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2.6 Les fragments

2.6.2 Expliquer la dissymétrie

Comme pour les constructions elliptiques, l’interprétation des fragments a été abordée à partir de divers points de vue. Si la syntaxe des fragments n’exprime qu’une partie de leur contenu sémantique, ces auteurs s’interrogent sur l’origine de ce contenu interprété mais non exprimé par la syntaxe. Comment expliquer qu’une structure sous-phrastique ait un contenu sémantique propositionnel, du même type que les phrases ? D’où provient cette portion de contenu qui n’est pas exprimée dans la syntaxe ? Ces questions ont été abordées dans le cadre d’analyses syntaxiques, sémantiques, pragmatiques et constructionnelles. Les analyses syntaxiques, comme celle de Morgan (1973) proposent que le contenu non exprimé par la syntaxe est phonologiquement elliptique. En revanche, les analyses sémantiques affirment que ce contenu est récupéré du contexte sans faire recours à la syntaxe. Les approches pragmatiques s’intéressent, elles, à la force illocutoire des

fragments25; enfin, les approches constructionnelles intègrent dans leur description des

objets linguistiques une information variée : la phonologie et la sémantique, mais aussi les propriétés syntaxiques, anaphoriques, etc. Cette section expose brièvement ces quatre approches qui fournissent des outils pour analyser les fragments.

Analyse syntaxique

Morgan (1973) propose une analyse des fragments en tant que phrases qui ont vu élider une partie de leurs constituants. Cette ellipse serait causé par une règle d’effacement qui s’applique quand un constituent est disposé de façon parallèle à un constituant identique. Cette analyse, motivé par l’identité de traits syntaxiques entre le fragment et sa source (qui correspond au segment identique qui est disposé en parallèle) rencontre certains

problèmes, puisque parfois le fragment a des propriétés différentes de son équivalent phrastique (122). De plus, il n’est pas toujours possible de reconstruire une phrase à partir du fragment (122ef), comme le note Schlangen (2003).

Plus récemment, Merchant (2004) reprend l’analyse elliptique des fragments dans un

cadre minimaliste, et développe une théorie de l’ellipse qui lui permet de surpasser les problèmes mentionnés. Il propose la solution suivante : l’ellipse est déclenchée par un trait morpho-syntaxique [E], qui provoque qu’un segment identique à un constituant ou groupe de constituants précédents ne soit pas exprimé phonologiquement. Il propose ainsi que la structure syntaxique est bien présente, mais sans son contenu phonologique.

Merchant (2004) note une similarité entre les fragments en réponse à des questions et les mots interrogatifs : dans les deux cas on trouve une structure informationnelle particulière dotée d’un focus. Le mot interrogatif lui-même est réalisé en position initial en tant que focus de la question, juste comme le premier élément d’une réponse courte, (ou fragment réalisant l’acte de parole de réponse). Suivant cette observation, il analyse les fragments comme le résultat d’un double processus : d’abord, l’élément qui constitue le fragment est déplacé de sa position original à la périphérie gauche pour être focalisé, et ensuite, le segment de la présumée phrase identique à un constituant (ou à un ensemble de

constituants) est non-prononcée (i.e. : perd son contenu phonologique) grâce au trait [E] . Ainsi, le fragment-réponse John de (126a) est analysé comme le résidu de l’ellipse de la phrase (126a), qui a expérimenté plusieurs modifications : d’abord, le constituant anaphorique au mot interrogatif a été focalisé, donnant lieu à la phrase de (126c) ; ensuite, le segment identique au segment précédent (she saw, ’elle a vu’) est silencié ou rendu invisible à la phonologie par le trait [E], ce qui a comme résultat le

fragment-réponse (126d) :

(126) a. A : -Who did she see ? B : -John. ’Qui a-t-elle vu ?’ b. She saw John. ’Elle a vu John.’

c. John she saw. ’John elle a vu.’ d. John.

