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2. Étude comparative du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine

2.1 Perspective historique et institutionnelle

L’histoire politique du Liban et de la Bosnie-Herzégovine est celle de petits territoires d’une grande diversité humaine situés sur des lignes de faille géopolitique, et dont l’un des principaux modes de mobilisation politique a été communautaire ; une mobilisation le plus souvent soutenue par des agents extérieurs. Ainsi, l’histoire comme la géographie du Liban et de la Bosnie-Herzégovine ont favorisé l’organisation politique et sociale sur la base des groupes identitaires, tout en mettant des limites importantes à la centralisation de l’autorité.

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Les deux entités politiques étudiées ici ont à la fois une origine commune et un destin particulier ; elles sont des fragments de l’Empire ottoman et des héritières de ses institutions administratives et politiques, en particulier du système du millet et de sa gestion de la citoyenneté120. Elles ont été projetées au cœur de la crise de succession de

l’Empire ottoman entre le Congrès de Berlin (1878) et la fin de la Première Guerre mondiale (1918), et sont situées dans un environnement régional éclaté et placées au centre de concurrences géopolitiques intenses. Leur développement politique au cours des siècles ottomans et depuis 1918 est par contre en partie contrastant. L’espace politique libanais est divisé en 18 communautés reconnues par l’État, dont les plus importantes sont les Maronites, les Sunnites, les Chiites, les Druzes, et, en second lieu, les Grecs orthodoxes, les Grecs catholiques et les Arméniens121. Le Liban est un cas extrême de pluralisme qui

est aussi intra-communautaire, car les communautés sont elles-mêmes traversées par des clivages idéologiques, régionaux, etc.122. Les grandes communautés ont ainsi combiné

deux ou trois courants idéologiques comportant des programmes politiques distincts : particularisme, pan-syrianisme, islamisme, panarabisme, communisme, etc. Quant à elle, la constitution bosnienne reconnait trois grands peuples constitutifs : les Croates, les Serbes et les Bosniaques/musulmans123, auxquels s’ajoutent les « Autres » (Juifs, Roma,

etc.). Ces groupes ou communautés ont connu des processus de mobilisation asynchrones et différenciés, notamment parce que les communautés minoritaires chrétiennes ont été dotées d’institutions particulières sous l’Empire ottoman124, et se sont développées,

120 « The Ottoman rules set great store by the political significance of religion. Because they classified their

subjects according to millet, or religious community, religious insitutions acquired important political functions in Bosnia under Ottoman rule. » Robert J. Donia et John V.A. Fine, Jr, Bosnia & Hercegovina: A Tradition Betrayed, Columbia University Press, New York, 1994 : 82.

121 Le dernier recensement a été fait au Liban en 1932 et ne comptabilisait pas les Libanais de l’étranger.

Selon les listes électorales, le rapport démographique entre chrétiens et musulmans aurait été inversé entre 1932 et 2005, ces derniers constituant aujourd’hui plus de 60% des inscrits. Éric Verdeil, Ghaleb Faour et Sébastien Velut, « Chapitre 3 : Population et peuplement », Atlas du Liban, Presses de l’IFPO, Beyrouth, Liban, 2007.

122 Oren Barak, « Intra-communal and Inter-Communal Dimensions of Conflict and Peace in Lebanon »,

International Journal of Middle East Studies, vol. 34, 2002 : 621.

123 Selon le dernier recensement de 1991, 43,7% de la population déclarait appartenir à la nation

« musulmane » ; 31,4% était « serbe » ; et 17,3, % se déclarait « croate ». Steven L. Burg et Paul S. Shoup, The War in Bosnia-Herzegovina: Ethnic Conflict and International Intervention, M.E. Sharpe, Armonk (New York)/Londres, 2000: 27.

124 « L’organisation des populations chrétiennes en millets (communauté religieuse bénéficiant d’une large

autonomie interne) attribue à leurs églises un rôle social et culturel essentiel […] » Xavier Bougarel, « Etat et communautarisme en Bosnie-Herzegovine », Cultures & Conflits [En ligne], 1994, 15-16.

