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Contexte et ancrages du processus migratoire

1. L’ouverture du pays au monde

1.1. Un choix politique et diplomatique

1.2.2. Avec des pays européens :

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et le Venezuela vont reconnaitre l’indépendance, l’Argentine le fera tardivement en 1852. En effet, le gouvernement de Rosas178, en Argentine n’a pas reconnu le Paraguay en tant que pays souverain. López accuse le gouvernement argentin de discréditer le Paraguay par des écrits mensongers publiés en Europe, en particulier à Paris. Le dictateur de la Confédération argentine, Rosas, conserve l’idée que le territoire paraguayen redevienne comme autrefois une province179. (Le Paraguay faisait partie de la Vice-royauté du Río de la Plata, créée à l’époque par la couronne d’Espagne (1776).

1.2.2. Avec des pays européens :

Les premiers pays européens qui reconnaîtront l’indépendance nationale du Paraguay sont l’Autriche, le 10 juillet 1847, suivi de l’Angleterre en 1853, puis de l’Italie, du Portugal, des Pays-Bas et de la France également en 1853180.

Nous avons approfondi notre recherche dans les archives diplomatiques du Quai d’Orsay sur les relations diplomatiques entre la France et le Paraguay. Des ressortissants français immigrés vont marquer l’histoire migratoire du Paraguay181, à mesure que des échanges vont se produire très tôt entre ces deux pays. Nous y avons appris que le président López est intervenu auprès de l’empereur Napoléon III (étant donné que la France ne

178 Juan Manuel de Rosas, gouverneur de Buenos Aires et dictateur (1829 - 1852). « Le 28 décembre 1842, les consuls Carlos A. López et Mariano Roque Alonso rendent à Rosas la déclaration d’indépendance et demandent la reconnaissance. Quatre mois plus tard, le dictateur de Buenos Aires a répondu en disant qu’il ne pouvait pas « donner son consentement aux souhaits » exprimés dans la note, en raison des « graves inconvénients ». La reconnaissance de la souveraineté de cette république causerait de nombreux dommages : parce qu’elle serait remplie d’étrangers » […]. D’après l’historien, Antonio Ramos, « Buenos Aires n’a jamais exercé de pouvoir sur le territoire et le peuple paraguayen. Ils n’avaient que des relations administratives, tous deux étant soumis à l’autorité suprême du roi d’Espagne ». RAMOS, Antonio, «El reconocimiento de la Independencia del Paraguay por la Argentina», Revista de Historia de América, n° 32, 1951, pp. 1-20. (pp. 4-8).

179 L’Argentine a accepté tardivement l’indépendance du Paraguay (1852). L’ambition et la conviction de Rosas généraient l’idée de l’incorporation du Paraguay à la Confédération Argentine. Sur la Confédération Argentine, l’historien L. Capdevila explique : « au lendemain de l’indépendance, les Provinces Unies du Río de la Plata, qui prenant la succession de la royauté de la Plata prétendaient maintenir l’unité de la vice-royauté dans un cadre républicain ne représentaient qu’une fiction juridique et une vague aspiration. Pendant pratiquement un demi-siècle, ce qui deviendra l’Argentine s’est déchiré dans les guerres civiles opposant les Unitaires porteños (habitants du port de Buenos Aires) aux Fédérés des Provinces. Au lendemain de la bataille de Caseros le 13 février 1852. Les vainqueurs de Rosas s’attachèrent à organiser l’Argentine en un Etat Fédéral à la fois présidentiel et respectueux de l’autonomie des provinces, en partie inspiré du modèle états-uniens. En 1853 les treize provinces qui composaient la Confédération argentine fixèrent leur capital à Paraná, tandis que la province de Buenos Aires en refusant de ratifier la Constitution se déclara nation indépendante. Les conflits opposant la Confédération s’achevèrent lors de la bataille de Pavón, en 1861, par la victoire militaire, mais négociée du Port sur les Provinces. Celle-ci a marqué la fin des guerres civiles et l’unification territoriale de l’Argentine moderne, dont le premier président fédéral fut Bartolomé Mitre, en 1862 ». C’est sous le gouvernement de ce dernier qui a été déclarée la guerre au Paraguay (1865-1870). CAPDEVILA, Luc, Une colonie française au Paraguay : la colonie la Nouvelle-Bordeaux, Paris, l’Harmattan, 2005, p. 49.

