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Chapitre V : Pertes et non-linéarités des récupérateurs d’énergie piézoélectriques

V.2. Pertes linéaires

V.2.2. Pertes par hystérésis

a. Introduction aux pertes par hystérésis des matériaux piézoélectriques

Les pertes dominantes des matériaux piézoélectriques correspondent à des pertes par hystérésis. Le comportement hystérétique des matériaux piézoélectriques est observé sur la réponse de la déformation à l’application d’une contrainte, mais également sur le champ de déplacement électrique résultant de l’application d’un champ électrique ainsi que sur la déformation en réponse à champ électrique [180]. La relation contrainte-déformation d’un grand nombre de matériaux métalliques comportent également des cycles d’hystérésis [190]. L’amortissement dû à des pertes par hystérésis est notamment appelé amortissement structural dans le domaine mécanique.

Contrairement aux pertes visqueuses qui correspondent à des pertes par cycle proportionnelles à la fréquence, les pertes par cycle sur un cycle d’hystérésis sont indépendantes de la fréquence. Même si le comportement temporel de la relation contrainte-déformation n’est pas fidèlement pris en compte, l’ajout d’un angle de retard de phase indépendant de la fréquence entre l’excitation et la réponse (entre la contrainte et la déformation par exemple) permet de prendre en compte l’énergie perdue à chaque cycle dans la modélisation. La Figure V.3 donne l’exemple du cycle d’hystérésis de la relation contrainte-déformation pour un matériau élasto- plastique et le cycle obtenu par un déphasage.

a. b.

Figure V.3: a. Cycle d’hystérésis de la relation contrainte-déformation pour un matériau élasto- plastique [191], b. cycle d’hystérésis donné pour un déphasage

b. Formalisme mathématiques des pertes par hystérésis

Pour les matériaux métalliques, le retard de la déformation par rapport à la contrainte appliquée peut être représenté mathématiquement à l’aide un module de Young complexe 𝑌𝑠∗

où 𝜂 est le coefficient d’amortissement structural [192, p. 13]. Le terme imaginaire positif 𝑗𝜂 permet de traduire l’avance de phase de la contrainte par rapport à la déformation.

𝑌𝑠∗ = 𝑌𝑠(1 + 𝑗𝜂) (V-20)

De la même manière, les cycles d’hystérésis des matériaux piézoélectriques peuvent être modélisés par l’intermédiaire de termes imaginaires attribués aux coefficients matériaux [193]. L’ajout de parties imaginaires aux coefficients des matériaux piézoélectriques est réalisable pour toutes les formes d’équations constitutives piézoélectriques (forme 𝑑, forme ℎ, forme 𝑒 ou forme 𝑔 telles que présentées dans la section I.4.1) [194]. Par exemple, les équations (V-21) à (V-23) donnent les coefficients des équations constitutives piézoélectriques sous la forme 𝑑 pour le mode 31 (mode utilisé pour les poutres étroites) où 𝜑𝑑, 𝜃𝑑 et 𝛿𝑑 sont les angles de retard de phases respectivement de la déformation 𝑆1 par rapport à la contrainte 𝑇1, du champ de

déplacement électrique 𝐷3 par rapport à la contrainte 𝑇1 et du champ de déplacement électrique

𝐷3 par rapport au champ électrique 𝐸3. Les parties imaginaires négatives permettent ici de traduire des retards de phase.

𝑠11𝐸∗= 𝑠

11𝐸 (1 − 𝑗 tan 𝜑𝑑) (V-21) 𝑑31∗ = 𝑑31(1 − 𝑗 tan 𝜃𝑑) (V-22)

𝜖33𝑇 = 𝜖

33𝑇 (1 − 𝑗 tan 𝛿𝑑) (V-23)

