𝜇𝑖,𝑒𝑎𝑢0 et 𝜇𝑖0 sont les potentiels chimiques standards dans l’eau et dans le solvant de transfert du soluté i étudié.

𝑁𝑖,𝑒𝑎𝑢 et 𝑁𝑖 sont les solubilités du produit i dans l’eau et le solvant de transfert

et 𝛾𝑖,𝑒𝑎𝑢 et 𝛾𝑖 sont les coefficients d’activité à saturation du produit i dans l’eau ou le solvant de transfert

Cette grandeur représente donc la variation du potentiel chimique des aminoacides étudiés en passant d’un solvant organique (éthanol ou dioxane) à l’eau. Le Tableau 10 résume les mesures effectuées par les auteurs ainsi que d’autres extraites de la littérature en classant les aminoacides étudiés en fonction des énergies de transfert calculées.

Chaînes latérales des

aminoacides Δft (cal/mole) Tryptophane 3400 Norleucine 2600 Phénylalanine 2500 Tyrosine 2300 Dihydroxyphénylalanine 1800 Leucine 1800 Valine 1500 Méthionine 1300 Histidine 500 Alanine 500 Thréonine 400 Sérine -300

Tableau 10 : Echelle de Tanford

Les auteurs montrent ainsi que les aminoacides aromatiques sont les plus hydrophobes (tryptophane, phénylalanine, tyrosine). Ils expliquent cela par la taille globale du groupement aromatique de la chaîne latérale, plus grande que pour les autres aminoacides. L’effet d’un groupement polaire sur la diminution de l’hydrophobie des acides aminés peut aussi être constaté. En effet, la présence du groupe hydroxyle aliphatique de la sérine en comparaison avec la chaîne non polarisée de l’alanine, entraine une diminution de l’énergie de transfert de 800 calories par mole. Cette différence est moins marquée cependant entre résidus de tyrosine et de phénylalanine où la présence du groupe hydroxyle sur le noyau aromatique de la tyrosine engendre une diminution de l’énergie de transfert plus faible (200 cal/mole).

137 Afin de mimer au mieux l’intérieur du cœur des protéines, Lawson et al. utilisent quant à eux comme solvant de partition la N-cyclohexyl-2-pyrrolidone (CHP) (Figure 40).135 Selon les auteurs, la présence d’une partie globalement apolaire et d’une liaison amide fait du CHP une bonne approximation du potentiel électrostatique général trouvé à l’intérieur des matrices de protéines. De plus, plusieurs de ses propriétés physiques comme sa constante diélectrique, sa viscosité, sa tension de surface ou sa chaleur de vaporisation ainsi que son volume spécifique partiel représentent mieux le cœur d’une protéine que celles de solvants organiques comme l’éthanol utilisé par Tanford.132

Figure 40 : formule du N-cyclohexyl-2-pyrrolidone (CHP)

Ainsi, en s’inspirant de la méthode décrite par Nozaki et Tanford,132 l’équipe de Lawson calcule les énergies de transfert des 21 acides aminés naturels. Le Tableau 11 résume leur mesure en classant les acides aminés selon les valeurs d’énergie de transfert calculées et comparant ces dernières à celles trouvées par Jones dans un système éthanol/eau.136

Chaînes latérales des aminoacides ΔGt (CHP-> H2O) kcal/mole ΔGt (EtOH-> H2O) kcal/mole Alanine -0,48 ± 0,06 0,87 Arginine -0,06 ± 0,08 0,85 Acide aspartique -0,75 ± 0,09 0,66 Asparagine -0,87 ± 0,06 0,09 Cystéine -0,32 ± 0,07 1,52 Acide glutamique -0,71 ± 0,07 0,67 Glutamine -0,32 ± 0,06 0,00 Glycine 0,00 0,10 Histidine -0,51 ± 0,06 0,87 Hydroxyproline 0,24 ± 0,07 NC Leucine 1,02 ± 0,09 2,17 Isoleucine 0,81 ± 0,07 3,15 Lysine - 0,09 ± 0,06 1,64 Méthionine 0,81 ± 0,06 1,67 Phénylalanine 1,03 ± 0,06 2,87 Proline 2,03 ± 0,06 2,77 Sérine 0,05 ± 0,04 0,07 Thréonine -0,35 ± 0,07 0,07 Tryptophane 0,66 ± 0,06 3,77

135 Lawson, E. Q.; Sadler, A. J.; Harmatz, D.; Brandau, D. T.; Micanovic, R.; MacElroy, R. D.; Middaugh, C. R. J. Biol.

Chem. 1984, 259, 2910-2912.

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Tyrosine 1,24 ± 0,08 2,67

Valine 0,56 ± 0,08 1,87

NC : non communiqué

Tableau 11 : Energies de transfert du CHP vers l’eau des 21 aminoacides naturels calculées par Lawson

Ainsi, il n’est pas évident de trouver un système liquide-liquide reflétant parfaitement les milieux biologiques. La solubilité partielle des solvants organiques dans l’eau et leurs propriétés physiques ne permettent pas de dégager des valeurs reflétant purement l’hydrophobie d’un peptide. De plus, ces méthodes nécessitent souvent des quantités de solutés importantes pour avoir une marge d’erreurs minimale. La majorité de ces échelles a donc été obtenue à partir de mesures effectuées sur les aminoacides eux-mêmes car disponibles en quantité suffisante. Or, ces valeurs obtenues pour les aminoacides seuls et non protégés, ne représentent pas leur contribution au sein d’une chaîne peptidique, car, leurs fonctions terminales n’étant pas protégées, leur influence sur le partage n’est pas négligeable. C’est pourquoi, de nouvelles études ont vu le jour avec des aminoacides protégés ou N-acétylés. Ainsi, quelques années plus tard, Fauchere et Pliska137

mesurent l’hydrophobie d’aminoacides N-acétylés afin de s’affranchir de l’effet des charges terminales. Ils sont parmi les premiers à fournir une échelle quasiment complète des aminoacides ainsi que quelques-uns de leurs dérivés, et à employer l’octanol comme solvant organique de partage.

Or, ces différentes échelles ne concernent que les aminoacides seuls. Au sein d’un peptide, néanmoins, de nouvelles contraintes peuvent apparaître et modifier l’hydrophobie générale du peptide comme les contraintes stériques entre chaînes latérales des aminoacides de la séquence ou le repliement du peptide. Cependant, les méthodes de partage liquide-liquide, coûteuses en quantités de produit nécessaires et en temps d’expérience, sont peu adaptées à l’étude de l’hydrophobie de peptides. Une excellente alternative à ces premières méthodes de partage est l’utilisation de la chromatographie liquide haute performance (HPLC) en phase inverse. Nécessitant de faibles quantités de produits, elle permet de réaliser des mesures précises et automatisables d’indices dérivés des temps de rétention des peptides sur les phases stationnaires apolaires utilisées. Elle représente donc un outil particulièrement apprécié pour la mesure d’indices d’hydrophobie.

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2) Partage entre une phase stationnaire et une phase liquide :