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PARTIE II : MISE EN PLACE DE L’ETUDE BLIPIC ET PREMIERS RESULTATS

4. Discussion

4.1. Interprétation des résultats

Cette analyse intermédiaire montre que l’objectif principal a été atteint pour les premiers patients inclus, à savoir plus de 80% d’entre eux avec des concentrations sériques au- delà de 5 fois la CMI ou c.c. Cela laisse donc à penser que les posologies normorénales actuellement utilisées sont suffisantes et semblent prévenir les sous-dosages retrouvés en cas d’adaptation posologique à l’EERC (204). L’absence de sous-dosage relevé est cohérent avec les résultats rétrospectifs d’Hites et de Beumier, qui retrouvaient respectivement 6 et 8% de sous-dosages (concentrations totales inférieures à 4 c.c. de P.aeruginosa à T = 40/50/70%) (54,205). L’étude BLIPIC est donc la première étude prospective décrivant l’adéquation des concentrations libres de plusieurs BL en EERC par rapport à 5 fois la c.c./CMI, en prenant en compte les CMI en cas de documentation.

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4.1.2. Objectifs secondaires exploratoires

Sous réserve du faible nombre de patients inclus, la répartition des concentrations de BL en mg/L est large mais néanmoins moindre qu’attendue. La très grande variabilité observée en n CMI est en lien avec la documentation chez 6 patients permettant de viser des CMI très inférieures aux c.c. Cette variabilité en mg/L est similaire à celle rapportée par Beumier et al. pour le céfépime (1,4 versus 43,4) mais moindre pour la pipéracilline (2,5 versus 12,5) et le méropénème (2,5 versus 16,1) (modalités d’administration non optimisées). Seyler et al. rapportaient également une variabilité plus importante pour ces mêmes BL en EERC : respectivement 7,3, 38,8 et 5,5. La variabilité des concentrations est sans doute limitée par le faible nombre de patients, mais son amplitude modérée semble en lien avec un relatif lissage des concentrations obtenu avec des perfusions prolongées/continues et avec la protocolisation de la dose de dialyse. De plus, la très faible clairance résiduelle observée chez seulement 5 patients n’a sans doute que très peu influencé l’élimination des BL. Bien que les motifs d’entrée des patients étaient variés, tous les patients présentaient des caractéristiques similaires avec au moins deux défaillances d’organe, respiratoire et rénale. De nombreux éléments connus pour influencer les concentrations de BL étaient communs : 85% des patients étaient en état de choc, tous présentaient une hypoalbuminémie, un seul patient n’avait pas d’œdème et un seul autre patient n’était pas sous vasopresseur. En protocolisant les modalités d’EERC et d’administration des BL dans une population relativement homogène, la variabilité pharmacocinétique des BL, certes présente compte tenu des variations inter et intra-individuelles, est cependant moindre tendant à limiter les sur et sous-dosages. En prenant en compte la c.c. de P.aeruginosa, germe visé par la pipéracilline- tazobactam, les premiers résultats semblent montrer quelques sous-dosages. Seyler et Beumier ont décrit avec 4g/0,5g/6h sur 30 min, respectivement 34% et 20% de sous- dosages (définis par un seuil de 4 c.c. de P.aeruginosa à 50% de l’intervalle de dose) (204,205). Des simulations de Monte-Carlo ont montré une PTA à seulement 55% pendant 100% du temps (152). Face à cela, l’optimisation des modalités d’administration semble donc indispensable. En perfusant en continu 12g/1,5g/j, Roger a décrit des concentrations à l’équilibre à 68 et 89 mg/L en CVVHDF et en CVVH (64 mg/L = 4 fois la c.c. de P.aeruginosa) (151). L’adéquation chez la majorité des patients d’une posologie de 4g/0,5g/6-8h perfusée en continu, reprise dans l’étude BLIPIC et mentionnée également dans la conférence d’actualisation de la SFAR, reste à confirmer (34).

Concernant le céfépime, Beumier et al. relevaient 11% de sous-dosages à 70% de l’intervalle de dose, tandis qu’aucun sous-dosage n’a été rencontré dans les premiers résultats de l’étude BLIPIC. Ceci concorde avec les résultats d’une simulation de Monte- Carlo en CVVHD à 25 mL/kg/h qui montrait qu’une posologie de 2g/8h en perfusions de 30 min ne permettait d’atteindre 100% T > 4 CMI qu’en cas de CMI ne dépassant pas 2 mg/L (227). De nombreux surdosages ayant été constatés avec les perfusions continues dans les premiers résultats, une posologie moins élevée, comme évoqué par le GPR et dans la conférence d’actualisation de la SFAR de 2017, sous couvert néanmoins d’une optimisation de leurs modalités d’administration pour couvrir P.aeruginosa, pourrait cependant se révéler adéquate chez la plupart des patients de notre population (34,221). Alors que Beumier et al. rapportaient seulement 2% de dosages de méropénème inférieurs à 8 mg/L avec 1g/8h à 40% de l’intervalle de dose, Ulldemolins et al. décrivaient en revanche, grâce à des simulations de Monte-Carlo réalisées sur des patients anuriques traités par EERC avec des perfusions de méropénème de 30 min, que cette posologie amenait à 35% de risques d’obtenir des dosages résiduels inférieurs à 10 mg/L (5 x c.c. de P.aeruginosa) (147,205). Ce risque était de 19% en cas de perfusions de 3

