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CHAPITRE I : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE DES CONSEQUENCES DE L’INTRODUCTION

2) Conséquences et intérêt de l’incorporation d’aminoacides fluorés dans des peptides

2.2. Augmentation de la résistance métabolique et inhibition enzymatique

est leur extrême sensibilité aux peptidases et leur manque de sélectivité pour les cibles biologiques à cause de leur grande flexibilité conformationnelle. L’incorporation d’aminoacides α,α-disubstitués, notamment l’acide α-aminoisobutyrique, permet de favoriser et stabiliser la formation des structures secondaires que sont les hélices α et ralentir la dégradation enzymatique des peptides les incorporant.27 De par les propriétés électroniques de l’atome de fluor (paragraphe 1.2) un groupement trifluorométhyle, lorsqu’il est placé en position α d’un aminoacide, exerce sur les fonctions environnantes des effets de polarisation considérables susceptibles de renforcer cette résistance. Ainsi, depuis les travaux de Koksch et coll.9, il a été envisagé d’incorporer un aminoacide α-trifluorométhylé en des points stratégiques d’une séquence peptidique afin de ralentir voir empêcher l’hydrolyse par des peptidases. Afin d’étudier la résistance protéolytique de peptides α-trifluorométhylés vis-à-vis d’une enzyme à sérine, l’α-chymotrypsine, l’équipe de Koksch a synthétisé une série de peptides modèles contenant des α-Tfm-aminoacides en cinq positions différentes autour du site de clivage de l’enzyme (Figure 14).

P

3

P

2

P

1

P

1

P

2

Z α-Tfm-Phe Leu NH2

Z α-CH3-Phe Leu NH2

Z α-Tfm-Ala Phe Leu NH2

Z Aib Phe Leu NH2

Z α-Tfm-Ala Ala Phe Leu NH2

Z Aib Ala Phe Leu NH2

Z Phe α-Tfm-Ala Ala NH2

Z Phe Aib Ala NH2

Z Phe Leu α-Tfm-Ala NH2

Z Phe Leu Aib NH2

Figure 14 : Séquences des peptides modèles de l’étude de résistance à l’hydrolyse par la chymotrypsine réalisée par le groupe de Koksch avec représenté le site de clivage de l’enzyme

45 Cette enzyme pancréatique humaine qui coupe préférentiellement après les aminoacides aromatiques est l’une des plus utilisées pour l’étude des mécanismes enzymatiques.

L’hydrolyse enzymatique par l’α-chymotrypsine de chaque peptide modèle a ainsi été étudiée (Figure 15).

Figure 15 : Suivi de l’hydrolyse enzymatique par la chymotrypsine au cours du temps de peptides incorporant des α-Tfm-AA en différentes positions. (d’après Koksch et al.9)

D’une part, les peptides témoins non fluorés ont tous été hydrolysés rapidement par l’enzyme. D’autre part, les analogues α-trifluorométhylés ont tous montré une résistance accrue à l’hydrolyse mais dépendante de la position de la substitution. Ainsi, les peptides substitués en position P1 montrent la résistance protéolytique la plus prononcée. Les substitutions en positions P2 et P3, où un acide α-aminoisobutyrique ou une α-Tfm-Alanine remplacent une alanine, entrainent également une résistance protéolytique élevée avec un retard de l’hydrolyse enzymatique. Ces résultats sont également dépendants de la configuration absolue de l’aminoacide fluoré introduit. Ainsi, concernant les peptide Z-Phe-Tfm-Ala-Ala-NH2, substitué par une α-Tfm-Ala en position P1’, les deux diastéréoisomères (S,S,S) et (S,R,S) ont été étudiés séparément. Le peptide (S,S,S) montre une stabilité protéolytique considérable par rapport au diastéréoisomère (S,R,S). Une modélisation moléculaire montre que dans le cas du diastéréoisomère (S,R,S), une interaction des atomes de fluor avec la chaîne latérale de la sérine s’opère ce qui n’est pas possible dans le cas du dérivé (S,S,S). Les atomes de fluor agiraient comme accepteurs de liaison hydrogène vis-à-vis de la chaîne latérale de la sérine, augmentant le caractère nucléophile de l’atome d’oxygène de la sérine et ainsi, facilitant l’attaque nucléophile sur le groupe carbonyle du substrat et donc son hydrolyse par l’enzyme.

