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Phénomènes dont l’analyse elliptique est mise en question

2.5 L’ellipse III : les phrases elliptiques espagnoles

2.5.1 Phénomènes dont l’analyse elliptique est mise en question

Plusieurs travaux récents distinguent les ellipses d’autres phénomènes, traditionnellement considérés elliptiques (Chomsky (1981)), qui ont des propriétés différentes :

premièrement, l’anaphore de complément nul (75a). Bien qu’elle constitue l’omission d’un verbe, ce verbe est l’infinitif complément d’une tête verbale. Cela les rapproche des cas d’omission de compléments, et il ne s’agit donc pas d’une ellipse de verbe. Deuxièmement, le closest conjunct agreement (75b), proche de la coordination de SNs. Troisièmement, la coordination de séquences (75c).15

(75) a. Se le propuso dirigir la empresa y aceptó _.

’On lui a proposé de diriger l’entreprise et il a accepté _.’ b. La flora y fauna me fascinaron mucho.

’La flore et faune m’ont beaucoup fasciné.’

c. María estudió ruso en Moscú y _ alemán en Berlín. ’Maria a étudié le russe à Moscou et _ l’allemand à Berlin.’

Le Right Node Raising

Brucart (1999) considère le right node raising ou right peripheral ellipsis (76), qui se trouve dans des coordinations où deux verbes partagent un argument (76a). C’est ainsi une ellipse de complément, qui peut être réalisé par un infinitif. C’est dans ce cas que Johnson (2008) parle d’ellipse verbale (76b).

L’analyse elliptique n’est pas cependant sans problèmes : parfois, il n’est pas possible de récupérer l’infinitif élidé (76c) (Camacho (2003)) : la reconstitution du verbe oponer, ’opposer’ rendrait la phrase grammaticale, car l’adjectif au pluriel supremas, ’suprêmes’

15. Les noms espagnols de ces termes sont, premièrement, anáfora de complemento nulo ; deuxièmement, coordination de séquences (ou concordancia parcial (Pérez-Jiménez and Demonte (2011))) et troisièmement,

modifie simultanément les deux têtes nominales qui se trouvent dans deux SP différents. Cet accord sémantique de l’adjectif avec deux têtes fléchies au singulier peut être

interprété de deux façons : soit il n’y a pas d’ellipse et les deux SP sont coordonnés, formant ainsi un syntagme, soit c’est un cas d’ellipse qui ne respecte pas les contraintes syntaxiques. Camacho (2003) préfère la première analyse :

(76) a. A ella le encanta pero yo no soportola ópera. ’Elle adore, mais je ne supporte pas l’Opéra.’

b. A ti te gusta, pero a mí me encanta jugaral fútbol. ’Tu aimes bien, mais j’adore jouer au football.’

c. Pretendiendo oponer a su serenidad y a su indiferencia supremas (...) ’En essayant d’opposer sa sérénité et son indifférence suprêmes (...)’

L’analyse de ces cas comme mise en facteur d’un argument commun semble ainsi plus approprié, même s’il n’est pas libre de problème : en (76a), l’argument qu’ont en commun les deux verbes est à la fois leujet du premier et l’objet du deuxième verbe. Le phénomène a aussi été analysé par des approches différentes, comme la multidominance (de Vries (2009)).

L’anaphore de complément nul

L’anaphore de complément nul a lieu dans des coordinations où le deuxième conjoint contient un verbe qui sélectionne un infinitif qui est elliptique. On peut observer le

manque de parallélisme syntaxique en (77) : le verbe du premier conjoint est impersonnel, alors que le verbe du second est une troisième personne :

(77) a. Se le propuso dirigir la empresa y aceptó _.

’On lui a proposé de diriger l’entreprise et il a accepté _.’

Les verbes qui autorisent cette construction sont ceux qui dénotent attitude ou propos (Bosque (1984)), les verbes modaux, aspectuels, et les verbes pronominaux qui

souvenir de’, ’se décider à’). Ces verbes ont la particularité de ne pas pouvoir

pronominaliser leur objet direct (Brucart and Macdonald (2012)) (78) il cite d’autres verbes qui peuvent se former avec l’anaphore de complément nul, mais exprimant un sens différent de leur contenu modal ou propositionnel.

(78) a. Comenzó a escribir el libro. *Lo comenzó. ’Il a commencé à écrire le livre. Il l’a commencé.’

Brucart (1999) remarque aussi que l’anaphore du complément nul, courant dans les phrases impersonnelles (79a) est agrammaticale dans des phrases passives (79b), où l’argument élidé (ici abrir las puertas) n’est pas un constituant continu :

(79) a. Se intentó abrir las puertas, pero no se logró _. ’On a essayé d’ouvrir les portes, mais on n’a pas réussi _’ b. * Las puertas se intentaron abrir, pero no se lograron _. ’Les portes on a essayé de les ouvrir mais on n’a pas réussi _.’