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notamment grâce aux interventions occidentales. À la différence du Liban, où les groupes sont toujours identifiés comme des communautés religieuses — chrétienne et musulmane, subdivisées en sous-groupes — les groupes identitaires en Bosnie-Herzégovine sont dits nationaux (ou ethno-nationaux). Cette conception différente des groupes identitaires est attribuable à un processus historique marqué par l’influence, à partir du 19e siècle, du

nationalisme émanant de la Croatie et de la Serbie voisines sur la transformation de l’identité religieuse et la mobilisation politique en Bosnie125. La distance culturelle entre

les groupes n’est d’ailleurs pas plus grande qu’au Liban, car leur principale différence est aussi de nature religieuse (en fait, la différence ethnique et linguistique est plus marquée au Liban où coexistent des populations arabes et non arabes, comme les Arméniens). Par ailleurs, dans les deux cas, une composante démographique marque la singularité de ses États vis-à-vis leurs principaux voisins : les chrétiens maronites au Liban et les musulmans bosniaques en Bosnie. Imbriqués dans un jeu politique régional, ces États sont traversés par les courants d’idées contradictoires qui émergent en temps de crise et transforment une tradition de coexistence en source de conflit.

Le Liban a fait partie de l’Empire ottoman jusqu’en 1918 ; puis le Mont Liban historique (l’ancienne Moutassarifiya, dont les populations étaient principalement druzes et maronites) est devenu le grand Liban avec l’annexion de la ville de Beyrouth, des territoires syriens de la Bekaa, de Tripoli, de Tyr et Saïda entre autres, principalement peuplés de musulmans sunnites et chiites, à la faveur du mandat français établi en 1920126.

C’est en 1926 que l’appareillage de l’État moderne libanais (constitution, administration publique et système judiciaire) a été mis en place et la république proclamée « sous réserve des droits et des devoirs de la Puissance mandataire », comme prévu par la Société des Nations127. Le mandat octroyé à la France par la Société des Nations prend fin deux ans

125 Steven L. Burg et Paul S. Shoup, The War in Bosnia-Herzegovina: Ethnic Conflict and International

Intervention, M.E. Sharpe, Armonk (New York)/Londres, 2000: i.

126 Il s’agissait d’un gouvernorat autonome, prévoyant un partage du pouvoir, créé par un règlement

organique établi en 1861 entre les puissances européennes et la Sublime Porte à la suite d’incidents violents ayant opposé les Maronites aux Druzes.

127 Cf. « Titre V : Dispositions relatives. La puissance mandataire et à la Société des nations. » Constitution

du Liban, 1926. « De la sorte, le Haut-Commissaire gardait la haute main sur la politique extérieure et la défense du pays, et pouvait annuler toute législation jugée contraire au Mandat, voire suspendre purement et simplement la constitution. » Jean-David Mizrahi, « La France et sa politique de mandat en Syrie et au

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après la déclaration d’indépendance de la République libanaise de 1943, qui est acquise grâce à un pacte national informel conclu entre le président maronite et le chef du gouvernement sunnite128. Ce nouveau tandem communautaire remplace le tandem

maronite-druze à l’intérieur de la structure sociopolitique héritée du Mont-Liban du 19e

siècle. Bien qu’elle ait joué un rôle de premier plan dans la société féodale du Mont-Liban et au cœur des premiers systèmes de partage de pouvoir sous l’Empire ottoman, la communauté druze reste mobilisée et politiquement active, mais elle est reléguée à la marge des institutions. Son importance démographique relative a en effet fortement diminué avec les siècles ; elle ne représente plus qu’une petite fraction de la population libanaise — elle était au cinquième rang selon le recensement de 1932 — et n’a donc qu’une influence limitée. Comme le spécifie l’Atlas du Liban, les populations druzes se retrouvent essentiellement dans le Mont Liban Sud (Chouf et région d’Aley), ainsi que dans les piémonts de l’Hermon129. (Elles sont aussi présentes en Syrie et en Israël.)

