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PARTIE II : MISE EN PLACE DE L’ETUDE BLIPIC ET PREMIERS RESULTATS

4. Discussion

4.2. Limites de l’étude

4.2.1. Population ciblée et taille de l’échantillon

Les patients atteints de pneumopathie ont été ciblé, de façon à avoir une population homogène pour l’interprétation des résultats. En effet, selon le site infectieux, notamment en cas de site difficile d’accès ou d’inoculum important, les cibles de concentration sériques peuvent être plus élevées que celles présentées dans l’étude BLIPIC. Les concentrations de BL ont par ailleurs montré une variabilité importante en cas de pneumopathie, par rapport à d’autres sites infectieux (228). Cependant, malgré ces précautions, les motifs d’entrée des patients étaient malgré tout diverses, et les volumes de remplissage, pouvant influencer sur les concentrations sériques, étaient très variables. Bien que la dose de dialyse ait été protocolisée afin d’assurer une certaine homogénéité de l’EER, il n’était cependant pas possible de fixer une déplétion, qui intervient aussi dans l’élimination de la BL, celle-ci est en effet adaptée individuellement selon les besoins du patient. La pneumopathie étant souvent une pathologie surajoutée en lien avec la ventilation mécanique, la population est donc moins homogène que ce qui était souhaité. La taille de l’échantillon limite l’analyse statistique des objectifs secondaires. Cependant, il s’agit d’une étude préliminaire dont les premiers résultats pourront ensuite être intégrés à une nouvelle cohorte si une étude de plus grande ampleur est par la suite envisagée.

4.2.2. Choix des molécules et des schémas posologiques

Les principales BL utilisées pour le traitement des pneumopathies ont été retenues pour l’étude. La ceftriaxone n’a pas été sélectionnée car la méthode analytique n’était pas validée. Par ailleurs, le ceftolozane/tazobactam, le ceftazidime/avibactam, le ceftobiprole et l’ertapénem, n’ont pas été retenus en raison de la rareté de leur utilisation. De plus, lors de la création du protocole, la cloxacilline était en rupture d’approvisionnement pour une durée indéterminée. Enfin, les dosages d’aztréonam, de céfazoline, des inhibiteurs de bêta-lactamases et de la cilastatine n’étaient pas disponibles.

Concernant la durée des perfusions, bien que l’amoxicilline soit stable sur 6 heures et le méropénème sur 7-8 heures à la concentration et dans le solvant choisis, il a été préféré d’harmoniser toutes les perfusions prolongées sur 4 heures, afin de limiter les risques d’erreur d’administration. Des différences de stabilité ayant été retrouvées dans la littérature pour l’amoxicilline/acide clavulanique, la durée de stabilité minimale a été prise en compte selon un principe de précaution (229,230). La pipéracilline/tazobactam a démontré sa supériorité d’efficacité en perfusion continue et prolongée sur 4 heures. Cependant, aucune étude n’a comparé les administrations prolongées ou continues. Les autres centres investigateurs réalisant la perfusion en continu et ceci suivant la logique de l’optimisation PK/PD, cette modalité d’administration a été retenue. De plus, la perfusion continue permet de faciliter les moments de prélèvements pour le STP. Par ailleurs, les carbapénèmes montrant un effet post-antibiotique entre 2 et 6 heures, la perfusion prolongée semble pertinente avec leur mode d’action (231). Enfin, en l’absence de donnée dans la littérature, il n’a pas été possible de définir de schémas posologiques pour les poids extrêmes.

