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Les lois favorisant l’installation des Mennonites

Politique et types de migration

3.2. Institutions et primes agricoles

3.2.4. Les lois favorisant l’installation des Mennonites

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formeront dorénavant un seul bureau, le « Bureau général de l’immigration et de la colonisation », qui sera placé sous l’égide du ministère des Relations extérieures (art. 18)573.

Nous avons dressé un panorama de l’évolution du cadre législatif général mis en place afin de favoriser l’immigration entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Voyons désormais les lois votées en vue de soutenir l’installation d’une communauté particulière, le cas des Mennonites. L’objectif de cette partie est de comprendre l’évolution du dispositif légal, et la mise en œuvre de politiques spécifiques de l’implantation des immigrés d’après les différents types de processus migratoire.

3.2.4. Les lois favorisant l’installation des Mennonites

En 1921, des négociants mennonites originaires des États-Unis, spécialement la Fondation du Comité central mennonite (MCC) des États-Unis, et le gouvernement paraguayen entament des discussions sur la possibilité d’accueillir un groupe de Mennonites. Des Mennonites viendront du Canada et il s’agit de groupes émigrés de Russie574. Parmi les lois promulguées au cours du XXe siècle, certaines concernent donc l’installation de communautés étrangères spécifiques. La loi de 1921 est née sous le gouvernement de Manuel Gondra (1920-1921) et les premiers immigrants sont accueillis sous le gouvernement d’Eligio Ayala (1923-1924/1924-1928), alors présidents du Paraguay575, cette loi concerne tout particulièrement la communauté mennonite. La loi n° 514 de 1921576 accorde des droits et des privilèges à ses membres. Elle leur donne la possibilité de pratiquer leur religion et leur culte en toute liberté, et les exempte du service militaire. Cette loi privilégie leur vie en communauté, en leur donnant la possibilité de fonder des établissements spécifiques à l’instruction mennonite, d’enseigner leur religion et leur langue (dialecte mennonite), et cela sans aucune restriction. Selon leurs principes, la vente de boissons alcoolisées est interdite dans un périmètre de 5 kilomètres autour de leurs établissements, à moins qu’ils n’en fassent la demande. De plus, sur une période de 10 ans à compter de son arrivée dans le pays, la communauté mennonite bénéficie de la libre introduction de meubles, de machines, de semences, d’animaux, etc., soit de tout ce qui est nécessaire pour l’amélioration des conditions de vie et le développement de la colonie. Cette communauté est également exempte de tout type d’impôt national. Il est aussi à préciser qu’aucune autre loi existante ou à venir ne pourra empêcher l’entrée des immigrants mennonites dans le pays pour des raisons

573 République du Paraguay, Registre officiel, loi d’Immigration de 1903, pp. 735-739.

574 Le nom de mennonites vient du prêtre néerlandais Menno Simons qui a aidé à répandre la religion anabaptiste dans les Pays-Bas.

575 République du Paraguay, Registre officiel, loi n° 514 du 26 juillet 1921, pp. 336-337.

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d’âge ou d’inaptitude physique et mentale577. Ils seront libres d’administrer eux-mêmes leurs successions. Des avantages concernant l’installation des mennonites s’étendent aussi à l’échelle des individus qui viendront s’installer de façon individuelle dans le pays, dès lors qu’ils auront certifié appartenir à la communauté mennonite578.

Des mennonites émigrés entre la Première et la Deuxième Guerre mondiale fuyant la Russie, l’Ukraine, la Pologne sont traités comme des réfugiés et connus comme de nationalité « Mennonites ». Dans leur migration : ils ne sont ni Néerlandais, ni Russes, ni Allemands. Dans le registre des immigrants du Paraguay figurent d’ailleurs leur nationalité : « Mennonite ». « Un membre du Comité central mennonite du Canada manifeste au sujet de la nationalité : « Il vaut mieux les classer dans la catégorie des « mennonites » »579. L’utilisation de l’appellation «mennonite» servait alors pour faciliter leur migration en tant que réfugiés.

« Pour obtenir des documents de voyage, il fallait déclarer leur nationalité. Si les migrants se présentent comme Ukrainiens ou Russes, ils risquent la déportation vers l’URSS. Mais s’ils s’identifiaient comme des « Allemands de souche » - comme pendant la guerre - ils ont avoué leur collaboration nazie et n’étaient pas éligibles pour l’aide. Les organisations de secours mennonites ont avancé une troisième option, celle de « mennonites » »580.