180 SÁNCHEZ-QUELL, Hipólito. 1980. Historia de las relaciones entre Francia y Paraguay: de Napoleón III y

Solano López a de Gaulle y Stroessner, Asunción, Casa América, 1980; Chevalier de Saint George, 8 février

1853, ANA, SH, vol 306, n° 7, Asunción, Imprenta Nacional.

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reconnaissait pas encore l’indépendance du pays), à travers une lettre envoyée le 25 décembre 1850 qui rappelait à la France la souveraineté du Paraguay182 :

« La République du Paraguay, après avoir acclamé son indépendance lors d'un congrès national de mille députés en octobre 1813 et vécu comme la nation souveraine qu'elle est, jusqu'au Congrès général extraordinaire de novembre 1842, a jugé que, le moment est venu de cultiver les relations avec les gouvernements d'Amérique et d'Europe. Elle demande la reconnaissance, selon les principes du droit public, modifiant en ce sens son ancien système d'isolement »183.

Le Président mentionne également sa volonté de tisser des liens avec la France, mais il n’a obtenu aucune réponse de l’empereur à ce sujet184 :

« La République du Paraguay, dans le but de cultiver des relations avec le gouvernement de la France, a eu l’honneur de communiquer dans une note du 28 août 1843, les susdits, accompagnant dans une copie légalisée l’acte fondamental de son Indépendance, ainsi que le drapeau national et les sceaux et demandant la reconnaissance de son Indépendance et de sa souveraineté nationale. Le gouvernement paraguayen n’a pas même obtenu un simple accusé de réception de cette note avec les documents joints. »

Le gouvernement du Paraguay a pour ambition d’établir des relations avec la France et d’envoyer un représentant du pays à la Cour impériale. Le président López manifeste au gouvernement français la nécessité de la reconnaissance de la nation paraguayenne indépendante : « dont le gouvernement français n’a pas rendu justice, il n’a pas considéré que dans cette République le commerce français pouvait apporter des avantages importants » 185. Le gouvernement paraguayen souligne ici qu’en plus d’être un acte de justice, la reconnaissance de son Indépendance et le rapprochement des deux pays peuvent apporter des bénéfices au commerce français.

182 Lettre du Président Carlos Antonio López le 25 décembre 1850 à l’Empereur Napoléon III. République Argentine, correspondance politique Buenos Ayres, 1850, Paraguay, 1842-1857, AMAE. La lettre est publiée dans le journal « El Paraguayo Independiente », Imprenta de la República del Paraguay, 1850. Le journal de publications officiels « El Paraguayo Independiente » est créé le 26 avril 1845, sa dernière publication officielle le 18 septembre 1852. Journal écrit par le président lui-même.

183 «La República del Paraguay, después de haber aclamado su independencia política en un congreso nacional de mil diputados en octubre de 1813, y vivido como nación soberana que es, hasta el Congreso general extraordinario de noviembre de 1842, juzgó que, llegado el tiempo de cultivar relaciones con los gobiernos de América y Europa, solicita formalmente su reconocimiento, como le corresponde por principios de derecho público, alterando en este sentido su anterior sistema de aislamiento».

Lettre de président Carlos A. López à Napoléon III, du 25 décembre 1850.

184 «La República del Paraguay ambicionando cultivar relaciones con Gobierno de Francia, tuvo el honor de comunicarle en nota de 28 de agosto de 1843 lo expresado, acompañando en copia legalizada el acta fundamental de su Independencia, como también el pabellón y sellos nacionales y solicitando el reconocimiento de su Independencia y soberanía nacional. El Gobierno paraguayo no ha llegado a obtener ni un simple acuse de recibo de aquella nota con los documentos adjuntos».

Le gouvernement du Paraguay a communiqué à l’Empereur de la France par une note du 28 août de 1843 la ratification de l’indépendance du pays, sans obtenir réponse. Ce que le gouvernement paraguayen lui rappellera par la note du 25 décembre 1850. ; Note de Carlos A. López du 25 décembre 1850 envoyé à l’Empereur Napoléon III. In Benitez - Martinez, M.V. « Les débuts des Relations diplomatiques entre la France et le Paraguay », Mémoire de Masters 2, sous la direction de Bernard Lavallé, Université Paris 3 - Sorbonne nouvelle, 2006.

185 « a cuyo acto de justicia no se ha prestado el Gobierno de Francia : no ha considerado que en esta República puede el comercio francés, reportar importantes ventajas ». Lettre de Carlos A. López du 25 décembre 1850 envoyé à l’Empereur Napoléon III.

