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Le chemin de fer ou la modernisation du pays avec l’aide des étrangers des étrangers

Contexte et ancrages du processus migratoire

1. L’ouverture du pays au monde

1.4. Le chemin de fer ou la modernisation du pays avec l’aide des étrangers des étrangers

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Afin de faciliter l’intégration des compétences étrangères, l’initiative du secteur privé sera également privilégiée. À ce titre, en 1845, la libre introduction de machines et d’outils agricoles est autorisée et exemptée d’impôts, et des crédits sont accordés pour ceux qui désirent fonder des industries. Le système monétaire est également modernisé, en effet jusqu’alors seule la monnaie métallique était utilisée et le papier-monnaie n’apparut qu’en 1847203. Le dynamisme économique que connaît le pays à cette époque est visible à travers la multiplication et la diversification des commerces présents dans le quartier du centre historique de la cathédrale. Ainsi en 1853, l’on compte 60 magasins, 109 tailleurs et couturiers, 35 menuisiers, 37 cordonniers, 92 orfèvres et 19 coiffeurs, et en 1860 l’on compte en tout 538 épiciers, 35 briqueteries, 21 orfèvreries, 34 boulangeries et 10 tanneries204.

À ce développement économique et financier s’ajoute une évolution des mœurs dans la société paraguayenne. La capitale devient le lieu où l’influence et la notoriété européennes se font le plus sentir. Avec l’importation de tissus européens, les façons de s’habiller changent, de même que la décoration des foyers qui intègrent désormais des objets britanniques ou français. Il est à noter par ailleurs que la compagne de Francisco S. López, l’Irlandaise Elisa Lynch205, qu’il a connue à Paris, participe à la diffusion des mœurs européennes dans la vie sociale au Paraguay.

Cette ouverture donnera la possibilité au pays d’être présent à l’exposition universelle de Paris de 1855 et de 1867, et à cette occasion de présenter ses produits au monde206. Notons aussi que l’événement le plus significatif dans le Paraguay du XIXe siècle fut la construction de la ligne du chemin de fer d’Asunción.

1.4. Le chemin de fer ou la modernisation du pays avec l’aide des étrangers

La construction du chemin de fer en 1854 sous le premier gouvernement républicain permit une révolution non seulement sociale, mais encore économique. Ce chemin de fer, le tout premier du Río de la Plata et le second de l’Amérique du Sud (1856), permettra de relier la capitale Asunción aux plus grandes villes de l’intérieur. Si d’autres pays sud-américains

203 PÉREZ ACOSTA, J. F., Carlos A. López, Obrero máximo, op.cit.

204 Archivo Nacional de Asunción, Empleos en el Distrito de la Catedral, Sección Historia, Asunción, 17 noviembre 1843, 1853, SHANA -259-10-1-13.

205 Elisa Lynch (1835-1886) fera la connaissance de Francisco S. López à Paris, pendant son séjour en 1854. Elle suivra le jeune futur président de la République au Paraguay, où ils auront cinq enfants. Elle l’accompagnera jusqu’à sa mort sur un champ de bataille. À la fin de la guerre (1870) elle rentre à Paris où elle décède. Elle sera inhumée au Père-Lachaise. En 1963, ses os seront rapatriés dans le cimetière de la Recoleta d’Asunción. Voir à ce sujet, PITAUD, Henri, Madama Lynch, Asunción, Sociedad de Estudios, 1958 ; BARRETT, William, E., Una amazona : Biografía de Francisco Solano Lopez y Elisa Lynch, Buenos Aires, Compañía editora del Plata, 1940.