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4.2.3. Incompatibilités médicamenteuses en perfusion

Les concentrations sériques relevées peuvent être altérées par les incompatibilités en perfusion. Cependant, il s’agit d’une étude multicentrique non interventionnelle. Il n’était donc pas possible de dédier une voie veineuse pour l’administration de la BL seule afin d’éviter les incompatibilités, ni d’imposer aux centres investigateurs de poser si besoin une voie veineuse périphérique, tout comme les matériaux de perfusion afin d’éviter les interactions contenu-contenant. Une variation de +85,4 mg/L de pipéracilline a été relevée entre les 2 dosages chez un patient. Après recherche des facteurs ayant pu interférer, les deux seuls éléments retrouvés étaient la forte balance hydrique négative mais surtout l’arrêt de la vancomycine, connue pour être incompatible avec cette BL, qui était également administrée en continu sur la même ligne de la voie centrale.

4.2.4. Interprétation selon la CMI et méthodes de détermination des CMI

La CMI est une mesure statique en un point de mesure de faible précision et soumise à de nombreuses variations, déterminée par une méthode de dilution de 2 en 2 (139). Elle apporte une information sur l’effet antimicrobien en cas de concentration ne variant pas dans le temps, à l’inverse de ce qui se produit in vivo, ce que cherchent à corriger les index PK/PD (ex : T > CMI). Ces index ne permettent cependant de fournir qu’une probabilité de succès thérapeutique en cas d’atteinte de l’objectif PK/PD, mais sans tenir compte de la charge bactérienne et de son évolution. De plus, la CMI ne tient pas compte des phénomènes d’adaptation dès les premières heures de traitement pouvant être à l’origine d’une perte de sensibilité des bactéries à l’antibiotique ni des phénomènes d’émergence de résistance. Elle ne reflète pas non plus les effets synergiques ni l’effet bactéricide d’une dose de charge et ou bien l’effet post-antibiotique. La CPM n’est quant à elle pas toujours atteignable in vivo pour des raisons de toxicité. La mesure de la CMI étant imprécise, une autre limite est le biais induit par la mesure par une seule technique et l’absence d’harmonisation de ces méthodes pour tous les centres investigateurs. De plus, les c.c. sont constamment révisées, et ces valeurs cibles sont susceptibles d’évoluer, renforçant l’intérêt de disposer des CMI des infections documentées (105). La CMI présente ainsi aussi des limites pour l’interprétation de l’exposition à l’antibiotique.

4.2.5. Nombre de dosages et moments de prélèvement

Une seule mesure à un temps donné ne permet pas d’apprécier l’évolution des concentrations de BL, ni de calculer les paramètres pharmacocinétiques. Cependant un dosage à l’état d’équilibre en pré-dose permet de refléter l’exposition de l’organisme à l’antibiotique. Le second dosage a été déterminé de façon à apprécier a minima l’impact des variabilités pharmacocinétiques sur les concentrations et les éventuelles accumulations. Ce délai a aussi été choisi en fonction de la médiane de durée de traitement par EER de 72h. Par ailleurs, en l’absence de financement en dehors de ceux du service, le nombre de dosages était aussi limité par l’aspect économique. Malgré le fait que l’état d’équilibre ne soit pas encore atteint, des dosages en phase précoce auraient également été pertinents compte tenu de l’importance des premières doses.

4.2.6. Concentrations cibles choisies

Les cibles PK/PD des BL, fonction des CMI documentées ou supposées, sont à l’heure actuelle encore débattues chez le patient de réanimation. En effet, seules quelques études in vivo se sont intéressées à définir les cibles PK/PD en vie réelle. Le choix des cibles du STP est d’autant plus difficile que, bien que la mesure de la CMI du germe impliqué soit un élément essentiel, cet élément est souvent absent et seules 19% des études se sont basées sur des CMI mesurées (140). En cas d’infection non documentée, les c.c. des germes suspectés sont utilisées comme subrogation, en choisissant le germe

57 probable avec la c.c. la plus haute. Les c.c. de l’EUCAST doivent également être modulées selon l’écologie locale (31). Un nombre non négligeable de patients recevra par conséquent des fortes doses non nécessaires en cas de germes à CMI basse, avec un risque de toxicité comme cela a été montré dans les premiers résultats de l’étude BLIPIC (141). Cependant, ces fortes doses peuvent être jugées acceptables pour les doses de charge afin d’assurer une efficacité maximale en présence de nombreux changements pharmacocinétiques et de forts inocula bactériens.

