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La naissance de l’arabisme : l’affirmation d’une na tion au cœur de l’islam et de l’Empire ottoman

juive et musulmane : origine et pro messe juives –conquête et terre d’islam

A. La naissance de l’arabisme : l’affirmation d’une na tion au cœur de l’islam et de l’Empire ottoman

a. Orientalisme et apparition de l’arabité dans l’Europe du XVIII° au début du XX° siècle

Le nationalisme arabe est original, car son substrat idéologique n’est pas endogène. En fait, il naît dans la pensée européenne des Lu- mières. Les penseurs français du XVIII° siècle voient dans les Arabes un peuple opprimé par l’envahisseur turc ottoman à la manière des Gallo-romains qui auraient formé le Tiers-Etat de la France monar- chique, soumis par les envahisseurs germains devenus l’Aristocratie. On plaque donc une grille de lecture nationaliste dans une région où ne se pose pas de question des nationalités. Les Arabes, eux, seront considérés comme la civilisation véridique de l’Islam, à l’inverse des Ottomans qui, comme la noblesse, ont usurpé la place et l’importance des créateurs de la civilisation musulmane. Dans l’Empire ottoman, la distinction ne se fait pas quant à la « nation », mais par rapport à la re- ligion : est Ottoman celui qui est musulman sunnite quelle que soit sa

langue ou son ethnie75. Les populations des zones arabes, comme la Syrie, la Palestine, l’Egypte ou le Maghreb, ne se sentent pas oppri- mées par les Turcs, en outre elles ne se considèrent pas non plus spéci- fiquement comme arabes. A cette époque l’arabité est un concept spé- cifique qui se rattache à la bédouinité. Elle est souvent synonyme d’arriération et de mode de vie tribal. Ces « Arabes » sont d’ailleurs considérés par les grammairiens comme les possesseurs de la vraie langue arabe, car ils ne subissent pas l’influence du cosmopolitisme urbain censé corrompre la langue. De plus, dans les régions syriennes, ces « Arabes » sont craints des populations à cause des razzias lancées périodiquement sur les cultures et les villes de la région. L’armée ot- tomane est parfois obligée d’intervenir pour faire cesser ces exactions. Les « Arabes » sont donc, à l’époque, pour les sujets ottomans vivant au Machrek et au Maghreb, un symbole de rusticité, voire de barbarie et d’insécurité. La reconnaissance des populations du Maghreb et du Machrek en tant qu’Arabes aura une cause exogène. Elle viendra de l’impérialisme des puissances européennes, en particulier française et britannique, sur la région76. Ces deux puissances auront deux visions différentes de l’arabité.

La France exerce une influence importante dans le Levant et en Egypte, d’abord à cause de la campagne d’Egypte de N. Bonaparte qui, si elle n’a pas conduit à une colonisation, a affirmé sa place dans

75 Les autres musulmans, chiites par exemple, sont considérés comme hérétiques, tandis que les monothéistes

chrétiens ou juifs ont un statut de protégé particulier (dhimma).

76 Pour une étude très précise de ce thème, voir Henry Laurens, Orientales III, Parcours et situations, Paris,

CNRS éditions, 2004 ou Olivier Carré, le Nationalisme arabe, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1996 (1993 pour la première édition).

la région77. Par ailleurs, elle s’installe en Algérie à partir de 1830, qu’elle conquiert au prix d’une guerre longue et difficile et sa présence s’affirme de plus en plus en Tunisie. Ensuite la France, qu’elle soit monarchique, impériale ou républicaine, se considérera comme pro- tectrice des catholiques orientaux, puis des Eglises uniates78. Cela lui permettra de se créer une clientèle locale importante, car cette protec- tion permet aux consuls de France de défendre les intérêts juridiques et économiques de ses protégés contre ou en collaboration avec l’administration ottomane. Peu à peu, surtout en Syrie et au Liban, cette protection s’étendra aux notables arabophones qui viendront se former en France et qui déjà suivaient un enseignement francophone dans les nombreuses écoles, religieuses ou non, soutenues par la France79. En Palestine, les écoles de l’Alliance israélite universelle créées pour les juifs du vieux Yichouv et les nouveaux arrivants d’Europe centrale dispensaient aussi leurs cours en français. Cette im- portance de la langue et de la culture française sera, enfin, renforcée par une décision importante de la Sublime Porte80. Le français est la langue de la diplomatie, en conséquence tous les fonctionnaires otto- mans vont être obligés d’apprendre cette langue s’ils veulent avoir une carrière dans l’administration locale qui traite de plus en plus avec les consuls et les représentants étrangers s’installant dans l’Empire.

77 Les Egyptiens utiliseront longtemps le français comme langue de culture, les consuls britanniques en place

devront d’ailleurs s’entretenir avec les élites locales dans cette langue.

