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Le patrimoine familial

Évoquer le patrimoine de la famille suppose d’envisager, d’une part, les règles de conflit de

lois applicables aux régimes matrimoniaux (Sous-section I)et, d’autre part, celles appli-

cables aux successions (Sous-section II). Ces aspects sont par ailleurs détaillés par la

troisième commission.

Sous-section I Les régimes matrimoniaux

Les règles relatives à la détermination du régime matrimonial dans un contexte international ont évolué depuis l’arrêt de Ganay et la consultation de Charles Dumoulin déjà évo- qués (177). Le notaire devra être attentif à un point : la date du mariage. En effet, cette solution a perduré jusqu’à la ratification de la Convention de La Haye du 14 mars 1978,

d’application universelle, entrée en vigueur en France le 1erseptembre 1992. Aujourd’hui,

l’entrée en vigueur le 29 janvier 2019 dernier du règlement du 24 juin 2016, lui aussi d’application universelle, a fixé les règles de détermination du régime matrimonial à compter de cette date. Pour le notaire français, le règlement du 24 juin 2016 étant

aujourd’hui le droit positif, il sera abordé le premier(§ I). Il s’applique pour la détermina-

tion du régime pour tous les mariages célébrés à compter du 29 janvier 2019 et pour tous les changements de régime souhaités par les époux, quelle que soit la date du mariage. Les règles fixées par la Convention de La Haye du 14 mars 1978, qui s’appliquent pour tous les

couples mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019, seront rappelées(§ II).

Enfin, les règles qui s’appliquent pour les couples mariés avant le 1erseptembre 1992 seront

également reprises(§ III).

§ I

Le règlement européen no 2016/1103 du 24 juin 2016

Ce règlement a été adopté par dix-huit États membres grâce au mécanisme de la coopéra- tion renforcée, comme ce fut le cas pour le règlement Rome III (178). Il est d’application universelle. Son champ d’application est plus large que celui de la Convention de La Haye de 1978 puisqu’il règle également les questions de compétence juridictionnelle et de recon- naissance et d’exécution des décisions. L’article 61 du règlement dispose qu’« aucune léga- lisation ni autre formalité analogue n’est exigée pour les documents délivrés dans un État membre dans le cadre du présent règlement ». L’article 62 détermine les relations avec les conventions internationales existantes. Il rappelle que le règlement ne prévaut pas sur les conventions bilatérales ou multilatérales, sauf si elles ont été conclues avec les États membres. La Convention de La Haye du 14 mars 1978 n’avait été ratifiée que par trois États parties, les Pays-Bas, le Luxembourg et la France. Tous trois ayant ratifié l’accord de coo- (177) V. supra, no 1009. (178) V. supra, no 1138. 1144 1145 1146 66

pération, le règlement prime sur la convention et s’applique à ces pays. L’article 3 du règlement donne une définition du régime matrimonial. Il précise que : « Aux fins du présent règlement, on entend par : a) ”régime matrimonial“, l’ensemble des règles relatives aux rapports patrimoniaux entre époux et dans leurs relations avec des tiers, qui résultent du mariage ou de sa dissolution (...) ». En conséquence, les questions de capacité des époux, d’obligation alimentaire ou de succession sont exclues de son champ d’application matériel. Le règlement donne la possibilité aux époux de choisir la loi applicable à leur régime

matrimonial(A), fixe les règles pour sa détermination en l’absence de choix(B)et réserve

l’application de l’ordre public et des lois de police(C).

A/ Le choix de loi

Ce choix peut intervenir avant le mariage, au cours de la célébration ou au cours du mariage. Un principe d’unité a été retenu, c’est-à-dire que la loi est nécessairement appli- cable à l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers.

L’article 22 du règlement énumère les différentes lois possibles : « 1. Les époux ou futurs époux peuvent convenir de désigner ou de modifier la loi applicable à leur régime matri- monial, pour autant que ladite loi soit l’une des lois suivantes : a) la loi de l’État dans lequel au moins l’un des époux ou futurs époux a sa résidence habituelle au moment de la conclusion de la convention ; ou b) la loi d’un État dont l’un des époux ou futurs époux a la nationalité au moment de la conclusion de la convention ».

