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3 Le corps, objet social, objet de recherche

4.2 Perception et action

- un principe de réciprocité entre l'homme et son environnement.

En considérant les faits issus de la vie quotidienne, nous ne pouvons que souscrire au dernier principe : il existe une interaction, une construction particulière du monde et de moi-même grâce à la relation que j'entretiens avec mon environnement et grâce à la relation qu'il entretient avec moi, tout comme deux personnes en relation se façonnent l'une l'autre lors de leur échange.

Nous venons d'examiner les différents types de relations qui existent entre l'homme et son environnement et nous avons accepté le postulat d'une interaction entre les deux, c'est-à-dire d'une relation la plus aboutie qui puisse exister. Nous avons également constaté que les auteurs qui abordent l'expérience vécue, l'abordent d'un point de vue perceptif mais en ayant bien soin de placer le percevant au centre de l'expérience, de redéfinir la perception comme lien permettant soit une relation de l'homme au monde, soit d'une interaction entre le vivant et son milieu et de reconsidérer l'action comme aspect central de cette relation.

A priori, les relations entre l'homme et son environnement ou entre le vivant et son milieu peuvent être de nature différente ou tout du moins considérées comme étant différentes mais les différences entre Straus et Gibson ne sont pas sur tous les points aussi radicales. En effet, comme nous allons le constater, ils considèrent tout deux l'action comme étant l'aspect central de la relation homme/environnement ou l'aspect central de la relation vivant/milieu.

4.2 Perception et action

Afin de continuer à définir nos concepts, nous allons ici aborder le lien qui existe entre perception et action. En effet, si comme Bergson, Straus et Gibson le considèrent, perception et action sont inséparables, nous souhaiterions ici obtenir des éléments concrets sur la nature de cette relation. Il serait possible de postuler de l'inséparabilité de ces deux termes et d'en rester là. En effet, les travaux d'Husserl sur l'intentionnalité ont montré, d'un point de vue philosophique, le lien entre perception et action, puis ce lien a été démontré par Werner et Wapner Ce même lien a ensuite été observé par de nombreux psychologues. Nous considérons qu'il est incontestable, mais comme l'action ou son intention sont peut-être l'essence même de la perception il semble difficile de ne pas examiner le lien qui existe entre les deux. Là encore, deux courants sont essentiellement présents, le courant phénoménologique et le courant de la psychologie de l'environnement. Nous allons

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dans un premier temps examiner les raisons qui justifient le lien entre perception et action pour ensuite observer la nature même de ces relations.

4.2.1 Le lien entre action et perception

Trois raisons essentielles semblent être à la base de ce lien :

Le sujet de la perception est un être vivant

Bergson évoque une raison, a priori très simple, pour expliquer ce lien entre perception et action : le sujet de la perception est un être vivant. Ce sujet, trop longtemps déconsidéré, acte et bouge ; sa perception est un mouvement vers le monde, c'est-à-dire un mouvement vers le perçu [Bergson, 1939]. Pour Straus [Straus, 1935], le sujet de la perception est évidemment un être vivant mais plus encore, sentir est un mode de l'être vivant et la vie est un caractère intrinsèque du sentir : "sentir a un caractère intrinsèquement vivant".

L'être vivant à une tâche à accomplir

Cet être vivant, ce sujet de la perception, a une tâche à accomplir et Straus considère qu'on ne peut observer ni l'homme, ni l'animal sans avoir à prendre en compte cette contrainte. Cette contrainte lie le sentir et l'agir : "Comment quelqu'un doit-il parvenir à observer l'homme ou l'animal dans la nature ou pendant une expérience, sans tenir compte qu'il cherche en fait, qu'il s'achemine vers tel ou tel but, qu'il s'oriente dans sa relation à l'environnement, qu'il distingue ou agit, qu'il s'exprime ou communique ?" [Straus, 1989 p211]. Pour Bergson, la perception est une action d'attention : quelque chose à atteindre et la poursuite de ce qui existe.

Selon Gibson, la perception est un processus motivé d'exploration [Reed, p227]. Les trois auteurs ont ici un point de vue similaire, l'homme a un but, une tâche à accomplir, ce faisant il cherche, s'achemine, s'oriente, distingue, agit, s'exprime et communique. Le but oriente son exploration et ses actions sont également fonction du but à atteindre.