Un autre défi pour l’analyse elliptique des fragments est l’interprétation des fragments qui entament un tour de parole (discours initial fragments), comme (127a). Merchant (2004) compare cet exemple avec le cas d’ellipse de SV de (127c), où les seuls éléments présents sont le pronom sujet et le verbe auxiliaire won’t. Il considère que dans les deux cas il s’agit

de phrases elliptiques. Il affirme ainsi que toutes les assertions ont une structure

phrastique, pourvue de sujet et de SV avec ses compléments. Il conçoit ainsi les fragments comme les résidus des phrases qui ont suivi une ellipse. Ainsi, le fragment de (127a) et l’ellipse de SV de (127c) constituent les résidus des phrases (127bd) respectivement : (127) a. [Abby et Ben sont à une fête. Abby voit Beth, un ami des deux, avec un inconnu,

et se tourne à Ben avec un regard d’étonnement] Ben : -Some guy she met at the park.

Ben : -’Un mec qu’elle a rencontré au parc.’ b. Some guy she met at the parkhe is. ’Un mec qu’elle a rencontré au parc il est.’ c. A : -She won’t.

d. [’Regardant quelqu’un sur le point de sauter d’un pont’] A : -She won’tdo it.

A : -’Elle ne le fera pas.’ (Lit. : Elle ne le AUX_Fut_Neg faire cela.)

Le contenu sémantique des pronoms ou des verbes auxiliaires est ainsi récupéré du

contexte grâce à l’anaphore, comme il affirme : « Actions and participants in those actions can be raised to enough salience to resolve the anaphora involved in the VP expression do it. », ’Les actions et participants de ces actions atteignent une salience suffisante pour résoudre l’anaphore de l’expression do it, ’le faire’ (Merchant (2004) : 44).

Ainsi, à la conviction de Merchant (2004) que le marquage syntaxique des fragments indique qu’ils sont des phrases elliptiques, s’ajoute sa conviction que les assertions sont toujours énoncées en forme de phrase. Ces deux prémisses ne peuvent cependant pas être vérifiées, ce qui soumet l’ensemble de sa théorie à leur acceptation à priori.

Le modèle d’analyse de Merchant (2004), qui réunit fragments et ellipses sous un même analyse, trouve cependant ses limites : il ne considère que les structures que peuvent récupérer un contenu linguistique. Ainsi, il laisse hors de son analyse les fragments qui réalisent un acte de parole directif (128a), les fragments à valeur exclamante (128b) qui récupèrent leur contenu du contexte non linguistique, et les salutations (128c). Il ne

considère pas non plus les constructions lexicalisées, comme (128d), ni les titres ou étiquettes (128e), ni les fragments avec une force illocutoire représentative comme (128f) :

(128) a. Left ! Higher ! Scalpel ! ’Gauche ! Plus haut ! Scalpel !’

b. Wonderful ! Nonsense ! Fate ! For Pete’s sake !

’Merveilleux ! Des bêtises ! Le destin ! Pour l’amour de Dieu !’ c. Hello. Good-bye. Roger. Over. Out.

’Salut. Au-revoir. Roger. Fini. Dehors.’ d. Up yours.

’Comme tu [le veux].’

e. Campbell Soup. Starbucks. To kill a mockingbird.

’Soupe Campbell. Starbucks. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur.26

f. Thief ! Thief ! Fire !

’Au voleur ! Au voleur ! Du feu ! ’

Stainton (2006) rejette le terme fragment car celui-ci exprime une entité incomplète, alors qu’il véhicule un contenu sémantique propositionnel et réalise un acte de parole, juste comme le font les phrases. Cependant, Stainton (2006) refuse toute formalisation du concept. Pour lui, ce ne sont que des syntagmes qui acquièrent un contenu propositionnel lors qu’ils sont employés dans le discours, grâce à l’acte de parole qu’ils réalisent. La description de Stainton (2006) peut sembler appropriée pour certains fragments qui réalisent des actes de parole directs, comme (110abc), repris ici en (129abc), mais pas pour les fragments dont la source se trouve dans le contexte linguistique, comme les exemples de (105ab), repris ici en (129de) :

(129) a. Buenos días. ’Bonne journée.’ b. ¿Una copa ?. ’Un verre ?’ c. ¡Castigado ! ’Puni !’

d. A : -Me voy a casa. B : -Estupendo. A : -’Je rentre à la maison.’ B : -’Très bien.’

e. A : -Whose bike did you ride ? B : -Leo’s. / - ?Leo. A : -’A qui est le vélo que tu montes ?’ B : -’A Léo.’ / ’Léo.’ f. [Le père à son enfant qui mange] -Doucement.

