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Une paix chaotique : une reconstruction politique soumise aux interdépendances transnationales : étude comparée des cas du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine

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Une paix chaotique

Une reconstruction politique soumise aux interdépendances transnationales : Étude comparée des cas du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine

Thèse

Kathia Légaré

Doctorat en science politique

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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Une paix chaotique

Une reconstruction politique soumise aux interdépendances transnationales : Étude comparée des cas du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine

Thèse

Kathia Légaré

Sous la direction de :

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Résumé

Une reconstruction politique soumise aux interdépendances transnationales : Étude comparée des cas du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine

Lorsque la victoire n’est à la portée d’aucun groupe et que la paix se fait par compromis les institutions politiques, les règles et les normes qui régissent l’autorité politique, deviennent les principaux enjeux des débats politiques. Cette thèse cherche à comprendre pourquoi la paix négociée est si chaotique. Elle démontre que la reconstruction politique suit un cycle enchainant des phases de blocage, de débat (transformation) et de crise (contestation). Ce processus est profondément influencé par l’importance des divisions sociopolitiques et la complexité de l’environnement international. Lorsque l’espace politique est fortement divisé et l’environnement international conflictuel, comme dans le cas du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine, ce cycle est accéléré par la multiplicité des connexions transnationales possibles. Ces deux processus de reconstruction ont initialement été bloqués, puis réactivés avec la formation de coalitions transnationales cherchant à renforcer l’État central. Ces initiatives ont connu des succès limités, mais elles ont donné lieu à des démarches de négociations multipartites inédites. Néanmoins, dans le cas du Liban comme dans celui de la Bosnie, le processus de réforme a rapidement cédé la place à une crise politique. Ce changement de climat politique s’explique par la difficulté de maintenir le dialogue politique lorsqu’il y a discordance parmi les acteurs étrangers, par le désengagement international et l’exercice de pressions pour atteindre certains objectifs sans avoir l’appui politique nécessaire. Cette dégradation des conditions de la coopération amène un rééquilibrage politique ainsi qu’un retour des idées radicales.

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iv

Abstract

A Messy Peace. A Political Reconstruction Subjected to Transnational Interdependence. A Comparative Case Study of Lebanon and Bosnia-and-Herzegovina When war ends with a settlement, political institutions, norms and rules defining authority, are the main topics of conflict. The aim of this thesis is to understand why in this context reconstruction is so messy. It demonstrates that political reconstruction follows a cycle which alternates between phases of status quo, debate (transformation), and crisis (contestation). This process is primarily influenced by the degree of societal division and of complexity of the international environment. When the political space is deeply divided and the international environment conflictual, as it is the cases of Lebanon and Bosnia-and-Herzegovina, the cycle speeds up because of the multiple possibilities of transnational connections. These two processes were at first frozen, and were reactivated a few years later by transnational coalitions. These coalitions promoted state-building reforms which succeeded in pushing reforms forward, and gave way to multilateral negotiations unseen since the end of the war. However, this transformative period soon gave rise to contestation that made way for a political crisis, followed by a return to a new status quo. This change in political climate can be best explained by the disengagement of interveners supporting state-building measures, and by external pressures to speed up reforms. It weakened pro-reform coalitions and supported the return to more radical political objectives.

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v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des cartes, figures et tableaux ... x

Liste des sigles les plus courants ... xi

Introduction ... 1

1. Une paix chaotique : sociologie politique de la paix négociée ... 7

1.1 Sans vainqueurs ni vaincus : le pari de la paix négociée ... 8

1.2 Objectifs de la recherche ... 10

1.3 Pourquoi la reconstruction est-elle si chaotique ? Lacunes des littératures ... 14

1.3.1 Les accords de paix ... 20

1.4 Conceptualisation et propositions théoriques ... 23

1.5 Une étude comparative de cas ... 32

1.5.1 Corpus, critique et traitement des sources ... 38

1.6 Les interactions sociales et la réinvention de l’État ... 42

1.6.1 La paix négociée dans les sociétés divisées : une structure politique singulière ... 47

1.7 La paix sous influence internationale ... 56

1.7.1 L’interdépendance transnationale ... 60

1.7.2 La structure internationale et les coalitions transnationales ... 62

2. Étude comparative du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine ... 65

2.1 Perspective historique et institutionnelle ... 65

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vi

2.3 Les répercussions sociopolitiques de la guerre ... 99

2.4 Les interventions étrangères ... 111

2.5 Un ordre politique d’après-guerre porteur de conflits ... 124

2.5.1 Les zones grises de la paix ... 130

2.5.2 Une reconstruction internationalisée ... 139

2.6 Synthèse et périodisation des reconstructions politiques ... 143

3. Le statu quo d’après-guerre ... 154

3.1 Les conditions intérieures et internationales de la paix de Taëf (1990-1999) ... 157

3.1.1 La nouvelle configuration des relations inter-libanaises ... 161

3.1.2 La consolidation de la paix syrienne ... 180

3.2 Les conditions intérieures et internationales de la paix de Dayton en Bosnie-Herzégovine (1995-1998) ... 198

3.2.1 La nouvelle configuration des relations inter-bosniennes ... 201

3.2.2 L’OTAN et la recherche d’une politique internationale ... 208

3.2.3 La crise politique du SDS et l’instauration d’un quasi-protectorat ... 211

3.2.4 La résistance du HDZ à la paix de Dayton ... 218

3.2.5 Le mécontentement des partis bosniaques ... 220

3.3 Modus operandi de la paix bloquée au Liban et en Bosnie-Herzégovine ... 224

4. Le rôle des coalitions transnationales dans le démarrage de la reconstruction ... 230

4.1 La fragilisation des arrangements politiques au Liban (2000-2004) ... 233

4.1.1 La rupture de la politique syrienne d’équilibrage ... 234

4.1.2 La fin de l’occupation israélienne ... 239

4.1.3 La contestation de la pax syriana ... 241

4.1.4 La remise en question de l’emprise syrienne et des armes du Hezbollah ... 249

(7)

vii

4.2.1 La Syrie inflexible : la prolongation du mandat présidentiel... 260

4.2.2 L’émergence d’une nouvelle coalition transnationale ... 263

4.3 L’intifada pour l’indépendance ... 267

4.3.1 Un renouveau de la concurrence politique ? Les élections de l’été 2005 ... 271

4.4 Le Liban après la tutelle syrienne : un effort de renforcement de l’État (2005-2006) . ... 274

4.4.1 L’alliance entre le Courant patriotique libre et le Hezbollah ... 280

4.4.2 Le Dialogue national et l’accord inter-libanais... 286

4.4.3 Les frappes d’Israël au Liban de l’été 2006 ... 290

4.5 Bosnie-Herzégovine : L’effritement des formations nationalistes (1998-2002) .... 300

4.5.1 Une reconfiguration politique contestée en Republique serbe ... 302

4.5.2 Rupture de Zagreb avec le HDZ et crise politique ... 309

4.5.3 L’Alliance démocratique pour le changement sort du chapeau international ... 316

4.5.4 Une réactivation des débats politiques ... 321

4.6 Une initiative de renforcement de l’État central (2003-2005) ... 327

4.6.1 Les négociations constitutionnelles ... 338

4.6.2 L’entente d’avril 2006 et son échec parlementaire ... 345

4.7 Le rôle des coalitions transnationales dans la transformation politique au Liban et en Bosnie-Herzégovine ... 348

5. Crise politique et statu quo modifié ... 354

5.1 L’escalade de la contestation et la polarisation au Liban (2007-2008) ... 355

5.1.1 La recomposition du front régional de la résistance et la rupture du dialogue national ... 360

5.1.2 L’amorce de la crise politique ... 362

(8)

viii

5.2 Rejouer les règles de la coexistence nationale : le gouvernement par le consensus ou

par la majorité ? ... 368

5.2.1 La crise de succession présidentielle ... 370

5.2.2 L’effritement de la coalition transnationale du 14 mars ... 373

5.2.3 L’épreuve de force : les affrontements armés inter-libanais... 378

5.3 L’accord de Doha : un retour à la case Taëf ? (2009- ) ... 381

5.3.1 Une régionalisation de la crise libanaise ... 385

5.3.2 Les élections nationales de juin 2009 ... 387

5.3.3 Normalisation et reprise des relations libano-syriennes ... 390

5.3.4 Un compromis politique conservateur ... 392

5.4 Dayton en crise : La contestation des acquis politiques (2006-2008) ... 395

5.4.1 Un renouveau nationaliste bosno-croate ... 407

5.4.2 Crise politique et contestation de la quasi-tutelle internationale ... 409

5.5 La Bosnie dans les limbes européens : un nouveau pacte conservateur (2009 —) 422 5.5.1 La sestorka conservatrice ... 425

