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PARTIE II : MISE EN PLACE DE L’ETUDE BLIPIC ET PREMIERS RESULTATS

4. Discussion

4.4. Perspectives : le Suivi Thérapeutique Pharmacologique

Devant la part inexpliquée de la variabilité des concentrations de BL, de nombreux auteurs recommandent leur dosage sérique (29,32,56,57,142,208,236–240). Les doses nécessitent en effet d’être individualisées tout comme les objectifs PK/PD. En l’absence de recommandation sur la personnalisation des doses de BL, des posologies universelles sont souvent utilisées en pratique, d’autant plus que certaines notions essentielles de pharmacocinétique sont parfois manquantes (241). Les BL sont en effet perçues comme ayant un index thérapeutique large, contrairement aux aminosides et aux glycopeptides pour lesquels le STP est largement utilisé (141). Devant s’intégrer dans une approche PK/PD globale mais encore peu utilisé (8), le STP des BL est recommandé depuis fin 2018 chez tout patient de soins critiques pour lequel une variabilité pharmacocinétique est attendue (expansion volémique, administration de catécholamines ou d’albumine, EER…), atteints de méningite ou chez qui une toxicité aux BL est suspectée (29). Même si l’impact clinique n’a pas encore été démontré, le STP permet en effet d’améliorer l’exposition aux BL, l’atteinte des objectifs PK/PD, et de limiter les sur- et sous-dosages. Bien que la littérature soit limitée sur ce sujet, De Waele et al. ont montré que les augmentations posologiques, de l’ordre de 33 à 100%, permettaient d’atteindre les concentrations souhaitées chez 69% des patients sous/sur-dosés. Les concentrations cibles étaient alors obtenues chez 57,9% dans le groupe intervention versus 15,8% dans le groupe contrôle (57). Ils décrivent une variation quotidienne des concentrations sériques montrant la nécessité de dosages réguliers. Roberts et al. ont quant à eux montré, avec 15% des patients traités par CVVHDF, que l’ajustement des doses permettait une atteinte des cibles dans 43% des cas (208). Plusieurs limites peuvent être à l’origine de l’absence de démonstration de l’impact clinique du STP comme l’utilisation de concentrations totales et non des fractions libres ou le long délai de rendu des résultats ne correspondant pas à la nécessité clinique. Le STP peut également amener à des posologies encore jamais explorées de l’ordre de 12 g de méropénème ou 36 g/4,5 g de pipéracilline/tazobactam par exemple, pouvant faire craindre une toxicité (57,242). Plusieurs auteurs ont cependant montré que le STP est possible en pratique et que l’utilisation de cibles agressives est envisageable (55,125,233,243). Enfin, bien que cela ne soit pas statistiquement significatif, Bricheux et al. rapportaient qu’une concentration résiduelle d’imipénem inférieure à 2 mg/L sans augmentation de dose pourrait être à l’origine d’un risque accru d’échec thérapeutique (19% versus 11%) (201).

Ainsi, afin que le STP soit plus largement utilisé, même si quelques cas cliniques et petites séries semblent montrer son efficacité (201,242,244–247), il doit cependant encore faire ses preuves dans des essais cliniques prospectifs randomisés se basant sur des CMI mesurées et démontrer son impact économique.

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4.4.2. Suivi Thérapeutique Pharmacologique conventionnel des bêta- lactamines