La grille d’interprétation des concentrations cibles, écrite avant la publication des recommandations, comporte quelques divergences par rapport aux concentrations cibles émises par la SFAR et la SFPT en octobre 2018 (29). Compte tenu de certaines inconnues dans la littérature, la rédaction du protocole tout comme des recommandations nécessite en effet parfois de prendre des partis. Ces différences ont été discutées avec le microbiologiste de l’établissement. La SFAR et la SFPT suggèrent, en l’absence de documentation, de choisir comme concentrations cibles les cut-offs épidémiologiques (ECOFF) des germes considérés, et non pas les c.c. de l’EUCAST. L’ECOFF est la CMI qui identifie la limite supérieure d'une population de souches sauvages, permettant de couvrir l’ensemble des CMI des germes sans expression phénotypique de résistance. Les concentrations critiques de l’EUCAST prennent en compte, en plus de l’ECOFF, les paramètres PK/PD et les concentrations critiques cliniques, différenciant les succès des échecs thérapeutiques. Bien au-delà d’une vision microbiologique pure, elles proposent donc une vision complète, prenant en compte l’ensemble des éléments nécessaires au succès clinique. De plus, bien que certaines souches aient un ECOFF bas, elles peuvent présenter quelques mécanismes de résistance de bas niveau, qui leur permettront néanmoins d’être catégorisées comme sensibles jusqu’à un plus haut niveau de CMI (ex : Klebsiella spp. : ECOFF de 0,125 mg/L mais rendue comme sensible jusque 1 mg/L, correspondant à la c.c. de l’EUCAST). Les souches de Klebsielle rencontrées au sein de notre établissement étant majoritairement des souches avec quelques mécanismes de résistance tels que pré-décrits, la prise en compte de l’ECOFF plutôt que des c.c. serait donc incohérente, avec un risque de viser une concentration inférieure à la concentration efficace nécessaire. Cependant, en considérant le couple BL/germes considérés, l’ECOFF le plus haut correspond bien souvent aux concentrations critiques cliniques et est compatible avec l’aspect pharmacocinétique, si bien que les c.c. et les ECOFFs aboutissent ici aux mêmes valeurs. Bien que la composante pharmacocinétique puisse paraitre redondante, dans le souci de considérer l’aspect clinique et l’écologie locale, les c.c. de l’EUCAST ont été retenues, similairement à la majorité de la littérature.

Les recommandations de la SFAR/SFPT et nombreux auteurs utilisant le STP retiennent une concentration cible minimale de 4 fois la CMI (29,55,57,125,205,231). Pourtant, une conférence d’actualisation de la SFAR en 2017 et d’autres auteurs ont quant à eux ciblé 5 fois la CMI (34). Bien que les données soient limitées, les seules preuves d’amélioration clinique étant retrouvées à 5 fois la CMI, et les ratios d’amélioration microbiologique étant plus en faveur de cette cible, c’est donc ce seuil minimal qui a été retenu (131–134,232). Des cibles différentes ont été choisies pour le céfépime et l’imipénem par rapport aux recommandations. Une concentration à l’équilibre de céfépime > 35 mg/L étant associée à 50% de risques de toxicité (197), la SFAR et la SFPT ont proposé de viser une concentration minimale à l’équilibre correspondant à l’ECOFF des entérobactéries soit 5 mg/L afin de ne pas dépasser ce seuil. Bien que cela soit discutable, le céfépime étant utilisé en raison de son spectre sur P.aeruginosa, l’étude BLIPIC vise quant à elle une concentration minimale de 40 mg/L, soit la c.c. du bacille pyocyanique, afin d’assurer une concentration efficace sur ce germe. La neurotoxicité est de plus réversible dans la très grande majorité des cas. De la même façon, alors que les recommandations prennent en