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Déjà en 1983, Hortin et al.48prouvent que la présence d’aminoacides fluorés, dans le cas des fluoroasparagines, peut empêcher certains processus enzymatiques comme les glycosylations de protéines. Ces phénomènes concernent essentiellement les protéines membranaires et les protéines sécrétées et jouent un rôle dans la reconnaissance cellulaire. Les N-glycosylations consistent ainsi en un transfert d’oligosaccharides à partir de résidus dolichol pyrophosphates (Schéma 6). La ligation s’opère par substitution nucléophile de type 2 de l’amide de l’asparagine sur le carbone anomérique du sucre.

Schéma 6

Ainsi, les auteurs étudient la réaction enzymatique de N-glycosylation par un milieu cellulaire, d’un petit peptide synthétique Ac-Asn-Leu-Thr-CONHMe en substituant l’asparagine naturelle par une β-fluoroasparagine. En utilisant la threo-fluoroasparagine à la place de l’asparagine, le peptide modifié n’est plus glycosylé par le milieu cellulaire. Plusieurs hypothèses ont alors été proposées pour expliquer ce phénomène. Afin d’activer la réaction de glycosylation, il y a, au sein du peptide natif non fluoré, formation d’une liaison hydrogène entre l’oxygène du groupement hydroxyle de la thréonine et un hydrogène de l’amide de la chaîne latérale de l’asparagine (Schéma 7).

Schéma 7

La formation de cette liaison hydrogène augmente la nucléophilie de l’amide, ce qui favorise ainsi l’attaque nucléophile de la fonction amide de l’asparagine dans la réaction de N-glycosylation. La présence d’un atome de fluor, très électroattracteur, en position β de l’asparagine

47 de ce tripeptide a donc tendance à diminuer la nucléophilie de l’atome d’azote de l’amide. Ainsi, la réaction de N-glycosylation est inhibée par la présence de fluor en β (Schéma 8).

Schéma 8

Le cas des prolines fluorées en position 4 se révèle également intéressant dans le cadre de l’inhibition de la proline 4-hydroxylase (P4H) humaine. Cette enzyme se présente sous forme d’un tétramère constitué de deux sous-unités α et de deux sous-unités β de 59 kDa chacune. Elle catalyse l’hydroxylation en position C4 des prolines des brins de collagène. L’hydroxylation s’accompagne de la décarboxylation oxydante d’un α-cétoglutarate pour former un succinate (Schéma 9).

Schéma 9

Afin d’étudier le mécanisme catalytique de cette enzyme, Raines et al. utilisent un peptide modèle PEG-Gly-Tyr-Pro-Gly-OEt ainsi que les deux diastéréoisomères dérivés fluorés contenant à la place de la proline, la (4R)-fluoroproline ou la (4S)-fluoroproline.49 L’atome de fluor étant sensiblement isostère à l’atome d’hydrogène, sa monosubstitution ne devrait pas altérer la reconnaissance du peptide par l’enzyme, donc son activité.10 Ainsi, le peptide contenant la (4R)-fluoroproline n’est ainsi pas hydroxylé par l’enzyme. En effet, son mécanisme d’action consiste à extraire l’atome d’hydrogène 4R des prolines avant d’hydroxyler cette position. Au sein de ce peptide, le fluor présent en position 4R bloque donc l’action de la P4H.

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Par ailleurs, ces études d’inhibition montrent que l’enzyme n’est pas inhibée par la présence de ce dérivé fluoré, prouvant que son mécanisme d’action ne fait intervenir de liaison entre le peptide et l’enzyme.

Parallèlement, le peptide diastéréoisomère contenant la (4S)-fluoroproline a également été testé vis-à-vis de la P4H et a révélé être hydroxylé par celle-ci. En revanche, la 4-cétoproline est récupérée comme produit final de la réaction. L’action de la P4H dépend fortement de la conformation de la liaison peptidique Xaa-Pro. En effet, la proline et la (4S)-fluoroproline adoptent toutes deux un puckering de type Cγ-endo (cf paragraphe 2.1.5) et conduisent à des ratios trans/cis faibles, tandis que la (4R)-fluoroproline ainsi que la 4-hydroxyproline préfèrent adopter un puckering Cγ-exo avec des ratio trans/cis élevés. Les peptides incorporant ces derniers résidus ne sont pas convertis par la P4H et ne l’inhibent pas, ils ne sont pas reconnus par l’enzyme.