La méthode la plus courante de STP et recommandée par la SFAR et la SFPT nécessite plusieurs étapes, comme rapporté dans l’Annexe 7 (29,32,236,237). Cette démarche permet de prendre en compte les deux phases pharmacocinétiques. L’utilisation de doses de charge lors des premières 24-48h adaptées à l’augmentation des volumes de distribution de la phase initiale de l’infection permet à l’antibiotique d’atteindre rapidement le site infecté. Les doses d’entretien suivantes sont quant à elles adaptées à l’élimination des antibiotiques et à l’augmentation possible de leur demi-vie (32,141). En cas de perfusions discontinues, la réalisation de deux prélèvements serait l’idéal afin d’adapter au mieux les posologies. En effet, quand un seul dosage résiduel est disponible, il rend compte de l’écart entre la concentration actuelle et la cible à atteindre, mais ne renseigne pas dans la mesure la dose doit être adaptée selon l’élimination. Pour l’adaptation posologique des patients dialysés, il convient également de tenir compte de la fonction rénale résiduelle qui contribue aussi à la clairance de la BL. En fonction du résultat du dosage, une adaptation posologique pourra être effectuée selon un produit en croix. Face aux difficultés de mise en place du STP des BL, Delattre et al. ont proposé une alternative intéressante, notamment lors de la phase précoce de l’infection (248). Cette approche consiste à apprécier les paramètres pharmacocinétiques individuels des BL à partir de ceux des aminosides selon la méthode initialement décrite par Sawchuk et Zaske, afin d’en déduire les posologies nécessaires (249). Les aminosides possèdent en effet des similarités de caractéristiques pharmacocinétiques et physico-chimiques (hydrophilie, faible volume de distribution, faible poids moléculaire, faible liaison aux protéines plasmatiques, élimination rénale) et leur STP est bien répandu avec un rendu rapide des résultats. Cette méthode peut être appliquée en cas de modèle monocompartimental avec une cinétique d’ordre 1 à partir de deux échantillons sanguins permettant d’apprécier la phase d’élimination. Cette méthode a permis l’élaboration d’équations de modélisation en soins intensifs. De bons résultats ont ainsi été obtenus pour la prédiction des paramètres pharmacocinétiques de certaines BL. Les concentrations à l’équilibre peuvent alors être déduites, par :

Pour les perfusions continues : 𝐶𝑒𝑞 = 𝑣𝑖𝑡𝑒𝑠𝑠𝑒 𝑑𝑒 𝑝𝑒𝑟𝑓𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛

𝑐𝑙𝑎𝑖𝑟𝑎𝑛𝑐𝑒

Pour les perfusions discontinues : 𝐶𝑚𝑖𝑛 =𝑘 𝑥 𝑣𝑜𝑙𝑢𝑚𝑒 𝑑𝑒 𝑑𝑖𝑠𝑡𝑟𝑖𝑏𝑢𝑡𝑖𝑜𝑛 (1−𝑒𝑣𝑖𝑡𝑒𝑠𝑠𝑒 𝑑𝑒 𝑝𝑒𝑟𝑓𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛 (1−𝑒−𝑘𝑇−𝑘𝜏) )𝑒−𝑘(𝜏−𝑇) avec k : constante d’élimination, T : durée de perfusion, Vd : volume de distribution et τ: intervalle de dose

4.4.3. Suivi Thérapeutique Pharmacologique individualisé selon la méthode Bayésienne

Les méthodes d’adaptation pharmacocinétique sont cependant plus robustes quand elles sont établies par modélisation à partir de modèles pharmacocinétiques de population, permettant de décrire le comportement habituel de l’antibiotique dans la population d’intérêt mais aussi les variations inter et intra-individuelles (250,251). L’approche bayésienne, fondée sur des probabilités conditionnelles, se base sur une association a priori entre les paramètres pharmacocinétiques de population et la concentration observée chez un individu de manière à estimer les paramètres pharmacocinétiques de l’individu. Ces modèles font le lien entre des paramètres in vitro et in silico avec les paramètres in vivo sur la base de modèles mathématiques et d’une approche compartimentale, allant du modèle mono-compartimental le plus simple à des modèles beaucoup plus complexes. Les changements physiologiques sont alors quantifiés et intégrés comme variables dans un modèle mathématique. Cette approche permet de

