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Avec la collecte des thèmes à traiter commence le réel travail sur le conflit. Dans un premier temps, les parties sont appelées à exposer les points qu’ils souhaitent voir traités. Il y a souvent des thèmes litigieux pour lesquels les parties ont des positions fortement divergentes, comme par exemples les données chiffrées, les initiatives, les intérêts, les revendications, les

79 intentions, les jugements de valeur (politiques, moraux, personnels, esthétiques,

économiques), la répartition des tâches, les sympathies ou antipathies etc. Durant cette phase il ne s’agit pas encore de procéder à des rapprochements de points de vue, mais vraiment de la collecte brute de données et d’informations subjectives respectives aux positions des parties en conflits.

Il est très utile de se servir d’un tableau de conférence, pour visualiser ses différents thèmes et pouvoir le ressortir à tout moment au cours de la médiation. Il y a autant de colonnes (de taille égale) que parties et chaque partie s’exprime sur

tous les thèmes qu’elles souhaitent voir traités. Le médiateur note tous ces points, éventuellement en les paraphrasant, d’une partie pour s’assurer qu’il les a bien compris, et d’autre part pour transformer des phrases en mots clés pour les rendre succincts et clairs pour toutes les parties. La communication passe par le médiateur. En règle générale, il commence par demander aux parties une à une de lui exposer le/s sujets de manière globale. Le fait de

ne pas poser tout de suite des questions situe le médiateur plus comme quelqu’un qui est à l’écoute et qui cherche à comprendre. Son positionnement comme interlocuteur directe a pour conséquence que les parties lui répondent directement en émettant moins de revendications et de provocations visant la/les partie/s adverses. Si les parties ne parviennent pas à formuler les objets de leur conflit, le médiateur peut assister en posant des questions ouvertes : Quels sujets aimeriez-vous voir traités ? Quelle est la raison du conflit ? Qu’attendez-vous de l’autre partie ? Un accord, une omission, une tolérance, un service, un positionnement ?

Le rôle du médiateur est entre autre de structurer durant cette phase pour rassembler les thèmes, notés de façon prospective, sans les traiter encore. Le médiateur doit vérifier si les données avancées correspondent à l’état des faits. Quels thèmes sont contestables et lesquels ne le sont pas ? Comme les parties mêlent souvent leur propre jugement aux faits réels, il est important de résumer et de poser des questions complémentaires pour comprendre quelles différences concernent réellement la situation de faits et quels points sont incontestables et ne font, par conséquence, part des objets à résoudre.

80 Le rôle du médiateur durant cette phase est avant tout l’animation. Il est garant que chaque

partie peut développer ses thèmes qui lui sont importants sans être interrompu ou commenté outre mesure. Le médiateur entame la désescalade en reformulant les remarques conflictuelles en moins conflictuelles. (ex : « Nous avons été arnaqués par ces personnes durant les négociations contractuelles. Personne ne nous a dit qu’il existe une filiale au Canada n’acquittant ses droits et taxes depuis de nombreuses année. Maintenant c’est à nous de payer. Mais ne croyez pas que nous nous laissons faire. » en « Vous êtes déçus, parce que selon votre compréhension, vous n’étiez pas en possession de toutes les informations nécessaires au moment de la négociation contractuelle. Particulièrement, vous n’étiez pas au courant, que… »)

L’objectif de cette diagnose de conflit est donc de rassembler et de structurer toutes les informations, enjeux, données, positions d’un niveau factuel. Un travail soigneux conduisant à l’exposition exhaustive des sujets évoque souvent chez les parties un certain soulagement car leurs problèmes ont été entendus, pris au sérieux, ont trouvé une place (sur le tableau de conférence) et les efforts consentis ont été mis positivement en valeur, parfois par l’autre partie, mais au moins par le médiateur. Maintenant on peut essayer de regrouper les thèmes en différents parties à traiter. Il est indispensable de tenir compte de tous les points, même s’ils ne rentrent pas tous dans des groupements de thèmes créés pour que personne ne se sente léser. Il convient de créer également une hiérarchie dans la gestion des sujets. Pour ceci, le scientifique suisse THOMANN82 conseille de regrouper les thèmes en différentes catégories :

- Les thèmes liés aux rapports interindividuels (conflits entre personnes impliquées) - Les thèmes liés aux données personnels (ex : obstacles à la coopération/relation avec

le/s autre/s)

- Les thèmes concernant un groupe (ex : culture et ambiance au travail, réunions et pauses..)

