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Classer la variété des fragments

2.6 Les fragments

2.6.3 Classer la variété des fragments

Plusieurs taxonomies ont été proposées pour expliquer la variété de fragments. Certains auteurs, comme Schlangen (2003) et Fernández (2006) ne s’occupent pas des fragments en tant que structures syntaxiques, mais s’intéressent plutôt aux ’énoncés non phrastiques’, concept qui recouvre les objets linguistiques qu’on définit comme fragments mais peut contenir des combinaisons de plusieurs structures sans contenu propositionnel. D’autres auteurs, comme Lefeuvre (1999) s’intéressent aussi aux structures averbales avec des dénominations différentes ; elle les appelle phrases averbales, en se basant sur une définition de phrase qui correspond à celle de l’énoncé. Les ’énoncés averbaux’ incluent ainsi des structures appelées sous-phrastiques ou non-phrastiques, d’un coté, et les phrases averbales, d’un autre. On présente par la suite un résumé des critères qui ont été proposés pour classer les fragments, les ’énoncés non phrastiques’ et les énoncés averbales.

Schlangen (2003)

Schlangen (2003) propose une classification d’énoncés sans verbe en s’appuyant sur la fonction discursive qui s’établit entre l’énoncé et le contexte linguistique qui le précède.

Ces fonctions discursives sont conçues comme des actes de langage, dont il retient huit types avec plusieurs sous-types. Le tableau 2.3 présente les différents types proposés par Schlangen (2003)

Type (anglais) Exemple Identité inférence

Question-answer A : -Who came to the party ? B : -Peter. + + ’Qui est venu à la fête ?’ B : -’Pierre.’

Elaboration A : -I talked to Peter. B : -Peter Miller ? + +

A : -’J’ai parlé à Pierre.’ B : -’Pierre Miller ?’

Correction A : -Are they in the cupboard ? B : -No, in the fridge. + - & Contrast A : -Sont-ils dans le placard ? B : -’Non, dans le frigo.’

Continuation A : -I am free on Monday. And on Wednesday. + - A : -’Je suis disponible lundi. Et mercredi.’

Explanation A : -Peter left early. Exams. - +

A : -’Pierre est parti tôt. Examens.’

Plan-related A : -Let’s meet on Monday. At two o’clock. + +

relations A : -’On se voit lundi. A deux heures.’

Comment A : -I talked to Peter. Awesome ! + -

A : -’J’ai parlé à Pierre. Magnifique !’

Narration A : -He went to Italy. And then to Spain. + -

A : -’Il est allé en Italie. Et puis en Espagne.’

TABLE2.3 – Types de fragments de Schlangen (2003)

Il divise chacun de ces types dans plusieurs sous-types, qui ont des propriétés différentes, syntaxiques (comme être réalisés par des déclaratives ou par des interrogatives) ou sémantiques (comme exprimer une correction ou un contraste, par exemple). Un aspect intéressant de la classification de Schlangen (2003) est qu’il indique quels sont les types qui peuvent être réalisés par des fragments résolus via identité et lesquels par les fragments

résolu via inférence, ce qui permet de relever des contraintes dans ces deux types de

fragments. Il conclut que les fragments résolus via identité peuvent apparaître dans tous les types mentionnés, sauf dans le type explanation, car il désigne un événement indépendant, qui n’est donc pas lié à la source par des marques syntaxiques ni par une anaphore. De même, certains fragments à inférence ne peuvent pas être réalisés par des énoncés des types suivants : correction-contrast, continuation, comment, et narration. Ces derniers

précisent d’un lien syntaxique pour exprimer leur relation discursive.

La classification de Schlangen (2003) permet d’expliciter les relations de cohésion dans le dialogue, mais ne décrit pas les propriétés des fragments, sauf pour les détails mentionnés dans les sous-types. Cette classification peut aussi s’appliquer à des phrases dont le lien sémantique avec un énoncé précédent n’est pas explicite. Les exemples de (140) montrent que ces relations ont lieu aussi entre des phrases dans le dialogue, et que cette

classification n’est donc pas descriptive des particularités des fragments, mais de la cohérence dialogique, qui peut être matérialisé par des phrases, comme en (140), ou par des fragments. On trouve des phrases dans la paire question-réponse (140a), ainsi que dans les élaborations (140b), en corrections (140c), en continuations (140d), en

explications (140e), en plans (140f), en commentaires (140g), et en narrations (140h) : (140) a. A : -Quand est-ce que tu rentres ? B : -Je rentre lundi.

b. A : -Hier j’ai parlé avec Denis. B :-Tu as parlé avec Denis Podalydès ? c. A : -Ta fille est-elle à l’école ? B : -Elle n’est pas à l’école. Elle est au lycée. d. -On répète lundi soir. Et mardi on part en tournée.

e. -La moitié de la classe est tombé malade. Il y a une épidémie de grippe en ce moment.

f. -On se donne rendez-vous à la porte du théâtre à six heures et quart. A six heures trente on entre tous ensemble.

g. -Hier j’ai vu ’La belle et la bête’ de Cocteau. Ah, c’est un film merveilleux ! h. -Le premier jour je suis allé visiter toutes les églises de la ville. Et le deuxième je suis resté à la maison.

