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2. Étude comparative du Liban et de la Bosnie-et-Herzégovine

2.3 Les répercussions sociopolitiques de la guerre

Au cours de la guerre civile, le champ politico-militaire libanais atteint un haut degré de complexité ; des coalitions militaro-politiques se faisant et se défaisant, chacune des grandes communautés comportant plusieurs organisations, lesquelles se subdivisant encore en plusieurs factions, en particulier chez les Maronites. La guerre ayant détruit l’attrait inter-communautaire initial des formations politiques, celles-ci sont devenues, à l’heure de la ratification des accords de paix, des organisations pratiquement mono- confessionnelles. Celles-ci sont d’ailleurs pour l’essentiel des créatures de la guerre ; les anciens réseaux de clientélisme ayant été complètement transformés : dans certains cas, ils combinent d’anciennes et de nouvelles élites, comme dans le cas des Maronites et des Sunnites, alors qu’il y a plutôt eu une désertion des structures traditionnelles de pouvoir chez les Chiites236.

Le système communautaire maronite comporte de fortes divisions idéologiques et un corps d’élites très fragmenté ; Kamal Salibi décrivait d’ailleurs les Maronites comme

234 « In addition to trisecting Bosnia and Hercegovina territorially, these separatist polities fostered greater

control by the SDS and HDZ in their respective areas. Nationalist cadres took control of public enterprises such as the post and telecommunications companies, electrical utilities, transportation services, and construction enterprises. Separate financial institutions, including payment bureaus and banks, were established in the Serbia n Republic and Herceg-Bosna […] Consolidation took place earlier in some places than in others, but by the war’s end the three dominant parties had each established effective control over public institutions in their respective areas. » Donia, « Parties, Patronage and Constitutional Change in Bosnia and Hercegovina: A Brief History »: 5.

235 Élisabeth Picard, « The Political Economy of Civil War in Lebanon », dans S. Heydemann (dir.), War,

Institutions and Social Change in the Middle East, University of California, Berkeley, 2000.

236 Les grandes familles chiites féodales qui occupaient les positions de pouvoirs avant la guerre civile et

autour desquelles étaient structurées les réseaux clientélistes : elles ont été remplacées par le Mouvement des déshérités, puis par le Amal et le Hezbollah. Cf. entretien avec Ziad Majed, « The Shia political elite », NOW, 31 janv. 2011; Ziad Majed, Hezbollah and the Shiite Community: From Political Confessionalization to Confessional Specialization, Aspen Institute, 19 nov. 2010.

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une confédération de tribus plutôt qu’une communauté237. Les divisions s’accentuent au

fur et à mesure de la progression de la guerre et les interactions violentes entre les factions chrétiennes se multiplient238. L’unification initiale des forces chrétiennes sous la houlette

des Gemayel en 1976, les Forces libanaises (FL), laisse rapidement la place à des affrontements inter-confessionnels : les affrontements des forces armées chrétiennes avec la Syrie amènent la défection de Sulejman Frangieh, l’ancien président libanais qui avait appelé Damas à la rescousse. La dissension s’installe au sein des FL et dans la seconde partie de la guerre les chefs de l’aile militaire renverseront Amin Gemayel pour prendre la direction du mouvement. Ces violences inter-chrétiennes se poursuivent jusqu’à la toute fin du conflit armé, alors que les FL à ce moment dirigées par Samir Geagea affrontent les forces du général Michel Aoun. La communauté est alors déchirée par une attitude divergente par rapport aux accords de paix de Taëf. Alors que plusieurs organisations chrétiennes y adhèrent par dépit, le général Michel Aoun s’y oppose violemment. La communauté maronite est donc très fragmentée au sortir de la guerre ; un manque de cohérence qui va perdurer malgré des tentatives de réconciliation et de regroupement des factions politiques.

Pendant la guerre, les élites sunnites ont été décimées ou marginalisées, les milices vaincues. Le groupe est d’ailleurs le seul à ne pas être représenté au moment des négociations de paix par un groupe armé. Cette désorganisation sunnite est en partie le résultat des stratégies syriennes, hostiles à l’émergence d’organisations sunnites puissantes, mais aussi la conséquence de l’évacuation des combattants de l’OLP à la suite de l’invasion israélienne de 1982, de l’élimination de la milice murabitun et de l’invasion de Beyrouth Ouest par les milices chiites et druzes en 1984. Ce vide n’est qu’en partie comblé par des figures religieuses et les petits partis islamistes ; il persistera dans l’après- guerre jusqu’à la montée de Rafic Hariri239.