- Les thèmes factuels (ex : les décisions, les points de désaccord)

82 THOMANN (C.) & SCHULZ VON THUN (F.), Klärungshilfe 1, Handbuch für Therapeuten,

81 Même si les parties ne sont pas toujours d’accord sur l’ordre d’importance, il y a souvent un

sujet plus urgent que d’autres et les parties, mêmes très conflictuelles, arrivent à se mettre d’accord sur le traitement prioritaire de celui-ci. On peut, une fois une solution trouvée, revenir à cet éventail de thème pour en choisir le prochain à traiter.

Un dernier élément important durant cette phase de rassemblement d’informations autour du conflit est l’analyse du niveau de conflit. De la même manière que chaque évènement provoque en nous une réflexion et des émotions, on peut constater, qu’un conflit peut se baser aussi bien sur un niveau factuel que relationnel. Il n’est pas rare, que derrière des conflits de propriété, de stratégie, de valeur, de répartition ou autre se cachent des conflits relationnels. La lecture attentive du comportement des parties permet de comprendre comment les parties s’autoévaluent et comment leur relation se définit. A ce stade d’exposition du conflit, des attitudes de méprise et de rabaissement ne sont pas rares (ex : « J’ai déjà travaillé dans cette société, quand vous avez été encore au lycée. », « J’en suis pour rien si vous êtes si mal organisé. ») Il faut chercher à comprendre si il y a un historique de conflit (ex : « De toute manière vous n’avez jamais été capable de tenir un engagement.») On peut aussi poser des questions ciblées, telles que : Est-ce que vous avez constaté de comportements similaires par le passé ? (« Ils ont toujours travaillé de cette manière : d’abord il y a eu de grandes promesses, puis à la date limite de clôture de l’appel, il manquait la moitié des documents. »). Il faut essayer de creuser sur les motivations des acteurs (« Qu’est-ce qu’il en était des documents à remettre ? » « Il est vrai qu’on avait parfois du mal à tenir les délais. » « Pourquoi cela ? » « On recevait une grande pression de la part de nos partenaires. Nous nous sommes engagés sur ces délais pour ne pas émettre de doute quant à notre volonté de coopération. »)

Toutes données et informations, contribuant à une meilleure compréhension structurelle de la relation entre les parties impliquées dans un conflit, vont augmenter les chances de réussite d’une médiation : Est-ce qu’il y a eu des conflits par le passé et quel a été leur issue ? Quelles motivations ont été affichées durant de derniers conflits ? Est-ce qu’il existe des dépendances, sentiments d’infériorité, des éléments pouvant peser sur la relation ou rendant difficile une gestion commune de conflit ? La qualité de communication entre les parties peut en dire quelque chose sur leur niveau de tension relationnelle. Un conflit personnel a toujours aussi des répercussions sur le conflit factuel. Si cette convergence est trop importante, il est difficile voire impossible d’avancer dans les négociations. Une analyse permet de clarifier si les

82 différences sont d’abord factuelles ou personnelles. Dans le monde économique, on constate

régulièrement que les rapports entre adversaires sont durs, mais cette hostilité n’est pas personnel et sert principalement à la défense de leurs intérêts (ou ceux de leur société). Avec le progrès dans la gestion du conflit, on assiste aussi généralement rapidement à une détente de la relation entre les parties impliquées.

En contrepartie, si les concernés se méfient, ont été déçus, se sentent trompés ou traités injustement par le passé ou en ressentent une menace actuelle, il convient alors dans un premier temps d’apaiser la relation. Le but est sinon d’effacer, mais de réduire des émotions négatives comme la rancune, la jalousie ou la déception pour pouvoir avancer ensuite de manière constructive sur un niveau plus factuel.