54 heures. Ceci était concordant avec les simulations de Padullés Zamora et de Burger qui rapportaient une PTA à 62 et 69% pour atteindre une concentration de 8 mg/L avec cette posologie (153,154). Ces simulations rapportaient en revanche une PTA d’au moins 90% avec des perfusions continues de 2-3 g/24h ou avec des perfusions 2 g toutes les 8h sur 2 heures. Les posologies évoquées dans la conférence d’actualisation de la SFAR et par le GPR de 1 g/12h en bolus pourraient donc être insuffisantes chez la majorité des patients de la population de l’étude (34,221). Les premières données tendent à montrer que les perfusions prolongées limitent les sous-dosages en EERC, ce qui pourrait confirmer les résultats de Langgartner et d’Ulldemolins (146,147).

72% des dosages étaient au-delà de 10 fois la CMI ou c.c., avec 6 pneumopathies documentées. En prenant en compte la c.c. de P. aeruginosa visée en probabiliste, la proportion de surdosages tombait à 30%. Dès lors, en cas d’infection à germes sensibles, de telles posologies semblent difficilement justifiables compte tenu du risque de neurotoxicité. Bien qu’il soit difficile de les comparer aux études de Beumier et d’Hites, le seuil supérieur par rapport aux c.c. de P.aeruginosa étant légèrement différent (10 fois c.c. à T = 100% dans l’étude BLIPIC versus 8 fois la c.c. à T = 40/50/70% dans la littérature), la proportion de surdosage semble du même ordre de grandeur : 30% des patients dans BLIPIC versus 53% et 44% rapportés respectivement par Beumier et Hites. Une neurotoxicité a été retrouvée chez 36% des patients de l’étude avec un patient pour lequel l’imputabilité de la BL était probable. Bien que 72% des dosages soient supérieurs à 10 fois la CMI ou c.c., aucune des concentrations de méropénème et de pipéracilline associée au tazobatam n’étaient respectivement au-delà de leur concentrations toxiques connues de 64 mg/L en résiduel et de 157 mg/L à l’équilibre. En revanche, tous les dosages de céfépime étaient au-delà de 35 mg/L, concentration associée à 50% de neurotoxicité. Cependant, aucune neurotoxicité n’a été relevée chez les patients traités par céfépime. La neurotoxicité a néanmoins pu être sous-estimée. La sédation des patients limite en effet l’appréciation neurologique clinique, renforcée par la non-utilisation de protocoles d’arrêt quotidien des sédations utilisés par d’autres équipes.

Certains auteurs ont retrouvé une accumulation de certaines BL en fonction du temps, en lien avec le changement des volumes de distribution ou à la diminution de l’efficacité des filtres (204,205). Les données ici recueillies entre deux jours différents ne permettent pas de mettre en évidence ce phénomène, dont l’analyse est limitée par le faible nombre de patients. Le citrate limitant la coagulation des filtres, une moindre séquestration des antibiotiques a également pu être observée. Trois dosages ont été concernés par une interruption momentanée de l’EERC entre les deux prélèvements, allant de 4 à 11 heures, avec peu d’impact constaté sur les concentrations de BL. Un seul patient a bénéficié d’un changement de membrane avant les prélèvements.

Les premiers résultats montrent une forte mortalité, similaire à celle rapportée par Beumier et al., qui retrouvaient respectivement 50 et 60% de mortalité en réanimation et intra-hospitalière, et à celle décrite par Roger et al. qui rapportaient 58% de mortalité à J28 (151,205). L’absence de démonstration de lien entre le score IGS2 et la mortalité dans cette analyse est sous-doute en lien avec la faible cohorte de patients et sera à apprécier avec la poursuite de l’étude. Une cohorte plus importante permettra également d’analyser si l’atteinte de 5 fois la CMI permet d’observer une différence clinique.

Grâce aux nombreux paramètres protocolisés (population ciblée, schémas posologiques, anticoagulation, technique et dose de dialyse), l’étude BLIPIC nous permet d’interpréter les concentrations de BL d’une façon plus précise, en limitant les facteurs confondants à l’origine d’une variation des concentrations. Aucune autre étude ayant des critères stricts pour tous ces paramètres n’a été retrouvée dans la littérature. Il s’agit, à notre

55 connaissance, de la première étude prospective étudiant l’exposition à plusieurs BL administrées en perfusions prolongées et continues chez le patient traité par EERC. Bien que la cohorte soit limitée et qu’il ne soit pas possible d’extrapoler l’adéquation de ces schémas posologiques au niveau individuel compte tenu des nombreuses variations inter et intra-individuelles, l’étude BLIPIC nous permet d’avoir un aperçu de l’exposition aux différentes BL chez ce type de patients.

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