Les travaux de Benjamin Gossen, sur l’histoire des mennonites, expliquent que, entre la Première et la Deuxième Guerre mondiale dans le contexte de «la violence internationale et de la mondialisation mennonite», a causé l’afflux de 20.000 mennonites au Canada. En référence à cet affluence ce pays leur a mis des barrières, le Canada ne voulait plus l’entrée des mennonites sur son territoire, de la même manière la Russie a décidé d’interdire l’immigration mennonite581. « Le Canada et la Russie ont déclaré que la présence mennonite n’était pas souhaitable […] et qu’ils prenaient les meilleures terres »582. À cet effet, en 1919, le gouvernement canadien a exclu l’immigration mennonite. C’est dans cette conjoncture que les membres du Comité central mennonite (MCC) ont dirigé leur regard vers le Paraguay qui les a acceptés.

En effet, après la loi de 1921 pour l’installation des Mennonites sur le territoire paraguayen, spécifiquement dans le Chaco, va apparaitre la loi Waisenamt créée par loi n° 1157 du 8 juin de 1930583. La loi a été promulguée par le gouvernement paraguayen à la

577 Rappelons que la loi générale d’immigration de 1903 interdit l’entrée aux malades mentaux. Les mennonites d’ailleurs ont une maison pour les malades mentaux dans leurs colonies au Chaco paraguayen.

578 ROMERO, Genaro, Colonización Menonita, (derechos, privilegios y concesiones a los miembros de la comunidad Menonita y a los de cualquier otra comunidad religiosa de procedencia europea o americana, que vengan a establecerse en el Chaco Paraguayo), Asunción, Imprenta Nacional, 1933.

579 « Mennonite nationalisme postwar aid and the politics of repatriation », dans GOOSSEN, Benjamin W. Chosen

Nation : Mennonites and Germany in a Global Era, Princenton University Press, 2017. pp. 174-199. 580 GOOSSEN, Benjamin W. Chosen Nation, Ibidem, pp. 174-199.

581 « World War, world confession international violence and mennonite globalization », GOOSSEN, Benjamin, W., Ibidem, pp. 96-120.

582 Ibidem.

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demande des représentants mennonites de la colonie Menno en raison du grand nombre d’orphelins mennonites. Lors de l’émigration au Paraguay (1927), de nombreux orphelins sont entrés dans le pays et certains parents sont morts lors de leur installation à Chaco.

À ce sujet, Benjamin Gossen donne un exemple de familles de la colonie du Chaco, « sur 641 familles dans une colonie paraguayenne, 40 % n’avaient pas de chef de famille masculin »584. Les avantages octroyés aux mennonites se poursuivent alors dans les années suivantes. La loi Waisenamt concernant les affaires relatives à l’adoption d’orphelins mennonites reconnait des clauses spéciales pour les mennonites de la colonie établie au Chaco paraguayen. Cette loi est créée pour administrer des biens successoraux pour la colonie Menno (art. 1er) du Chaco paraguayen, dont l’administration est destinée aux affaires relatives aux héritiers - orphelins et aux veuves mennonites. L’administration est composée de deux directeurs élus par le vote des colons mennonites et confirmés par le conseil de l’Église de la colonie (art.4). Les directeurs élus tous les trois ans ont la responsabilité de choisir un tuteur pour l’orphelin (art. 14), et de veiller au bien-être de l’enfant orphelin si celui-ci est destiné à une famille d’accueil. Entre autres, administrer leurs biens jusqu’à l’âge autorisé à l’enfant pour disposer de ses biens (art 8)585. Ce bureau recevra un pourcentage de la gestion du capital des biens administrés (art. 24-27). En somme, le bureau fonctionne comme une société financière dont les bénéfices sont pour l’Église et le développement de leur colonie. Cette loi a assuré aux mennonites l’administration de leurs biens dans leur colonie par des exceptions fiscales. On peut considérer ces groupes mennonites, comme le décrit Goossen, comme « un état mennonite » dans l’état paraguayen. On constate par ailleurs que leur vie religieuse est étroitement liée à leur vie civile.

Ce dispositif d’aide à cette communauté est également renforcé par la loi n° 16 083 du 22 décembre de 1942 qui l’exonère sur cinq années supplémentaires des droits d’importation pour certains produits et outils de la colonie586. Certaines communautés d’immigrants mennonites au Paraguay sont facilement reconnaissables par leurs cheveux blonds, leurs vêtements, leurs mamelouks bleu foncé 587; de même, les chapeaux particuliers que portent les hommes, et les jupes longue portées par les femmes. Arrivés dans le pays par petits groupes

584 « Mennonite nationalisme postwar aid and the politics of repatriation », GOOSSEN, Benjamin W., Ibidem, pp. 147-199.

585 Ibidem.

586 Demande de la prorogation des lois n° 514, et n° 9624 - cette dernière a été faite sous la demande des mennonites Francisco Heinrich, représentants commerciaux de la colonie mennonite du Chaco paraguayen, et Messieurs Jacob A. Braun, Jacob Friessen ; document n° 3835/1942 sous le rapport du Département de Terres et Colonies ; Direction générale des douanes ; Direction général des finances et Direction générale de l’Agriculture. République du Paraguay, Registre officiel, ministère des Finances, Asunción, loi n° 16088, 22 décembre 1942, p. 1252.