D’obédience islamique, elles suivent une doctrine religieuse distincte entourée de secrets et de dissimulation. Pour leur part, les Maronites130 représentent le groupe le plus

nombreux de la communauté chrétienne du Liban, qui est composée de plusieurs sous- groupes : les Grecs orthodoxe et catholique ; Arméniens orthodoxes et catholiques, etc. Ayant bénéficié d’un régime religieux et d’accommodements politiques particuliers à l’intérieur de l’Empire ottoman — et garantis par les pressions des puissances européennes — ; les élites chrétiennes se sont depuis longtemps appuyées sur des institutions sociales autonomes et développées, ce qui leur a permis de jouer un rôle politique majeur dans l’histoire du Liban. Dessinées en 1921 par le colonisateur français afin d’accommoder les élites chrétiennes et d’assurer la viabilité économique du pays, les frontières du grand Liban sont le produit du rattachement des zones littorales musulmanes au Mont-Liban chrétien (et druze). D’entrée de jeu, un rôle particulier a été confié aux élites maronites par

Liban (1920-1939) » dans Nadine Méouchy (dir.), France, Syrie et Liban 1918 -1946. Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire, Presses de l’Ifpo, 2002, par. 27.

128 Kamal Salibi, A House of Many Mansions: The History of Lebanon Reconsidered, IB Tauris Publisher,

Londres, 1988: 90.

129 Éric Verdeil, Ghaleb Faour et Sébastien Velut, Atlas du Liban, Presses de l’IFPO, Beyrouth,

Liban, 2007.

130 Les Maronites sont catholiques de rite oriental. Même si l’église maronite est soumise au pape, elle est

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la puissance mandataire française dans la direction politique du Liban ; seul État chrétien de la région, ce qui soutiendra une vision d’exceptionnalisme de l’identité communautaire. Le groupe est étroitement associé au nationalisme libanais — dont c’est l’idéologie fonctionnelle selon Theodor Hanf —, en raison de son caractère social distinctif, et s’oppose donc à l’idéologie panarabe131. Les élites maronites se sont identifiées plus

hâtivement que les musulmans à l’État libanais132. Cette étroite association à l’État libanais

les amènera à rechercher le contrôle de celui-ci ; une doctrine connue comme le maronitisme politique, défini par Hussein Sirriyeh comme : « […] the drive by the maronite leadership, with the support of the majority of the maronite community, to exercise control over steering the course of Lebanon’s domestic politics and its foreign policy133. » Ce statut spécial est remis en question par les autres communautés politico-

religieuses ; en premier lieu, par les élites sunnites qui, avec l’appui de la France, demandent à exercer un rôle politique à la mesure du poids démographique de leur groupe. L’intégration de ces élites aux structures politiques est vitale pour le pays parce qu’elles occupent un rôle économique majeur dans les grandes cités côtières, en particulier Beyrouth134. Les accommodements politiques inter-communautaires qui se tissent pendant

cette période marquent profondément l’évolution des institutions politiques libanaises. En

131 Cf. Theodor Hanf, Coexistence in wartime Lebanon, Londres: Centre for Lebanese Studies, 1993 : 139. 132 Farid El-Khazen, The Breakdown of the State in Lebanon 1967-1976, Harvard University Press,

Cambridge, 2000: 83.

133 Cette doctrine influence grandement les préférences politiques des Maronites tout au long de

l’histoire selon Élisabeth Picard : « Au début des années 1970, des intellectuels maronites réclamaient la ‘sécularisation de l’État’, convaincus que leur communauté assurerait son hégémonie, non par la loi du nombre — les maronites n’étaient déjà plus la communauté la plus nombreuse —, mais en vertu de leur niveau de compétence. » « Les habits neufs du communautarisme libanais », Cultures & Conflits, no 15- 16, 1994. « Besides preserving a maronite privileged political (and, by implication, socioeconomic) position in the Lebanese system, the maronite leadership would like to see Lebanon maintaining its independence, preferably neutrality, in Arab affairs, without denying its Arab connections, and seeking closer association with the West, especially France, without joining alliances. This description is more applicable to the position of moderate maronites. The radical elements, which constitute a minority within the maronite community, would adhere to more extreme forms of the above position, besides emphasising the ethnic distinctiveness of the maronites from the Arabs, including other Lebanese communities, in view of the Aramaean-Phoenician origin of the maronites (so-called for being followers of the fifth century Syrian monk St Maron). » Hussein Sirriyeh, « Triumph or compromise: The decline of political Maronitism in Lebanon after the civil war », Civil Wars, vol. 1: no 4, 1998: 56-57. cf. Walid Phares, Lebanese Christian Nationalism: The Rise and Fall of an Ethnic Resistance, Lynne Rienner, Londres, 1995: 29-35.