237A House of Many Mansions: 90.

238 Les forces phalangistes attaquent la milice de l’ancien président Suleiman Frangieh, étroitement associé

à la Syrie, lorsque celui-ci critique leurs liens avec Israël ; le chef de milice Camille Chamoun est à son tour la cible d’attentats, etc.

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Alors que la communauté sunnite est déstructurée, de manière contrastante, la

communauté chiite sort de la guerre dotée d’une grande puissance militaire doublée d’un

système organisationnel bicéphale. Elle émerge à ce moment en tant que communauté complètement indépendante des élites sunnites, qui ont longtemps monopolisé la représentation des musulmans. Les deux communautés suivent donc des routes politiques très divergentes : l’une enchâssée dans les institutions politiques et administratives ; l’autre à la marge de l’État. Les élites chiites connaissent une transformation politique fulgurante durant la guerre civile, lancée par une nouvelle phase de mobilisation communautaire dirigée par une figure iconique, l’Imam Moussa Sadr, qui disparait mystérieusement en Libye en 1978. La guerre civile accélère en fait le processus de modernisation entamé par le Mouvement des déshérités, fondé sur des revendications sociales et économiques240. Ce

mouvement politique entraine la création dans le cadre étatique d’institutions sociales et politiques particulières tout en donnant aux Chiites un parti communautaire, alors que ceux-ci avaient jusque-là milité au sein de divers partis idéologiques (communiste, national socialiste syrien, entre autres). L’approche de Sadr n’était pas révolutionnaire, mais pragmatique : ses principaux moyens de contestation sont les grèves et les manifestations ; il entend en effet agir à l’intérieur de l’ordre politique établi241. À

l’initiative de l’Imam Sadr, le Conseil suprême chiite est créé en 1969 : il le dirige jusqu’à sa disparition (il est alors remplacé par l’Imam Chams al-Dinn)242. Cet organisme devient,

à la suite de la guerre, l’un des trois pôles de pouvoir de la communauté, avec la direction de l’organisation militaro-politique Amal et le poste de président du parlement243. Il a des

fonctions communautaire et étatique ; sans pourtant disposer de ressources financières importantes, il représente les diverses élites et idéologies présentes dans la communauté

240 Élisabeth Picard, The Lebanese Shi’a and Political Violence, United Nations Research Institute for

Social Development, Discussion Paper 42, 1993 : 18.

241 « Sadr understood the political rules of the game in Lebanon and moderated his demands. He focused

on demanding that the Lebanese political system, which was based on the allocation of power according to the distorted demographic census of 1932, be abolished to become consistent with the true demographic composition. » Nir, Nabih Berri and Lebanese Politics, Palgrave Macmillan, New York, 2011 : 3.

242 Aussi orthographié « Chamseddine ».

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chiite244. Cette migration du pouvoir se fait au détriment des élites traditionnelles, qui sont

dès lors marginalisées, bien qu’elles soient toujours influentes au niveau local, en particulier dans la vallée de la Bekaa. Il s’agit là d’une seconde renaissance pour les Chiites, la première mobilisation ayant eu lieu suite à la formation de l’État libanais sous le mandat français. À partir de sa reconnaissance en tant que communauté distincte en 1926, les figures du pouvoir traditionnel chiite avaient investi les institutions du nouvel État et occupé les fonctions officielles, mais, jusqu’à la guerre civile, les Chiites n’ont ni représentation communautaire, ni programme politique distinct, ni patron étranger245.