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comme le Chili, le Brésil et l’Argentine ont déjà commencé à développer le chemin de fer dans les décennies précédentes, le Paraguay devient ainsi l’un des premiers pays du continent à utiliser ce moyen de transport. Les premières installations de rails commencent en 1857207. Ce sont les Anglais qui dirigent les travaux sous la direction de l’ingénieur John Whitehead208 pendant que la construction de la gare Centrale d’Asunción est placée sous la direction des architectes A. Taylor (Anglais) et A. Ravizza (Italien). Le premier train urbain relie la place San Francisco209 et le port d’Asunción210. Quatre mois plus tard, la ligne Asunción-Trinidad est inaugurée211 et de nouvelles gares sont bâties à l’intérieur du pays dans les années suivantes. À une époque où les moyens de transport et de communications sont encore réduits, le train était donc d’une grande utilité pour tous ceux qui voulaient rejoindre la capitale. Les agriculteurs, les fabricants, les commerçants et les voyageurs ont dès lors disposé d’un moyen de transport qui n’était plus dépendant des conditions météorologiques. Également très bon marché, il permet de transporter un grand nombre de passagers et de grands volumes de marchandises et, du même coup de rompre l’isolement des zones rurales. Avec l’arrivée du chemin de fer, les habitants ont la possibilité de changer leur moyen de transport habituel, les charrettes et les chevaux pour se déplacer et sortir du village212. Le village de Sapucai213 était le centre de fonctionnement de l’atelier du chemin de fer. Les pièces et équipements ferroviaires y étaient fabriqués. Les ateliers de fonderie, de forge, de

207 En 1857, la première voie ferrée de 500 varas (environ 500 mètres) est habilitée. La voie ferrée arrive d’Asunción jusqu’à Paraguari avant la guerre grande (1865-1870). 1 vara : 0,86 mètres. KLEINPENNING, Jan, Rural Paraguay, Rural Paraguay, 1870-1932, Centrum voor Studie en Documentatie van Latijns Amerika, Amsterdam, CEDLA, 1992, p. 512.

208 George Paddison, George Thompson, Evil D. Percy Burnell, Henry Valpy et John Whitehead ont été engagés par le gouvernement de Carlos A. López en tant qu’assesseurs techniques et travaillent aussi pour l’Arsenal. Les soldats du régiment paraguayen sont chargés des travaux de voies ferrées et de la coupe de bois.

PLÁ, Josefina., Los Británicos en el Paraguay., op.cit., pp. 41, 76, 94. ; WILLIAMS, John Hoyt, « Foreing Tecnicos and the modernisation of Paraguay », op.cit., pp. 233-257.

209 La place San Francisco est connue aujourd’hui sous le nom de « Plaza Uruguaya ». Elle est située en face de la station principale de la capitale Asunción. Le changement de nom eut lieu en 1885 en hommage à l’Uruguay qui cette année-là a retourné les trophées de guerre de la « Triple Alianza » (1865-1870).

210 Dans le port d’Asunción arrivaient les matériaux pour la construction de la voie ferroviaire.

211 Actuel « Jardin botanique ». L’inauguration a lieu le 21 octobre 1861 avec la bénédiction de l’évêque Gregorio Urbieta.

212 Ces deux villages conservent aujourd’hui leurs anciennes gares avec quelques appareils et meubles qui font référence à cette époque. Le parcours de 370 kilomètres de voies ferrées comprenait : le départ de la station centrale de la capitale Asunción, Botánico, Luque, Areguá, Patiño, Ypacarai, Pirayú, Cerro León, Paraguari, Escobar, Sapucai, Caballero, Ybytymi, Tebicuary, Coronel Martinez, Félix Pérez Cardozo, Villarrica, San Salvador, Ñumi (cela veut dire : « petit champ », en guarani : « ñu » : champ ; « mi » petit), Eugenio A. Garay, Fassardi, Gral. Morinigo, Pindoyú ; Iturbe, Maciel, Santa Luisa, Bertoni, Yegros, Isla Sacá, Yuty, Santa Rosa, Salitre Cué, San Pedro del Paraná, Gral. Artigas, Isla Alta, Coronel Bogado, Carmen del Paraná et Encarnación. Les gares qui se trouvent entre Asunción et Villarrica furent construites entre les années 1887 et 1894.

213 PLÁ, Josefina, Los Británicos en el Paraguay., op.cit., p. 207; HERKEN, Juan C., Ferrocarriles,

Conspiraciones y negocios en el Paraguay, Asunción, Arte Nuevo, 1984. p. 191.

La particularité de ces maisons de techniciens anglais est qu’elles sont toutes construites en matériau de terre cuite d’excellente qualité. D’autres constructions sont en fer et en bois de haute résistance. Les maisons étaient modernes et confortables, elles avaient l’eau courante, l’électricité et même un sauna. La plupart de ces maisons sont aujourd’hui abandonnées.

