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CHAPITRE 1 : Problématique : résilience des jeunes en transition vers l‘âge adulte

1.3 Le cadre théorique

1.3.1 Certains postulats liés à une perspective interactionniste

La perspective interactionniste renvoie à deux postulats : l‘importance des interactions pour étudier le monde social et la croyance en la capacité réflexive de l‘acteur. Elle est influencée par les travaux de différents auteurs, dont H. S. Becker, Goffman,

27 Certaines parties du texte constituant cette section ont été adaptées de Macé (2011) où est présentée

Strauss et Blumer associés à la tradition de Chicago28 en sociologie décrite par Becker (1999) et Chapoulie (2004b). Ces postulats sont aussi contenus dans les trois prémisses de l‘interactionnisme symbolique proposées par Blumer (1969) : (1) les êtres humains agissent envers les choses (things) sur la base du sens (meaning) qu‘ils leur accordent; (2) le sens de ces choses est dérivé ou émerge de l‘interaction sociale; (3) ces significations (meanings) sont mises en œuvre dans un processus interprétatif (compréhensif) ou modifiées par ce processus et c‘est ce processus qui est déployé quand la personne négocie avec les choses qu‘elle rencontre.

1.3.1.1 L’importance des interactions

L‘importance des interactions inscrit aussi la perspective interactionniste à l‘intérieur de certaines approches constructivistes en sociologie ainsi que parmi les épistémologies constructivistes. Corcuff (2007) situe d‘ailleurs les sociologies interactionnistes parmi les approches qui utilisent un « langage constructiviste » qui permet d‘appréhender les réalités sociales comme des « constructions historiques et quotidiennes des acteurs individuels et collectifs » (p. 16). Harris (2010) place l‘un des fondements de ce qu‘il nomme « interpretive social constructionism » (pouvant être traduit par socioconstructivisme compréhensif) en relation avec la troisième prémisse de l‘interactionnisme symbolique de Blumer (1969) voulant que le sens (meaning) ne soit pas inhérent aux choses, mais plutôt construit et modifié dans et par les interactions sociales.

D‘un point de vue épistémologique, l‘importance des interactions s‘apprécie aussi par cette citation de Piaget reprise par Le Moigne (2007) pour appuyer son « hypothèse phénoménologique » qu‘il propose comme une des quatre hypothèses fondatrices des « épistémologies constructivistes » : « L‘intelligence ne débute ainsi ni par la connaissance du moi, ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction » (p. 75, italique ajoutée). L‘hypothèse phénoménologique pourrait aussi être nommée, dans les mots de Le Moigne (p. 76), l‘« hypothèse interactionniste » étant donné que « nous

28 Plusieurs font référence à l‘École de Chicago. L‘emploi du mot « École » ne rendant pas compte de

l‘hétérogénéité des recherches et des personnes associées à ce courant; Becker (1999) et Chapoulie (2004b) préfèrent le terme de « tradition », un choix reconduit ici.

connaissons des interactions par des interactions; non par des substances ou des formes en soi, mais des substances qui sont "formes en mouvement" (Hegel) ».

Privilégier les interactions permet, comme le souligne Corcuff (2007, p. 15), de déplacer l‘opposition entre un « individualisme méthodologique » où l‘analyse du social prend racine chez l‘individu et un « holisme méthodologique » qui place le collectif comme entité première vers un « relationnalisme méthodologique » où, pour aborder le social, ce sont les relations sociales qui détiennent le statut d‘entités premières.

Pour le présent objet d‘étude, privilégier les interactions permet de situer l‘analyse de la résilience des jeunes dans les relations qu‘ils établissent avec leur milieu et dans la façon dont les normes sociales sont négociées dans l‘interaction.

