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La Palestine mandataire est la terre de l’Histoire par excellence, car elle est restée au centre de la pensée et de l’histoire juives médié- vales et modernes et le Judaïsme s’est pensé dans le cadre de la dias- pora après le I° siècle en la gardant toujours comme référent géogra- phique et spirituel. Pour les chrétiens du Moyen-Age surtout, c’est le lieu de l’histoire exemplaire, celle à laquelle on se réfère pour penser le monde, pour comprendre le pourquoi de tel ou tel événement con- temporain et donc quel message Dieu nous envoie46. Pour l’Islam en-

46 Cela correspond à une vision infiniment répétitive de l’Histoire qui malgré le progrès technique ou autre ne

change pas. Cette reprise de l’histoire juive à son compte tient au concept de « verus Israël » (le véritable Israël) des chrétiens primitifs qui considérèrent que les juifs sont restés dans l’erreur en ne voyant pas dans le Christ le messie. Ce concept est un fondement de la chrétienté. On le voit souvent, de nos jours, dans les mouvements

fin, né dans la Péninsule arabique, elle est la référence monothéiste, car les juifs sont les premiers croyants en un seul Dieu avec les « Abrahamistes »47 de la Péninsule. Elle est l’endroit vers lequel les croyants se tournaient pour faire la prière avant que les discordes entre les premiers musulmans et les tribus arabes juives ne conduisent les musulmans à tourner la qibla48 vers la Mecque. C’est enfin à Jérusa- lem que Mahomet se serait élevé aux Cieux à l’emplacement de l’ancien temple juif. Cette partie du monde est aussi le lieu de déve- loppement et d’essaimage de ces trois monothéismes surtout pour le Christianisme et le Judaïsme, elle devient la Terre sainte, la terre bénie par les trois croyances religieuses d’origine sémite. Les trois religions se rattachent donc à cette partie du monde d’un point de vue théolo- gique49.

chrétiens protestants étatsuniens pour lesquels la seule lecture de l’Histoire et surtout celle de la région ne peut se faire qu’avec des textes religieux écrits pour les premiers il y a environ trois mille ans. Ce fait sociétal sera vu plus loin, car il influence beaucoup la politique des Etats-Unis dans la région depuis 2000. Voir à ce sujet Lieven A., Le nouveau nationalisme américain, Paris, Lattès, 2005, ou encore Kepel G., Fitna, guerre au cœur de

l’Islam, Paris, Gallimard, 2004, entr’autres.

47 Ils sont appelés « Hanif » et seraient des descendants direct de la foi d’Ismaël, ancêtre biblique des Arabes, fils

d’Abraham et de sa servante Agar, selon la tradition arabe. Cette hypothèse est cependant remise en cause par certains historiens, ces « Hanif » seraient en fait des Ebionites ou judéonazaréens, c’est-à-dire pratiquant un Judaïsme christique, mais non chrétien, Gallez E.-M., Le messie et son prophète : Aux origines de l’Islam, Paris, Editions de Paris, Studia Islamica, 2005 (2 tomes) .

48 La qibla est une niche au fond d’une mosquée qui montre la direction de la pierre sacré de la Kaaba à la

Mecque vers laquelle les croyants prient.

49 Pour les juifs, c’est la terre promise par Hachem, pour les chrétiens, c’est là que le Christ est né, a prêché, a été

mis en croix et a ressuscité, enfin pour les musulmans, c’est à cet endroit que le Prophète Mahomet est monté aux Cieux.

Un « irrédentisme » religieux juif et musulman

Ce rappel de l’histoire religieuse permettra de mettre en lumière plus loin l’importance du fait religieux dans la naissance des idéolo- gies sioniste et arabiste, mais aussi islamiste, ainsi que dans la percep- tion de certains cercles chrétiens étatsuniens influents à Washington. Ces données sont importantes, car elles influencent les acteurs du con- flit de manière conséquente. C’est pour cela que parfois en dehors de considérations politiques ou stratégiques des décisions peuvent pa- raître incompréhensibles, comme par exemple le fait de ne pas vouloir laisser le Haram al-Sharif (Esplanade des Mosquées) aux Palestiniens pour l’Etat d’Israël ou l’attachement des Palestiniens à vouloir coûte que coûte faire de Jérusalem leur capitale. Cela d’autant plus qu’Israël avait conduit une guerre de conquête en 1967 et que Jérusalem n’a jamais été la capitale d’un quelconque Etat arabe. Historiquement, la cité n’a été une capitale régionale que par intermittence du temps des Ottomans, mais elle fut le siège de la monarchie unifiée hébreu et la ville de David et Salomon.

