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Partie 3 Attaque des matrices cimentaires par les acides organiques

4.1 Phénomènes de spéciation en solution

Les phénomènes de spéciation en solution et de solubilité ont été investigués grâce au module CHESS du logiciel HYTEC pour les acides acétique, succinique, citrique et oxalique. Les calculs ont été réalisés pour des concentrations en bases conjuguées d’acides comprises entre 10-5 M et 0,3 M et pour des pH compris entre 4 et 13 pour les acides acétique, succinique et citrique et 0,85 et 13 pour l’acide oxalique. Les interactions des anions des acides avec les cations Ca et Al de la matrice cimentaire ont été analysées pour trois configurations :

- deux types de solutions interstitielles modèles simulant les conditions de concentrations dans la zone dite saine des échantillons (zones 1 et 2 identifiées au chapitre III). Des concentrations en calcium de 2 et 22 mmol/L et en aluminium de 0,1 mmol/L ont été considérées ;

- une solution agressive modèle : les concentrations moyennes en Ca et Al mesurées expérimentalement dans les différentes solutions acides à chaque renouvellement (dès que le pH atteignait la valeur de 4,5 en solution) ont été choisies.

Les résultats ont montré que la complexation des cations métalliques par les anions acétate, oxalate, succinate et citrate était quasi-totale sur une large portion de la gamme de pH. Le calcium ou l’aluminium ont été retrouvés en partie libres en solution pour les pH très acides (inférieurs au pKa), c’est-à-dire pour des domaines de pH sur lesquels les acides sont peu ou pas dissociés. Parmi tous les acides, le succinate était celui dont le pouvoir complexant était le moins fort : le calcium était retrouvé en partie sous sa forme libre en solution sur toute la gamme de pH.

La variation de la quantité de calcium en solution n’a pas affecté les mécanismes de complexation dans les solutions d’acide acétique. En revanche, les mécanismes de complexation et de précipitation des sels étaient très dépendants de la concentration en calcium pour les acides citrique, succinique et oxalique.

Ainsi, acide par acide, il a été obtenu que :

- dans le cas de l’acide acétique, aucun sel d’acétate ne se formait en solution, le calcium présent en solution interstitielle et dans la solution agressive était sous forme de diacétate de calcium aqueux Ca-(acétate)2aq. Dans la solution interstitielle et en

milieu basique, cette espèce de diacétate de calcium est majoritaire ; néanmoins à pH 4 dans la solution agressive il existe une part non négligeable de calcium libre en solution ;

- pour l’acide succinique, les anions succinate pouvaient complexer le calcium présent dans la solution interstitielle, une partie du calcium restant libre. Avec l’augmentation de la quantité de calcium en solution interstitielle (notamment due à la dissolution de la portlandite), la formation de sel de succinate de calcium tri-hydraté semble être favorisée; le calcium se retrouve alors sous quatre formes : libre, succinate de calcium aqueux, succinate de calcium trihydraté et hydroxyle de calcium Ca(OH)+. En solution agressive, et dans la zone dégradée, le sel de succinate de calcium trihydraté peut se former mais coexistera toujours avec le calcium libre et le succinate de calcium aqueux. Ainsi, l’acide succinique agit sur la matrice cimentaire par l’intermédiaire du pH et la concentration en acide (comme toute attaque acide), du pouvoir complexant des anions des acides et de la précipitation de sels d’acides (légèrement gonflant comme il a été vu au chapitre III) ;

- les graphes de solubilité de l’acide oxalique ont montré que le sel d’oxalate de calcium monohydraté (identifié expérimentalement dans les zones périphériques et en surfaces des échantillons de pâtes de ciment) est stable sur un très large domaine de pH. Ce

résultat permet d’expliquer au moins en partie le caractère protecteur et la grande stabilité du sel d’oxalate de calcium.

En fonction de l’état de dissociation de l’acide, l’oxalate est retrouvé soit sous forme aqueuse [Ca-(oxalate)2]2- soit sous forme de sel. Moins l’acide est dissocié (donc plus

la concentration en oxalate est faible), plus la formation d’oxalate de calcium monohydraté semble être favorisée. La limite de solubilité entre les deux phases est très dépendante de la concentration en calcium. Les résultats obtenus ont suggéré qu’une concentration en calcium supérieure à la concentration hypothèse (22 mM) était nécessaire pour précipiter l’oxalate protecteur. Ce résultat rejoint les résultats du chapitre III sur la pâte de CEM I et ceux qui seront vus au chapitre V sur la pâte de CEM III/C suggérant que la présence de portlandite est un facteur favorable à la durabilité de la matrice cimentaire, sa dissolution permettant d’atteindre localement des concentrations en calcium dans la solution interstitielle supérieures ;

- pour l’acide citrique, en solution interstitielle et dans la zone dégradée, le calcium est trouvé sous 3 formes : citrate de calcium [Ca-(citrate)]- aqueux, libre et/ou sel de citrate de calcium tétrahydraté. Comme pour l’oxalate, les domaines de prédominance dépendent de la concentration en citrate (et donc du niveau de dissociation de l’acide pour une concentration donnée) et de la concentration en calcium. Les résultats ont en outre montré que le citrate de calcium était en mesure de précipiter dans certaines conditions, dans la zone dite saine des échantillons (pH ≥ 12,5). Cette constatation, couplée à celle du très grand volume molaire du sel contribue à expliquer la grande agressivité de l’acide citrique pour la matrice cimentaire.

Pour l’ensemble des acides, les diagrammes de solubilité de l’aluminium ont montré que la zone de stabilité de la gibbsite varie peu. En milieu basique le complexant majoritaire est l’anion hydroxyle tandis qu’en milieu acide, ce sont les anions ou bases conjuguées des acides.

La présence de complexe calcium-base conjuguée dans la solution interstitielle saine (Ca = 2 mmol/L) de pâtes de ciment soumises aux acides citrique et oxalique montre que le phénomène de complexation peut amorcer ou participer à l’attaque par les acides organiques jouant ainsi le rôle de pompe à cation. L’attaque par les acides organiques favorise la dissolution de la portlandite par effet de pH mais aussi favorise le départ du calcium et de l’aluminium de la matrice cimentaire sous l’effet de la formation de complexe ou de sels. Dans la solution interstitielle, les anions OH– sont en compétition avec les anions des bases conjuguées pour la complexation des cations Ca2+ et Al3+. La complexation de ces cations par les bases conjuguées des acides peut favoriser leur départ de la matrice cimentaire saine par migration des complexes en solution vers la zone dégradée. Cette migration peut en outre influencer la stabilité de certaines phases minéralogiques.