Une autre classe d’enzymes importante qui catalyse l’isomérisation cis/trans de la liaison peptidique mettant en jeu la fonction amine des prolines sont les proline cis/trans isomérases (PPIases). Ces enzymes jouent un rôle déterminant pour le repliement protéique puisque l’isomérisation cis/trans est une étape limitante pour ce processus. Schiene-Fischer et coll. utlisent un peptide modèle (succinyl-Ala-Ser-Pro-Phe-p-nitroanilide) pour étudier l’efficacité catalytique de quatre PPIases différentes.50 Leur approche consiste à substituer la proline de ce peptide par ses dérivés fluorés (4R)-fluoroproline, (4S)-fluoroproline et 4-difluoroproline. Cette substitution est sensée générer des effets inductifs important sur l’isomérisation cis/trans de la liaison peptidique de la proline sans engendrer néanmoins de contraintes stériques. Ainsi, les auteurs étudient l’efficacité catalytique de cette enzyme vis-à-vis de ces peptides modifiés et observent que les peptides contenant la (4S)-fluoroproline sont plus susceptibles à l’isomérisation par l’enzyme PPIase que les dérivés contenant la (4R)-fluoroproline. Ainsi, le taux d’isomérisation vers la configuration cis est augmentée de 22% avec un taux d’interconversion de la conformation trans vers la conformation cis deux fois plus rapide.

L’émergence de résistances bactériennes aux les antibiotiques les plus utilisés en clinique force à développer de nouvelles classes d’antibiotiques plus efficaces. Les peptides membranaires actifs ou peptides antimicrobiens (AMPs pour Membrane Active Peptides) sont de petits peptides (15 à 30 résidus) qui se révèlent biologiquement actifs contre les bactéries. Ils exercent leur activité

50 Golbik, R.; Yu, C.; Weyher-Stingl, E.; Huber, R.; Moroder, L.; Budisa, N.; Schiene-Fischer, C. Biochemistry 2005, 44, 16026-16034.

49 en cassant les membranes bactériennes, leur capacité à interagir avec celles-ci est donc importante pour leur activité. Les bases structurelles de cette activité résident dans leur caractère amphiphile, opposant une face hydrophobe, à une autre comportant des aminoacides chargés positivement. Par ailleurs ces peptides sont souvent de structure hélicoïdale. Comme nous l’avons déjà vu auparavant, l’un des obstacles à l’utilisation de peptides comme agents thérapeutiques est leur rapide dégradation par les enzymes de l’organisme.

Marsh et al.51 ont étudié la substitution des leucines et isoleucines du pexiganan, un analogue synthétique de magainin 2, un AMP de structure α-hélicoïdale ayant une activité antimicrobienne intéressante, par leurs analogues hexafluorométhylés. L’activité antimicrobienne ainsi que la résistance vis-à-vis de la trypsine et de la chymotrypsine ont été évaluées. En solution, le peptide natif n’est pas structuré mais forme des hélices α anti-parallèles en association avec les bicouches lipidiques de membranes. C’est dans cette structuration que le peptide exerce son activité.

Figure 16 : Structuration en hélice α du pexiganan montrant les résidus de leucines et isoleucine

En incorporant l’hexafluoroleucine en des points stratégiques de ce peptide, les auteurs espèrent stabiliser cette structure et augmenter ainsi l’activité antimicrobienne tout en augmentant la résistance à l’hydrolyse par la trypsine et la chymotrypsine. D’une part, les études d’activité antimicrobiennes montrent que les peptides fluorés conservent une bonne activité. Concernant la résistance métabolique, les auteurs étudient l’hydrolyse en présence ou en absence de bicouches lipidiques. En présence de bicouches, les peptides ne montrent aucun signe de dégradation même après dix heures d’expérience alors qu’en absence de membranes, ils sont rapidement hydrolysés. Ces résultats prouvent que cette résistance peut être attribuée, non pas à la présence de fluor elle-même, mais à un auto-assemblage favorisé.

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Ainsi, les conséquences conformationnelles de la présence d’un aminoacide hautement fluoré au sein d’un peptide ne s’expliquent pas seulement par un phénomène d’encombrement stérique mais résultent d’auto-assemblage inter ou intra moléculaire empêchant la dénaturation enzymatique de la structure.

2.3. Utilisation du fluor dans des structures enzymatiques comme preuves