L’affirmation de Stainton (2006) que les fragments sont des syntagmes qui acquièrent un contenu propositionnel dans le discours a l’inconvénient de ne pas permettre de distinguer si cette structure syntagmatique a un contenu propositionnel ou pas ; ou s’il réalise un acte de parole ou pas. Il propose l’exemple (129f), qu’il décrit ainsi comme un simple adverbe qui réalise un acte de parole, et nous permet d’illustrer l’origine des fragments : Le langage interagit avec d’autres codes, non linguistiques, comme la connaissance partagée et le contexte, qu’on peut saisir grâce à des inférences, comme celles présentées par Barton (1990) et illustrées par (136).

Or, les fragments comme doucement en (129f) ont des propriétés de sélection syntaxiques et sémantiques. Cet adverbe en particulier sélectionne un contenu sémantique, un

prédicat : l’action qui est en train de se dérouler (manger), qui se trouve dans la situation où a été énoncé le fragment. L’index de deuxième personne du prédicat se trouve aussi dans le contexte non linguistique (son fils). Les fragments constituent ainsi la partie du message qui est exprimée par la syntaxe. Puisque la syntaxe interagit avec d’autres sources d’information, le contenu propositionnel est apporté par une variété de sources. L’adverbe

doucement constitue ainsi un fragment qui réalise un acte de parole directif, avec un

contenu propositionnel qu’on peut paraphraser par ’Mange doucement.’

Stainton (2006) relève quelques limites de la proposition de Merchant (2004) de reconstruire les pronoms et verbes auxiliaires qui permettent d’obtenir une structure phrastique. Premièrement, Stainton (2006) affirme que si l’on ne prend pas en compte le contenu du contexte extra-linguistique, les fragments sont ambigus, car on ne distingue pas si le contenu non exprimé par la syntaxe est récupéré du contexte linguistique, comme dans la réponse de (130a), ou de l’acte d’énonciation (130b), où le fragment acquiert une

valeur illocutoire représentative. Par exemple, le prédicat de (130a) est le prédicat de la question (le verbe ’faire’), alors que le prédicat de (130b) serait une expression

existentielle, comme ’Ce sont’. Ainsi, une théorie des fragments qui ne distingue pas l’origine du contenu sémantique ne permet donc pas de résoudre cette ambiguïté. Deuxièmement, Stainton (2006) signale que l’ellipse d’un verbe to do, ’faire’ est possible dans certains fragments, comme les fragments qui constituent des réponses (130c), mais pas dans certains cas, comme dans la coordination (130d) :

(130) a. A : -Who did it ? B : -Several men from Segovia. A : -’Qui l’a fait ?’ B : -Plusieurs hommes de Ségovie.

b. [A signale à B la présence d’un groupe de personnes] A : -Several men from Segovia.

A :-’Plusieurs hommes de Ségovie.’ c. A : -Who did it ? B : -John (did it). A : -’Qui l’a fait ?’ B : -Jean (l’a fait).

d. * I couldn’t eat the worm, but John.

’Je n’ai pas pu manger le ver de terre, mais Jean.’

Troisièmement, Stainton (2006) note que la reconstruction d’un verbe être présuppose que cette reconstruction produit des phrases grammaticales. Or, cette reconstruction, qu’on peut observer en (130c), (127d), et correspond à l’ellipse de SV, n’existe pas dans des nombreuses langues, comme l’espagnol ou le français (131a). Ainsi, la présomption de Merchant (2004) que les fragments sont le résultat de l’ellipse des éléments nécessaires pour la constitution de la phrase, comme le verbe auxiliaire, n’est pas pas applicable à des langues qui n’ont pas d’ellipse de SV.