62 prédire l’évolution des concentrations au cours du temps, leur variabilité et les sources de cette variabilité. La part inexpliquée de cette variabilité est également quantifiée. Cette méthode permet, bien que les prélèvements soient issus d’individus, une analyse à l’échelle d’une population. Elle autorise l’utilisation de données éparses, avec des temps de prélèvements différents, permettant un allègement des protocoles. L’étude de schémas posologiques et modalités d’administration non testés est alors possible, tout comme l’analyse de covariables affectant la pharmacocinétique du médicament impliqué. Le modèle mathématique établi permet la réalisation de simulations de Monte Carlo sur des milliers de patients virtuels, de manière à définir les PTA selon différentes modalités. Cette méthode est désormais approuvée par l’EMA pour le développement des schémas posologiques, en alternative aux essais cliniques (250). En raison de la variabilité pharmacocinétique en réanimation et des incertitudes PK/PD potentielles, des simulations de doses dans différents contextes cliniques sont nécessaires pour proposer ensuite des schémas posologiques adéquats au niveau individuel. Il est cependant indispensable de les tester dans la population d’intérêt, les caractéristiques populationnelles pouvant être différentes et impacter leur performance prédictive (252). Des nomogrammes peuvent être établis sur ces modèles populationnels pour déterminer la dose optimale. Cependant, ils sont rarement disponibles en soins critiques et nécessitent une linéarité pharmacocinétique, un état d’équilibre atteint et des heures de prélèvements et d’administration des BL sans écart par rapport à l’heure idéale. Les adaptations posologiques via des nomogrammes ne sont ainsi pas suffisantes chez tous les patients et demeurent imparfaites (cibles non atteintes chez 30% des patients) (243). Certains logiciels bayésiens, se basant sur des modèles populationnels et des régressions non linéaires, permettent l’utilisation des paramètres du patient, de manière à calculer une posologie individualisée idéale. Il est également parfois possible d’y intégrer le résultat d’un dosage, de façon à ajuster la posologie et atteindre la concentration cible. Felton a récemment montré qu’une bonne prédiction des concentrations était possible en réanimation pour la pipéracilline/tazobactam avec le logiciel BestDose® (253). Un nouveau modèle de STP peut alors être proposé comme décrit dans l’annexe 7 (26,32,254).

Pour le calcul de la dose de charge, le volume de distribution du patient est estimé à partir des caractéristiques du patient et de la population d’intérêt. Pour individualiser les doses, le logiciel doit également inclure différentes cibles en fonction des sites infectieux et des populations, mais aussi l’historique des doses, les seuils de toxicité, les caractéristiques du patient (âge, poids, fonction rénale, gravité de l’infection, immunodépression…) et le résultat du dosage sérique. Idéalement, en cas d’administration discontinue, deux prélèvements sont effectués sur le premier intervalle de la dose d’entretien afin d’avoir une exposition adéquate rapide de l’antibiotique, en intégrant dans le logiciel le moment de prélèvement. Une fois la concentration cible atteinte et tant que le patient est instable, un monitorage des éléments pouvant justifier une nouvelle adaptation thérapeutique (remplissage, fonction rénale, chirurgie, circuits extra-corporels…) est instauré, avec réalisation d’un dosage supplémentaire le cas échéant. Une détermination rapide de la CMI est également nécessaire afin de diminuer les doses en cas de germe très sensible. Tous les scénarios cliniques ne sont pas disponibles dans les logiciels bayésiens et des précautions doivent être prises en cas d’extrapolation à un autre site infectieux par rapport à celui du modèle (142). De plus, ces outils ne sont pas encore validés (141). Des études complémentaires sont encore nécessaires afin de recueillir d’avantage de données entre autres sur les états dynamiques PK/PD (inoculum bactérien, système

63 immunitaire…) afin de les incorporer ensuite dans des modèles. L’intelligence artificielle pourrait alors permettre, à partir des informations recueillies au quotidien, d’enrichir ces bases de données de manière à optimiser les modèles statistiques de population et les concentrations prédites. Le croisement des bases de données mondiales existantes pourrait ensuite fournir un outil très performant.

Une réflexion est ainsi en cours au Centre Hospitalier de Valenciennes, afin de réfléchir à la faisabilité des dosages de BL en interne. En utilisant une approche holistique dans une population ciblée et homogène, la méthode Bayésienne devrait permettre de générer des preuves cliniques (32). A ce titre, deux études, seront particulièrement suivies avec attention. Face au manque de recommandations posologiques solides en EERC, l’étude SMARRT vise à comprendre l’impact des différentes modalités d’EERC et à rechercher une cible PK/PD associée à une diminution de la mortalité pour la pipéracilline/tazobactam et le méropénème (255). Basée sur 450 patients, les concentrations sériques, urinaires et du dialysat seront analysées à l’aide d’un modèle pharmacocinétique populationnel, de façon à identifier les covariables et à émettre des recommandations posologiques. L’étude MON4STRAT porte quant à elle sur les pneumopathies associées aux soins, et cherche à démontrer un impact du STP sur l’évolution clinique et l’émergence de résistances, et une meilleure définition de la cible PK/PD optimale (256). Elle cherche également, afin de pallier la lenteur et la complexité de la CLHP, à valider une méthode colorimétrique pour permettre une détermination des concentrations de BL plus rapide et une interprétation des résultats en temps réel (256).

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