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En outre, López rappelle à Napoléon III la propagande négative du gouvernement de Rosas186, sur le Paraguay. Cette situation renforce la conviction et le souhait du président d’obtenir la reconnaissance de l’Indépendance de la part de la France :

« Nous voulons croire que notre gouvernement a franchi cette étape dans la confiance par laquelle la République française lui rendra justice en reconnaissant l’Indépendance et la souveraineté nationale de notre patrie bien-aimée, la nationalité paraguayenne étant la plus ancienne d’Amérique du Sud et la première à avoir suivi l’exemple de la République des États-Unis du Nord. L’heure est venue d’informer dûment le gouvernement français de la véritable situation du grand peuple paraguayen afin de soutenir le cri national « la République ou la Mort », n’en déplaise à Rosas. » 187

Carlos A. López met l’accent sur le fait que le Paraguay est l’une des Premières Nations de l’Amérique du Sud à accéder à son indépendance, et le premier à suivre l’exemple des États-Unis. C’est ainsi que, par des négociations, ce président a obtenu progressivement l’avis favorable de la France. Avant la signature du Traité d’amitié, de commerce et de navigation avec cette dernière, le diplomate Chevalier de Saint-Georges, ministre de la France au Brésil et dans le Río de la Plata, était optimiste quant à la nouvelle politique adoptée lors de sa visite au Paraguay :

« Au Paraguay, ainsi que dans les provinces argentines et dans la Banda Orientale, nos produits naturels et manufacturés devraient trouver une place avantageuse, à en juger par le fait qu’en 1842 une expédition de vin français a été reçue. Le Paraguay nous donnerait en échange le sucre, le café, le coton et la laine qu’il produit en abondance et de qualité supérieure, et le maté, dont le prix avantageux lui permettrait de remplacer le thé, et toutes les variétés de bois aussi riches en couleurs que celles du Brésil se trouvant également au Paraguay, avec l’avantage de leur exploitation facile et de leur transport jusqu’aux portes du Río la Plata. »188

Outre les avantages que le Paraguay offrirait grâce aux produits mis sur le marché européen, l’ouverture de grandes voies fluviales constituerait un critère important : cela faciliterait également les échanges avec le continent sud-américain. C’est donc de manière concomitante que se réalise la reconnaissance de l’Indépendance du Paraguay par la France et le développement des échanges commerciaux par la signature d’un traité de navigation. Le projet de voie navigable s’appuie sur les principales dispositions des conventions signées avec d’autres pays sud-américains et européens.

La signature de traités avec la France et avec l’Angleterre pour la libre navigation des fleuves et en faveur du commerce devient donc indispensable pour que le Paraguay sorte de

186 Juan Manuel de Rosas, gouverneur de Buenos Aires.

187 «Queremos creer que nuestro gobierno ha dado este paso en la confianza de que la República francesa le hará justicia de reconocer su independencia y soberanía nacional de nuestra amada patria, siendo la nacionalidad paraguaya la más antigua de la América del Sur, y la primera que ha seguido el ejemplo de la República de los Estados Unidos del Norte. Habrá llegado la oportunidad de informar debidamente al gobierno francés la verdadera situación del gran pueblo paraguayo para sostener el grito nacional «República o Muerte», mal que le pese a Rosas». Note de Carlos A. López du 25 décembre 1850, envoyée à l’Empereur Napoléon III. op.cit. République Argentine, correspondance politique Buenos Ayres, 1850, AMAE.

188 Dépêche de Chevalier de Saint-Georges, 20 novembre 1842 au ministre des affaires étrangères, François Guizot, correspondance politique et commerciales, Paraguay, 1842-1857, AMAE.

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son isolement189. Le 4 mars 1853, le traité signé entre la France et le Paraguay établit les bases de relations permanentes et formelles entre les deux pays. Un décret impérial promulgue le Traité d’amitié, de commerce et de navigation conclu en 1853 entre les deux pays. Le traité est signé à Asunción et ratifié à Paris en 1854190. Il octroie des avantages en faveur de la sauvegarde de la libre circulation des Français sur le territoire paraguayen et inversement pour les ressortissants paraguayens sur le territoire français191. Le traité de 1853 sera renouvelé dix ans plus tard, le 16 mars 1863192. Il est également convenu qu’un diplomate français s’établira à Asunción pour veiller à l’exécution du traité et défendre les intérêts de la France. M. Guillemot193, négociant français installé au Paraguay, y est autorisé provisoirement par le représentant de l’empereur à Buenos Aires et le gouvernement paraguayen.