La perception est une action orientée vers l'avenir

Selon Straus l'homme sent et se meut : il est en communication avec le monde et le médiateur de cette communication c'est le corps [Straus, 1935]. Pour Bergson [Bergson, 1939], la perception doit être saisie du point de vue de la vie, c'est-à-dire

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du mouvement, car percevoir c'est agir et non pas contempler et, selon Gibson, la perception est un mode d'activité et non un mode de réception [Reed, p226].De plus, toujours pour Gibson, les systèmes perceptifs sont actifs et intentionnels, alors que les sens sont passifs [Reed, p4]. Les trois auteurs sont ici d'accord, la perception est une action et non pas une contemplation, un mode d'activité et non pas un mode de réception, une activité et intentionnalité et non pas une passivité. De plus ils confèrent à cette action le caractère d'un devenir : cette action est tournée vers le futur. Est perçu ce qui appelle une action [Bergson, 1939] ; la perception est une action, elle appelle un devenir, un futur : "Le promeneur voit les segments de chemin qui s'étirent devant lui, il avance dans l'espace de l'action qui s'étale à ses pieds et lui ouvre l'avenir" [Straus, 1989 p220] ; la perception c'est quelque chose à atteindre et la poursuite de ce qui existe [Reed, p236].

De fait, il n'est plus nécessaire de parler de lien entre perception et action. La perception est action. De même que l'action est une caractéristique intrinsèque de la perception, la perception est une caractéristique intrinsèque de l'action. Si nous disons perception nous disons aussi action. Il n'y a pas de lien externe, la perception est action, une action qui appelle un devenir. Et si nous pouvons tenir pour acquis le lien intrinsèque qui unit perception et action, nous allons néanmoins nous interroger sur la forme de ce lien.

4.2.2 Forme interne du lien

Straus considère qu'il y a une interrelation entre les phénomènes liés aux sens traditionnels (vision, audition, toucher, goût) et que de la même façon, il y a une relation interne entre le sentir et le mouvement vivant [Straus, 1989. p376]. Il en est de même chez les animaux. L'homme et l'animal se meuvent grâce à leur musculature et en fonction de leur forme structurale. Les mouvements musculaires ont lieu dans l'organisme au sein d'un être vivant, donc d'un être sentant orienté vers le monde environnant et relié à lui par ces comportements [op.cit. p375]. C'est la nature du mouvement qui peut être légèrement différente, par exemple dans le cas d'un animal le mouvement possède un caractère intentionnel primaire (tel que la recherche active ou la fuite) orienté vers un but [op.cit. p374]. Chez l'homme, Straus prend l'exemple du joueur de billard, l'action dépasse la simple réaction à des stimuli, l'action est une relation avec des objets visibles qui peuvent se déplacer [op.cit.

p213].

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D'après Straus, deux processus différents existent dans le mouvement. Soit nous sommes dans une situation réflexe et dans ce cas, au sein de l'organisme, le sujet du mouvement est l'appareil sensori-moteur ; soit nous sommes dans une situation de mouvement spontané permettant une relation au monde et dans ce cas le sujet est l'être vivant, qu'il soit animal ou homme [op.cit. p382]. Ainsi, notre propre état de mouvement n'est pas vécu comme une action musculaire mais comme une relation d'accès au monde [op.cit. p384]. Quant à Gibson, il n'opère pas ces deux distinctions. Pour lui "toutes les formes d'une perception externe sont accompagnées par une perception de soi (self- perception) ; pas une perception d'abstractions mentales ou de muscles et des articulations dans le corps, mais plutôt une perception propre activement consciente" [Reed, 1988 p233].

Malgré leurs divergences, notamment sur la forme des relations qui existent entre l'homme et son environnement, Straus et Gibson s'entendent ici pour dire que l'on ne perçoit pas en nous des abstractions mentales, des muscles et/ou des articulations.

Au-delà, leurs réflexions ne signifient plus la même chose. Pour bien montrer l'intérêt que nous avons à étudier la perception et l'action, Straus conclut sur ce thème de la façon suivante : "nous ne pouvons donc espérer comprendre pleinement le sentir que si nous avons d'abord compris le mouvement animé" [Straus, 1989 p380].

En résumé nous pouvons conclure que la perception est action parce que le sujet de la perception est un être vivant ayant une tâche à accomplir, que cette action est orientée vers l'avenir, qu'elle est un devenir. Ce lien qui existe entre perception et action est interne, tout comme le lien qui existe entre les sens. Dans le mouvement, l'homme ne perçoit pas ses muscles, ses articulations... Pour Straus, par le mouvement, par son corps, l'homme accède au monde.