78 Les Eglises uniates sont des églises de rite oriental qui se rattacheront à Rome. Ce lien religieux renforcera

encore l’influence française dans la région du Levant.

79 La France voulait créer un grand royaume arabe dans la région durant le Second Empire confié à l’émir algé-

rien Abdelkader qui refusa l’offre. D’autres personnes furent envisagées, mais l’idée fut rapidement abandonnée.

L’image d’Epinal de l’Arabe qui va naître alors en France est celle du Levantin francophone, urbain, « civilisé », proche des idées des Lumières, vivant sur la côté méditerranéenne orientale. En ce sens, il rentre dans la « mission civilisatrice » française grâce à l’éducation des populations aux progrès et aux idées modernistes pour relever cul- turellement et économiquement ces régions restées en retard par rap- port au reste du monde. L’importance économique de la France dans l’Empire ottoman sera considérable avec les différentes concessions qui lui seront attribuées par la Porte81. Elle permettra au Levant de se développer et de rentrer de plain-pied dans l’économie-monde s’installant à l’époque au travers des idées capitalistes et libérales.

Les Britanniques auront une vision totalement différente des po- pulations locales. La grande influence française, surtout en Egypte, les dérange dans leur volonté de contrôler la route des Indes qui passe par l’Egypte pour les voies maritimes, et à travers le Proche et le Moyen- Orient pour les voies terrestres82. La culture levantine francophone est très forte, c’est l’époque de la « France du Levant » comme l’appelleront avec orgueil les gouvernants français. Les Britanniques, en réaction, privilégieront les relations avec les populations de l’intérieur des terres. Ils envisageaient une conquête des territoires de la région de l’intérieur des terres vers les côtes, à l’inverse des Fran- çais. En ce sens, ils vont reprendre le concept oriental de l’Arabe- bédouin, mais en lui donnant un aspect positif. Au lieu d’être symbole

81 Par exemple sur les chemins de fer. 82 Palestine, Irak, Perse et Afghanistan.

d’arriération et de violence83, l’Arabe-bédouin va devenir le détenteur de l’intégrité arabe face à la corruption urbaine et francophone. L’Arabe est alors un nomade, vivant de l’élevage et de la razzia, mon- té sur son dromadaire. Il a une vie frugale et difficile dans un environ- nement hostile. Il n’est pas corrompu par une occidentalisation qui lui fait perdre ses racines et par un cosmopolitisme acculturant. C’est en ce sens que les Britanniques seront intéressés par une alliance avec la famille Saoud contre les Turcs pendant le premier conflit mondial. Ce sont des Arabes de la Péninsule pratiquant un Islam très rigoriste et intransigeant comme le démontre encore, de nos jours, la structure so- ciale et juridique de l’Arabie saoudite, directement fondée sur une conception fondamentaliste de l’Islam, le wahhabisme du nom de son créateur84. La différence essentielle de conception des impérialismes français et britannique est alors visible. La France mène une politique d’intégration des populations à la culture métropolitaine pour accom- plir sa « mission » de civilisation en Orient. Les Britanniques, eux, es- saient de privilégier des intérêts économiques85 et stratégiques86 ; de plus, l’influence culturelle n’est pas une priorité de cet Empire. Celui- ci aussi coûte cher, surtout en soldats pour y maintenir l’ordre, des dé- penses plus conséquentes auraient été difficiles à supporter pour le pays. En conséquence, les Britanniques, à la différence des Français,

83 La lutte entre sédentaires et nomades est bien antérieure à l’Islam et a continué malgré leur conversion à la foi

musulmane, comme le montrent les problèmes en Syrie centrale au XIX° siècle où des troupes ottomanes seront envoyées pour rétablir l’ordre à cause de frictions entre ces deux groupes.

84 Mohammed ibn al-Wahhab était un imam et le chef de la tribu arabe des Abu Tamim. Au XVIII° siècle, il a

créée le courant auquel il a donné son nom. Son objectif était la pureté et l’orthodoxie religieuse la plus rigou- reuse, d’après ce qu’aurait été l’Islam des premiers temps. Il est considéré comme l’un des inspirateurs des groupes religieux musulmans salafistes actuels.

85 Le pétrole, par exemple. 86 La route des Indes.

vont avoir une présence indirecte, c’est-à-dire qu’ils vont chercher à s’appuyer sur les élites locales en jouant souvent sur leurs rivalités87, par le contrôle de la nomination des dirigeants ou en les influençant.