Quatrièmement, il signale que certaines phrases ne sont pas grammaticales avec la reconstruction du matériel présumement élidé, alors que les équivalents sans verbe sont tout à fait acceptables. Ceci est le cas des phrases enchâssées (131ab). En anglais, les phrases à focus s’enchâssent difficilement (131b), à la différence des fragments (131c). Également, Stainton (2006) fournit des exemples en espagnol où on trouve la situation contraire : les phrases enchâssées avec focus sont possibles (131d), mais pas les fragments

composés par un SP (131e). Pour Stainton (2006), si les fragments dérivent des phrases, les deux devraient être grammaticales, au contraire de ce qu’on peut apprécier dans les contrastes de (131bc) et (131de). Ces contrastes suggèrent que les fragments et les phrases ont des capacités d’enchâssement différentes :

(131) a. A : -*¿Quién vino ? B : -John lo hizo. A : -’Qui est venu ?’ B : -’John l’a fait.’

b. ? If from France that is, then it’s dangerous. ’Si de la France c’est, alors c’est dangereux.’ c. If from France, then it’s dangerous. ’Si de la France, alors c’est dangereux.’ d. Si de María viene, no lo abras. ’Si de Marie ça vient, ne l’ouvre pas.’ e. ? Si de María, no lo abras.

’Si de Marie ne l’ouvre pas.’

Cinquièmement, Stainton (2006) note que les réponses fragmentaires ne peuvent pas toujours être interprétées comme le résultat du procès de focalisation plus effacement du segment identique à la question que présente Merchant (2004) : à la réponse fragmentaire de (132a) ne peut pas correspondre la présumée reconstruction (132b). En effet, dans ce cas, la réponse correspond à un seul conjoint de la phrase-question, mais il est impossible de focaliser un seul des conjoints d’une coordination.

Sixièmement, Stainton (2006) remarque que certains fragments ne correspondent pas à des phrases où le verbe auxiliaire est reconstruit. Il cite le cas des fragments avec une valeur illocutoire d’ordre (132c). Dans ces cas, le contenu non exprimé par la syntaxe ne peut pas provenir pas d’un verbe auxiliaire élidé, mais d’une source non linguistique. Le contenu de (132c) correspond à (132d), et non à ’il y a deux cafés’. Précisément, ces exemples correspondent aux cas des fragments qui réalisent un acte de parole directif (132cd) que Merchant (2004) décide de ne pas traiter. Enfin, Stainton (2006) remarque que le processus de focalisation plus reconstruction ne permet pas d’expliquer les

fragments qui constituent des insultes. En effet, la focalisation de l’insulte plus la reconstruction du sujet et verbe être (132f) ne forme pas de phrase grammaticale qui puisse correspondre à l’insulte (132e) :

(132) a. A : -The Pope likes beer and what ? B : -Tomato juice. A : -’Le pape aime la bière et quoi ?’ B : -’Le jus de tomate.’ b. * Tomato juice the Pope likes beer and.

’Jus de tomate le Pape aime la bière et.’ c. Two black coffees. ’Deux cafés seuls.’

d. Give me two black coffees. ’Donnez moi deux cafés seuls.’ e. (A driver yelling to another one) -Jerk !

(Un conducteur crie à un autre) -’Connard !’ f. * Jerk this is. ’Connard c’est.’

Les critiques de Stainton (2006) mettent en évidence les limitations du modèle d’analyse des fragments de Merchant (2004), et le besoin d’élaborer une analyse qui inclut les fragments qui véhiculent un acte de parole, comme les directifs (132c), dont le contenu a une source non linguistique.