La classification de Schlangen (2003) n’est donc pas basé sur les propriétés syntaxiques de ces structures. En effet, il ne s’intéresse pas aux unités syntaxiques, mais aux énoncés, et à la relation sémantique qu’ils ont avec le contexte linguistique où ils se trouvent. Les dénominations de ces types indiquent leur fonction discursive dans le dialogue. Ainsi, une analyse des fragments selon la typologie proposée par Schlangen (2003) permet de structurer le flux discursif et décrit la dynamique de la conversation.

Ces unités d’analyse basées dans la fonction discursive ou acte de parole réalisé, sont assez générales et peuvent ainsi s’appliquer au tous types d’énoncés, soient-ils fragmentaires ou pas. Elles constituent un outil adéquat pour l’analyse du discours. Cette classification permet ainsi d’intégrer les énoncés sans verbe dans l’étude général des relations discursives entre les énoncés, avec ou sans verbe. Elle permet aussi d’apprécier la contribution des énoncés sans verbe au développement du flux dialogique.

Cependant, cette classification ne permet pas d’appréhender les propriétés syntaxiques communes aux différents types (par exemple, la séparation entre explications et relations

de planification cache le fait qu’il ajoutent tous les deux du contenu à une question).

Également, la séparation entre élaboration et contraste ne permet pas d’apprécier que ces deux types de fragments ont en commun qu’ils reprennent une partie de la question précédente.

Fernández and Ginzburg (2002)

Fernández and Ginzburg (2002), Fernández (2006) et Fernández and Ginzburg (2010) présentent quinze types de fragments, distribués en quatre groupes. Premièrement, les quatre premiers types constituent des réponses courtes, qui répondent à une question ouverte (short answer (141a)) à une question polaire positive (affirmative answer (141b)) ou négative (rejection (141c)), ou qui signalent une compréhension ou acceptation de la question (plain acknowledgement 141d)29:

(141) a. A : -Who left ? B : -Bo. A : -’Qui est parti ?’ B : -’Bo.’ b. A : -Did Bo leave ? B : -Yes. A : -’Bo est parti ?’ B : -’Oui.’ c. A : -Did Bo leave ? B : -No. A : -’Bo est parti ? B : -Non.’ d. A : -Bo left. B : -Mmh. A : -Bo est parti. B : -Mmh.

Deuxièmement, on trouve des réponses-fragments qui combinent un syntagme-fragment avec une affirmation, une négation ou une acceptation. Ils sont nommés ’affirmation

29. Fernández and Ginzburg (2010) introduisent un nouveau type, check question, et remplace le terme

répétée’, ’rejet collaboratif’ et ’reconnaissance répétée’ (respectivement, repeated

affirmative answer (142a), helpful rejection (142b) et repeated acknoledgement (142c)) :

(142) a. A : -Did Bo leave ? B : -Bo, yes. A : -’Bo est parti ?’ B : -’Bo, oui.’ b. A : -Did Bo leave ? B : -No, Max. A : -’Bo est parti ?’ B : -’No, Max.’ c. A : -Bo left. B : -Bo, hmm. A : -’Bo est parti’ B : -’Bo, hmm.’

Troisièmement, ils proposent quatre types de questions fragmentaires : le sluice, composé par le mot interrogatif (143a), le ’fragment de reprise (reprise fragment), qui reprend une partie de l’énoncé précédent (143b), la ’question de vérification’ (check question), qui s’ajoute à une phrase déclarative pour vérifier l’acceptation ou collaboration de l’interlocuteur (143c) et le filler, qui complète l’énoncé précédent (143d) : (143) a. A : -Someone left. B : -Who ? ’Quelqu’un est parti. B : -Qui ?’

b. A : -Did Bo leave ? B : -Bo ? A : -’Bo est parti ?’ B : -’Bo ?’ c. A : -Bo isn’t here. Okay ? A : -’Bo est ici. OK ?’

d. A : -Did Bo... B : -Leave ? A : -’Est-ce que Bo est...’ B : -’Parti ?’