134 Farid El-Khazen, The Communal Pact of National Identities: The Making and Politics of the 1943

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1943, c’est l’alliance entre des figures politiques de ces deux communautés (le président Béchara El-Khoury et le premier ministre Riad El-Sohl) qui rend possible l’indépendance du pays grâce au pacte national ; une entente non écrite sur la distribution inter- communautaire du pouvoir. Ce pacte politique signifie d’une part l’exclusion des extrémistes des deux communautés135 et d’autre part la victoire de l’une des deux

tendances qui ont traditionnellement polarisé les élites chrétiennes. Selon Theodor Hanf : The one, organized as the ‘national bloc’ under the leadership of Emile Eddé, perpetuated the pre-1920 scepticism about Greater Lebanon [and wanted] to prolong the mandate as long as possible. […] The other tendency, represented by the ‘Destour’ under Beshara al-Khoury, sought the full collaboration with the Muslims in the new state, which they wanted to erect on the solid foundations of a broad Muslim-Christian alliance [and] wanted early and full independence136.

Les opposants à l’arabisme, favorable à un petit Liban chrétien, doivent adapter leur système idéologique à la nouvelle réalité, mais les élites chrétiennes préserveront une forte tendance particulariste ; une partie d’entre elles épousera d’ailleurs une théorie des origines phéniciennes pendant la guerre civile. En effet, pendant la guerre, le mythe phénicien permet de marquer la distinction des Maronites par rapport aux populations arabo- musulmanes tout en prônant le rapprochement avec l’Occident137. Ainsi, l’histoire

politique de la communauté maronite depuis l’indépendance est une histoire de tiraillement entre une position de compromis avec les musulmans et une acceptation de l’identité arabe du pays et une adhésion au particularisme, soutenant un rapprochement avec l’Occident. Mis à part des occasions historiques singulières, la majorité des figures politiques vont néanmoins éviter les extrêmes.

Ces courants idéologiques au sein de la communauté maronite ont été soutenus au fil du temps par un ensemble d’élites dont les bases sociopolitiques de recrutement sont hétérogènes : le pouvoir traditionnel localisé ; les postes élus et les fonctions publiques, en particulier la présidence de la République et le commandement de l’armée ; et les partis

135 Michael Hudson, The Precarious Republic: Political Modernisation in Lebanon, Random House, New

York, 1985 (1969): 44.

136 Theodor Hanf, Coexistence in wartime Lebanon, Centre for Lebanese Studies, Londres, 1993: 169-170. 137 Rola El-Husseini, Pax Syriana: Elite Politcs in Postwar Lebanon, Syracuse University Press, New

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politiques organisés138. Ces derniers ont émergé dès la mise en place du grand Liban et du

mandat français139 — et l’ont parfois combattu —, en particulier les Phalanges chrétiennes

fondées en 1936, ou dans la foulée de la guerre civile. Il faut aussi ajouter à ce portrait une composante de diversité géographique, associée à des conditions socio-démographiques régionales particulières. Élisabeth Picard souligne la relation entre l’attitude politique et l’environnement social :

[…] the more an agglomeration is composed of a homogeneous community, the more the political choices of its Christian population tend towards a clear separation from the external environment. On the contrary, in places which have remained mixed, the methods for reaching political agreements vary and there is a wider range of attitude140.

Les populations maronites sont majoritaires dans certaines régions — dans le Mont-Liban, le Nord, du Kesrouan jusqu’à Zghorta — alors qu’elles sont en situation de mixité avec les populations chiites au sud et dans le Jbeil, et avec les populations druzes (Chouf ; Aley, Metn) ou des orthodoxes (Metn ; Koura)141. Éparpillées sur le territoire selon des schémas

très différents142, les autres communautés chrétiennes se sont parfois ralliées aux

Maronites, mais elles ont des attitudes politiques distinctes ; un courant de pensée chez les Grecs orthodoxes a, par exemple, été associé avec l’idéologie pan-syrianiste, sans doute parce que leur communauté est aussi présente dans le pays voisin143. La diversité des

138 Farid El-Khazen, The Breakdown of the State in Lebanon 1967-1976, Harvard University Press,

Cambridge, 2000: 51.

139 Farid El-Khazen, The Communal Pact of National Identities: The Making and Politics of the 1943

National Pact, Center for Lebanese Studies, Oxford, 1991: 24; 26.