Sadr s’oppose initialement à la création d’une milice chiite, mais, après sa disparition, l’impératif de protection des populations chiites, victimes collatérales des raids israéliens contre les Palestiniens, mène à la militarisation communautaire246. Le Liban du

Sud — où les Chiites sont alors géographiquement concentrés — devient en effet pendant la guerre le terrain de prédilection des attaques du Fatah contre Israël, dont les ripostes font fuir les populations vers la banlieue sud de Beyrouth. Celles-ci sont en général hostiles à l’action armée des milices palestiniennes, alors que leurs opérations armées sont soutenues par les populations chiites de la vallée de la Bekaa Nord (région limitrophe de la Syrie)247. La militarisation de la communauté s’accélère par la suite avec la création

successive de deux puissants groupes armés : dans un premier temps, le Amal (ou Brigade de la résistance libanaise), directement issu du Mouvement des déshérités248, puis, dans un

second temps, à la suite d’une scission d’éléments plus radicaux, le Hezbollah, son pendant islamiste, qui prend graduellement forme entre 1982 et 1984249. Ces groupes armés

244 « Interview with Muhammad Mahdi Shams-al-Din, chairman of the Lebanese Higher Islamic Shiite

Council Their religious authority in Lebanon is the Higher Islamic Shiite Council, Lebanon Official Opposes Decentralization », Al-Sharq Al-Awsat, 31 oct. 1999.

245 Nir, Nabih Berri and Lebanese Politics: 2; El-Khazen, The Breakdown of the State in Lebanon 1967-

1976: 41.

246 Les populations chiites sont en général mêlées aux populations réfugiées palestiniennes, en majorité

sunnites, exilées à la suite des guerres arabo-israéliennes de 1948 et de 1967.

247 Les populations chiites sont aussi présentes dans la région de Jbeil et en Bekaa centrale, où elles sont

minoritaires. Toutes les références géo-démographiques sont de Éric Verdeil, Ghaleb Faour et Sébastien Velut (Atlas du Liban, Presses de l’Ifpo, Beyrouth, Liban, 2007: 47-48.)

248 Nir, Nabih Berri and Lebanese Politics: 4.

249 A. Richard Norton, « The Role of Hezbollah in Lebanese Domestic Politics », The International

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occupent un rôle central pendant la guerre civile, et influencent fondamentalement l’insertion de la communauté chiite dans la société libanaise et son rapport avec les autres groupes de la société libanaise. Cette puissance militaire a comme principal effet de l’isoler ; en effet, la démonstration de force des milices chiites à Beyrouth Ouest en 1984 contribue à liguer des factions sunnites et maronites afin de leur faire contrepoids. Outre l’émergence d’organisations communautaires puissantes, cette montée en force a lieu dans le contexte d’un bouleversement géopolitique : la révolution islamiste iranienne de 1979. Le nouveau régime joue en effet un rôle crucial dans la création du Parti de Dieu (Hezbollah), tout en bouleversant profondément le rapport des populations chiites au monde. Le Hezbollah entretiendra dès sa création un lien privilégié avec l’Iran, et reconnait l’autorité religieuse et politique du guide de la révolution. Les deux mouvements chiites ont des idéologies très divergentes ; la représentation communautaire bicéphale amène ainsi une ambivalence dans le mode d’identification de la communauté entre chiisme et libanité, qui implique un rapport très différent à l’État :

Since the early 1980s, the question of Lebanonism versus Shi‘ism has been the most important issue on the Shi‘ite agenda in Lebanon. The issue has split the Shi‘ite community into two groups, each with its own perspective. The first group is comprised of those who see the Lebanese state as a framework for their social and political integration as an Arab democratic secular state; the second group is comprised of those who see themselves as part of a revolutionary Shi‘ite Islamic system, inspired by Iran to establish a similar Islamic republic in Lebanon. Since the early 1980s, these two perceptions were represented by Amal and Hizballah, respectively250.

Pour sa part, la communauté druze a acquis, au cours de la guerre civile, un poids politique démesuré en fonction de son poids démographique qui est associé au rôle central des Joumblatt. La personnalité du père — Kamal Joumbatt, fondateur du Parti socialiste progressiste, une organisation séculière officiellement non confessionnelle —, le pragmatisme du fils et successeur Walid, ainsi que la souplesse du jeu d’alliances de ce dernier ont contribué à enfler l’importance de la communauté. Le père a en effet joué un rôle central dans le rassemblement des forces de gauche (le Mouvement national fondé en 1973), comme le démontre l’éclatement des forces politiques d’opposition à la suite de son

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assassinat en 1977. Le Parti socialiste progressiste (PSP) est à partir de ce moment devenu l’une des milices les plus importantes et un acteur incontournable dans les négociations de paix. Au plan national, le parti a régulièrement dénoncé le communautarisme, qui a comme effet de reléguer les représentants druzes à la périphérie du système politique.