5.6 Rupture du dialogue politique et crise politique ... 428

6. Conclusions générales : une reconstruction cyclique ... 432

6.1 La déroute du projet de renforcement de l’État ... 434

6.2 L’évolution des objectifs politiques communautaires : une constitution mutuelle de l’État et de la société ... 439

6.3 Un nouveau statu quo : bilan d’un cycle de reconstruction politique ... 446

6.4. Contributions théoriques et montée en généralité ... 451

Bibliographie générale ... 454

Articles et chapitres de livre ... 454

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ix

Bosnie-Herzégovine ... 469

Articles, chapitres de livre et notes de recherche ... 469

Articles de journaux et hebdomadaires cités (ordre chronologique) ... 478

Monographies ... 485

Documents officiels, entrées encyclopédiques, chronologies, entretiens et témoignages.. 487

Câbles diplomatiques (Wikileaks) ... 494

Liban ... 496

Articles, chapitres de livre et rapports de recherche ... 496

Articles de journaux et hebdomadaires cités (ordre chronologique) ... 506

Documents officiels, entrées encyclopédiques, chronologies, entretiens et témoignages.. 515

Câbles diplomatiques (Wikileaks) ... 521

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x

Liste des cartes, figures et tableaux

Figure I Cycle de reconstruction politique………...28

Cartes I & II Répartition des groupes religieux au Liban (1983 et 2009)………...72-73 Carte III Les divisions internes au Liban à la fin des années 1980………...…91

Carte IV&V Composition ethnique avant et après le conflit armé en Bosnie.………...…109

Tableau I Répartition des sièges selon la confession et la communauté au Liban……....….127

Carte VI Découpage de la République de Bosnie-et-Herzégovine………..…128

Tableau II Périodes de la reconstruction politique du Liban (1990-2010)………….……….143

Tableau III Périodes de la reconstruction politique en Bosnie-Herzégovine (1995-2010)…...149

Tableau IV Les hauts représentants depuis 1995…………...……….………...201

Figure II Décisions unilatérales du HR (1997 à 2009)………...….…..332

Tableau V Résultats électoraux au Liban (juin 2009)………...……....…...390

Figure III Une reconstruction cyclique………...……...……....432

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xi

Liste des sigles les plus courants

ARBiH Armée de la République de Bosnie-et-Herzégovine constituée pendant la guerre

CPL Courant patriotique libre ; parti politique dirigé Michel Aoun FBiH Fédération de Bosnie-et-Herzégovine

HDZ BiH Communauté démocratique croate de Bosnie-et-Herzégovine

HDZ 1990 Communauté démocratique croate 1990 ; Parti croate issu d’une scission du HDZ)

HR Haut représentant en Bosnie-Herzégovine ; nommé par le Comité de mise en œuvre de la paix

HVO Conseil de Défense croate ; milice armée constituée pendant la guerre; bras armé du HDZ

IFOR Force de mise en œuvre de l’OTAN (1995-1996) FL Forces libanaises ; milice libanaise chrétienne NHI Nouvelle initiative croate

PDP Parti du progrès démocratique (bosno-serbe)

PIC Comité de mise en œuvre de la paix en Bosnie-Herzégovine (acronyme anglais)

PSP Parti socialiste progressiste ; à dominante druze dirigé par les Joumblatt

RFY (FRY) République fédérale de Yougoslavie RS Republika Srpska (République serbe)

SBiH Parti pour la Bosnie-et-Herzégovine (bosniaque) SDA Parti de l’action démocratique (bosniaque)

SDP Parti social-démocrate ; issu de la Ligue des communistes de Bosnie-Herzégovine

SDS Parti démocratique serbe

SFOR Force de stabilisation de l’OTAN (1997-2005)

Sloga Coalition politique des forces modérées SNSD, SNS, SPRS en République serbe

SNS Alliance nationale serbe

SNSD Alliance des sociaux-démocrates indépendants (bosno-serbe) SPRS Parti socialiste de la République serbe

SRS Parti radical de la République serbe

TPIY Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie TSL Tribunal spécial pour le Liban

VRS Armée constituée par les Serbes de Bosnie pendant la guerre ; bras armé du SDS

(12)

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Notes

1. Plutôt que de retranscrire les caractères particuliers des langues nationales – en l’occurrence le serbe/croate/bosniaque et l’arabe, il a été choisi d’employer les translittérations les plus courantes. L’usage des signes spéciaux a bien entendu été préservé dans les citations.

2. L’adjectif « bosnien » est employé pour faire référence à la société de Bosnie-Herzégovine dans son ensemble et l’adjectif « bosniaque » pour qualifier la communauté musulmane de Bosnie-Herzégovine.

3. Cette thèse emploie le terme « transnational » de manière large pour qualifier les relations entre des acteurs politiques externes — organisations de la société civile, entités militaires, membres du gouvernement, etc. — et acteurs internes — en particulier, les organisations, groupes d’élites ou personnalités communautaires.

(13)

1

Introduction

« On déroule souvent l’histoire des sciences comme un boulevard qui mènerait droit de l’ignorance à la vérité, mais c’est faux. C’est un lacis de voies sans issue où la pensée se fourvoie et s’empêtre. Une compilation d’échecs lamentables et parfois rigolos. Elle est comparable en cela à l’histoire des débuts de l’aviation. Eux-mêmes contemporains des débuts du cinéma. De ces films saccadés en noir et blanc où l’on voit se briser du bois et se déchirer de la toile. Des rêveurs icariens harnachés d’ailes en tutu courent les bras écartés comme des ballerines vers le bord d’une falaise, se jettent dans le vide et tombent comme des cailloux s’écrasent en bas sur la grève. »

— Patrick Deville, 20121

La reconstruction politique à la suite d’un conflit interne violent est un processus complexe auquel ne se sont qu’assez récemment intéressés les chercheurs universitaires. Préoccupées par la récurrence des conflits violents et leurs conséquences sur le développement humain ainsi que sur la paix et la stabilité internationales, les recherches se penchent principalement sur les conditions nécessaires à la transition de l’instabilité à la paix ; généralement associée à la consolidation de la démocratie et au renforcement de l’État. Dans les dernières années, une grande attention a été accordée aux arrangements institutionnels mis en place pour rétablir le dialogue politique. Toutefois, bien que les études de cas particuliers soient assez nombreuses, peu d’efforts ont été investis dans l’étude de la sociologie politique de la paix négociée et de ses régularités.