Zhuang et al. [195] ont proposé une méthode pour déterminer les angles de retards de phases 𝜑𝑑, 𝜃𝑑 et 𝛿𝑑 d’un patch piézoélectrique étroit (mode 31) à partir de mesures d’impédance. A de partir de ces derniers, les angles de retard de phase 𝜑𝑒, 𝛿𝑒 et 𝜃𝑒 peuvent être trouvés pour la forme 𝑒 couramment utilisée en récupération d’énergie. Les expressions des coefficients complexes 𝑐11𝑒𝑓∗, 𝜖33𝑒𝑓∗ et 𝑒31𝑒𝑓∗ pour le mode 31 sont données dans les équations (V-24) à (V-26). Les parties réelles 𝑐̆11𝑒𝑓, 𝜖̆33𝑒𝑓 et 𝑒̆31𝑒𝑓 varient très légèrement des coefficients réels 𝑐11𝑒𝑓, 𝜖33𝑒𝑓 et 𝑒31𝑒𝑓

pour des faibles valeurs d’angles de retards de phases (0,1). A titre d’exemple : 𝑐̆ = 𝑐11𝑒𝑓 11𝑒𝑓/(1 + tan2𝜑

𝑐11𝑒𝑓∗ = 1 𝑠11𝐸∗ = 𝑐̆ (1 + 𝑗 tan𝜑11𝑒𝑓 𝑒) ≈ 𝑐11𝑒𝑓(1 + 𝑗 tan 𝜑𝑒) (V-24) 𝜖33𝑒𝑓∗= 𝜖33∗𝑇𝑑31∗2 𝑠11𝐸∗ =𝜖33𝑒𝑓 ̆(1 − 𝑗 tan 𝛿 𝑒) ≈ 𝜖33𝑒𝑓(1 − 𝑗 tan 𝛿𝑒) (V-25) 𝑒31𝑒𝑓∗ =𝑑31 ∗ 𝑠11𝐸∗ =𝑒̆ (1 + 𝑗 tan𝜃31𝑒𝑓 𝑒) ≈ 𝑒31𝑒𝑓(1 + 𝑗 tan 𝜃𝑒) (V-26)

L’utilisation de coefficients complexes offre un formalisme utile à la modélisation des pertes. Cependant, à cause des influences électromécaniques mutuelles, il n’est pas possible de considérer un angle de phase (𝜑𝑒, 𝛿𝑒 ou 𝜃𝑒) comme la représentation de pertes propres à un

unique domaine physique (mécanique, piézoélectrique ou diélectrique). Par exemple, les angles « mécaniques » 𝜑𝑑 et 𝜑𝑒 n’induisent pas le même type de pertes sur la puissance récupérée.

Lors du passage d’une forme constitutive d’équations à une autre, seule la puissance dissipée par la totalité des pertes est la même et non la contribution de chacun des termes comme expliqué par Wild et al. [194]. Par ailleurs, un déphasage ne représente pas forcément un phénomène physique de perte. En effet, le coefficient tan 𝜃𝑑 peut être soit positif soit négatif

en fonction des matériaux [196]. Afin que la globalité de angles de retard de phase représente des pertes et puisse correspondre à une réalité physique, il faut tout de même que plusieurs conditions soient respectées sur les coefficients [193]. A titre d’exemple, l’inégalité (V-27) doit être respectée pour les coefficients du mode 31.

𝑠11𝐸 tan 𝜙

𝑑 × 𝜖33𝑇 tan 𝛿𝑑 ≥ 2(𝑑31tan 𝜃𝑑)2 (V-27)

A partir de l’équation (V-27), on remarque qu’il n’est pas possible de considérer un angle 𝜃𝑑 sur le coefficient piézoélectrique sans considérer simultanément des angles de phases 𝜑𝑑 et 𝛿𝑑 sur les coefficients mécaniques et diélectriques.