Cet article permet également aux époux de changer de loi applicable, que celle-ci ait été initialement choisie ou déterminée objectivement. Il précise que : « 2. Sauf convention contraire des époux, le changement de loi applicable au régime matrimonial au cours du mariage n’a d’effet que pour l’avenir ». Les époux peuvent donc convenir d’une application rétroactive du nouveau régime souhaité, pour l’ensemble de leurs biens. Ce changement volontaire concerne également les époux mariés avant le 29 janvier 2019, qu’ils soient soumis au régime de droit commun ou au régime conventionnel. L’article 23 détermine la validité quant à la forme de la convention sur le choix de la loi applicable.

B/ La loi applicable à défaut de choix

L’article 26-1 du règlement fixe un principe : « 1. À défaut de convention sur le choix de la loi applicable conformément à l’article 22, la loi applicable au régime matrimonial est la loi

de l’État : a)de la première résidence habituellecommune des époux après la célébra-

tion du mariage ; ou, à défaut, b) de la nationalité commune des époux au moment de la célébration du mariage; ou, à défaut, c) avec lequel les époux ont ensemble les liens les plus étroits au moment de la célébration du mariage, compte tenu de toutes les circonstances ». Et une exception : à titre exceptionnel, et à la demande de l’un des époux, le juge peut décider que la loi de leur dernière résidence habituelle s’applique au lieu et place de leur première résidence habituelle s’il démontre que les époux avaient leur dernière résidence habituelle commune pendant une période significativement plus longue que leur première résidence matrimoniale et qu’ils se sont fondés sur la loi de cet autre État pour organiser ou planifier leurs rapports patrimoniaux.

C/ L’application des lois de police

L’article 30 du règlement donne une définition des lois de police et précise que les dispo- sitions du règlement ne pourront pas porter atteinte à l’application des lois de police du

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juge saisi. Le règlement, en précisant que « la notion de régime matrimonial devrait être interprétée de manière autonome et englober les règles auxquelles les époux ne peuvent pas déroger », étend sa portée aux règles du régime primaire énoncées par les articles 212 et suivants du Code civil. Cependant, seules les règles du régime primaire qui ont une inci- dence sur les relations patrimoniales sont concernées, soit les articles 218, 220, 222 et 225 du Code civil, ainsi que les mesures d’urgence édictées par les articles 217 et 219, 220-1 à 220-3. Par ailleurs, le considérant 53 du règlement attribue aux dispositions sur le loge- ment de la famille la nature de loi de police. Les autres règles du régime primaire qui règlent les relations personnelles des époux, ne relevant pas du régime matrimonial, ne dépendent donc pas du règlement et ne pourront pas à ce titre être qualifiées de lois de police. Elles pourront néanmoins avoir cette qualification, mais sur un autre fondement que le règle- ment.

§ II

La Convention de La Haye du 14 mars 1978

La convention s’applique en France pour déterminer le régime matrimonial de tous les

couples mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019. Elle détermine la loi

applicable (A) et prévoit deux types de mutabilité du régime(B). L’article premier de la

convention précise préalablement qu’elle ne s’applique pas « aux obligations alimentaires entre époux ; aux droits successoraux du conjoint survivant, à la capacité des époux ».

A/ La loi applicable

La convention donne la possibilité aux couples de choisir la loi applicable à leur régime, en

encadrant ce choix(I). À défaut, la convention détermine la loi applicable par des rattache-

ments objectifs (II).

I/ Le choix de la loi

L’article 3 de la convention édicte que : « Les époux ne peuvent désigner que l’une des lois suivantes : 1. la loi d’un État dont l’un des époux a la nationalité au moment de cette désignation ; 2. la loi de l’État sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habituelle au moment de cette désignation ; 3. la loi du premier État sur le territoire duquel l’un des époux établira une nouvelle résidence habituelle après le mariage ». Par principe, la loi s’applique à tous les biens du couple. Cependant, l’alinéa 2 de l’article 3 prévoit que les époux pourront désigner, pour les immeubles ou certains d’entre eux, la loi de situation de l’immeuble. La Cour de cassation a décidé (179) que ce changement ne pouvait pas être implicite et se déduire d’une simple mention de régime matrimonial des époux dans un acte d’achat de bien immobilier.