Lorsque la victoire n’est à la portée d’aucun, la paix est chaotique, à l’image de la guerre. L’idée de chaos est associée à la confusion, à la désorganisation, mais elle renvoie aussi à une phase qui précède la redéfinition d’un ordre, dans ce cas-ci à une réorganisation des activités publiques, d’une vie commune. Lorsqu’aucune hiérarchie ne peut s’imposer ; l’ordre politique ne peut être érigé par le vainqueur au détriment du vaincu. La période de sortie de guerre civile est généralement marquée par des épisodes d’affrontements et de stagnation qui laissent l’impression de désaccords insolubles entre les parties. Le conflit entourant la définition des paramètres de l’organisation politique se reproduirait ainsi sans générer d’éléments de stabilité de l’ordre politique. Ce casse-tête de la reconstruction de

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2

l’État est loin d’avoir été résolu ; la perpétuation de l’instabilité après la signature de la paix, les circonstances dans lesquelles le développement politique opère (ou n’opère pas) sont des problèmes encore assez mal compris.

Selon certains, la source de cette incertitude politique se trouve dans une incompatibilité fondamentale entre les groupes confinés à un même espace politique en raison d’une définition ethno-nationale ou identitaire qui caractérise aujourd’hui un grand nombre de conflits intra-étatiques. L’inexistence d’un consensus social, prétendument inhérent à une communauté unifiée en raison du partage de traits ethnoculturels, sur lequel faire reposer l’État serait au fondement de la perpétuation des tensions entourant la définition du cadre politique. En réalité, l’examen des conflits internes révèle que le désaccord fondamental sur l’organisation sociopolitique n’est pas exclusif aux sociétés plurinationales et l’observation des fluctuations des attitudes politiques révèle un réel potentiel de transformation : les objectifs politiques des organisations communautaires évoluant substantiellement à travers le temps. Selon une autre interprétation qui préoccupe la majorité des recherches actuelles, l’instabilité serait perpétuée par l’inadéquation des mécanismes institutionnels (électoraux, constitutionnels, etc.) mis en place par les accords de paix pour gérer les conflits entre les groupes. La transformation des institutions serait ainsi une condition préalable à la reconstruction. À l’heure actuelle perçue comme une solution temporaire, la formule de partage des pouvoirs entre groupes rivaux est remise en cause parce qu’elle reproduirait la logique de conflit et hypothèquerait la paix à long terme. Pourtant, si les mécanismes institutionnels ont un certain impact sur la dynamique politique, ils sont très souvent l’objet des tractations politiques plutôt qu’en être le déterminant. En d’autres termes, le fonctionnement des institutions de partage de pouvoir est tributaire des arrangements informels conclus entre les principales formations sociopolitiques. Car les organes politiques nouvellement recréés n’ont initialement pas d’autonomie et n’ont, par conséquent, que peu d’effets sur les relations politiques, étant donné la prééminence d’une structuration informelle du pouvoir amené par l’effondrement de l’État. Par conséquent, l’évolution du processus de reconstruction ne peut être principalement attribuable à l’architecture institutionnelle de la paix. L’analyse doit plutôt

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3

se situer au niveau des interrelations informelles ou semi-formelles qui transcendent

le cadre national.

Qui plus est, si ces interprétations sont utiles pour comprendre certains aspects du problème, elles ne fournissent pas un cadre d’analyse capable d’interpréter le caractère chaotique de la reconstruction. Les conflits internes violents amènent la destruction des institutions publiques et la capture de l’appareil étatique par des forces sociopolitiques qui forment une structure informelle de distribution de l’autorité et des capacités militaires, économiques et politiques, en particulier lorsqu’il s’agit de groupes se définissant par une appartenance identitaire. Dans le contexte sociopolitique particulier des sociétés divisées, les groupes ou communautés forment des sous-systèmes d’organisations, associés à des projets politiques plus ou moins cohérents. Dans l’après-guerre, ces acteurs s’affrontent afin d’orienter la mise en œuvre des accords et de définir les paramètres de l’exercice de l’autorité politique. Les communautés se transforment aussi en fonction des débats internes et de l’évolution du contexte politique intérieur et extérieur.

La reconstruction politique est conceptualisée dans cette thèse comme un processus transitionnel interactif de redéfinition de l’ordre politique dépassant la mise en œuvre des accords de paix marqué par une continuation de la confrontation par d’autres moyens. La direction de ce processus est incertaine, notamment parce que dans l’environnement international contemporain les pressions du système international appuient le développement de l’État et la centralisation des fonctions régaliennes, mais des influences contradictoires s’exercent également. C’est à travers les luttes politiques que sont établies les règles communes définissant les conditions de l’exercice de l’autorité politique ; par conséquent, dans ce contexte, ce n’est pas l’État qui fait la société ou la nation qui fait l’État, mais ils se constituent mutuellement. Cette thèse soutient plus précisément que la reconstruction politique suit un cycle enchainant des phases de

blocage, de débat (transformation) et de crise (contestation). Ce processus est en

premier lieu influencé par l’importance de la division sociopolitique et la complexité de

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4

Cette thèse s’intéresse plus particulièrement à une catégorie particulière de cas où la société est fortement divisée selon un clivage identitaire. Dans ce contexte, le cycle de

reconstruction est en quelque sorte accéléré, car il se reproduit au rythme des opportunités politiques de mobilisation offertes aux acteurs. Le blocage est probable

dans la période qui suit immédiatement la guerre, alors que les formations sociopolitiques sont en transition, qu’elles investissent les institutions politiques et cherchent à convertir leurs réseaux de pouvoir aux conditions de paix. Pour y parvenir, elles concluent des arrangements informels qui neutralisent les structures politiques formelles (proposition

no 1). La situation peut se transformer avec l’affaiblissement des réseaux financiers,

sociaux et politiques tissés durant le conflit et avec l’évolution de l’environnement international. Une situation de reconstruction gelée crée aussi l’insatisfaction de certains groupes, parfois du seul fait qu’un arrangement temporaire se pérennise. Les organisations sociopolitiques se transforment, évoluent à travers le processus de normalisation politique, car celui-ci renforce la nécessité de renégocier les arrangements politiques et de régler les débats résiduels (proposition no 2). Une dynamique transformatrice est susceptible d’émerger avec la formation d’une coalition transnationale porteuse d’un projet de transformation étatique qui bouscule l’équilibre des forces (proposition no 3). Cette phase peut se prolonger plusieurs mois et elle permet d’engager des réformes ainsi qu’un dialogue multipartite. Le passage à la contestation et à la crise politique survient lorsque la coalition transnationale s’affaiblit et que les opposants aux initiatives politiques parviennent à organiser leurs forces et à trouver des appuis internationaux suffisants (proposition no 4). Cette crise se prolonge jusqu’à l’émergence d’un nouvel arrangement qui permet un retour au statu quo modifié (proposition no 5).

Ces propositions théoriques sont vérifiées par l’étude des cas de la reconstruction du Liban (1990-2010) et la Bosnie-et-Herzégovine (1995-2010). La stratégie de démonstration consiste aussi à comparer les cas entre eux afin de renforcer les conclusions en relevant les différences et les points communs. Elle compare dans le temps les différentes périodes de reconstruction tout comme elle compare dans l’espace, en mettant en rapport les trajectoires de ces deux sociétés. Il s’agit donc d’une étude comparative de

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5

cas ; une méthodologie combinant l’étude de cas et la comparaison entre les cas permettant de renforcer les observations théoriques.