Bien que cette dénomination soit particulière à la forme 𝑒, nous appelons dans la suite du chapitre les angles 𝜑𝑒, 𝜃𝑒 et 𝛿𝑒 respectivement les angles de phase mécanique, piézoélectrique et diélectrique. Nous appellerons pertes mécaniques les pertes qui induisent une dissipation d’énergie par cycle croissante avec la déformation, même si les phénomènes induisant ces pertes ne sont pas uniquement d’origine mécanique. Les pertes diélectriques sont les pertes qui induisent une dissipation d’énergie par cycle croissante avec l’amplitude du champ électrique. Au niveau global du récupérateur, les pertes mécaniques et les pertes diélectriques désignent respectivement les pertes par cycle qui augmentent avec l’amplitude du déplacement en bout de poutre et avec la tension aux bornes des électrodes.

c. Influence des pertes par hystérésis sur le comportement récupérateur

Comme les coefficients matériaux sont complexes, les coefficients globaux équivalents du modèle à 1DDL (V-1) sont eux aussi complexes. Les coefficients 𝐾, 𝛩 et 𝐶𝑝 de l’équation (V-1) sont respectivement transformés en 𝐾∗, 𝛩∗ et 𝐶𝑝∗ (coefficients complexes15). Comme les coefficients 𝛩∗ et 𝐶

𝑝∗ sont respectivement proportionnels à 𝑒31𝑒𝑓∗ et 𝜖33∗ , leurs parties imaginaires

sont respectivement proportionnelles à tan 𝜃𝑒 et tan 𝛿𝑒 comme exprimés dans (V-28) et (V-29).

15 Pour rappel, les termes soulignés correspondent aux variables traduites dans l’espace complexe alors que les

Il est possible de montrer que, comme pour les coefficients matériaux, les valeurs des parties réelles de 𝛩∗ et 𝐶

𝑝∗ varient peu des valeurs de Θ et 𝐶𝑝.

Θ∗ = Θ̆(1 + 𝑗 tan 𝜃

𝑒) ≈ Θ(1 + 𝑗 tan 𝜃𝑒) (V-28)

𝐶𝑝= 𝐶 𝑝

̆(1 − 𝑗 tan 𝛿𝑒) ≈ 𝐶𝑝(1 − 𝑗 tan 𝛿𝑒) (V-29)

Le coefficient complexe de raideur 𝐾∗, quant à lui, est influencé par les pertes dans le substrat. On peut, grâce à l’expression de la raideur obtenue par la méthode de Rayleigh, déterminer un angle de perte équivalent [197], appelé ici angle de phase mécanique équivalent et noté 𝜑𝑒𝑞. L’expression de 𝐾∗ est donnée par (V-30) avec 𝑌𝐼∗ exprimé en (V-31).

𝐾∗ = 𝑌𝐼𝐿 𝑏∫ 𝜙′′(𝑥)2𝑑𝑥 𝐿𝑏 0 = 𝐾̆(1 + 𝑗 tan 𝜑𝑒𝑞) ≈ 𝐾(1 + 𝑗 tan 𝜑𝑒𝑞) (V-30) 𝑌𝐼∗ = (2 3[ 𝑌𝑠𝑒𝑓∗ℎ𝑠3 8 + 𝑐11𝑒𝑓∗((ℎ𝑝+ ℎ𝑠 2) 3 −ℎ𝑠3 8) ] + 1𝑒31𝑒𝑓∗2 𝜖33𝑒𝑓∗2ℎ𝑝 3) (V-31)

Si aucun amortissement visqueux n’est considéré (𝜁𝑚 = 0), le déplacement et la tension sont donnés par les équations (V-32) et (V-33) où les termes complexes normalisés sont exprimés dans les équations (V-34) à (V-37).

𝑟 𝑓𝑤𝐵̈ = − 1 𝐾∗ 1 +𝓏∗𝑗Ω∗ (1 − Ω∗2) + 𝑗[(1 − Ω∗2+ 𝑘 𝑒∗2)(𝓏∗Ω∗)] (V-32) 𝑣 𝑓𝑤𝐵̈ = − 𝑖 𝛩∗ 𝓏∗𝑘𝑒∗2Ω∗ (1 − Ω∗2) + 𝑖[(1 − Ω∗2+ 𝑘 𝑒∗2)(𝓏∗Ω∗)] (V-33) 𝑘𝑒∗2 = Θ∗2 𝐾∗𝐶 𝑝∗ (V-34) ω1 𝑠𝑐∗= √𝐾∗ 𝑀 (V-35) Ω = ω ω1𝑠𝑐∗ (V-36) 𝓏∗= 𝑍𝑙𝑜𝑎𝑑ω1𝑠𝑐∗𝐶𝑝∗ (V-37)

De façon similaire à la section V.2.1.a, la charge d’impédance complexe, exprimée en (V-13), permettant de maximiser la puissance à chaque fréquence correspond au complexe conjugué de l’impédance du récupérateur. L’impédance du récupérateur est exprimée par (V-38) lorsque des coefficients imaginaires sont considérés.