Dernièrement, ils considèrent quatre types de fragments qui constituent des modifieurs de l’énoncé précédent. Ils sont le ’modifieur nu’ (bare modifier), qui sélectionne un prédicat qui se trouve dans la source (144a), le ’modifieur propositionnel’ (propositional modifier), qui sélectionne un prédicat propositionnel (144b), le ’fragment conjoint’ (144c), qui est réalisé par une conjonction suivie d’un syntagme, et enfin, le ’modifieur factuel’ (factual

modifier), qui sélectionne un prédicat factuel (144d) :

(144) a. A : -Max left. B : -Yesterday. A : -’Bo est parti.’ B : -’Hier.’

b. A : -Did Bo leave ? B : -Maybe. A : -’Bo est parti ?’ B : -’Peut-être.’ c. A : -Bo left. B : -And Max. A : -’Bo est parti.’ B : -’Et Max.’

d. A : -Bo left. B : -Great ! A : -’Bo est parti.’ B : -’Bien !’

Cette taxonomie permet à Fernández and Ginzburg (2002) de réaliser une étude sur un corpus anglais. Ils calculent les fréquences et distributions de ces énoncés sans verbe

(qu’ils désignent non sential utterances) dans la partie conversationnelle du British

National Corpus (BNC), (Burnard and Aston (1998)). Dans leur étude, ils récupèrent un

total de 841 exemples d’énoncés sans verbe du BNC, qui ont une distribution très irrégulière. Par exemple, les indicateurs de suivi constituent plus de la moitié d’énoncés sans verbe récupérés (55,17%). D’autres types d’énoncés sans verbe fréquents sont l’ellipse de clarification (8,56%), suivi de la réponse affirmative (7,01%), la réponse courte

(6,06%), et le suivi répété (4,40%). Ces données sont exposées dans le tableau (2.4).

Type (anglais) Exemple Items % du total

Acknowledgement A : Bo est parti. B -Ok. 464 55,17%

Clarification question A : -Bo est parti. B : -Bo ? 72 8,56% Affirmative answer A : -Est-ce que Bo est parti ? B : -Oui. 59 7,01%

Short answer (arg) A : -Qui est parti ? B : -Bo. 51 6,06%

Repeated ack A : -Bo est parti. B : -Bo, Ok. 37 4,40%

Repeated aff answer A : -Est-ce que Bo est parti ?. B : -Bo, oui. 24 2,85% Bare modifier phrase A : -Bo est parti. B : -Hier ? 22 2,61%

Check question A : -Bo est ici,Ok ? 17 2,02%

Short answer (ajout) A : -Quand est-ce que Bo est parti ? B : -Hier. 16 1,90%

Factual modifier A : -Bo est parti. B : -Bien ! 15 1,78%

Reject A : -Est-ce que Bo est parti ? B : -Non. 13 1,54%

Filler A : -Est-ce que Bo est... ? B : -Parti ? 13 1,54%

Conj + Frag A : -Bo est parti. B : -Et Max. 8 0,95%

Helpful rejection A : -Est-ce que Bo est parti ? B : -Non, Max. 12 1,42% Propositional modifier A : -Est-ce que Bo est parti ? B : -Peut-être. 5 0,59%

Sluice A : -Bo est parti. B : -Qui ? 5 0,59%

Others A : -... B : -Le secteur publique. 8 0,95%

TOTAL 841 100%

TABLE 2.4 – Énoncés sans verbe de Fernández and Ginzburg (2002)

Fernández and Ginzburg (2002) proposent ainsi une classification des énoncés sans verbe qui inclut les fragments. L’unité considéré par cette œuvre est l’énoncé, et Par

conséquence, ils analysent comme des unités (des énoncés sans verbe) des énoncés contenant plusieurs fragments. Ceci est le cas des trois types de réponses-fragments qui combinent un syntagme-fragment avec une affirmation, une négation ou une acceptation :

Cette taxonomie semble basée dans des critère mixtes : les quatre groupes semblent classés selon l’acte qu’ils réalisent : réponses ((141), (142)), questions (143), et commentaires ou élaborations (144). Il semblent aussi correspondre à trois modes de contributions au dialogue : initiateurs de dialogue (143), compléteurs ((141), (142)) et continuateurs (144). On note aussi que les deux premiers groupes se distinguent par leur forme : les exemples de (141) sont composés par des énoncés à un fragment, alors que les types de (142) sont réalisés par des énoncés à deux fragments : une proforme plus un fragment-réponse.