Cette thèse propose ainsi une approche théorique qui contraste à la fois avec les études institutionnalistes de la consolidation de la paix et avec les critiques du modèle libéral de reconstruction. Elle adopte le point de vue de la formation étatique, et s’intéresse particulièrement à la transformation de l’ordre politique après la signature d’un accord de paix. Elle apporte, en premier lieu, une contribution théorique notable dans la compréhension de la formation contemporaine des États à travers une analyse fine des structures formelles et informelles de pouvoir. En second lieu, elle fournit des outils conceptuels et théoriques très utiles dans l’étude des interrelations entre les acteurs sociopolitiques et les acteurs extérieurs, en particulier grâce au concept de « coalition transnationale » qui permet de retracer des interactions complexes rarement prises en compte. La thèse peut ainsi évaluer l’impact relatif des interventions sur le processus de reconstruction.

Cette thèse ayant des prétentions théoriques, il est nécessaire de consacrer les premiers chapitres à explorer le phénomène concerné et à poser le problème de la reconstruction politique après un accord de paix. À travers une exploration des littératures pertinentes, il s’agit, à l’intérieur du premier chapitre, de constater les lacunes des littératures pertinentes et de comprendre les répercussions d’un conflit civil violent sur l’organisation politique ainsi que leurs implications pour la reconstruction. Cette construction du problème de la reconstruction après une guerre civile permet d’introduire le cadre de recherche. Les propositions théoriques sont ensuite présentées, tout comme les outils méthodologiques ainsi que les sources de données utilisées. Le chapitre propose aussi un fondement théorique inspiré de l’approche de l’État dans la société et explore les mécanismes d’interaction entre l’environnement interne et externe, et introduit l’idée d’interdépendance transnationale. Le second chapitre offre une analyse comparative présentant les similarités et les différences du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine quant à leur histoire sociopolitique, le déroulement des guerres civiles, de leurs causes internes et externes. Il étudie par ailleurs les conséquences sociopolitiques des violences politiques

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6

en reprenant très succinctement certaines idées d’une littérature assez récente sur les dynamiques du pouvoir. L’analyse est aussi faite des différentes interventions internationales ayant eu lieu pendant le conflit armé. Le chapitre présente par la suite les accords de paix et leurs zones grises, et présente les diverses implications d’une reconstruction internationalisée. Le second chapitre se conclut sur une synthèse et une périodisation des processus étudiés. Les trois chapitres suivants (chapitre 3, 4 et 5) sont consacrés aux études de cas, qui sont subdivisées en grandes périodes : le troisième chapitre étudie le statu quo initial d’après-guerre ; le quatrième chapitre analyse l’effritement de ce statu quo, l’amorce d’une transition et les initiatives de renforcement étatique qui suivent ; le cinquième chapitre est consacré à la crise politique qui suit et à la recherche d’un nouveau statu quo. Chacun des chapitres se conclut par une synthèse analytique comparative. Finalement, le sixième chapitre met fin à la thèse en reprenant les conclusions des études de cas.

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1.

Une paix chaotique : sociologie politique de la paix négociée

« Order in social life is desirable. » – Hedley Bull, 20022

« […] the sense of exhaustion in Northern Ireland is a self-perpetuating time bomb. This is not just petty political squabbling. Peace — especially at the delicate age of 16 — can have an ego. It can turn off its calculating mind and fall into the dark pit of being satisfied with itself. Forging a continuing peace process means understanding that there are always going to be several viable truths. The peacemaker […] must show the tenacity of a fanatic. »

— Colum McCann, 20143

Les paix ne sont pas toutes égales. Lorsque la victoire n’est à la portée d’aucun, la paix

est chaotique, à l’image de la guerre. L’idée de chaos est associée à la confusion, à la

désorganisation ; elle renvoie aussi à une phase qui précède la redéfinition d’un ordre, dans ce cas-ci à une réorganisation des activités publiques, d’une vie politique commune. Lorsqu’aucune hiérarchie ne peut s’imposer, l’ordre politique ne peut être érigé par le vainqueur au détriment du vaincu. Les combats armés deviennent des joutes politiques dont les institutions sont les enjeux et la reconstruction le résultat de l’entrechoquement des projets politiques, qui s’affrontent et se transforment. Dans cette dynamique de conflit et de coopération, il semble que les liens avec l’environnement international font souvent pencher la balance ; accentuant parfois les tensions, permettant parfois des compromis. Cette thèse cherche à identifier les mécanismes à la base de la reconstruction politique après une guerre civile, en s’attardant plus spécifiquement au rôle joué par les connexions transnationales. Elle attribue aux mécanismes institutionnels une influence limitée au profit d’une analyse plus poussée des aspects informels des interrelations entre les acteurs à deux niveaux : national et international. Ainsi, il faut prendre en compte l’interdépendance transnationale, générée par la recherche réciproque de partenaires pour influencer le jeu politique. Elle aide à mieux comprendre l’alternance de trois différentes dynamiques — bloquée, transformatrice ou contestée — qui caractérisent la reconstruction.

2 Hedley Bull, The Anarchical Society, Columbia University Press, New York, 2002: 93. 3 « Ireland’s Troubled Peace », The New York Times (online), 15 mai 2014.

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8

Avant de présenter le cadre d’analyse théorique, il convient tout d’abord de poser

le problème de la reconstruction dans le contexte particulier d’une paix négociée. Ce

premier chapitre introduit les principales propositions théoriques à la base de l’approche théorique proposée dans cette thèse. La seconde partie du chapitre offre une définition originale de la reconstruction politique après un conflit interne violent et détaille le cadre d’analyse théorique qui s’inspire de l’approche de l’État dans la société (state in society) selon laquelle l’État et la société se constituent mutuellement. Ce choix est motivé par les caractéristiques du système de pouvoir étudié ici et permet de comprendre l’évolution des relations sociopolitiques. Ce positionnement théorique explique aussi le vocabulaire choisi : il est question de forces, d’acteurs et d’organisations sociopolitiques pour souligner la confusion entre la société et l’État. La singularité de l’environnement politique étudié décrit dans les prochaines pages exige une approche spécifique qui emprunte à différents champs de la science politique.

1.1 Sans vainqueurs ni vaincus : le pari de la paix négociée

À l’heure actuelle, et depuis la fin de la guerre froide, la paix négociée est de plus en plus souvent l’issue des conflits violents : entre 1989 et 2005, le tiers des conflits armés ont donné lieu à la signature d’accords de paix4. Comme le soulignait déjà Timothy D. Sisk

en 2001, le contraste avec la période précédente est frappant. Il peut être attribué au changement de nature des conflits, qui sont de plus en plus souvent des conflits armés intra-étatiques dont le principal clivage est identitaire5. L’intervention plus fréquente de

tierces parties, autorisée par les transformations du système international d’après-guerre froide, offre une piste d’explication complémentaire. L’augmentation marquée des événements de violence à l’intérieur des États au début des années 1990 s’est en effet accompagnée du déploiement d’importants moyens diplomatiques (médiation, négociation, etc.) et d’opérations de paix comme jamais auparavant.

4 Lotta Harbom, Stina Högbladh et Peter Wallensteen, « Armed Conflict and Peace Agreements », Journal

of Peace Research, vol. 43, no. 5, 2006: 617.

5 Timothy Sisk, Peacemaking in Civil Wars: Obstacles, Options, and Opportunities, Joan B. Kroc Institute

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9

Le scénario d’une transition négociée n’est pas le moins complexe : il pose des défis importants quant à la durabilité de la paix et la stabilité à long terme. Ce sont des paix prometteuses, mais risquées : les chances qu’il y ait une reprise du conflit violent sont plus élevées que dans le cas d’une victoire militaire, bien que les statistiques tendent à évoluer6.