𝒵𝑝 = 1 𝑗𝐶𝑝∗𝜔 1 1 + 𝑘𝑒∗2 1 − Ω∗2 (V-38)

La Figure V.4 représente la puissance normalisée et le déplacement normalisé pour le récupérateur PMN-PT N modélisé par le modèle 2DDL-PM1 en contrainte plane en prenant arbitrairement la tangente de l’angle de phase mécanique équivalent tan 𝜑𝑒𝑞 égale à 0,01 ainsi

que la tangente de la angle de phase diélectrique tan 𝛿𝑒 égale à 0 puis 0,01. La puissance est calculée à partir de la tension 𝑣 et du courant 𝑖 (voir équation (V-6)) et des normalisations associées ((V-15) et (V-16)).

Figure V.4 : Puissance de sortie normalisée et déplacement normalisé en fonction de la fréquence pour le récupérateur PMN-PT N modélisé par le modèle 2DDL-PM1 associé à un angle de phase mécanique équivalent 𝜑𝑒𝑞 et à un angle de phase diélectrique 𝛿𝑒

Cette figure montre que, lorsque seul un angle de phase mécanique 𝜑𝑒𝑞 est considéré, la puissance récupérée 𝑃𝑏𝑚𝑎𝑥 en 𝑓

𝑏 est supérieure à la puissance 𝑃𝑎𝑚𝑎𝑥 en 𝑓𝑏. Ainsi, contrairement

à la considération d’un coefficient d’amortissement visqueux pour laquelle les deux pics de puissances ont la même hauteur (𝑃𝑎𝑚𝑎𝑥 = 𝑃

𝑏𝑚𝑎𝑥 sur la Figure V.2), la considération d’angle de

phase mécanique équivalent 𝜑𝑒𝑞 permet d’expliquer que la puissance récupérée puisse être maximale en 𝑓𝑏. Les pertes par hystérésis expliquent donc le comportement du récupérateur PZT N sur nos mesures (voir la Figure V.1). Lorsque des charges optimales d’impédances complexes sont considérées, la courbe de puissance forme une droite croissante avec la fréquence et le déplacement est constant quelle que soit la fréquence. L’amplitude du déplacement a donc la même valeur pour les deux pics obtenus avec les charges résistives.

On remarque aussi que la prise en compte de l’angle de phase diélectrique 𝛿𝑒 a peu d’influence sur la puissance 𝑃𝑎𝑚𝑎𝑥. Par contre, ce dernier réduit la valeur de la puissance 𝑃

𝑏𝑚𝑎𝑥.

Ainsi, la combinaison d’un angle phase mécanique 𝜑𝑒𝑞 et diélectrique 𝛿𝑒 peut mener à ce que les deux pics de puissances aux résistances optimales aient des valeurs identiques (𝑃𝑎𝑚𝑎𝑥 ≈

𝑃𝑏𝑚𝑎𝑥). L’égalité des puissances aux deux pics n’induit donc pas forcément la présence de pertes

visqueuses constantes sur la bande de fréquence.

En conclusion, la prise en compte d’un amortissement visqueux et celle de pertes par hystérésis n’ont pas les mêmes effets sur les pics de puissances. On remarque alors que le comportement du PZT N correspond davantage à un modèle de pertes mécaniques par hystérésis. Le comportement du PMN-PT, quant à lui, fait apparaître des pertes diélectriques à 0,2 m/s². Lorsque les deux pics de puissances mesurés sont à la même hauteur, il peut être compliqué de déterminer l’origine des pertes.