Plusieurs analyses suggèrent que l’anaphore de complément nul n’est pas un cas d’ellipse : premièrement, le fait que la source de l’ellipse puisse être profonde (80a) (Brucart and Macdonald (2012), suivant Hankamer and Sag (1976)) ; deuxièmement, l’impossibilité d’extraire des arguments de la structure elliptique (80bc) (Depiante (2001)) ; et

troisièmement, l’impossibilité de reconstruire un antécédent (80de) (Depiante (2001)). (80d) est difficile, à la différence de (80e), possiblement à cause de la difficulté de récupérer le sujet du second conjoint :

(80) a. (B demande à A la permission pour entrer dans son bureau) B : ¿Se puede ? B : ’Peut-on ?’

b. Juan las quiere ver y María también quiere. ’Jean veut les voir et Marie veut aussi.’

c. * Juan las puede ver y María también las puede. ’Jean peut les voir et Marie les peut aussi.’

d. ? Juan no pudo asesinar a Pablo con un cuchillo pero Pedro sí pudo _ y estaba oxidado.

’Jean n’a pas pu assassiner Paul avec un couteau, mais Pierre a pu et il était oxydé.’ e. Juan no pudo asesinar a Pablo con un cuchillo pero Pedro sí pudo asesinar a Pablo con un cuchillo y estaba oxidado.

’Jean n’a pas pu assassiner Paul avec un couteau, mais Pierre a pu assassiner Paul avec un couteau, et il était oxydé.’

Ces propriétés suggèrent que l’anaphore de complément nul n’est pas un cas d’ellipse, mais de non réalisation de compléments.

La coordination de séquences

La coordination de séquences est aussi connue sous une variété de noms différents : coordination de séquences de compléments (Argument Cluster Coordination), left Node

Raising, ellipse de la périphérie gauche (left peripheral ellipsis) ou réduction de

coordination (coordination reduction). On la trouve dans des coordinations où le deuxième conjoint est composé par deux arguments du SV du premier conjoint, qui ont la même fonction que deux arguments déjà présents dans le premier conjoint (81) :

(81) a. María estudió ruso en Moscú y _ alemán en Berlín. ’Maria a étudié le russe à Moscou et _ l’allemand à Berlin.’ b. [María estudió ruso en Moscú] y [alemán en Berlín]. c. María estudió [[ruso en Moscú] y [alemán en Berlín]].

La coordination de séquences se distingue du gapping par le lieu de la source de l’anaphore des syntagmes résidus : la source se trouve en position initiale dans la coordination de séquences (car les deux syntagmes sont des corrélats de deux arguments du SV), et en deuxième position dans le gapping (car le premier syntagme a le sujet du premier conjoint comme corrélat). Brucart (1999) analyse ces phénomènes comme des ellipses, où

l’élément interprété mais non réalisé (le gap) se trouve en position initiale, avant les deux syntagmes (81).

En revanche, Mouret (2005) présente certaines propriétés syntaxiques de la coordination de séquences du français qui ne sont pas explicables par une analyse elliptique. Il présente les deux types de structures possibles pour analyser ces phrases : asymétriques (81b) (où la tête elliptique du deuxième conjoint est un verbe ou une autre catégorie) et symétriques (81c). Trois phénomènes ne s’accommodent qu’à une structure symétrique, sans ellipse : la coordination corrélative (82ad), les adverbes focaux (82b) et la coordination de sujets post-verbaux au singulier avec un verbe au pluriel (82c) :

(82) a. Paul offrira et [un disque à Marie] et [un livre à Jean]. b. Paul offrira aussi [un disque à Marie] et [un disque à Jean].

c. Alors *surgit / surgissent simultanément [d’un champ un renard] et [d’un buisson une biche].

d. Pablo va a comprar o vino para el aperitivo o helado para el postre. ’Pablo va acheter soit du vin pour l’apéritif soit de la glace pour le dessert.’

Mouret (2006) présente des arguments qui suggèrent que la structure des coordinations de séquences sont des structures asymétriques : premièrement, si dans les coordinations corrélatives, la première conjonction suit le matériel partagé (et précède la structure coordonnée (82a)), chaque conjoint forme une séquence syntagmatique, comme en (81c). Deuxièmement, la portée d’un adverbe focal sur les deux conjoints ne peut s’expliquer qu’avec une structure symétrique où l’ensemble de la structure coordonnée est l’argument sémantique de l’adverbe. Troisièmement, l’accord du verbe au pluriel avec deux sujets post-verbaux au singulier indique que la structure coordonnée est interprétée comme un événement complexe, et sa structure est, Par conséquence, symétrique.

On trouve aussi des analyses pour l’espagnol qui traitent la coordination de séquences comme une coordination sans ellipse. Fernández-Salgueiro (2008) propose une règle de linéarisation des arguments dans la coordination pour analyser ces cas. Ces arguments suggèrent ainsi que la structure de la coordination de séquences n’est pas elliptique.