Néanmoins, la paix négociée demeure difficile parce qu’elle ne satisfait complètement aucune des parties, et ne met donc pas fin aux désaccords politiques des acteurs. La réalisation de la paix devient ainsi le nouveau cheval de bataille, et l’atteinte de la stabilité à long terme repose sur la capacité des parties à dépasser l’entente minimale sur laquelle repose initialement la paix, à rendre ce compromis fonctionnel.

Au fondement des débats sur la reconstruction politique après un conflit civil violent se trouvent différentes conceptions de l’ordre politique, qui sont soutenues par le développement d’institutions de guerre. La période de sortie de conflit est généralement marquée par des épisodes d’affrontements et de stagnation qui laissent l’impression de désaccords insolubles entre les parties. Le conflit entourant la définition des paramètres de l’organisation politique se reproduirait ainsi sans générer d’éléments de stabilité de l’ordre politique. Le casse-tête de la reconstruction politique est loin d’avoir été résolu, car peu de consensus existent aujourd’hui sur les causes de l’instabilité qui se perpétue lorsque la paix est signée, mais surtout sur les façons dont le développement politique opère (ou n’opère pas) dans ce genre de contexte. Pour cerner le problème, il faut d’abord explorer les effets du conflit armé sur l’organisation sociopolitique pour ainsi poser plus précisément le problème de la reconstruction.

Dans ces circonstances, si les violences à grande échelle ont cessé, le conflit entourant l’organisation politique n’est bien souvent pas réglé. Les tractations se déroulent entre les parties en conflit qui cherchent à convertir leur puissance militaire en influence politique et à maintenir leurs sources de financement et leurs réseaux de clientélisme. En

6 Selon les données du Uppsala Conflict Data Program, analysées par Human Security Report. Cf. Joakim

Kreutz, « How and when armed conflicts end: Introducing the UCDP Conflict Termination dataset », Journal of Peace Research, vol. 47, 2010: 243-250.

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10

effet, les conflits internes violents amènent la montée d’acteurs alternatifs en lieu de l’État, qui structurent toujours l’espace politique après la fin des affrontements armés. La guerre civile fait éclater l’espace politique et donne naissance à une variété d’ordres politiques, alors que les parties du conflit dominent des portions du territoire et de la population et organisent les relations économiques, politiques et sociales qui sont établies et maintenues par le recours à la violence7. Cette fragmentation de l’espace politique, social et

économique a une influence certaine sur la conduite de la reconstruction. Un conflit armé au cours duquel l’ordre politique a été violemment remis en question ouvre une période d’incertitude politique, car il ne laisse pas place à une trajectoire définitive de transition ; la destruction des institutions communes ouvre en fait une période d’ambivalence au cours de laquelle s’entrechoquent les projets politiques. L’après-guerre offre ainsi une opportunité de changement politique.

1.2 Objectifs de la recherche

« Taking peace seriously should not be confused with pacifism. […] we would need to radically improve our understanding of peace and how to practically achieve it. Quality analysis and established best practices are available—but they pale in comparison with what is available in the arena of hard power. Within the policy community, we would have to do some cultural heavy-lifting, because conflict resolution and post-conflict reconstruction still tend to be viewed […] as too soft and peripheral to sit at the grown-up table. » — David Rothkopf et Kristin Lord8

Cette thèse cherche à comprendre la paix chaotique, dont la direction est incertaine et la trajectoire irrégulière. Pourquoi est-il si fastidieux de faire fonctionner les institutions politiques ? Comment un ordre politique s’institutionnalise-t-il ? Quels sont les impacts des interventions étrangères sur la transition politique ? Le conflit n’ayant pas été résolu par la guerre, les parties sont ramenées à leurs dilemmes et désaccords. La dynamique fondamentale de la reconstruction d’après-guerre est donc la redéfinition de l’ordre

7 Stathis N. Kalyvas, Ian Shapiro et Takek Masoud, « Introduction: integrating the study of order, conflict,

and violence », dans S. N. Kalyvas, I. Shapiro et T. Masoud (dir.), Order, Conflict, and Violence, Cambridge University Press, Cambridge, 2008: 1.

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11

politique liée au contexte de la paix négociée. La description précédente du problème amène à constater que la reconstruction après une paix négociée est un phénomène politique singulier qui dépasse la mise en œuvre des accords de paix : il s’agit d’un processus de transition à haut risque au cours duquel les anciennes parties en conflit et les structures établies pendant la guerre sont intégrées à un même espace politique. Sur la base des dispositions négociées à la fin de la guerre, les acteurs négocient les règles politiques qui gèrent leurs relations, principalement en dehors du cadre formel. Cette thèse veut montrer ce processus et identifier les principaux mécanismes relationnels à l’œuvre. Ultimement, cette recherche est l’une des étapes pour mieux comprendre la normalisation des processus politiques après la fin des violences à grande échelle. La reconstruction apparait inégale, graduelle et cumulative des expériences politiques, il ne semble donc pas opportun d’en identifier un point final.

Ces constatations rejoignent celles des études sur la consolidation de la paix : les accords de paix initiaux doivent être dépassés, car ils constituent des compromis dysfonctionnels à long terme. Pourtant, selon le point de vue adopté par cette thèse, et contrairement aux études libérales du sujet, les mécanismes de partage de pouvoir n’expliquent pas les ratés des paix négociées, car ils sont les otages du jeu politique. (C’est d’ailleurs pourquoi les études de l’efficacité des systèmes de partage de pouvoir ne trouvent pas d’explications convergentes.) Le blocage des institutions politiques est en grande partie la conséquence des relations entre les organisations politiques en dehors de celles-ci parce qu’elles sont en fait l’enjeu de leurs affrontements. Au-delà de ce qui est souhaitable aux vues des politiques et des chercheurs, il apparait que les accords de paix reposent sur des ambiguïtés et des questions irrésolues qui rendent inévitables la reprise des négociations : c’est donc une caractéristique intrinsèque de la paix négociée. Par conséquent, afin de comprendre la paix chaotique, il est insuffisant d’étudier les mécanismes institutionnels ; il est plutôt nécessaire de consacrer l’essentiel de l’analyse aux arrangements qui se concluent en dehors du cadre institutionnel : comprendre ces interrelations politiques sous-jacentes et leur évolution, c’est comprendre la reconstruction. En somme, afin de parvenir à révéler les forces qui la propulsent, il est

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12

ainsi nécessaire de mettre en lumière un cadre politique structuré par des interrelations politiques qui transcendent l’espace national.

Cette thèse propose ainsi un cadre d’analyse d’interprétation théorique, c’est-à-dire une approche théorique de laquelle sont tirées des propositions dont l’étude des manifestations empiriques doit aider à comprendre le déroulement de la reconstruction. Il ne s’agit donc pas d’une étude sur la consolidation de la paix ; programme libéral proposé par l’ONU pour reconstruire les États après une guerre interne. En fait, la littérature sur le sujet est inévitable et cette thèse la met à profit avec discernement. Pourtant, elle est souvent si préoccupée par le perfectionnement d’un programme d’intervention qu’elle ne prend pas toujours la peine de s’attarder aux réalités politiques de la situation qu’elle cherche à changer ; une lacune que cette thèse espère combler en partie et qui explique certains choix conceptuels, théoriques et méthodologiques. Néanmoins, plusieurs analyses d’orientation libérale indiquent une évolution intéressante de cette littérature, par exemple l’ouvrage dirigé par Roland Paris et Thomas Sisk : Managing Contradictions: The

Inherent Dilemmas of Postwar Statebuilding. Plusieurs auteurs ont en effet compris

l’impact persistant des structures informelles de pouvoir après la guerre ainsi que l’importance d’une assise locale au changement politique, mais ils ne parviennent pas à intégrer ces éléments efficacement à leur analyse. Ainsi, le chapitre de Michael Barnett et Christoph Zuercher (« The Peacebuilder's Contract: How External State-building Reinforces Weak Statehood ») propose une explication intéressante des limites politiques de la consolidation de la paix, souligne la préférence des acteurs étrangers pour le statu quo et l’importance fondamentale de leur relation avec les acteurs locaux. Néanmoins, leur approche du problème est rigide, et ne permet pas d’apprécier les différentes implications politiques des interactions transnationales. Jens Narten s’est aussi intéressé aux implications politiques des interactions entre les acteurs locaux et internationaux, mais il limite l’analyse à l’appropriation locale (« local ownership »)9.