La division communautaire traditionnelle entre les Joumblattis et les Yazbakis (dirigés par la famille Arslan) a pris toute son ampleur lors de la guerre civile, au cours de laquelle les deux clans ont adhéré à deux camps opposés. Le chef spirituel, sélectionné par le Conseil religieux druze, joue un rôle de conciliateur dans l’équilibre politique, mais ces capacités restent limitées quand il s’agit des disputes entre les grandes familles. Cette rivalité est néanmoins la plupart du temps ineffective, et les Arslans sont longtemps exclus des postes de pouvoir. Les défis auxquels fait face la communauté, en particulier celui de maintenir une certaine influence politique malgré une démographie déclinante, ainsi que sa structure traditionnelle centralisée font obstacle à une séparation du pouvoir entre plusieurs organisations et représentants. Les relations épineuses des Druzes avec les Maronites ainsi qu’une crainte pour la survie du groupe ont eu comme effet de rehausser son unité et de soutenir un monopole des ressources communautaires par un nombre réduit de chefs politiques251.

De manière assez contrastante, au cours de la guerre en Bosnie, le champ politico- militaire a été monopolisé très tôt par trois grandes organisations dont les structures se sont inégalement développées. Celles-ci ont en effet réussi avec un succès relatif à écarter leurs concurrents communautaires. Le Parti démocratique serbe (SDS) a dominé la communauté bosno-serbe depuis sa création en juillet 1990 ; intégrant plusieurs tendances politiques à l’intérieur de structures politiques parallèles. Il s’agit d’un parti très fermé s’appuyant sur de complexes réseaux internes252. Sa très grande cohésion politique et

militaire a souvent été soulignée, nonobstant d’importantes tensions entre la direction

251 Les informations employees pour ce paragraphe sont tirées de Judith Harik Palmer, « Shaykh al‐'Aql

and the Druze of Mount Lebanon », Middle Eastern Studies, vol. 30, no 3, 1994: 465; 462; 479.

252 Davor Vuletic, « Organizational Structures and Internal Party Democracy in Bosnia and Herzegovina »,

dans Georgi Karasimeonov (dir), Organizational Structures and Internal Party Democracy in South Eastern Europe, Gorex Press, Sophia, 2005: 120.

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politique de Radovan Karadzic et le commandement militaire de Ratko Mladic dans la dernière année de la guerre. Seuls deux petits groupes d’élites politiques préservent alors une certaine indépendance : le parti radical (SRS) et le parti socialiste (SPRS), qui représentent l’opposition la plus organisée ; ainsi qu’un regroupement de sept députés indépendants, tous originaires de la Krajina dans le Nord du pays. Plus éloignés des positions nationalistes, ces derniers offrent une opposition assez faible au SDS pendant la guerre qui ne s’exprimera véritablement qu’à la faveur de la rupture avec Belgrade en 1994253. Le Parti radical est rattaché au parti ultranationaliste du même nom dirigé par

Vojislav Seselj à Belgrade. L’antenne bosnienne est formée en 1992 par Nikola Poplasen ; celui-ci estimant que le SDS n’est pas assez extrémiste et surtout trop dépendant du président yougoslave, Slobodan Milosevic, perçu comme un traitre à la cause serbe. Le Parti socialiste, fondé en 1993, est, au contraire, soutenu par Milosevic et moins jusqu’au- boutiste254. Quant aux organisations de la société civile, rares sont celles qui peuvent faire

opposition au SDS255 ; les leaders religieux par exemple se sont rangés en bloc derrière le

SDS de Karadzic pendant la guerre (certains évêques soutiendront même l’agitation nationaliste même après le conflit)256. Ainsi, le ralliement est assez unanime derrière le

projet de rattachement des populations serbes de Bosnie à la Serbie nourri par les idéologues ultranationalistes serbes. Bien que l’idée de grande Serbie ait été présente depuis longtemps, sa radicalisation et son unanimité récentes représentent une réorientation politique importante que Marko Attila Hoare attribue à une perte d’importance démographique relative des Serbes en Bosnie257.