II/ Le rattachement objectif

L’article 4 de la convention précise qu’à défaut de choix de loi, le régime est par prin-

cipe soumis à la loi interne de l’État sur le territoire duquel ils établissent leur première

résidence habituelleaprès le mariage. Il existe des dérogations assez complexes en faveur

de la loi de l’État de la nationalité commune des époux et développées dans l’article 4, 1 à 3. Cette loi sera notamment retenue lorsque les époux n’établissent pas sur le territoire du même État leur première résidence habituelle après le mariage. Enfin, si les époux n’ont pas

(179) Cass. 1reciv., 13 déc. 2017, no 16-27.216 : JCP G 2018, p. 125, note G. Wiederkehr.

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de nationalité commune ni de même résidence après le mariage, leur régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’État avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, il présente les liens les plus étroits.

B/ La mutabilité du régime

La convention vise deux cas de mutabilité : la mutabilité volontaire (I) et la mutabilité

automatique(II).

I/ La mutabilité volontaire

L’article 6 de la convention prévoit la possibilité pour un couple de changer de loi applicable à leur régime matrimonial. Cependant, ce choix reste encadré. Ils ne peuvent désigner que l’une des lois suivantes : « 1. la loi d’un État dont l’un des époux a la nationalité au moment de cette désignation ; 2. la loi de l’État sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habituelle au moment de cette désignation ». Par principe, la loi choisie s’applique à l’ensemble des biens du couple. La même dérogation existe pour les immeubles et leur rattachement à la loi de situation des immeubles. Cet article donne également la possibilité

aux époux mariés avant le 1erseptembre 1992 d’user de cette faculté.

II/ La mutabilité automatique

Les époux qui n’ont pas choisi de loi applicable à leur régime sont soumis à la loi interne de l’État où ils ont leur résidence habituelle. Cependant, une circonstance particulière peut entraîner l’application d’une autre loi. Dans ce cas, le changement ne vaudra que pour l’avenir (180). Ce principe a été critiqué par l’ensemble de la doctrine et n’a pas été repris dans le règlement du 24 juin 2016. Cette règle impose aux parties, lors de la liquidation de leur régime, de liquider plusieurs régimes successifs.

Les circonstances qui modifient la loi applicable, pour l’avenir, au régime matrimonial sont les suivantes :

– lorsque la loi de la résidence habituelle et la loi nationale commune coïncident, à la suite d’un changement de résidence ou de nationalité ;

– lorsque, après le mariage, les époux changent de résidence habituelle et celle-ci dure plus de dix ans. Cette loi se substitue à celle de leur première résidence habituelle ;

– pour la détermination objective de la loi applicable, en l’absence de résidence habituelle commune, la convention retient la loi de la nationalité commune.

§ III

Le droit applicable aux époux mariés avant le 1

er

septembre 1992

En application du principe de l’autonomie, les époux ont la possibilité de choisir leur régime matrimonial. Cette liberté est totale et n’est pas limitée, comme cela est le cas par la convention de La Haye, sauf cas de fraude ou choix contraire à l’ordre public. En l’absence de choix de loi, il faut déterminer la loi tacitement retenue par les époux et la notion de

premier domicile matrimonial est primordiale, comme cela a été consacré par la juris-

prudence Zelcer (181). Par principe, ce choix est déterminé une fois pour toutes. Il n’existe pas de mutabilité automatique. Le changement de régime matrimonial peut être envisagé par les époux uniquement si la loi choisie le permet.

(180) Conv. La Haye, art. 8.

(181) Cass. req., 4 juin 1935 : Rev. crit. DIP 1936, 755, note Basdevant.