9 Cf. « Post-Conflict Peacebuilding and Local Ownership: Dynamics of External-Local Interaction in

Kosovo under United Nations Administration », Journal of Intervention and Statebuilding, vol. 2, no 3, 2008: 369-390.

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13

Constatant des carences similaires, les études critiques de la consolidation de la paix ont évolué dans une direction similaire et susceptible d’établir des ponts entre les deux courants d’idées. Certains auteurs ont cherché à sophistiquer leur analyse en reprenant l’idée « de paix hybride » aux études postcoloniales, en particulier Roger Mac Ginty. Celui-ci fait une série de constatations utiles et pertinentes qui l’amènent à définir cette paix hybride comme : « a result of a series of distortions and reminds us of the lack of autonomy on the part of actors in peacemaking contexts10. » Il comprend donc la centralité

de l’interaction entre les deux groupes d’acteurs ainsi que les limites de leurs actions, mais il sous-estime les relations de coopération entre ceux-ci en centrant l’analyse sur les démonstrations de rejet de la paix libérale. Les études critiques accordent en effet une importance disproportionnée à ces aspects du processus politique, qui, bien que très importants, ne prennent pas en compte la complexité des relations transnationales. Qui plus est, l’approche de l’hybridité nous informe très peu sur la façon dont cette « paix hybride » se construit.

Ces littératures assez récentes comportent plusieurs carences laissant croire qu’elles ne sont pas en mesure de satisfaire les objectifs de cette recherche. Cette thèse fait le choix de se situer dans l’analyse sociopolitique de l’État, parce qu’elle a comme premier but d’étudier les transformations de l’ordre politique d’après-guerre et qu’elle place au centre de l’analyse le jeu des coalitions et alliances politiques internes et son effet sur le processus politique. Ainsi, elle se concentre sur l'étude de la formation étatique et prend en compte les variations importantes de la qualité des interrelations entre les intervenants internationaux et les acteurs sociopolitiques, allant de la coopération à la confrontation, et qui transcende ces catégories d’acteurs, ce qui n’a été fait que très partiellement dans la littérature.

L’apport de cette thèse est à la fois théorique et conceptuel : cette recherche ne confond la reconstruction ni avec la notion de stabilisation — la cessation de la violence

10 « Hybrid Peace: The Interaction Between Top-Down and Bottom-Up Peace », Security Dialogue, Vol. 41,

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14

armée — ni avec celle de stabilité politique — l’absence de crises et de conflit — ni celle de démocratie. Comme il est expliqué plus loin, la reconstruction est une période au cours de laquelle se manifestent de fortes tensions politiques souvent accompagnées de crises politiques parce qu’elle comporte des affrontements entre différentes visions politiques, et cette instabilité ne doit pas être toujours comprise comme l’indice de l’échec du processus. Il n’est pas non plus toujours utile d’évaluer le processus en fonction du niveau démocratique : pour évaluer le progrès de la reconstruction, il faut plutôt évaluer de manière relative la capacité des groupes à vivre ensemble, c’est-à-dire à fixer des règles politiques communes ; il s’agit donc d’une recherche de normalisation des relations politiques par la négociation de compromis.

1.3 Pourquoi la reconstruction est-elle si chaotique ? Lacunes des littératures

Deux grandes explications des ratés de la reconstruction politique coexistent dans la littérature. Selon la première, le développement politique est entravé par l’absence des conditions objectives nécessaires. Dans le cas de conflits armés à dominante identitaire, certains auteurs estiment qu’il y a entre les groupes une incompatibilité politique fondamentale qui requiert la partition ; et d’autres analystes que les pressions du système international entravent la centralisation du pouvoir politique et militaire, et font obstacle à l’émergence d’États cohérents. La seconde explication se concentre sur les institutions politiques et les mécanismes électoraux, qui doivent être ajustés afin de soutenir le compromis politique. Une critique plus précise peut être faite de ces approches, mais ce qu’elles ont en commun est d’éluder un aspect fondamental du problème de la reconstruction : celui des institutions de guerre. Comme il sera approfondi plus loin, celles-ci jouent un rôle fondamental dans l’apparence d’incompatibilité entre les groupes ; elles perturbent aussi le fonctionnement des mécanismes institutionnels d’après-guerre. Il faut donc tout d’abord explorer les objectifs de la violence politique des guerres civiles contemporaines, ce qui amène à constater les répercussions sur les arrangements sociopolitiques.

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15

Les guerres civiles contemporaines cherchent à transformer les relations sociales et politiques en détruisant complètement ou partiellement l’État. La violence est donc politique et stratégique ; elle est à la fois destructrice et créatrice. Les organisations sociopolitiques développent leurs propres institutions et réseaux transnationaux afin de les substituer à l’État ou pour pallier son effondrement. Il ne s’agit donc pas d’une simple défaillance étatique ou de violences criminelles11, mais d’une lutte pour la reconfiguration

de l’autorité politique12. En effet, la violence entre des groupes révèle souvent des

stratégies visant à structurer et à modifier l’ordre social et politique13. Si les guerres civiles

contemporaines s’inscrivent en effet dans une transnationalisation accrue des échanges et que les groupes en conflit s’insèrent dans une économie globalisée, la dynamique de la violence ne correspond pas moins à une logique politique complexe à laquelle des éléments criminels se greffent. Pour reprendre Waterman : « Civil wars are occurrences of collective action that have direct constitutional stakes, are highly mobilized and sustained and employ organized violence14

La relation entre guerre et destruction/construction de l’État est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît15. Elle a très certainement des effets variables sur le

11 I. W. Zartman décrit l’effondrement étatique comme: « […] a situation where the structure, the authority

(legitimate power), law, and political order have fallen apart and must be reconstituted in some form, old or new »« Introduction: Posing the Problem of State Collapse », dans I. W. Zartman (dir.), Collapsed States: The Disintegration and Restoration of Legitimate Authority, Lynne Rienner Publishers, Boulder, Colorado, 1995: 1-11.

12 Les nouvelles guerres serait un mélange de guerre, de crime organisé, de violations massives des droits

de la personne ; une forme de violence n’étant plus liée au développement politique, mais plutôt à une érosion du monopole étatique sur la coercition (Mary Kaldor, New & Old Wars, Second edition, Standford University Press, Standford, 2007 : 2; 5.) La rupture temporelle dans la nature de la guerre n’est toutefois pas si évidente ; la nature politique plutôt que criminelle des guerres anciennes n’est pas aussi manifeste que ces auteurs le prétendent. Cette interprétation est contestée par une littérature assez récente sur les microdynamiques qui structurent les guerres civiles. Cf. Stathis Kalyvas, « Research Note: ‘New’ and ‘Old’ Civil Wars a Valid Distinction? », World Politics, vol.54, 2001. Charles Tilly a par ailleurs qualifié l’entreprise de construction de l’État en Europe occidentale de crime organisé, qui obéit à une logique d’extorsion de ressources en échange d’une protection. (« La guerre et la construction de l’État en tant que crime organisé », Politix, vol. 13, no 49, 2000 : 98.)

