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L’image d’Epinal d’un petit groupe bien organisé de militants sionistes ayant remporté la victoire face au déferlement de troupes arabes des pays entourant la Palestine mandataire doit être nuancée. S’il est vrai que les troupes sionistes étaient moins nombreuses que leurs adversaires, elles s’en différenciaient par des hommes plus moti- vés, une direction politico-militaire puissante et réaliste, une meilleure formation, et du matériel de guerre moderne, surtout après la première trêve imposée par la toute nouvelle Organisation des Nations Unies. L’histoire du David sioniste contre le Goliath arabe est donc plus complexe que ce qui subsiste dans la mémoire collective. Ce change- ment de perspective historique est du à deux faits dans l’histoire con- temporaine de l’Etat d’Israël : d’abord, l’arrivée d’une nouvelle géné-

ration d’universitaires n’ayant pas connu 1948 et dont le sionisme commençait à se démarquer de ce qu’il avait été aux débuts de l’Etat, c’est-à-dire une vision moins mystique et mythique ; ensuite après un délai de plusieurs décennies, l’ouverture à la consultation et à la re- cherche des archives militaires des groupes sionistes, puis des Forces de Défense d’Israël. Il en a été de même pour les archives britan- niques, puissance mandataire de la région. Ces nouveaux matériaux bruts, à peine censurés pour certains par des officiers spécialisés israé- liens chargés de la mise à disposition du public, ont permis de mieux comprendre le déroulement de la guerre de 1948 en Palestine. Cet éclairage est intéressant, malgré l’absence des archives des pays arabes alentour. Cela permet de remettre, dans son contexte, la victoire des forces sionistes, puis après le 14 mai 1948, de Tsahal127 et montre que les rapports de force, même s’ils n’assuraient pas nécessairement une victoire au futur Etat, le mettaient dans une position plus que fa- vorable.

Les forces sionistes pouvaient se prévaloir d’un exécutif efficace en la personne de D. Ben Gourion, personnage charismatique et réa- liste qui après avoir réussi l’union des différents courants sionistes et la mise à l’écart momentanée du courant révisionniste128, a su mener une politique aboutissant à la naissance de l’Etat d’Israël. Il a été aidé en cela par des personnalités fortes que l’on retrouvera plus tard à la direction de l’Etat hébreu ; en ce sens, elles seront influencées par la

127 Acronyme hébreu des Forces de Défense d’Israël. 128 Cf. infra.

pensée obsidionale129 du père fondateur. On peut citer, par exemple, G. Meir (anciennement Meierson), future Premier Ministre du pays, qui ira lever des fonds aux Etats-Unis et négociera les ventes d’armes tchécoslovaques utilisées par les forces israéliennes après la première trêve de 1948, ou S. Peres qui signera les Accords d’Oslo en 1993 aux côtés de Y. Rabin ; ce dernier, en 1948, défendra la ville de Jérusalem et affrontera les troupes égyptiennes dans le Néguev.

Les forces arabes, quant à elles, sont divisées, mais elles devront aller au combat pour des raisons de politique intérieure et de prestige, les sionistes étant considérés comme le bras armé des puissances co- lonisatrices, en particulier de la Grande-Bretagne. A la fin des années 40, les différentes armées arabes sont mal organisées et mal préparées, à la notable exception des troupes transjordaniennes. La Transjordanie est alors dirigée par le roi Abdallah, qui a été placé sur le trône par les Britanniques, et dont le frère est devenu roi d’Irak de la même façon. La place centrale de la Transjordanie la rend capitale dans le contrôle de la région, l’aide britannique militaire y est conséquente. La Légion arabe, dirigée par Glubb Pacha130, est une armée bédouine bien entraî- née et bien équipée. Les forces juives ont parfaitement compris le pro- blème. Le roi Abdallah s’est aussi rendu compte qu’il serait préférable de ne pas se confronter aux sionistes, car il risquait de perdre beau-

129 L’ adjectif « obsidional » est issu du latin et signifie « cité assiégée ». A Rome, se célébrait un triomphe obsi-

dional pour un général ayant réussi à libérer une ville ou une légion assiégées. L’idéologie politique du nouvel Etat d’Israël sera obsidionale, au sens où constamment les dirigeants de ce pays se sentent menacés par un dan- ger extérieur, arabe en particulier, Delumeau J., La Peur en Occident, Paris, Hachette Littérature/Pluriel Histoire, 1978, p. 26 et suivantes.

coup d’hommes et donc de se retrouver dans une position probléma- tique pour ses affaires intérieures131. En ce sens, les dirigeants sio- nistes et le gouvernement transjordanien vont chercher à entrer en contact pour « négocier la guerre », c’est-à-dire décider jusqu’à quelles lignes de front pourront pousser les deux parties en présence et là mettre fin aux hostilités réciproques. Les troupes ne feraient pas semblant de se battre, cependant le « scénario » était déjà écrit132 en partie. La perception que l’on peut avoir d’un bloc monolithique arabe attaquant les créateurs du futur Etat d’Israël est donc beaucoup plus complexe dans la réalité. Les opinions publiques des pays arabes, à l’inverse, ont toutes soutenu une intervention contre les forces sio- nistes, ce qui a parfois poussé leur gouvernement à agir contre leurs intérêts. L’Egypte, par exemple, ne souhaitait pas s’engager dans le conflit, car elle préférait chercher à sortir de sa dépendance de fait vis- à-vis de la Grande-Bretagne avec qui elle avait des accords militaires et politiques. L’affaiblissement de l’armée égyptienne après un conflit aurait pu justifier pour les Britanniques le fait de rester dans le pays.

