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4.1 Introduction et rôle des dopants

4.1.2 Le phénomène de complexion

De nombreuses études concernent l’effet des dopants sur l’alumine. Seules les études de ces dix dernières années permettent de mettre réellement en avant les phénomènes qui interviennent au niveau de la croissance anormale des grains et de la mobilité des joints de grain. En effet, les études antérieures à notre décennie portaient sur des alumines qui n’ont pas la pureté de celles actuellement commercialisées. D’autre part, une alumine est d’autant plus sensible à la concentration d’ajout et à la pollution qu’elle est initialement pure.

Malgré cela, des recherches récentes ont démontré les phénomènes intervenant lors du dopage de l’alumine.

4.1.2.1 Historique

Les interfaces (joints de grains, surfaces et interphases d’interfaces) promeuvent un transport rapide vers le cœur du matériau. Elles sont donc à l’origine de nombreuses propriétés macroscopiques du matériau et jouent un rôle important, malgré leur faible quantité, sur le succès ou l’échec d’un matériau. Ceci a donné naissance au principe de l’ingénierie des cinétiques d’interface présenté plus haut, faisant intervenir les vitesses de transport des atomes aux interfaces. De nombreuses méthodes ont été mises en place afin de contrôler ces cinétiques par le contrôle de la chimie aux interfaces, de la température, de la géométrie, de l’aire d’interface et enfin des forces appliquées.

Il est donc important de commencer avec un bref résumé des concepts qui ont dominé notre appréhension des échanges entre le soluté en ségrégation, le joint de grain, la structure et les joints de transport.

Une grande attention a été portée à la théorie développée par Cahn, Hilliard[161, 163], Lücke et Detert [164], se focalisant sur la relation entre la différence d’orientation des grains autour d’un joint, l’énergie du joint de grain et la structure. Ce modèle définit trois types de joints de grains dont la mobilité est réduite par la ségrégation du soluté au joint de grain. Selon cette théorie, la vélocité du joint de grain augmente avec la pureté (absence de soluté) jusqu’à la valeur de mobilité intrinsèque. Une exception cependant persiste. Parfois le joint de grain peut s’affranchir de la présence de soluté pour une concentration et une mobilité données générant alors une augmentation de la mobilité du joint de grain proche de la vélocité intrinsèque. Ce phénomène serait à la base de la croissance anormale de grain dans les céramiques.

Aust et Rutter [162] ont développé suite à cette théorie une nouvelle analyse fondée sur le désordre de la structure des joints de grains, et générant une relation inverse entre la

mobilité du joint de grain et la concentration en soluté. La hiérarchie suivante conclut leurs travaux : la différence d’orientation des grains dirige la structure du joint de grain qui dicte la concentration en soluté, qui à son tour gouverne la mobilité du joint de grain. Ces différentes théories sont illustrées Figure 23.

Figure 23: Illustrations des différentes théories proposées par Cahn et al.[161], et, Aust et al.[162]

Il y a beaucoup de contradictions et de controverses dans la littérature qui remettent en question cette hiérarchie. En effet, le magnésium est un inhibiteur bien connu dans la croissance des grains d’alumine alors que le calcium, qui a un pouvoir de ségrégation plus élevé que le magnésium dans l’alumine, augmente la mobilité des joints de grain. La ségrégation de l’yttrium aux joints de grains dans l’alumine diminue la mobilité des joints de grains à basse température mais l’augmente à haute température. Une étude de la ségrégation aux joints de grain du Fe(3%Si) a montré que la croissance anormale aux joints de grain avait lieu préférentiellement lors d’une forte concentration en silice ce qui contredit fortement la théorie de Cahn [161, 163].

Suite à ces controverses, il semble que la charrue ait été mise avant les bœufs dans la première hiérarchie. La nouvelle hiérarchie à adopter considère l’ordre des évènements suivant : type de dopant et concentration, puis structure des joints de grains et enfin étude de la mobilité.

4.1.2.2 Principe

Comme démontré plus haut, la littérature présente des inconsistances en ce qui concerne l’étude des dopants dans l’alumine et ce pour plusieurs raisons. De nombreuses études sur l’alumine dopée/codopée avec des espèces connues, telles que la silice, le calcium, le titane, ou encore l’yttrium, la zircone et les terres rares, ont démontré que le comportement cinétique des grains d’alumine est intimement lié à la structure et à la chimie des joints de grains [149, 160, 165-170]. Néanmoins, certains auteurs observent une croissance anormale de grain en présence d’un film intergranulaire, alors que d’autres l’observent sans. Des mobilités de joint de grain maximal et minimal ont été mesurées dans différentes publications en l’absence de film intergranulaire. La croissance anormale de grain a été observée avec l’apparition de grains facettés et courbes, ou allongés et équiaxes. Tous ces différents comportements souvent contradictoires de l’alumine ont rendu difficile l’établissement de règles générales.