140 Elisabeth Picard, « The Dynamics of the Lebanese Christians : From the Paradigm of ammiyyat to the

Paradigm of Hwayyek », dans Andrea Pacini, Christian Communities in the Arab Middle East, Clarendon Press, Oxford, 1998 : 204.

141 Éric Verdeil, Ghaleb Faour et Sébastien Velut, Atlas du Liban, Presses de l’IFPO, Beyrouth,

Liban, 2007: 49.

142 « Les Grecs-orthodoxes et les Grecs-catholiques sont le plus souvent en position minoritaire dans un

certain nombre d’implantations. Les orthodoxes comptent ainsi traditionnellement de fortes communautés dans les grandes villes littorales de Tripoli et Beyrouth. Dans l’espace rural, ils sont en situation de mixité dans le Metn et le Mont Liban central, ainsi que dans le sud-est du pays, dans la Békaa centrale et dans les plateaux du Akkar. Ils ne sont majoritaires que dans la Koura, au sud de Tripoli. Les Grecs-catholiques sont présents, minoritaires, dans les villes de Zahleh, Saïda et Tyr, et plus modestement à Beyrouth. Sinon, ils sont disséminés dans le sud du Mont Liban et dans la Békaa nord. Les deux communautés arméniennes, orthodoxe et catholique, sont concentrées à Beyrouth et dans sa banlieue est, ainsi que dans la Békaa centrale, leurs lieux d’implantation lors de leur arrivée d’Anatolie. Les autres communautés chrétiennes, dont les positions n’ont pas été cartographiées, se concentrent surtout à Beyrouth et dans le Mont Liban central ou la Békaa centrale. » Éric Verdeil, Ghaleb Faour et Sébastien Velut, Atlas du Liban, Presses de l’IFPO, Beyrouth, Liban, 2007 : 49.

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sources de recrutement des élites chrétiennes maronites en particulier va générer un système organisationnel communautaire très décentralisé et très diversifié en termes d’intérêts et de perspectives.

Carte I et II Répartition des groupes religieux au Liban (1983 et 2009)144

144 Cette carte a été diffusée par la CIA en 1983. Comme il est indiqué en note, elle ne prend pas en compte

les déplacements de population à la suite de l’invasion israélienne de 1982. Elle est très schématique, car les confessions étaient alors et sont toujours entremêlées, bien que la composition démographique de certaines régions ait changé. La carte suivante par Serguey Kondrashov, produite selon les données recueillies aux élections municipales de 2009, le montre assez bien. Aucune carte aussi détaillée n’existe pour la période précédente, à notre connaissance.

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Quant à elles, les populations sunnites sont réparties dans les grandes villes de la côte libanaise (de Saïda au Sud à Tripoli au Nord), et forment le groupe confessionnel le plus important de Beyrouth. Elles vivent aussi en milieu rural au nord, dans l’Akkar et le Dennieh, et sont majoritaires dans la Békaa Sud et l’Iklim al-Kharroub (nord-est de Saïda)145. Cette diversité géographique soutient une variété d’environnements politiques

et de postures différentes vis-à-vis de l’État. Tripoli, la seconde ville de l’État, est souvent taxée d’antiétatisme, et abrite à l’heure actuelle plusieurs groupes islamistes et radicaux sunnites. Cette ville (et le Nord) abrite aussi l’essentiel de la petite communauté alaouite du Liban. Le régionalisme est fort, car les élites traditionnelles sunnites continuent d’exercer une influence politique au niveau communautaire et libanais, tout en étant très

145 Éric Verdeil, Ghaleb Faour et Sébastien Velut, Atlas du Liban, Presses de l’Ifpo, Beyrouth,

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fragmentées entre les dynasties familiales de Tripoli, de la Bekaa et de Beyrouth, auxquelles s’ajouteront après la guerre civile les nouveaux milliardaires : Rafic Hariri et Najib Mikati en particulier. Ces élites d’origines variées qui entrent en concurrence pour les postes d’influence et la direction communautaire. Les élites religieuses jouent aussi un rôle dans la communauté ; par exemple, le mufti de la république, à la tête du Conseil islamique suprême (Dar al-Fatwa146), peut avoir une certaine influence sur les affaires

communautaires.

En somme, les élites musulmanes étaient initialement peu portées à soutenir le grand Liban, étant donné que cet État avait pour dessein de consacrer la domination de