Les Palestiniens, eux, ont beaucoup souffert des conséquences de leur révolte entre 1936 et 1939. Les forces mandataires, soutenues par certains groupes paramilitaires sionistes, ont durement réprimé le mouvement, ce qui s’est soldé par une désorganisation politique in- tense et un affaiblissement significatif des groupes armés palestiniens.

131 Sa place sur le trône transjordanien due aux Britanniques ne lui donnait pas un appui populaire conséquent. Il

jouissait surtout du soutien des bédouins. De plus, il avait aussi l’ambition de créer une Grande Syrie comprenant la Transjordanie, la Syrie et le Liban. Ce thème sera repris plus tard par les dirigeants syriens.

132 Shlaim A., Collusion accross the Jordan: King Abdullah, the Zionist movement, and the partition of Pales-

On constate donc que, à la veille de la guerre de 1948 en Pales- tine, la situation est relativement à l’avantage des forces sionistes.

D’abord, elles sont bien organisées et bien structurées133. Leurs hommes sont entraînés, bien encadrés politiquement et motivés. Ces hommes et ces femmes134 d’origine européenne n’ont, de plus, sou- vent que peu à perdre, hormis ce qu’ils ont construit en Palestine, leur vie antérieure135 ayant « disparu » dans les ravages du deuxième con- flit mondial et leurs familles ayant été quasiment toutes déportées dans les camps de la mort nazis. Pour eux, l’avenir ne peut être que sur cette terre palestinienne. Ils n’ont plus d’autre choix, plus de racine à part celles d’être juif et donc d’être sur la terre de « leur Histoire ». Cette donnée historique permet de comprendre la motivation des troupes sionistes, s’ajoutant à celle de voir se réaliser le rêve de T. Herzl pour lequel des militants ont travaillé pendant environ un demi- siècle.

Ensuite, les Palestiniens ont été défaits lors de leur révolte de la fin des années 30. Les différents leaders de l’époque soit ont disparu comme A. al-Kassem, soit ont dû s’exiler, comme le grand Mufti de Jérusalem, Hajj A. al-Husseini136. Les populations palestiniennes vont se retrouver sans structure face à l’organisation et à l’efficacité des

133 Il existe cependant des groupes dissidents révisionnistes extrémistes et violents comme l’Irgoun, et sa scis-

sion, créée par A. Stern, le Lehi. Ils seront par la suite en partie intégrés aux Forces de Défense d’Israël.

134 Il y aura beaucoup de combattantes.

135 Pour ceux arrivés dans l’entre-deux guerres, il pouvait rester un lien avec le pays d’origine (famille, commu-

nauté), mais les informations qui arrivent d’Europe avec les réfugiés leur montrent rapidement qu’ils n’ont plus rien à espérer d’un retour dans le pays natal.

136 Celui-ci nouera d’ailleurs des relations avec le régime hitlérien dans le but de faire partir les juifs de la Pales-

tine mandataire. Le choix du III° Reich, d’un point de vue politique, est retenu, les Britanniques étant jugés trop philosémites, car ils permettent aux juifs d’immigrer en Palestine.

forces sionistes, donc leur résistance ne sera que peu préparée, et sou- vent faite d’actes isolés. Cette désorganisation causera en partie les mouvements qui conduiront au départ d’environ sept cent cinquante mille palestiniens de leurs foyers.

Enfin, la division et les intérêts divergents des pays arabes ne permettront pas un commandement militaire centralisé procurant une gestion stratégique efficace du conflit face à un ennemi qui bien qu’inférieur en nombre était extrêmement bien préparé et motivé.

Les troubles réels vont débuter lorsque l’ONU vote le plan de partage de la Palestine en deux entités indépendantes, le 29 novembre 1947 : d’un côté, un Etat juif, de l’autre, un Etat arabe, sur proposition de la commission spéciale de l’UNSCOP137. Les sionistes acceptent ce texte sans réserve, les Palestiniens le rejettent. Les populations juives sont en liesse. Les Palestiniens se mettent en grève générale, le 2 dé- cembre, tandis que le Haut Comité Arabe, organe tentant de centrali- ser la défense des intérêts des Arabes palestiniens, organise des comi- tés d’auto-défense. Parallèlement, la Haganah, la branche militaire de l’Exécutif sioniste, mobilise ses réservistes. De plus, les autorités mandataires britanniques déclarent qu’elles se retireront de la région le 15 mai 1948, laissant les deux populations face à face. Tous les élé- ments sont donc en place pour une guerre « civile » circonscrite en Pa- lestine, mais le conflit va s’internationaliser rapidement.

137 D’autres plans avaient été proposés auparavant par les autorités mandataires, mais ils ont toujours été refusés

par les Palestiniens et les Etats arabes qui n’ont jamais voulu la division de la région, même si la présence juive en tant que telle ne les dérangeait pas, tant que les règles islamiques sur les minorités étaient appliquées.

B. La guerre de Palestine de 1948 : perspec-

tives stratégiques israélienne et arabe –