Il faut savoir que l’alumine est frittée et utilisée dans une gamme de température très large (1000 à 2000°C), avec des taux de pureté différents et des tailles de particules variées. De plus, la forme sous laquelle les dopants sont introduits est essentielle (alkoxyde, sels, précurseurs…). Ceci a participé à la difficulté d’analyse et de comparaison des différents phénomènes observés : aucune tendance ne pouvait être mise en valeur.

Cependant, de nouvelles méthodes d’analyse énumérées succinctement ci-après ont permis de mettre en lumière une nouvelle théorie qui semble devenir la tendance actuelle concernant l’alumine :

 La simulation assistée par ordinateur de la croissance anormale de grain par la méthode de Monte-Carlo (MC) [171],

 La cartographie d’orientation par image des structures microcristallines (EBSD), particulièrement efficace pour caractériser la microstructure des matériaux polycristallins. Elle permet de déterminer l’orientation des différents grains dans un matériau polycristallin et l’identification des phases d’une cristallite dont la composition a préalablement été faite par spectrométrie X.

 La microscopie à transmission de haute résolution (HRTEM) des films intergranulaires.

Dillon et al. [172-174] ont approfondi l’étude des cinétiques de transport aux joints de grains dans l’alumine. Pour différents type et taux de dopants ils ont mesuré la mobilité et observé la structure et la composition des joints de grains. Les échantillons ont montré différents degrés de croissance normale et anormale de grains, des formes de grains variées, mais la chose la plus remarquable fut que toutes les cinétiques observées pouvaient être classées selon six comportements, en fonction du désordre (entropie) mesuré aux joints. De plus il a été démontré au cours de leurs travaux que la mobilité intrinsèque du matériau n’était pas la plus rapide.

Les six cinétiques ainsi déterminées furent associées à six types de complexion, c'est-à-dire de types de phases présentes aux joints de grain possédant des caractéristiques chimiques, thermiques et cristallographiques qui leur sont propres. Les complexions ne sont pas à proprement parler des phases puisqu’elles sont uniquement stables aux joints de grains. Ces complexions classées de I à VI par désordre croissant sont représentées Figure 24.

Figure 24: Micrographies des complexions vues en microscopie électronique en transmission. Les complexions I à VI Figure 25 correspondent aux micrographies (a) à (f) respectivement).

(a), (b), (c): champs sombre annulaire aux grands angles (HAADF); (d), (e), (f): haute résolution (HRTEM) [173]

Les six complexions sont décrites dans la littérature comme suit et sont représentées schématiquement Figure 25:

 Complexion I : Adsorption de l’unique couche de cations en solution solide au joint de grain. Ce type de structure a été étudié par Buban et al.[149]. Les dopants ségrégent au niveau des sites des plus gros cations dans le joint de grain sans modifier la position des ions voisins.

 Complexion II : Il s’agit du joint de grain intrinsèque, sans présence de soluté.

 Complexion III : C’est une ségrégation à deux couches du dopant au niveau des sites cationiques de l’alumine. L’augmentation de la concentration de dopant au joint de grain est facilité par l’introduction de défauts[159].

 Complexion IV : Cette complexion est caractérisée par plusieurs couches d’adsorptions.

 Complexion V : Création d’une phase intergranulaire amorphe d’environ 1.5 nm significative d’une augmentation du désordre structurel. Ce film ne possède pas la même composition que les grains voisins.

 Complexion VI : Film mouillant dont l’épaisseur dépend de la quantité de phase liquide disponible. Cette complexion est souvent associée dans la littérature aux films intergranulaires observés dont l’épaisseur est souvent variable : 0.6+/-0.1 nm, 1.4+/-0.2 nm et >4 nm [175-179].

Figure 25: Schéma des six complexions de joints de grains différentes. Ce schéma est basé sur les images de la Figure 24.[173]

Dans l’optique de diminuer la mobilité des joints de grains, les complexions I, et II doivent être privilégiées. En règle générale, plus l’énergie de joint de grain est faible, plus la température de transition est élevée, et plus la complexion d’ordre faible est stable. Pour les céramiques, les résultats optimaux sont obtenus avec l’ajout d’additifs correspondant aux critères suivant :

 De grande dimension et fortement ségrégé aux joints de grains

 Permet de minimiser le ratio énergie de joint de phase/ énergie de joint de grain  La concentration rejoint le maximum avant saturation aux joints de grain

 Co-doper avec un autre additif pour une variation de taille et une densification optimale  Très fortes liaisons primaires

A contrario, pour augmenter la mobilité des joints de grain, il est primordial de considérer les complexions d’ordre supérieur (III à VI) possédant une forte mobilité atomique. Les conditions suivantes sont recommandées :

 maximiser le ratio énergie de phase au joint de grain/ énergie de joint de grain  hautes températures proches des phases aux joints de grain

 compositions avec une basse viscosité de liquide.

4.2 Effets des dopants sur la densification et la cinétique de frittage