En fait, les deux parties sont face à un phénomène relativement original, fondé sur un concept politique moderne, bien qu’il trouve ses racines très loin dans l’histoire. C’est un « irrédentisme » d’un genre particulier.

Communément, l’irrédentisme se comprend, avec la « création » de ce concept par l’Italie du XIX° siècle à propos des régions de la Dalmatie50, de l’Istrie, du Trentin, du Tessin, de l’Albanie, de Malte et de la Corse, comme la prise de contrôle du territoire d’un peuple A par un peuple B considérant que cette terre fait partie intégrante de son territoire national et que les dirigeants de cette zone ne sont pas dans leur « droit » historique, illégitimes puisque non-membre du peuple B. On le retrouvera aussi chez les Serbes de Serbie considérant le Koso- vo comme lieu de la création de leur nation après une bataille perdue contre les Ottomans au XIVème siècle ou « bataille du champ des merles ». L’Allemagne nazie avec la Pologne, la Tchécoslovaquie (Sudètes) et l’Autriche, en sont aussi un bon exemple, entr’autres. On est ici face à un irrédentisme ethnique, fondé sur l’idée que ces terri- toires font partie intégrante, soit d’un espace vital51 fantasmé, soit d’une « possession » historique issue de mythes nationaux ou d’anciennes conquêtes depuis perdues, mais restées ancrées dans l’imaginaire populaire. On peut prendre deux exemples : la présence au Moyen-Age dans les pays baltes des Chevaliers teutoniques qui justifiera une partie des invasions nazies à l’est ou la revendication de la France vis-à-vis du Levant plusieurs siècles après les croisades dans

50 Ce concept se fonde ici sur le fait que de nombreuses personnes de la côte dalmate (schématiquement, la partie

maritime de la Croatie actuelle) étant de langue italienne, cela justifiait l’annexion de cette région, pour les te- nants de cette idée.

51 C’est le cas de l’Allemagne hitlérienne. Ce concept conduira au plus grand génocide du XX° siècle, avec envi-

ron 7 millions de morts dans les camps de concentration et d’extermination -dont 6 millions de juifs-, sans comp- ter les victimes directes ou indirectes des opérations militaires. Cette tragédie a justement abondé dans le bien- fondé de créer un Etat juif pour protéger des populations menacées par le racisme local, en particulier en Europe centrale et de l’Est, ainsi qu’en Russie.

son rôle de protectrice des minorités chrétiennes, alors qu’elle est de- venue un pays laïque. Ce rappel est nécessaire pour démontrer la dif- férence fondamentale entre des phénomènes qui paraissent se ressem- bler mais qui sont complètement distincts dans les faits, car l’emploi par la suite du terme « irrédentisme » religieux pourrait prêter à confu- sion.

Le critère ethnique n’est donc pas fondamental de prime abord52. On parlera plutôt ici d’un « irrédentisme » religieux qui, s’il se fonde sur une promesse de terre à un groupe religieux particulier, n’a pas dans son essence le rejet de l’autre. La terre doit être dirigée par un groupe spécifique, mais cela ne signifie nullement la destruction des autres. Cette différence est cruciale pour percevoir précisément la por- tée de ce concept. La justification principale de la présence israélienne et arabe dans la région n’a donc guère à voir avec l’ethnie, le point central est l’histoire religieuse. Cette histoire va créer des idéologies nationalistes53 en rencontrant les concepts de nation et d’Etat au XIX° siècle.

52 La religion est l’axe principal, les dérives ethnicistes racistes et antisémites de la région sont des conséquences

idéologiques.

53 A cause de l’influence du judaïsme sur le sionisme et de l’hybridation du nationalisme arabe avec l’Islam

surtout à partir des années 70. On a vu ce lien par le passé dans la région avec A. Al-Kassem, leader religieux et militaire dans les années 30, qui deviendra plus tard un héros du Hamas et du Djihad islamique.

B. Le statut de la terre dans les religions

juive et musulmane : origine et pro-