Analyse sémantique

Mis à part les difficultés du modèle d’analyse de Merchant (2004) relevées par Stainton (2006), les approches syntaxiques rencontrent deux problèmes principaux dans l’analyse des ellipses et des fragments. Le premier est le manque d’identité entre la source et la cible, qui rend difficile la reconstruction d’une structure syntaxique ; le deuxième est l’ambiguïté qu’on trouve lorsqu’un fragment ou une ellipse a deux interprétations différentes ou plus. Le manque d’identité entre source et cible peut être due à deux phénomènes différents : les différences produites par l’anaphore, et les différences causées par la structure syntaxique. Parmi les premiers on trouve le vehicle change, ou changement de direction exprimé par les mots à propriétés anaphoriques, comme les pronoms. Schlangen (2003) illustre cela dans les différences de pronoms personnels (133a), réfléchi (133b) et réciproque (133c). Parmi

les deuxièmes, l’asymétrie syntaxique est visible dans les variations de voix (133e), et de partie de discours qui exprime le contenu récupéré. En (133e), le SV de la cible est reconstruit à partir du SN de la source.

Enfin, les anaphores peuvent produire aussi des ambiguïtés, comme en (133f), où la cible, récupérant le pronom possessif his peut soit conserver l’index du pronom de la source, soit le mettre à jour pour qu’il fasse référence au nouvel antécédent de la cible. Dans le premier cas, le contenu du deuxième conjoint correspond à Paul aime aussi la guitare de

George(interprétation stricte), et dans le deuxième, à Paul aime sa (propre) guitare aussi

(interprétation large ou sloppy).

(133) a. A : Do you think they’ll like me ? B : Of course they will (like you). A : -’Crois-tu qu’ils vont m’apprécier ?’ B : -’Bien sûr qu’ils AUX_FUT.’ b. I will hurt myself before he could (hurt me).

’Je me ferai du mal avant qu’il puisse (me faire du mal).’

c. Ivan and Barbara want to go out together but Barbara can’t (go out with Ivan), because her father disapproves of Ivan.

’Ivan et Barbara veulent sortir, mais Barbara ne peut pas (sortir avec Ivan), car son père n’aime pas Ivan.’

d. [There is a problem with the security doors today.] If it’s just a case of going out for a bun and coming back, I suggest you don’t (go out for a bun and come back). [’Il y a un problème aujourd’hui avec les portes de sécurité.’] ’Si c’est pour aller chercher un gâteau et revenir, je te conseille de ne pas AUX_NEG.’

e. A lot of this material can be presented in an informal fashion, and often I do (present it that way).

’Beaucoup de ces matériaux peuvent se présenter de façon informelle, et souvent je AUX (présente comme ça).’

f. George likes his guitar, and Paul does too. ’George adore sa guitare, et Paul AUX aussi.’

indique qu’au moins dans ces occasions la récupération est difficilement expliquée par un effacement (ou non prononciation en phonologie) du contenu syntaxique. L’ambiguïté révèle que l’analyse syntaxique est incapable d’exprimer la pluralité d’interprétations de ces énoncés. Ces considérations ont mené à la recherche d’analyses basées sur la

sémantique, capable d’exprimer cette ambiguïté. Les analyses sémantiques distinguent d’un coté le mécanisme formel de récupération de contenu sémantique de la source, et d’un autre, l’identification du parallélisme syntaxique.

L’analyse sémantique de Dalrymple et al. (1991) a servi de base pour le développement de plusieurs modèles d’analyse sémantique. Elle emploie le formalisme d’unification Higher

Order Unification, où la cible est indiqué en forme d’inconnue, et résolue grâce au

mécanisme d’unification avec la source, sous des conditions de parallélisme. Cette récupération se fait en plusieurs étapes, comme l’illustre Fernández (2006) : premièrement, on identifie l’élément manquant d’un énoncé donné (134a), et on le transforme en propriété (134b) ; deuxièmement, on applique la propriété à l’entité de la source qui a cette propriété (134c), et on la définit en tant qu’abstraction lambda (134d). Troisièmement, on définit une équation où on identifie le nouvel élément de la cible avec l’élément avec lequel il est mis en parallèle (134e). Enfin, on résout l’abstraction lambda grâce à l’unification de la propriété :