Un effet intéressant de ce diagnostic d’état des lieux est l’apaisement, que le médiateur, mais aussi les parties impliquées ressentent généralement. Même si les parties viennent d’entendre les pires accusations et que la somme des thèmes à traiter (visualisés via le tableau de conférence) parait immense, la tension dans la pièce a l’air de diminuer et une forme de calme semble s’installer. THOMANN83 explique cela par les quatre facteurs suivants :

- Proximité : Cette phase d’explication et de clarification individuelle a lieu dans un cadre bien protégé. Puisqu’il n’y a aucun dialogue entre les parties durant cette phase, les parties peuvent exposer leurs points de vue et ressentis sans avoir à subir de quelconque forme de jugement de valeur ou de contradiction. L’écoute et les qualités empathiques du médiateur, mais aussi la matérialisation des sentiments (le fait de formuler par écrit les pensées et les rendre ainsi visible aux autres parties), favorisent un sentiment de satisfaction et de compréhension (le fait de sentir compris) auprès des parties concernées, et avant tout pour celles présentant un profil d’harmonisateur de conflit.

- Envergure : Avec l’inventaire de tous les thèmes à traiter, le médiateur donne une dimension exhaustive au conflit. Il remplace la vision subjective, partielle et diffuse de chaque partie par une synthèse globale et structurée des points à traiter. L’apport de

83 THOMANN (C.) & SCHULZ VON THUN (F.), Klärungshilfe 1, Handbuch für Therapeuten,

83 cette dimension analytique et rationnelle contribue à un éclaircissement du conflit et à

une accalmie surtout auprès des profils analytiques84.

- Distance : En énumérant l’éventail des composants du conflit, le médiateur donne une impulsion importante permettant de débloquer une situation figée. Le fait de sortir de la communication indirecte et partielle (traiter que certains sujets mais éviter d’autres) pour nommer directement les problèmes à traiter est un soulagement surtout pour les profils à l’aise avec la confrontation85. Pour cette catégorie de personnes, cette étape insinue une sortie rapide de l’impuissance, de pouvoir enfin agir et faire face au conflit et aux parties concernées par le conflit.

- Changement : Cette confrontation au conflit peut intervenir tôt ou tard. Les personnes avec une tendance à fuir le conflit86 appréhendent ce moment dès le début de la médiation. Non seulement soulagées par le fait que cela n’a pas eu lieu d’entrée, mais aussi agréablement surpris par le fait d’avoir pu exposer leur position sans offense, elles commencent généralement à baisser leur niveau de tension (bien détectable par un suivi attentif de l’évolution du langage corporel. Ex : jambes et bras croisés en début de séance, puis « ouverture » successive). Rassurées et mises en confiance par le « succès » de ce premier exercice, elles gagnent en aisance et en optimisme pour affronter la suite.87

Cette description du calme ambiant est comparable avec le calme avant la tempête. La clarification individuelle des parties les a amenées de manière plus ou moins consciente au cœur même de la médiation – à la phase d’analyse et de dialogue. De nombreux thèmes ont été exposés pour la première fois dans une telle clarté et ceci quasiment sans confrontation et sans frictions. Même si pour la plupart des thèmes les parties ressentent bien sur le besoin de réagir et de prendre position, la satisfaction actuelle concernant les achèvements emporte généralement.

Il convient maintenant de se servir de cet élan positif pour entamer sans trop tarder la phase de dialogue. Dans la plupart des médiations, plusieurs séances ont été fixées, et il est fortement recommandé de ne pas terminer une séance avec cette phase de collecte de thèmes puis de

84 Ibid 85 Ibid 86 Ibid

84 libérer les parties. Bien qu’il soit tentant pour un médiateur de vouloir faire perdurer ce

sentiment d’euphorie chez les parties, la chute du lendemain ou lors de la prochaine session sera d’autant plus douloureuse. Le repos et la digestion des faits vont contribuer auprès des parties concernées à assoir ce sentiment et à créer une attitude optimiste (« on va résoudre cela calmement, comme jusqu’à présent »), trop optimiste comparé à la réalité de la situation générale. Ainsi, au premier dialogue difficile, les parties peuvent répondre choquées et déçues. Aussi leur évaluation de l’évolution de la médiation sera mauvaise, car compte tenu de la bonne ambiance de la veille, elles ne peuvent qu’avoir le sentiment d’une détérioration de la situation actuelle. Ce sentiment d’échec (« maintenant c’est encore pire qu’avant, vraisemblablement il n’est pas bon de parler aussi ouvertement et d’être aussi directe ») renforce encore la position défensive, que les humains ont déjà naturellement, envers une discussion ouverte. 88