13 Michael Humphrey, « Civil War, Community and State in the Middle East », dans Paul J. White,

William Stewart Logan, Remaking the Middle East, Oxford/New York: Berg, 1997: 22.

14 Harvey Waterman, « Political Order and the ‘Settlement’ of Civil Wars », dans Roy Licklider (dir.),

Stopping the Killing: How Civil Wars End, New York University Press, New York, 1993 : 294.

15 Keith Jaggers, « War and the Three Faces of Power: War Making and State Making in Europe and the

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16

développement politique selon le moment où elle survient dans l’évolution d’un pays, mais aussi selon la nature de ce conflit. En fait, il est sans doute juste de soutenir que la nature

de la guerre menée détermine en bonne partie l’effet sur les structures politiques et

institutionnelles, mais il varie selon le contexte dans lequel elle a lieu. Pour que la guerre renforce l’État, il faut que l’État fasse la guerre. Il semble manifeste que ce n’est pas le cas aujourd’hui : la majorité des conflits violents contemporains se déroulent à l’intérieur des États et mettent en opposition le gouvernement d’un État et des groupes rebelles, ou des factions rebelles en elles. Dans le contexte contemporain, la guerre a plutôt l’effet de

soutenir la construction politique d’autres acteurs — organisations politiques

militarisées, milices, etc. — et d’ainsi donner lieu à une fragmentation de l’espace

politique et à une dispersion de l’autorité16.

Une conclusion s’impose d’emblée : si la violence est destructrice, elle ne laisse

pas un vide, mais une structure décentralisée de l’autorité ; elle construit des acteurs alternatifs. Ces acteurs défendent en retour une vision politique dont ils veulent forcer la

réalisation à travers le recours à la violence. La guerre ne forme pas l’État ; elle le

transforme. Ainsi, la difficulté de ces États à retrouver leur stabilité politique ne s’explique

pas tant par une incompatibilité fondamentale des groupes, mais plutôt de leur consolidation sociale, économique et politique pendant la guerre. Les conflits armés entrainent la décentralisation de l’usage de la force, mais aussi la fragmentation de l’espace économique (contrôle des ports, des points de commerce et les postes frontaliers par les groupes armés, etc.), allant de pair avec l’émergence d’une variété d’acteurs non étatiques (par exemple les seigneurs de guerres, les milices, etc.), ainsi que la montée de formes alternatives d’organisation, qui se superposent ou s’additionnent à d’autres, plus anciennes. Bien qu’il ne soit pas nouveau, le processus est fortement accéléré par la mondialisation, car elle facilite l’accès aux armes, aux ressources et aux idées susceptibles de soutenir la cause. Ainsi, l’effondrement ou l’affaiblissement de l’État n’est pas

the Economy of Intra-State Wars», dans Dietrich Jung (dir.), Shadow Globalization, Ethnic Conflicts and New Wars: A political economy of intra-state war, Routledge, London/New York, 2003: 38.

16 Anthony Oberschall, Conflict and Peacebuilding in divided societies: response to ethnic violence,

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17

synonyme d’anarchie et la violence est utilisée pour créer un certain ordre, le maintenir et le faire respecter en cas de contestation17. Le conflit assoit ainsi la domination des

organisations politiques concurrentes au détriment des institutions communes ; ces structures de pouvoir capturant les segments de l’État. Ces acteurs mettent aussi en place des stratégies transnationales de soutien à leur effort de guerre, car « if, as Tilly suggests, the cost of making war by states was itself an impetus to state-making, then in civil wars the cost of war-making has been an impetus to secure outside support »18. Cela n’est pas

un phénomène nouveau en soi, mais il prend de l’ampleur avec l’accélération des échanges et le perfectionnement des moyens de transport et de communication.

Il faut retenir des théories liant la guerre à l’État que la guerre agit comme un puissant agent de changement, et surtout comme moteur de réarrangement des relations sociales. Les organisations en conflit acquièrent bien souvent une autonomie et un contrôle sur des populations qui laisse croire à leur caractère irréconciliable. Il s’agit d’un phénomène réel, mais construit par la guerre, et non l’indice d’une incompatibilité fondamentale entre les populations. En effet, la direction du changement amorcé par la guerre civile est

indéterminée, et particulière à l’organisation changeante des forces sociopolitiques :

« [t]he fact is that collective political violence, in and of itself, indicates neither order nor decay »19. Il n’y a en fait pas matière à démontrer que la guerre est nécessairement l’indice

exclusif d’un effondrement ou du renforcement de l’État s’il est accepté que ces dynamiques de destruction et de construction font partie d’un même processus de transformation. La guerre augure pourtant une reconfiguration des rapports de pouvoir, une transition vers un nouvel ordre politique. Émergent en effet de l’effondrement de l’État, de nouvelles formes de domination et de contrôle plus ou moins institutionnalisées. S’impose alors une sorte de gouvernance, plus ou moins fonctionnelle, plutôt qu’un

17 Stathis N. Kalyvas, Ian Shapiro et Takek Masoud, « Introduction: integrating the study of order, conflict,

and violence », dans S. N. Kalyvas, I. Shapiro et T. Masoud (dir.), Order, Conflict, and Violence, Cambridge University Press, Cambridge, 2008: 1.

18 Michael Humphrey, « Civil War, Community and State in the Middle East », dans Paul J. White,

William Stewart Logan (dir.), Remaking the Middle East, Berg, Oxford/New York, 1997: 36.

19 Youssef Cohen, Brian R. Brown, A. F. K. Organski, « The Paradoxical Nature of State Making: The

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gouvernement ; un mélange d’éléments, plus ou moins intégrés, d’anarchie et de hiérarchie20.

Les acteurs issus de la guerre soutiennent des ordres politiques de qualité différente et de cohésion variable. Le niveau de complexité des structures guerrières varie grandement en matière de compétences exercées (services sociaux ; justice ; police, etc.) et du rapport avec la population ; allant du quasi-État à la milice la plus primaire. Cette nouvelle configuration des relations sociales bouleverse les anciens réseaux pour en créer de nouveaux et modifie les liens entre les individus et les groupes. Elle est caractérisée notamment par un haut niveau de mobilisation sociale et politique, ainsi qu’une polarisation entre les groupes de la société21. Si de nombreux États s’affaiblissent ou

s’effondrent, ils ne se désagrègent pas tous de la même façon ; pour comprendre la reconstruction, il faut donc établir le portrait des structures de pouvoir issues de la guerre, et ensuite étudier leur démantèlement avec la réintégration de l’espace politique. David Keen écrit :

Moving from war to peace is likely to represent a realignment of political

interests and a readjustment of economic strategies rather than a clean break from violence to consent, from theft to production, or from repression to

democracy. Armed conflict, in other words, should not be treated merely as the violent collapse of a system, but also as the emergence of a new and ‘alternative system of power, profit and protection’; one which does not simply disappear with the formal end of hostilities22.

Ce processus de transition comprend la démobilisation et démilitarisation des milices armées, mais surtout le délitement des règles et normes politiques établies pendant la guerre avec les arrangements sociaux qui soutiennent leur reproduction.

20 Cf. K. J. Holsti, The State, War and the State of War, Cambridge University Press, Cambridge, 1996. 21 Elizabeth Jean Wood identifie six développements clés qui influencent le tissu social, même après la fin

d’un conflit armé: « patterns of political mobilization, military socialization, polarization of social identities, militarization of local authorities; changing patterns of gender roles and the fragmentation of local economies. » Elle a comme objectif d’analyser: « […] the effects of these processes as

transformations in social networks. These processes reconfigure social networks in a variety of ways, creating new networks, dissolving some, and changing the structure of others, as when the local clients of a patron are mobilized into an armed network with a new central figure. A social network consists of persons (network nodes) linked by different kinds of relationships (edges). » « The Social Processes of Civil War: The Wartime Transformation of Social Networks », Annual Review of Political Science, vol. 11, 2008: 539–61.

