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CHAPITRE 2 : Méthodologie de la recherche

2.2 L‘analyse des données

2.2.5 Phase 4 Un début de codage théorique et une définition de travail de la

Les phases 2 et 3 ayant permis de développer une nomenclature qui rend compte de la parole des jeunes en lien avec différents sujets, il reste à situer cette parole de manière à mieux comprendre comment s‘élabore leur discours sur leur adaptation et leur transition. La phase 4 a mis en relation les codes bruts en les joignant à des concepts théoriques de manière à proposer un mode de compréhension d‘un tel discours. L‘idée de codes théoriques et de codage théorique en grounded theory sera mise à contribution ici de manière à poursuivre cet objectif de compréhension.

Pour avancer vers un mode de compréhension qui exige de l‘analyste un niveau élevé d‘interprétation, il faut se demander comment faire place à son savoir théorique (ou à ses « bonnes idées » comme le mentionne Glaser, 1978, p. 8) et aux théories existantes dans une méthode de théorisation qui cherche à faire émerger de nouvelles idées à partir des données plutôt qu‘à vérifier des idées ou théories préconçues. Strauss et Corbin (1990, 1998) proposent un « paradigme de codage »56 alors que Glaser (1978) propose différentes

56 Le paradigme de codage élaboré par Strauss et Corbin (que Charmaz, 2006, nomme schème organisateur)

sert à orienter le codage en se posant des questions qui permettent d‘organiser les catégories et leurs relations avec le phénomène à l‘étude. Il permet de réfléchir les catégories selon : (1) qu‘elles appartiennent directement au phénomène, (2) qu‘elles réfèrent aux conditions d‘un phénomène, (3) qu‘elles rendent compte

familles de codes qui donnent lieu à des codes théoriques référant à des catégories analytiques qui viennent de l‘analyste ou des théories existantes et qui servent à conceptualiser les codes substantifs (substantive codes) collés aux données empiriques et ayant émergé de ces données.

Les codes théoriques développés en phase 4 s‘inspirent du paradigme de codage (Strauss & Corbin, 1990, 1998) et de certaines familles de codes (Glaser, 1978, 1998)57. Ils ont été assignés à tous les codes bruts (aussi des codes substantifs) de la phase 2. Ils ont permis de proposer une manière de comprendre le concept d‘adaptation et la façon dont les jeunes y faisaient plus ou moins directement référence. La rédaction de mémos sur le sujet (dès le début du codage) et la division des codes bruts selon les deux niveaux adoptés en phase 2 (énoncés descriptifs et énoncés appréciatifs) offraient déjà plusieurs éléments à intégrer à une telle proposition. La phase 4 a permis de formaliser et de spécifier les concepts qui justifiaient cette division en deux niveaux ainsi que de définir et de préciser la façon dont les jeunes décrivent et apprécient leur situation.

Pour ce faire, les énoncés descriptifs (liés aux actions et à la description de la situation) ont été catégorisés selon qu‘ils rendent compte : 1) de conditions extérieures; 2) d‘actions; 3) d‘objectifs, de désirs, de volontés, de buts ou attentes; et 4) d‘une caractérisation de soi. Quant aux énoncés appréciatifs, ils ont été catégorisés selon qu‘ils

de « stratégies sous forme d‘actions/interactions utilisées pour gérer, aborder [négocier] ou répondre à ce phénomène » (Strauss & Corbin, 1990, p. 98) ou, (4) qu‘elles réfèrent aux conséquences de ces actions et interactions. Dans la phase 2, les thèmes qui sont ressortis, selon ce paradigme, désignent principalement les actions et interactions des jeunes rencontrés ainsi que les conditions qui caractérisent leur situation en lien avec les six domaines de transition et les autres défis adaptatifs. Cependant, les thèmes désignés par les énoncés appréciatifs (de niveau 2) et envers lesquels j‘ai été particulièrement sensible dépassent ce paradigme spécifique de codage, et sont associés aux appréciations et attitudes qui permettent à l‘acteur d‘évaluer sa situation. Ce paradigme de codage – basé sur la tradition pragmatiste et présumant une théorie générale de l‘action, comme le souligne Kelle (2005) et comme le précise la 3e édition du livre de Strauss et Corbin

(Corbin & Strauss, 2008) – permet d‘élargir ou de restreindre, tel que le mentionne Charmaz (2006), la vision du chercheur. Ici, le désir de cerner spécifiquement l‘appréciation (l‘évaluation et la valorisation) des jeunes dépasse ce paradigme de codage spécifique, mais permet de l‘élargir et de le lier davantage à l‘objet d‘étude qu‘est la résilience.