1.3.1.2 La croyance en la capacité réflexive de l’acteur

La croyance en la capacité réflexive de l‘acteur, un postulat défendu par les interactionnistes qui inscrivent leurs travaux dans la tradition de Chicago, prend ancrage dans la philosophie pragmatique de G. H. Mead qui voit le soi (Self) en termes de processus et non comme une structure. Cette distinction permet de tenir compte du processus réflexif associé au soi et de sa capacité d‘être à la fois sujet pensant et objet de sa propre conscience. Elle permet également de dépasser l‘idée d‘un individu en réaction à des forces extérieures pour l‘envisager plutôt comme acteur capable d‘actions envers les choses, c‘est- à-dire pouvant décider d‘une ligne d‘action et d‘interaction en fonction de la signification qu‘il donne aux objets du monde social (Blumer, 1966; Cefaï & Quéré, 2006). Dans les termes de Blumer (1966, p. 537) : « Action is seen as conduct which is constructed by the actor instead of response elicited from some kind of preformed organization in him. » Pour emprunter l‘expression bien connue de Garfinkel (1967), cette conception rejoint aussi le refus de voir l‘acteur en tant qu‘idiot culturel (cultural dope), inapte à juger de sa réalité et ne réagissant que de façon standardisée aux stimuli sociaux.

Cette capacité réflexive appuie aussi l‘hypothèse téléologique de Le Moigne (2007) (comme autre fondement des épistémologies constructivistes dans le prolongement de l‘hypothèse phénoménologique) qui affirme la capacité « finalisante ou intentionnalisante »

de l‘esprit selon la capacité des acteurs à « s‘autofinaliser » et ainsi à diriger leurs propres actions vers des finalités choisies. Cette hypothèse est aussi exprimée dans une perspective non déterministe qui évite d‘expliquer les actions selon des déterminants extérieurs à l‘univers conscient des acteurs et de chercher ainsi les « causes qui détermineraient à chaque instant le système de finalité auquel se réfère chaque sujet connaissant » (Le Moigne, p. 80). Le rejet par le Moigne de ce qu‘il nomme l‘hypothèse du type « big brother veille sur vous » (p. 80) rejoint une perspective interactionniste qui engage à reconnaître la capacité réflexive de l‘acteur.

Ce rejet d‘une position strictement déterministe de l‘individu est même ce qui unit, selon Strauss (1992), les interactionnistes de Chicago dans leur désir de contribuer à la recherche d‘un point d‘équilibre entre une conception du monde social où les acteurs seraient « totalement libres dans leur volonté » et une conception qui placerait l‘action comme « assez strictement déterminée [et] soumise à des contraintes » (p. 257). C‘est aussi cette position qui, dans les mots de Coulon (1997, p. 16), donne une « place théorique à l‘acteur social en tant qu‘interprète du monde qui l‘entoure » et qui amène à vouloir comprendre la façon dont les acteurs négocient leur rôle en lien avec les normes sociales qui deviennent alors, pour reprendre Le Breton (2004, p. 47), « des fils conducteurs et non plus des principes rigides de conditionnement de conduite ».

Une critique que Corcuff (2007) tire de la sociologie de l‘action s‘adresse aux approches qui ne tiennent pas compte de la capacité réflexive de l‘acteur et rejoint celle qui est adressée ici aux perspectives normatives sur la résilience. Elle emprunte à Bourdieu les expressions d‘« intellectualisme » et de « rapport pratique à la pratique » en ce que :

cette sociologie de l‘action part d‘une critique des approches intellectualistes, c'est- à-dire des théories de l‘action qui réduisent celle-ci au point de vue intellectuel de celui qui observe l‘action au détriment du point de vue pratique de celui qui agit […]. [L]‘intellectualisme est un objectivisme appréhendant l‘action de l’extérieur et en surplomb comme un objet de connaissance, sans prendre en compte le rapport de l‘agent [acteur] à son action. (p. 32, italique dans l‘original)

Dans le cadre de cette thèse, croire en cette capacité réflexive de l‘individu, alors conçu comme acteur, permet de donner de la valeur à son expérience. Cela amène à

valoriser les actions que les jeunes entreprennent et leur discours qui permet de comprendre les (leurs) logiques d‘actions derrière une adaptation positive telle qu‘ils la conçoivent.

Les postulats principaux étant exposés, il s‘agit maintenant d‘élaborer sur les contributions d‘une telle perspective interactionniste pour atteindre l‘objectif de compréhension de la présente thèse.