Les critères de classification au sein d’un même groupe semblent aussi mixtes : les

modificateurs semblent se distinguer par le type de contenu qu’ils sélectionnent, sauf pour le type fragment coordonné, qui se distingue par sa forme. Également, le filler ne se

distingue du modifieur que par leurs propriétés de sélection (le filler est sélectionné par un prédicat, alors que, inversement les modifieurs sélectionnent eux mêmes un prédicat). Les fragments sans contenu sémantique mais qui réalisent un acte de parole sont aussi classés avec les fragments qui ont un contenu propositionnel, comme la check question, qui n’a pas d’autre contenu que celui qu’elle sélectionne, qui est classé avec les sluicing, définis

d’ailleurs par leur mot interrogatif. Aussi, le sluicing et le reprise fragment ne se distinguent que par ses propriétés sémantiques : les deux sont des fragments anaphoriques, où le premier est réalisé par un mot interrogatif et le deuxième par un mot lexical.

Ainsi, bien que Fernández and Ginzburg (2002) et Fernández (2006) considèrent les énoncés non phrastiques par leurs propriétés, la sélection de propriétés reste liée au type d’apport qu’ils font au dialogue, plutôt qu’aux propriétés qui les caractérisent per se. Les critères de classification ne correspondent pas à des propriétés syntaxiques ou

sémantiques, mais à une sélection de propriétés mixtes qui selon le type de contribution qu’ils font au dialogue. On observe que cette classification, comme celle de Schlangen (2003) ne retient pas les propriétés inhérentes des fragments, mais est élaboré en fonction de leur force illocutoire dans l’énoncé. Ainsi, un même item peut appartenir à divers types selon sa fonction, comme la prophrase yes, qui est classée comme une réponse ou comme un acknowledgement selon sa fonction.

Dans une étude plus récent, Ginzburg and Moradlou (2013) enrichissent la typologie de fragments de Fernández and Ginzburg (2002), en ajoutant quelques types de fragments qu’ils trouvent dans un corpus de dialogues entre enfants et adultes. Ils extraient les fragments d’une portion du corpus, et remarquent que la typologie de Fernández and Ginzburg (2002) ne suffit pas pour rendre compte de certains fragments fréquents dans les premières interventions langagières des enfants.

Ils considèrent d’abord les fragments qui entament un tour de parole, et puis ceux qui permettent de en suivre un. Parmi ceux qui commencent la conversation, ils repèrent trois types : le visual object pointing (145a), le visual predication (145b) et le visual onomatopoeic

utterance (145c). Le premier groupe les noms qui font référence à une entité qui se trouve

à la vue, en anaphore profonde (145a) ; le deuxième, plus rare dans les premiers énoncés de l’enfant et plus fréquents lors qu’il grandit, désigne les propriétés qui sélectionnent une entité à la vue, en anaphore profonde aussi (145b). Les troisièmes, enfin, sont formés par des onomatopées qui désignent une entité en anaphore profonde (145c).

Parmi les fragments qui continuent un tour de parole ils considèrent deux types déjà présents dans la classification de Fernández and Ginzburg (2002) : la short answer et le

repetition acknowledgement, et puis un nouveau type : l’imitation, des répétitions que

l’enfant fait d’un segment de l’énoncé de l’adulte (145d) : (145a) :

(145) a. ENFANT : -Yogurt. MERE : -Yogurt. MERE : -Is it good ? . ENFANT : -’Yaourt’. MERE : -’Yaourt’. MERE : -’C’est bon ?’

b. (L’enfant ramasse les céréales) MERE : -Hey, you dropped an odio. ENFANT : -Down.

b. MERE : -’Hey,tu as fait tomber du céréal’. ENFANT : -’En bas.

’ c. (L’enfant indique un mouton dans un livre d’illustrations) ENFANT : -Baa baa baa. MERE : -That’s right, that’s the sheep going baa baa.

ENFANT : -’Baa baa baa.’ MERE : -’C’est bien, ça c’est le mouton qui fait baa baa.’ d. MERE : -Brioche bread and some (...). ENFANT : -Brioche.

Dans un travail plus récent, Ginzburg and Moradlou (2013) reprend sa classification d’énoncés sans verbe pour élaborer un système d’analyse formel des dialogues basé sur le formalisme Type Theory with Records (TTR). Il reprend aussi le formalisme HPSG,

reformulé en TTR afin de formaliser de la sémantique des échanges dialogiques, ce qui lui permet d’analyser formellement aussi bien les phrases avec tête verbale que les énoncés sans verbe.s