La génération de l’image moderne de l’Arabe qui mènera à l’arabisme, a été reprise par les intellectuels arabes, musulmans ou non, pour y adjoindre des idées nationalistes et religieuses. Il se créera donc des pensées laïques ou islamiques de l’arabité et donc de l’arabisme. Ces courants s’influenceront pour parvenir à l’idéologie arabiste contemporaine qui est un corpus plutôt qu’une unité de pen- sée.

b. La naissance de l’arabisme en Turquie d’Asie : nationalisme et Islam

Les premiers courants arabistes88 apparaissent avec l’influence occidentale dans la région de la Turquie d’Asie selon la terminologie du XIX° siècle, c’est-à-dire dans les Proche et Moyen-Orients actuels,

87 Cas de l’Egypte ou de la Péninsule arabique, par exemple, où il n’y aura pas d’administration directe, excep-

tion faite de la Palestine mandataire.

en particulier dans ce qui deviendra la Syrie et le Liban contempo- rains. Ces régions de l’Empire ottoman sous influence française voient naître une élite éduquée dans des écoles souvent francophones. L’idée de nation à la française, comprise comme l’intégration de tous dans la communauté nationale issue de l’Histoire, influe sur un protonationa- lisme arabe naissant. Ce nationalisme se construit négativement contre les Ottomans, donc contre l’élément turc ou touranien, et en ce sens il prend un caractère ethnique qu’on ne trouvait pas originellement dans la région. La religion est de moins en moins un ciment entre les diffé- rents groupes vivant dans la région. L’Empire ottoman est de plus en plus soumis à d’importantes forces revendicatrices en Syrie, encore rattachées au milieu du XIX° siècle à la répartition des pouvoirs. Les élites locales arabes se sentent exclues de la prise de décision, délé- guée à des fonctionnaires de la Porte qui traitent directement avec les consuls étrangers sur place, sans nécessairement y intégrer les no- tables. La renaissance arabe va donc se fonder sur des critères d’abord ethniques et culturels ; cependant elle sera rapidement « délaïcisée » par des courants religieux considérant que l’identité arabe ne peut ex- clure le fait religieux musulman. La nation arabe n’existe que par l’action unificatrice de la religion musulmane, en ce sens un concept de nation excluant ce fait ne serait pas fondé pour ces courants nais- sant. On étudiera d’abord la naissance du nationalisme arabe aux XIX° et XX° siècles, ensuite les aspects religieux qui y ont été appor- tés par certains groupes de pensée et enfin l’influence de ces deux courants sur la notion de frontière qui est essentielle dans les pro-

blèmes de règlement juridique du conflit entre l’Etat d’Israël et ses voisins.

c. Arabisme culturel et ethnique à la fin du XIX° siècle89

La renaissance arabe, appelée Nahda, est avant tout culturelle. Elle se fonde sur la difficulté de reconnaissance de l’identité arabe au sein de l’Empire ottoman. Le « credo » ottoman considérait comme sujet toute personne musulmane sunnite vivant sur son territoire, l’ethnie n’entrait pas en compte. Cependant, les plus hauts postes ad- ministratifs de l’Asie arabe étaient souvent occupés par des Turcs ou des Européens90 nommés par la Porte, que les notables locaux trou- vaient lointaine et donc peu au fait des réalités locale. L’influence des idées nationales européennes gagne dans les milieux cultivés. D’autant plus que les puissances occidentales différencient l’élément arabe de l’élément turc dans l’Empire. Ces élites sont généralement formées dans des établissements scolaires français ou anglo-saxons91.

89 Cloarec V. et Laurens H., Le Moyen-Orient au 20e

siècle, Paris, Armand Colin, 2000 ; Laurens H., Orientales III – Parcours et situations, Paris, CNRS Editions, 2004 (en particulier les pages 71 et suivantes) ; Abitbol M., Les amnésiques, juifs et arabes à l’ombre du conflit du Proche-Orient, Paris, Perrin, 2005.

90 Européens se comprend ici au sens ethnique, c’est-à-dire des sujets ottomans d’origines caucasiennes ou bal-

kaniques.

Le système des capitations dans l’Empire crée une distorsion des droits entre les différents sujets. Les chrétiens, par exemple, sont en grande partie « protégés » par la France, ce qui signifie que s’il y a un différend entre un chrétien et un musulman, on en réfère au consul de France qui gèrera la question avec un représentant local de la Porte. Ce système profite beaucoup aux minorités de l’Empire laissant der- rière la population musulmane de l’Asie arabe. En 1860, les rancœurs économiques et sociales des musulmans de Grande Syrie92 se cristalli- sent sur les chrétiens du Liban et de la région de Damas, des exactions se produisent. Le mouvement culturaliste qui va naître est le fait de chrétiens du Levant, ce sont avant tout des courants syrianistes. Ils vont fonder l’identité arabe ou arabité sur le fait culturel arabe dans l’Histoire. Ce dernier ne s’attache pas à la religion, mais à une com- munauté linguistique et historique. Les Arabes sont ceux qui parlent cette langue ou un de ses dialectes93, qui ont un mode de vie oriental (sans pour autant rejeter le modernisme) et qui font partie de la com- munauté de destin de ce peuple, c’est-à-dire la propagation de l’Islam de l’Espagne aux confins de la Chine, l’Andalousie classique, etc. Ce mouvement syrianiste plaide pour un Etat arabe dans la Grande Syrie sous la protection de la Porte. L’indépendance n’est donc pas un ob- jectif en soi. Cette autonomie serait une reconnaissance du particula- risme arabe, mais en gardant la tolérance religieuse ottomane et en re- connaissant l’égalité des Arabes quelle que soit leur confession. Ces