253 « Following the rejection by the RS parliament of the Contact Group Plan and the resulting clash

between Belgrade and Pale, they constituted themselves as a group, Club of Independent Deputies, under the leadership of Milorad Dodik, and began to act as an opposition to the SDS and Karadžić. » Nina Caspersen, « Intra-Ethnic Challenges to Nationalist Parties: SDS and Serbe opposition before, during and after the war », Kakanien revisited, 2004: 5.

254 Nemanja Stefanovic, « What do serb parties in RS have to offer? », AIM, Banja Luka, 6 juill. 1996. 255 On pense à Mirko Pejanovic qui a été le membre serbe de la présidence collective, membre du Conseil

citoyen serbe créé en 1994 qui faisaient la promotion d’une Bosnie unifiée et multiethnique.

256 Bosnia Campaign 2006: The Role of Religious Leaders, Ambassade des États-Unis à Sarajevo, câble

diplomatique « confidentiel » no 06SARAJEVO2320, 29 sept. 2006.

257 […] the Bosnian Serb political leadership seceded from the Republic and established its own ‘Serb

Republic of Bosnia-Hercegovina – historic reversal of the pro-Bosnian state-building tradition of Bosnian Serb nationalism that dated back to the nineteenth century and that culminated in the Partisan

movement. The Bosnian Serbs would be good Bosnians while they could be first among equals in Bosnia- Hercegovina; faced with the prospect of Muslim leadership of the common homeland, they abandoned the Bosnian project Marko Attila Hoare, The History of Bosnia, SAQI, Beyrouth, 2007: 331.

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Financée par la Croatie, la milice du HDZ bosno-croate maintient une position dominante pendant la guerre. Au terme des combats, cette organisation aurait été l’une des plus cohérentes et la plus développée politiquement en Bosnie258. Plus qu’un parti, il s’agit

d’un mouvement politique nationaliste composite regroupant une variété de factions représentant un large spectre politique, incluant plusieurs tendances régionales divergentes correspondant à diverses réalités géo-démographiques. Les populations croates de Bosnie sont en effet dispersées entre quatre régions : l’Herzégovine occidentale, la Bosnie centrale, la Posavina au nord-est et Sarajevo259. Le HDZ intègre aussi des organisations de

la société civile et des grands pans du système économique.

À la fin de la guerre, la communauté bosniaque est aussi largement rassemblée autour du parti nationaliste SDA, fondé en 1990 ; sa cohésion est par contre beaucoup moins grande que celle du SDS et du HDZ. Formant le groupe démographique le plus important de Bosnie selon le recensement organisé en 1991, les Musulmans deviennent Bosniaques pendant le conflit armé. Cette désignation est loin de faire l’unanimité, car elle consacre l’amalgame entre identité nationale et religieuse, ce qui contraste fortement avec la fluidité identitaire historique de ces élites260. Pour certains, elle signale aussi une

appropriation de l’identité nationale du pays ainsi qu’un durcissement de la définition de l’appartenance associée à une plus grande mobilisation. Celle-ci est soutenue par le noyau dur du SDA, dont plusieurs membres fondateurs du parti sont proches de la mouvance islamiste ; en particulier, Alija Izetbegovic ainsi que le Reis-ul-ulema chef de la Communauté islamique lui-même, Mustafa Ceric261 :

258 Vesna Bojicic-Dzelilovic, « Peace on whose terms? War veterans’ associations in Bosnia and

Herzegovina », dans E. Newman and O. Richmond (dir.). Challenges to Peacebuilding: Managing Spoilers during Conflict Resolution, United Nations University Press, Tokyo, 2006: 203.

259 « Croats in ethnically mixed regions such as the Posavina and central Bosnia were generally moderates

compared to the “Herzegovina lobby” »; Toal et Dahlman, Bosnia Remade: 73-75; 95.

260 ICG, Bosnia’s Dangerous Tango: Islam and Nationalism, Policy Briefing, Europe Briefing no 70,

Sarajevo/Brussel, 2013: 11.

261 Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été emprisonnés pour leurs idées pendant la période yougoslave.