Cette décision diplomatique sera par la suite approuvée avec la création d’un consulat à Asunción. À la suite du décret du 29 mars 1854, l’Empereur Napoléon III installe à Asunción un bureau consulaire et nomme à sa tête le comte Lucien de Brayer194. Cette politique clairement affichée d’ouverture aura également une influence sur la présence des immigrés

189 DE LA POËPE, C., La Politique du Paraguay, Identité de cette politique avec celle de la France et de la

Grande Bretagne dans le Río de la Plata, Paris, Lib. Dentu, 1869, p. 37.

190 Le Traité sera ratifié à Paris par le ministre des Affaires étrangères Drouyn de Lhuys et le ministre Francisco Solano López, le 30 janvier de 1854. (lors du voyage en Europe de ce dernier (1853-1854)). Sur le voyage en Europe est publié dans le Semanario de avisos y conocimientos útiles, n° 81, Asunción, Imprenta de la República, Asunción, 27 enero 1855, pp. 1-2.

191 En 1855, Henri A. Laplace est nommé, Consul du Paraguay en France par le Président Carlos A. López. En 1860, la Légation du Paraguay est créée à Paris. Carlos Calvo est nommé Chargé d’Affaires en 1860, et représente aussi les intérêts du Paraguay en Grande-Bretagne.

SÁNCHEZ-QUELL, H., Historia de las relaciones entre Francia y Paraguay, op. cit.

192 Le décret impérial portant le renouvellement de la convention entre la France et le Paraguay est ratifié le 6 juin 1863. « Au nom de la très Sainte Trinité, Sa Majesté l’empereur des Français et son Excellence le Président de la République du Paraguay, désirant conserver et étendre d’une manière réciproque les relations d’amitié, de commerce et de navigation signés à l’Assomption le quatrième jour du mois du mars 1853 entre la France et le Paraguay, ayant expiré le 30 janvier 1861 ». Signature de M. Charles Lefebvre de Bécourt, officier de l’ordre impérial de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre de Dannebrog, ministre plénipotentiaire de Sa Majesté l’empereur des Français à Buenos Ayres et Francisco Sanchez, ministre des Relations extérieures de la République du Paraguay.

Charles Lefebvre de Bécourt, en 1840, est nommé Chargé d’affaires à Buenos Aires ; le 2 février 1856 ministre plénipotentiaire auprès de la Confédération Argentine. Personnel première série n° 2548, AMAE.

193 Ayant vécu auparavant au Brésil, M. Guillemot est venu au Paraguay. Paris, le 17 février 1853, Paraguay, correspondance politique, vol 1, fol 36, AMAE.

194 Le décret du 27 mars 1853, art. 1°, une Agence consulaire est établie à Assomption, Paraguay : art. 2°, Lucien de Brayer (fils du Vicomte Alfred de Brayer) est chargé de cette agence avec le titre de Consul de deuxième classe avec une allocation annuelle de 18 000 francs. Le 10 mars 1855, il fait appel à la bienveillance de l’Empereur et sollicite le grade de Consul général, car ses appointements actuels ne suffisent plus matériellement aux besoins de son existence. Palais des Tuileries le 10 mars 1857. Cabinet de l’Empereur. Le 5 novembre 1857, écrit au ministre des Affaires étrangères Colonna Alexandre Florian Joseph, Comte Walewski (fils naturel de Napoléon I et de Marie Walewska), et sollicite l’autorisation d’épouser Mlle Louise Baudrix, fille d’un négociant et consul général de la République du Chili à Buenos Aires (par l’honorabilité de la fille et la position respectable et la fortune de son beau-père). A la fin de ses fonctions et à cause d’une maladie, le comte Lucien de Brayer sera autorisé à quitter Asunción sur le vapeur oriental Río Uruguay. François Rouquet est chargé par intérim de la chancellerie à Asunción. Personnel première série, n° 3618 -AMAE.

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dans le pays, aspect qui, là encore, souligne un net contraste avec la période politique précédente.

Quelques années plus tard, sous le gouvernement de López, le Paraguay put vraiment s’ouvrir aux étrangers. Du fait de cette ouverture, le pays connut sa première expérience de colonisation d’immigrants européens. Cette entrée de colons étrangers était alors essentielle pour le développement économique grâce à l’aide de la main d’œuvre étrangère. En effet, avec le gouvernement du Dr Francia, la sécurité intérieure a été privilégiée, notamment via un contrôle strict des frontières avec l’Argentine et le Brésil. Or avec le nouveau gouvernement de López l’immigration est, à l’inverse, stimulée pour encourager le système du travail agricole avec des étrangers.