57 Avant que ces codes théoriques servent à coder concrètement les codes bruts lors de cette phase 4, une

réflexion ayant mené à ces codes a pris place tout au long de la phase 3 et a été transposée sous forme de mémo. Les codes théoriques codant les énoncés descriptifs ont été fortement inspirés du paradigme de codage (Strauss & Corbin, 1990, 1998), mais aussi de deux des familles de codes de Glaser (1978) : celle liée au soi et à l‘identité (identity-self family) et celle liée aux objectifs ou aux moyens (means-goal family). Ceux codant les énoncés appréciatifs peuvent rejoindre aussi les familles du soi et de l‘identité ainsi que d‘autres familles comme la valorisation de soi (self-worth) la représentation évaluative (evaluative representation) et sentimentale (sentimental representation) (Glaser, 1998, pour ces deux dernières familles).

rendent compte : 1) d‘une évaluation, appréciation ou valorisation d'une condition (négative, ambivalente et positive) ou 2) d‘une évaluation, appréciation ou valorisation de soi ou de ses actions (négative, ambivalente et positive). De façon plus spécifique, plusieurs sous-codes théoriques ont été développés pour préciser les concepts d‘évaluation, d‘appréciation et de valorisation. Ces sous-codes ont permis de catégoriser une majorité d‘énoncés appréciatifs selon qu‘ils exprimaient une satisfaction ou une insatisfaction, une capacité ou une incapacité, une difficulté ou une facilité, une fierté, une comparaison sociale avantageuse ou désavantageuse, un stress, une peur, un optimisme ou un pessimisme. L‘importance accordée à une situation ou son utilité/inutilité ont aussi été considérées dans cette catégorisation.

L‘application des codes théoriques aux énoncés descriptifs a facilité la mise en dialogue des objets potentiels d‘appréciations (conditions, actions, objectifs ou soi-même) avec l‘appréciation elle-même. Il faut préciser cependant que c‘est surtout le codage théorique des énoncés appréciatifs qui a été profitable pour la suite de l‘analyse. Le codage selon la direction de l‘appréciation (négative, ambivalente ou positive) et la possibilité d‘explorer l‘appréciation selon cette direction a servi de fondement important de la phase 5 qui vise à faire ressortir les processus associés à l‘appréciation, à l‘évaluation et, par extension, à la résilience. Le Tableau 5 présente les codes théoriques associés aux quelques codes bruts du logement précédemment évoqués.

Tableau 5. Exemple de codes théoriques associés à quelques codes bruts du logement Catégories thématiques (phase 3) Codes bruts (créés en phase 2) Niv- eaux N1, N2 Codes théoriques (phase 4) Changement de

milieu de vie Devoir quitter ses ami-e-s N1 (1)

" Changer de familles N1 (1)

" Famille d‘accueil qui permet d‘être logé un

mois de plus N1 (1)

" Déménager avec conjoint et colocataire N1 (2)

" Retourner chez sa mère N1 (2)

" Vouloir l‘autonomie en logement N1 (3)

" Difficultés de quitter et de trouver des ami-e-s N2 (5n) " Insatisfaction vis-à-vis de la trop grande

mobilité en logement N2 (5n)

" Satisfaction de changer d‘appartement N2 (5p)

" Satisfaction de la prolongation de 1 mois en

famille d‘accueil N2 (5p)

" Être capable de bien s‘adapter au changement de ville N2 (6p)

Cohabitation Vivre en cohabitation et habiter avec

colocataires N1 (1)

" S‘installer dans son appartement avec conjoint (et colocataire) N1 (2)

" Difficultés antérieures de colocation N2 (5n)

" Satisfaction d‘habiter avec conjoint N2 (5p)

" Satisfaction vis-à-vis de la relation de colocation N2 (5p)

Note. (1) conditions extérieures; (2) actions; (3) objectifs, désirs, volontés, buts ou attentes; (4) caractérisation

de soi; (5n) évaluation, appréciation ou valorisation négatives d'une condition; (5p) évaluation, appréciation ou valorisation positives d'une condition; (6n) évaluation, appréciation ou valorisation négatives de soi ou de ses actions; (6p) évaluation, appréciation ou valorisation positives de soi ou de ses actions.

En exigeant de l‘analyste une précision dans les définitions des codes théoriques et une sensibilité vis-à-vis des différentes manifestations d‘appréciation et leur mise en relation avec l‘adaptation, la phase 4 a aussi permis d‘aboutir à une « définition de travail » de plus en plus précise et opérationnelle de la résilience et des principaux concepts associés. Cette définition va comme suit :

L‘adaptation est une appréciation (une évaluation ou une valorisation) de soi et de ses conditions de vie. L‘adaptation positive est l‘aspect positif de cette appréciation.

L‘adaptation positive devient résilience lorsqu‘elle se manifeste en lien avec des défis saillants et importants définis et exprimés comme tels par l‘acteur58.

Même si les suites de l‘analyse ont amené à proposer une deuxième définition qui sera discutée à la suite des résultats, c‘est celle-ci qui a permis de rechercher les processus qui, conformément à la question de recherche, « s‘associent à la résilience pour permettre d‘orienter positivement son adaptation et la définition de la situation ». C‘est aussi elle qui a permis la catégorisation et la définition progressives de ces processus. C‘est ce qui lui vaut l‘appellation de définition de travail.

2.2.6 Phase 5. Identification et mise en relation des processus associés à la résilience