(134) a. Paul hates Yoko, and George does too. ’Paul déteste Yoko, et George AUX aussi.’ b. DETESTER(paul, yoko)

c. P(paul) = DETESTER(paul, yoko) d. P = λ x.hates(x, yoko)

e. P(george) 7−→ λ x.DETESTER(x, yoko)(george) 7−→ DETESTER(george, yoko)

f. DETESTER(paul, yoko) ∧ DETESTER(george, yoko)

Les équations du formalisme Higher Order Unification peuvent rendre plusieurs solutions possibles, ce qui permet de résoudre les cas d’ambiguïté comme (133f). Le modèle de

Dalrymple et al. (1991) réussit à analyser des cas comme l’ellipse de SV, et Fernández (2006) montre que son analyse permet d’expliquer la dissymétrie syntaxe-sémantique de certains fragments, comme la correction de B en (135a) : le segment manquant dans le fragment est transformé en propriété (135b), et décrit comme une abstraction lambda (135c).

Puis, elle est résolue par unification dans le premier SN du fragment (135d) et dans le deuxième (135e)27. L’analyse sémantique de Dalrymple et al. (1991) reste cependant

limité aux fragments qui ont le même type syntaxique que ses sources. En effet, comme l’indique Fernández (2006), cette analyse présuppose que la cible et la source ont le même type de contenu, alors que en (135f), par exemple, la source est de type question, et la cible dénote une proposition.

(135) a. A : -Mark JOUER football. B : -Football. (No,) tennis. b. P(football) = JOUER(mark, football)

c. P = λ x.JOUER(mark, x)

d. P(football) 7−→ λ x.JOUER(mark, x)(football) 7−→ JOUER(mark, football) e. P(tennis) 7−→ λ x.JOUER(mark, x)(tennis) 7−→ JOUER(mark, tennis) f. A : -Does Mark play football ? B : -Tennis.

A :-’Est-ce que Mark joue au football ? B :-Tennis.’

Ainsi, la combinaison d’un formalisme d’unification avec une description des contraintes de parallélisme permettent de résoudre l’asymétrie syntaxe-sémantique des fragments. Dalrymple et al. (1991) se concentre sur le formalisme, mais elle ne développe pas les conditions de parallélisme. Elle affirme cependant que ces conditions ont des origines mixtes : syntaxiques, s’il y a un parallélisme syntaxique, et sémantique ou pragmatique, s’il n’y en a pas. Cela lui permet de rendre compte des cas de (133abcde) où la source et la cible ne sont pas identiques ou parallèles.

Des travaux subséquents incluent la codification du parallélisme entre cible et source dans le formalisme, comme Pulman (1997) ou Gardent and Kohlhase (1997) et Gardent

27. La section 7.4.2 fournit des arguments qui suggèrent qu’un tel fragment est mieux analysé comme un énoncé composé de deux fragments plutôt que d’un seul.

(1999). Cette parallélisme reçoit des dénominations différentes, comme dénominateur

commun (Prüst et al. (1994)) ou généralisation (Grover et al. (1995)). Les fragments,

particulièrement les fragments qui réalisent des réponses, ont été aussi analysés dans le cadre de la sémantique dynamique (Bos (1994) et Hardt (1997)), de la sémantique

compositionnelle (Dekker (2003)), et dans d’autres modèles formels, comme l’approche de sens structuré de Krifka (2001). Fernández (2006) note que ces travaux ont l’inconvénient de ne pas traiter les contraintes syntaxiques adoucis par Morgan (1973) et Merchant (2004) exposées plus haut.

Analyse pragmatique

Plusieurs travaux ont tenté d’expliquer la dissymétrie syntaxe-sémantique des fragments dans le cadre de la pragmatique ou l’analyse du discours, comme Barton (1990), Carberry (1989) Carberry (1990). Ces auteurs considèrent que l’origine du contenu du fragment non exprimé par la syntaxe se trouve dans le discours, et peut être récupéré en trouvant l’intention avec laquelle un énoncé a été proféré. A différence des auteurs qui analysent les