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charpenterie et de nombreuses machines y étaient concentrés. Les ingénieurs anglais vivaient alors dans des maisons de style britannique près des ateliers. Ces techniciens ont conçu un système d’eau courante, un des premiers de l’époque, qui acheminait l’eau de la montagne afin d’approvisionner la gare et la ville anglaise.

La situation catastrophique du pays du point de vue économique et financier après la guerre de la Triple Alliance (1865-1870) oblige l’État à vendre le chemin de fer par la loi du 4 mai 1871. Locomotives et mobiliers sont vendus afin de subvenir aux nécessités urgentes de l’État214 et quelques années plus tard, le chemin de fer est privatisé. Un immigrant italien215, Luigi Patri, associé à d’autres entrepreneurs, achète le chemin de fer en 1877216 par sa compagnie « Travasso Patri et compagnie » pour un prix de moins de 34 000 livres sterling. En 1886, le gouvernement intervient de nouveau et le chemin de fer est racheté par l’État217, mais M. Patri reste à la tête de l’administration ferroviaire à la demande de l’État. Durant cette période, les voies ferrées s’étendent de Paraguarí jusqu’à Villa Rica. En 1887, sous le gouvernement de Patricio Escobar (1886-1890) des étrangers participent à nouveau à la gestion et au développement de l’infrastructure. Des anglais créent la société « The Paraguay Central Railway Company » en collaboration avec l’État218. Des Italiens et des Anglais investis dans le développement des transports au Paraguay ne sont qu’un exemple de la politique de Carlos A. López, mais ils illustrent de manière probante la dynamique alors mise en route : faire venir de la main-d’œuvre étrangère pour développer le pays.

214 Registre officiel, 4 mai 1871 p. 190 ; Loi du 4 juillet de 1876, sur la vente du ferrocarril (chemin de fer) de Paraguay.

215 Né à Gênes en Italie, il émigre d’abord à Corrientes en Argentine à la fin de la guerre au Paraguay (1870) et s’engage par la suite dans l’armée argentine et brésilienne, ce qui signe son départ du sol paraguayen en 1876. Ensuite, M. Patri s’installe définitivement au Paraguay, il travaille dans l’élevage et l’agriculture, et fait ainsi fortune. En 1902, il retourne dans son pays où il reste jusqu’à la fin de ses jours (1904).

216 Registre officiel, loi du 30 décembre 1876, p. 83.

217 Sous le gouvernement du Président général Bernardino Caballero (1880-1886). Loi du 16 mai 1888 sur le prix de vente du chemin de fer.

218 Registre officiel, loi du 30 septembre 1876, p 189 ; Loi du 16 janvier 1877, p. 196. Loi du 25 juillet 1890, p. 8. ; HERKEN-KRAUER, J. C., Ferrocarriles, conspiraciones y negocios.., op.cit., pp. 291-316.

Au cours des années 1889, des locomotives portent les noms de « Général Escobar », « Général Caballero » en hommage aux Présidents de la République. D’autres prennent le nom de « Villarrica » et de « Progreso ». Selon les témoignages, les locomotives ont été fabriquées en Allemagne par la compagnie « Krupp ». Ces locomotives étaient vendues à la Russie et ensuite récupérées par l’Angleterre en tant qu’indemnisation de la guerre de Crimée avant d’arriver finalement au Paraguay. En 1892 arrive la locomotive « Général Bareiro », en 1893 la locomotive « La Paraguaya » ; les locomotives « Borja » (nom d’une petite ville) « Santa Clara » (nom d’une estancia, endroit par lequel devait passer la voie ferrée) ; « Caazapá » (nom d’un village) et « Yuty » arriveront quant à elles en 1895. Dans la langue guarani cela veut dire (Yú : aiguille ; ty : où abondent, ce qui fait probablement allusion à un type de plante avec des feuilles en forme d’aiguilles). Les noms des locomotives sont généralement choisis en hommage à des personnages de l’époque, des villages, des peuplades ou font référence à des mythes populaires régionaux.

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