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Sous-section II Les successions

Les règles en matière de succession internationale ont été complètement bouleversées par l’entrée en vigueur le 17 août 2015 du règlement européen no 650/2012 du 4 juillet

2012(§ I). Le règlement met en place des principes d’autonomie de la volonté et d’unité de

la succession. Il crée un certificat successoral européen (182), qui permet de prouver les qualités des héritiers, leurs droits et pouvoirs, et ainsi de faciliter l’administration des successions internationales entre États membres. Ce règlement est maintenant bien connu

des notaires. Le principe scissionniste français sera néanmoins rappelé (§ II) puisqu’il

s’applique encore pour les successions ouvertes avant le 17 août 2015.

§ I

Le règlement « Successions »

Ce règlement s’applique à tous les États membres, à l’exception du Danemark, du Royaume-Uni et de l’Irlande pour toutes les successions ouvertes après le 17 août 2015. Il est d’application universelle. Il règle les questions civiles des successions, y compris les questions liées aux partages amiables ou judiciaires, à l’exception des relations familiales, des intérêts patrimoniaux du mariage, des régimes matrimoniaux, des obligations alimen- taires ou des donations entre époux.

La loi applicable est définie dans un chapitre III. À défaut de choix, l’article 21 retient

comme critère principal de rattachementla dernière résidence habituelle du défunt. Ce

n’est qu’à titre exceptionnel et uniquement quand « il résulte de l’ensemble des circons- tances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifeste- ment plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, [que] la loi applicable à la succession est celle de cet autre État ».

L’article 22 du règlement permet à une personnede choisir la loiqui sera applicable à sa

succession : c’est la professio juris. Ce choix est néanmoins encadré. Il ne peut s’agir que de « la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. Une personne ayant plusieurs nationalités peut choisir la loi de tout État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ».

L’article 35 du règlement prévoit les conditions dans lesquelles l’exception d’ordre public peut être mise en œuvre : « L’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incom- patible avec l’ordre public du for ». Cette disposition a donné lieu à doctrine sur la question de la réserve. Celle-ci peut-elle être opposée pour éviter l’application de la loi étrangère qui ne connaît pas de réserve héréditaire ? Deux arrêts de la Cour de cassation (183) précisent qu’en principe, lorsque la loi applicable ne connaît pas la réserve, il ne peut y avoir de contrariété à l’ordre public, sauf dans le cas où l’héritier évincé est en situation de précarité économique. Cette appréciation reste cependant très délicate. Cette question est plus par- ticulièrement développée par la troisième commission (184).

(182) Sur cette question, V. infra, no 1445.

(183) Cass. 1reciv., 27 sept. 2017, nos16-17.198 et 16-13.151 : JCP G 2017, p. 2117, comm. C. Nourissat et

M. Revillard. (184) V. infra, no 3422. 1158

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§ II

Le principe scissionniste français

Ce principe reste valable pour toutes les successions ouvertes avant le 17 août 2015. Ces règles sont donc en voie de disparition, mais les principes sont néanmoins rappelés. Deux adages s’appliquent : mobilia sequuntur personam (la loi du lieu du dernier domicile du défunt régit les successions mobilières), la lex rei sitae (la loi de situation des immeubles régit les successions immobilières). La qualification des biens meubles et immeuble devra s’effectuer lege fori (185). Il peut exister plusieurs masses qui seront traitées de façon indépendante. La réserve se calcule masse par masse. Afin de limiter le morcellement de la succession, la cour a admis le renvoi lorsqu’il permet de restaurer son unité (186). La loi étrangère peut également être écartée par le jeu de l’ordre public.

Les successions ont été le terrain de prédilection du renvoi afin de remédier aux inconvé- nients du morcellement successoral dû à ce système. C’est la jurisprudence qui a consacré cette notion en matière de successions mobilières (187), plus progressivement en matière immobilière (188). Aujourd’hui, à partir du moment où le renvoi permet d’assurer l’unité successorale et l’application d’une même loi aux meubles et aux immeubles, le renvoi est admis (189).