58 compte les ECOFFs d’Escherichia coli pour l’imipénem, cette molécule étant utilisée pour couvrir P.aeruginosa, une concentration cible plus haute a été retenue pour le protocole, de manière à couvrir de manière efficace les bacilles à Gram négatif non fermentants. A l’instar de ce que proposaient plusieurs auteurs pour définir les surdosages (57,228,233,234), un seuil de 10 fois la CMI a été choisi pour l’étude BLIPIC. Les recommandations retiennent une concentration maximale libre résiduelle/à l’équilibre de 8 fois la CMI, seuil au-delà duquel elles jugent le rapport efficacité/toxicité défavorable. Beumier et al. ont en effet retrouvé une majoration de la neurotoxicité au-delà de 8 fois la c.c. de P. aeruginosa pour le méropénème et la pipéracilline/tazobactam, sans retrouver toutefois cette corrélation pour le céfépime et sans avoir testé de seuils supérieurs (190). Les valeurs prédictives positives et négatives des ratios Ctotale min/c.c. P.

aeruginosa étaient de plus peu différentes entre 4 et 8, limitant la capacité prédictive de neurotoxicité de ce seuil (respectivement 47% versus 54% et 70% versus 66%). Des ratios associés à 50% de risque de neurotoxicité entre 2,5 et 32 fois la c.c. de P.aeruginosa ont été retrouvés pour le céfépime, la pipéracilline/tazobactam et le méropénème (197–199). Devant cette variabilité de ces seuils, avec des BL considérées comme ayant un large index thérapeutique et aucun seuil toxique n’est connu pour les autres BL, une limite différente a ainsi été retenue pour l’étude BLIPIC. Un seuil variable selon la sensibilité du germe peut cependant être discuté. Les analyses par arbre de régression et les régressions linéaires peuvent être utiles pour définir les seuils d’efficacité et de toxicité. Cependant, ces approches sont difficiles à appliquer dans un contexte de changement fréquent des posologies et d’association d’antibiotiques. Des modèles toxicodynamiques in vitro peuvent alors être utiles pour mieux comprendre et prédire l’efficacité et la toxicité des BL (235).

4.2.7. Concentrations sériques et reflet des concentrations tissulaires

Les objectifs PK/PD présentent un certain nombre de limites. Tout d’abord, l’exposition optimale de l’antibiotique concerne la concentration au site infecté. Hors, seules les molécules libres peuvent diffuser et exercer leur effet antimicrobien. Le dosage des formes libres des BL est d’autant plus pertinent que les CMI sont mesurées dans des milieux pauvres en protéines où les antimicrobiens sont sous forme libre. La diffusion de l’antibiotique, dépend aussi bien de la lipophilie et de sa liaison aux protéines que des caractéristiques propres au patient (inflammation, pathologie respiratoire chronique). Malgré le fait que la connaissance de la diffusion de l’antibiotique au site infecté soit essentielle, les techniques de STP des BL dans les fluides autres que le sérum sont cependant peu étudiées et validées. Les dosages sériques sont donc utilisés en substitut des dosages tissulaires (142). Il est désormais admis que les concentrations déterminées dans le film alvéolaire sont un bon reflet de la concentration tissulaire extracellulaire (28,44), mais elles souffrent encore d’absence de technique validée. La microdialyse se présente néanmoins comme une méthode permettant de caractériser l’évolution des concentrations extracellulaires libres en fonction du temps. La concentration sérique pouvant sembler suffisante alors que la concentration tissulaire est bien inférieure, le choix de concentrations cibles au-delà de la CMI est indispensable, notamment pour les molécules hydrophiles telles que les BL qui passent plus difficilement les membranes (28). L’utilisation de l’aérosolthérapie pourrait également permettre de meilleures concentrations tissulaires de BL, sous réserve d’une diffusion pulmonaire profonde, qui permettrait de réduire les concentrations sanguines et donc la iatrogénie.

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