587 Voir aussi: BREDNICH, Rolf Wilh, Mennonite folklife and folklore : A preliminary report, « mennonite social customs », Ottawa, University of Ottawa Press, 1977, pp. 58-69.

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dès 1927, ils continueront de s’installer jusqu’à la fin XXe siècle. Les pionniers mennonites s’établiront d’abord dans la région centrale du Chaco paraguayen, puis les autres groupes se disperseront dans la région Orientale du pays.

Après l’entrée des Mennonites en 1927, au nombre de 1700, cette immigration se poursuit au Paraguay. D’autres groupes d’immigrants mennonites entre 1930 et 1931, 1 600 réfugiés sont arrivés d’Allemagne588, se joignant à ceux déjà installés au Chaco en provenance du Canada. Un plus petit nombre vient de Pologne. Et en 1932, un quatrième voyage - sous le parrainage du Comité central mennonite (MCC), d’Allemagne et de la Société des Nations - a quitté un camp de réfugiés dans le nord de la Chine. La Croix-Rouge française589 a retracé le voyage des réfugiés mennonites de Sibérie, de Russie arrivés au Paraguay en 1932 : les mennonites ont reçu l’aide du Bureau international des réfugiés de Shanghai et une subvention de la Fondation Nansen590. Ils sont montés à bord du bateau d’Artagnan à destination de Marseille, où la Croix-Rouge française les a aidés, puis au départ du port du Havre vers l’Argentine puis vers le Paraguay. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’autres groupes de réfugiés mennonites émigreront au Paraguay591. Des communautés plus fermées autre que les mennonites : les amish et les huttéristes592 émigreront également au Paraguay, venus des États-Unis, ces groupes bénéficieront des exemptions de la loi de 1921 accordées par la première loi aux mennonites Russes.

Le dispositif légal mis en place pour les Mennonites n’est donc pas tout à fait équivalent aux dispositifs légaux pour les autres groupes de colons immigrés. Du fait du caractère religieux et des manières de vivre propres à cette communauté, les Mennonites ont obtenu du gouvernement paraguayen des concessions leur permettant de vivre légalement autour de

588 Régime politique en Allemagne (1918-1933). op.cit. « World War, World confession international violence and mennonite globalization », GOOSSEN, Benjamin W., Chosen Nation.., op.cit., pp. 96-120.

589 « Emigrants Sibériens en route pour le Paraguay », 1932, pp. 162-481-482.

590 Le Haut-commissariat pour les réfugiés fut créé par le Docteur Nansen en 1921 « son mandat était dédié aux réfugiés russes » puis à d’autres nationalités. D’autres institutions pour venir en aide aux réfugiés et dont les mennonites ont profité de leur protection dans leur déplacement : l’Office international Nansen, commença à fonctionner en 1930, le commissariat pour les réfugiés provenant d’Allemagne en 1933 ; le Haut-commissariat pour l’ensemble des réfugiés en 1938, le Comité intergouvernemental pour les réfugiés ainsi que le Comité international des réfugiés en 1947.

BOUTTIER, Jean-Marie, « Les statuts des réfugiés et des apatrides », Esprit, nouvelle, vol 4, n° 348, 1966, pp. 631-643.

591 « En février 1947, le premier navire de réfugiés d’après-guerre s’embarque pour le Paraguay, transportant 2303 mennonites à bord. Presque tous ont reçu un financement de l’Organisation internationale pour les réfugiés. Bien que l’ONU n’ait jamais officiellement reconnu le « mennonitisme » comme une catégorie nationale distincte, il a traité le financement supplémentaire vers l’Amérique latine et le parrainage de milliers de migrants au Canada jusqu’au début des années 1950 ». 

« Mennonite nationalisme postwar aid and the politics of repatriation », dans GOOSEN, Benjamin W.,

Chosen Nation.., op.cit., pp. 147-199.

592 HANNERS, Sarah M., « Promised Lands », The University of Miami Inter-American Law Review, vol 48, n° 2, 2016, pp. 186-223.

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l’agriculture et dans un entre-soi communautaire593. Si, à cette époque, la politique migratoire se fait plus restrictive impliquant le choix des immigrants, nous observons que dans le même temps le gouvernement s’adapte aussi aux spécificités des immigrants et des colonies, ce qu’illustre également le cas de la colonie Trinacria. En effet, celle-ci est la première colonie agricole d’origine italienne (Sicile) et socialiste. Elle va attirer de nombreux ressortissants de cette région qui espèrent devenir propriétaires terriens.