22 David Keen, The Economic Functions of Violence in Civil Wars, The Adelphi Papers, vol. 38, no 320,

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La discussion précédente sur le lien entre la guerre et la dynamique de construction-déconstruction de l’État amène une autre question : est-ce que la transition politique est un processus univoque ? Existe-t-il un mouvement commun des entités politiques qui soutient la formation d’institutions étatiques centralisées au sein du système international ? Il a précédemment été suggéré que la direction du changement social et politique occasionné par la guerre reste indéterminée ; certaines dynamiques internationales portent néanmoins à croire qu’il existe une préférence quasi universelle pour l’État en tant que mode d’organisation des affaires humaines. En effet, l’image de l’État moderne comme forme d’organisation centrale de la société internationale n’a sans doute jamais été si dominante, et la demande internationale d’État n’a peut-être jamais été aussi forte, particulièrement avec la transformation chaotique du système international depuis la fin de la guerre froide. Par contre, le système international freine aussi la progression des États en leur donnant des garanties de survie23, qui ne développent pas de réelles capacités de gouvernance et

une souveraineté effective24. Leur survie assurée, ces États ne cherchent donc pas à

consolider leur légitimité. L’idée structuraliste selon laquelle un régime cherche

nécessairement à accumuler de la puissance pour établir sa domination d’un territoire

donné mérite d’être examinée plus sérieusement. Car la recherche d’État ne va pas de soi ; alors que certaines entités politiques ont plutôt tendance à s’auto-détruire25, et que les

groupes peuvent éviter de formaliser les relations de pouvoir. Qui plus est, les élites politiques ne sont pas toujours disposées à retourner à l’ancien ordre politique ou à en consolider un nouveau. À la suite d’un conflit armé, les élites politiques cherchent parfois à maintenir une sous-institutionnalisation des relations sociales. Le statu quo est parfois la solution par défaut, entre autres considérations parce que les structures informelles de pouvoir sont plus souples et plus faciles à changer. La construction de l’État demande d’énormes ressources financières et politiques et comporte des risques pour la stabilité

23 Robert Jackson et Carl Rosberg, « Why Weak States Persist. The Empirical and the Juridical in

Statehood », World Politics, vol. 35, 1982: 1-24.

24 Robert Jackson, Quasi-State: Sovereignty, International Relations and the Third World, Cambridge:

Cambridge University Press, 1990: 25.

25 Une idée reprise à William Reno (« The Changing Nature of Warfare and the Absence of State-Building

in West Africa », dans Diane E. Davis et Anthony W. Pereira (dir.), Irregular Armed Forces and their Role in Politics and State Formation, Cambridge: Cambridge University Press, 2003: 322-345.)

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20

politique. En fait, en tentant d’étendre ses capacités, l’État peut, au bout du compte, perdre sa cohérence26.

En somme, dans les guerres civiles, les acteurs armés cherchent à modifier les arrangements sociopolitiques par diverses stratégies, notamment en capturant les segments de l’appareil public. Le consentement des parties à une paix négociée est l’admission que la seule issue possible est la reconstruction de l’État. Celles-ci s’investissent donc dans la restauration d’un ordre politique dont les fondements ont été profondément bouleversés par la transformation violente des arrangements sociaux. Dans ce contexte, la direction du changement est incertaine en raison de la coexistence de plusieurs groupes dont les relations ont été structurées par la violence et qui soutiennent des perspectives politiques divergentes. La reconstruction peut très bien échouer, replongeant ainsi le pays dans un conflit violent qui le divisera davantage. La séparation des communautés peut aussi se pérenniser et consolider les structures de guerre. Pour ces raisons, la reconstruction est considérée ici comme un espace politique particulier27 ; une période critique de transition

constamment à risque de se bloquer ou de ramener la violence.

1.3.1 Les accords de paix : outils et enjeux politiques

À la suite de la signature des accords de paix, c’est une reconstruction à deux niveaux qui s’amorce : elle amène à la fois une transformation des acteurs en faisant évoluer leurs intérêts ainsi que celles des institutions. Ce double processus fait perdre ses repères théoriques à l’approche libérale. Si les accords de paix ont mis fin aux combats armés et posent certains paramètres de la réconciliation nationale, ils laissent souvent irrésolus les différends entre les parties touchant à la structure d’autorité. En fait, les accords de paix doivent être vus comme des solutions transitoires, même s’ils n’ont pas été explicitement conçus comme tels. Afin de satisfaire toutes les parties, les accords de paix sont nécessairement ambigus ; c’est pourquoi leur mise en application enclenche des tensions

26 Cf. K. J. Holsti, The State, War and the State of War, Cambridge University Press, Cambridge, 1996:

183. Cf. Joel Migdal qualifie ce comportement des élites politiques de stratégie de survie.

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21

politiques28. Si la reconstruction est contrainte par ces accords, elle s’articule surtout

autour d’une lutte des forces politiques entourant leur interprétation et leur mise en œuvre. Par conséquent, les accords de paix doivent être vus comme des ensembles de règles qui

sont amenées à être développées à partir d’une lutte symbolique et politique entourant leur interprétation et leur transposition dans la pratique politique. Ils

comportent en effet de nombreux points litigieux et ambiguïtés, qui structurent les débats politiques. En d’autres mots, la transition à la paix doit donc être vue comme un effort contesté d’institutionnalisation d’un ordre politique. Ainsi, les accords de paix tout comme les institutions qu’ils mettent en place sont les enjeux centraux de la reconstruction : « If

institutions are so important, they may themselves become the objects of struggle. […]

they are not able to structure the outcome of a political process. Indeed, fluidity of institutions, by changing options available to actors, may induce reevaluation of strategy […]29. »

L’éclatement plus ou moins grand des structures de pouvoir pendant le conflit

donne lieu à une dispersion des lieux de l’autorité et une décentralisation des outils de contrôle social (instruments de la violence ; médias ; organisation électorale ; réseau de clientélisme, etc.). Par conséquent, les institutions politiques formelles ont une incidence limitée sur les comportements politiques. Il faut donc adopter une perspective théorique capable de localiser les lieux d’autorité et de discerner leur déplacement éventuel. Les organes politiques nouvellement recréés n’ont initialement pour ainsi dire aucune capacité d’action autonome (prise de décisions, mise en œuvre de politiques, etc.) et, par conséquent, des effets très relatifs sur l’organisation des relations politiques. C’est pourquoi les réformes des structures institutionnelles, en particulier des mécanismes de représentation, n’ont que très peu d’impact sur la normalisation du processus politique. Les forces sociopolitiques investissent l’espace politique et utilisent les mécanismes politiques comme outils de pouvoir.

28 Robert. L. Rothstein, « In Fear of Peace: Getting Past Maybe », After the Peace: Resistance and

Reconciliation, Lynne Rienner, Boulder, Colorado,1999.

29 Peter Alexis Gourevitch, « The Governance Problem in International Relations », dans David A. Lake et

Robert Powell (dir.), Strategic Choice and International Relations, Princeton University Press, Princeton, 1999: 137.

Figure

Figure I Cycle de reconstruction politique
Tableau I Répartition des sièges selon la confession et la communauté au Liban 318
Tableau II  Périodes de la reconstruction politique du Liban (1990-2010)
Tableau III Périodes de reconstruction politique en Bosnie-Herzégovine (1995-2010)

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