92 Nous entendons ici par Grande Syrie, les entités politiques actuelles de Syrie, du Liban, et une partie du sud de

la Turquie et du nord de l’Etat d’Israël.

93 On ne s’attache plus à la généalogie traditionnelle qui faisait que les Arabes étaient un peuple issu des tribus

arabistes soutiendront le mouvement constitutionnaliste prenant son essor dans l’Empire après 1880 et la contestation du régime autoritaire du sultan Abdul Hamid. Cependant, ce courant ne sera pas le plus im- portant dans le passage de l’arabité à l’arabisme. L’influence de pen- seurs plus religieux sera déterminante.

d. L’apport religieux au nationalisme arabe

L’arabisme qui au début se définit comme un culturalisme va in- tégrer peu à peu, sous l’influence des réformistes musulmans ou Sala- fiya, la valeur religieuse et incidemment ethnique. La révélation du Coran en langue arabe en est une des raisons principales.

L’Islam devient un instrument de combat94 contre la colonisation occidentale dans la région. Ce réformisme se fonde sur un retour aux sources mythiques de l’Islam, en grande partie reconstruit. En ce sens, il est contre le despotisme politique traditionnel des Etats musulmans. La consultation des croyants existe dans le Coran, ce mouvement dé- sire donc que la vie politique tienne compte de ce principe sans avoir à se référer aux systèmes occidentaux. Les tenants de ce courant de pen-

94 Cloarec Y. et Laurens H., Ibid., p. 18.

sée mettent en exergue les valeurs sociales et humanistes de la société musulmane en insistant sur l’éducation du monde musulman et la re- naissance de la langue arabe95. De l’arabité, on passe donc à une re- naissance sociétale appuyée sur la foi musulmane considérée comme la particularité des Arabes. R. Rida, héritier intellectuel du penseur musulman M. Abdu, va faire le lien. Pour que les musulmans retrou- vent leur grandeur, il faut revenir aux sources religieuses premières, l’Islam doit donc être épuré de ses apports perses et turcs et le califat doit redevenir arabe, comme aux premiers temps. Ceci fait incidem- ment revenir à la question de l’espace arabe, car dans ce cas la Pales- tine entre dans son champ, puisqu’elle fut conquise dès les débuts de la conquête musulmane (Jérusalem est prise en 638 et Césarée en 640)96. L’objectif de ces penseurs est le rétablissement d’un califat arabe sur le monde musulman, défini par le Dar al-Islam, c’est-à-dire sur toutes les terres conquises lors de l’expansion de l’Islam et qui sont donc par nature musulmanes. R. Rida sera un des inspirateurs du courant islamiste. H. al-Banna, lui, créera en 1928 les Frères musul- mans, une confrérie inspirée par les écrits de R. Rida et sa conception de l’Etat islamique. Les courants nationalistes et religieux vont se ren- contrer et se nourrir idéologiquement l’un de l’autre tout au long du XX° siècle jusqu’à nos jours. Lorsque l’Organisation de Libération de la Palestine dirigé par la Fatah de Y. Arafat abandonnera ses réclama- tions internationales sur la totalité de la Palestine mandataire dans les années 80, les organisations islamistes naissantes en Palestine comme

95 Cloarec V. et Laurens H., Ibid., p.19. 96 Le prophète Muhammad est mort en 632.

le Hamas et le Djihad islamique, inspirées par l’idéologie des Frères musulmans, reprendront à leur compte cette revendication. Dans l’autre sens, le nationalisme arabe s’appuie sur l’Islam pour en faire un lien entre Arabes, généralement musulmans et pieux, en tant que fondement culturel essentiel de la nation, ceci malgré l’aspect laïque et interconfessionnel de cette idéologie97 à ses débuts. Certains chrétiens soutiendront même l’instauration d’un califat arabe.

En même temps qu’apparaît cette renaissance nationale arabe en Orient, des événements de l’autre côté de la Méditerranée, de l’affaire A. Dreyfus en France jusqu’aux pogromes ukrainiens, vont con- traindre des intellectuels juifs à réfléchir à l’intégration des popula- tions israélites en Europe. C’est la naissance du sionisme ou retour à Sion98.

B. L’apparition du sionisme en Orient : l’émergence