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Les doctrines universalistes

Ces doctrines proposent de fonder le statut personnel sur la loi nationale. Elles doivent s’appliquer à ces nationaux, et à eux seuls, même s’ils se trouvent à l’étranger. Ce système a une portée universelle et accorde plus d’importance à la personne qu’au territoire. Ces doctrines s’opposent donc à la territorialité des lois.

Certaines conventions et codes s’en sont inspirés. Ce fut notamment le cas pour les pre- mières conventions de La Haye, sur la période 1893-1914. La Convention de La Haye de 1902 sur le mariage précise en son article 1 que « Le droit de contracter mariage est réglé par la loi nationale de chacun des futurs époux, à moins qu’une disposition de cette loi ne se réfère expressément à une autre loi ».

Cette thèse a été défendue par Pasquale Stanislao Mancini, comte de Mancini (1817-

1888), professeur italien et homme politique. En France, elle a été reprise par Antoine

Pillet (1857-1926), enseignant à la Faculté de droit de Paris et à l’Académie de droit

international de La Haye.

Puis une synthèse des théories antérieures a été proposée parFriedrich Carl von Savigny

(1779-1861). Son école a fondé la théorie moderne des conflits de lois dans les pays de tradition romano-germanique.

Pour Savigny, le droit est le produit de l’histoire et d’un environnement économique. Les règles de conflit sont donc déterminées en fonction de la loi la mieux adaptée pour réagir. Les États ne sont pas mis en cause, mais uniquement les personnes privées. Il n’existe plus de lien entre les conflits de lois et les conflits de souveraineté. Les règles de conflit de lois (9) Études de droit international privé, éd. A. Chevalier-Marescq, 1899.

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ne se préoccupent que des conflits d’intérêts privés et non de ceux des États. Il s’agit de déterminer, pour chaque type de relation juridique, le lien le plus proche. Il faut trouver la loi la mieux adaptée au problème. Celle-ci est souvent le pays avec lequel la relation juridique présente les liens les plus étroits.

En appliquant ces principes, Savigny dégage les solutions suivantes : dans les conflits de lois relatifs à l’État ou à la personne, il faut appliquer la loi de son domicile. En effet, la personne qui s’établit dans un pays a souhaité implicitement se placer sous l’empire de cette loi. Dans les conflits de lois relatifs aux biens et aux droits réels qu’y se rapportent, le propriétaire a choisi de se soumettre volontairement à la loi locale. Il faut appliquer la loi du lieu de leur situation. Dans les conflits de lois relatifs aux obligations contractuelles, les parties ont choisi de se rapporter à la loi du lieu d’exécution du contrat. Enfin, en matière d’obligations délictuelles, la logique veut que l’on applique la loi du lieu de perpétration du délit.

Même si l’influence de Savigny a été très importante et que son œuvre fondatrice (10) a façonné le raisonnement conflictuel, sa doctrine s’est elle aussi heurtée à la critique. Tout d’abord, la recherche de la loi la mieux adaptée au problème, en privilégiant de manière objective le rapport de droit, induit parfois des rattachements inadaptés. Par ailleurs, sa doctrine universaliste conduit à l’idée que les différences entre les systèmes juridiques sont négligeables et qu’en conséquence les États peuvent supporter de voir un droit étranger s’appliquer indifféremment sur leur territoire.

Quelles que soient les critiques des différentes écoles doctrinales, il faut surtout noter qu’elles ont fait évoluer les règles de conflit de lois. À ce jour, les catégories mises en avant par les différents auteurs sont utilisées par la jurisprudence. Ces règles de conflit sont également reprises lorsqu’une question nouvelle se pose.

La doctrine actuelle a abandonné toute position dogmatique entre universalisme, territoria- lisme ou nationalisme en prenant en compte l’efficacité des solutions et en cherchant un équilibre. Les tribunaux ont également largement contribué à mettre en place des règles de conflit de lois mieux inspirées, avec la prise en compte de principes nouveaux de proximité et d’autonomie (V. infra, no 1095).

Après cette définition et ce bref rappel historique, il est important de préciser dans quels cas le notaire devra être particulièrement attentif pour savoir s’il doit appliquer ou non le raisonnement conflictuel.

CHAPITRE III

L’indispensable élément d’extranéité

Il est nécessaire de distinguer une question de droit interne et une question de droit international soumise au droit international privé. Le notaire doit déceler dans ses dossiers l’élément d’extranéité.

L’extranéité vient du latin extraneus, « qui est extérieur, étranger ». Selon le Vocabulaire Capitant, « l’extranéité est la qualité de ce qui est étranger » (11).

(10) Traité de droit romain, éd. Panthéon-Assas, 1960.

(11) Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, 12eéd. 2018.

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L’élément d’extranéité est un élément de fait quelconque,préalableetnécessaireà la mise en œuvre des règles de conflit de lois. Sa découverte entraîne une possible application de règles étrangères et écarte, du moins dans un premier temps, l’application des règles de l’ordre juridique interne.

La relation qui présente un ou plusieurs éléments d’extranéité a des liens avec plusieurs ordres juridiques, celui du for et au moins un autre. La présence d’un élément d’extranéité doit alerter le notaire. C’est un indice essentiel et indispensable de la mise en œuvre des règles de conflit de lois. Cet indice suspend l’application des normes matérielles internes. Le notaire doit acquérir un réflexe afin de déterminer s’il y a lieu de mettre en œuvre le raisonnement de droit international privé dans son activité quotidienne. Il lui appartient, de par sa fonction, de garantir la pleine efficacité de son acte. Pour ce faire, il doit identifier l’élément d’extranéité.

Cet élément repéré dans le dossier doit êtrepertinent par rapport à la situation juridique

en cause ; les fiançailles de deux Français en Allemagne, résidents en France, ne sont bien entendu pas suffisantes pour caractériser une situation internationale. Le mariage à l’étranger d’une partie à l’acte est en revanche un élément d’extranéité pertinent et il faudra mettre en œuvre la règle de conflit pour déterminer le régime matrimonial lors de l’acqui- sition d’un bien immobilier. Le notaire pourra ainsi informer les parties, remplir son obli- gation de conseil et déterminer quelles personnes doivent intervenir à l’acte.

La détermination de l’extranéité s’effectue à travers divers éléments de faits tels que la nationalité des parties, le domicile, le lieu de célébration du mariage, le lieu de conclusion de l’acte, le lieu de situation de l’immeuble, le lieu de commission du délit (12).

Mais cette pertinence est toute relative. Un même élément d’extranéité peut dans certaines circonstances être considéré comme pertinent, dans d’autres non pertinent. Le caractère international n’existe qu’en relation avec une question déterminée. Si l’on prend comme exemple un national belge qui conclut en Belgique la vente d’une automobile française avec un autre national belge, il existe bien un élément étranger. Du point de vue de la validité de la vente, cet élément n’a pas de signification particulière. Du point de vue de la responsa- bilité du fabricant, cet élément est important et est considéré comme pertinent.

Par ailleurs, une situation purement interne peut, avec le temps, acquérir un ou plusieurs éléments d’extranéité et devenir internationale. Le régime matrimonial de deux Français, résidant en France, est une situation purement interne. Il suffit que le couple installe son domicile conjugal dans un autre pays pour que la situation devienne internationale. Enfin, le caractère international est parfois relatif en fonction de l’observateur. Ainsi deux nationaux allemands domiciliés en France est une situation internationale par le domicile pour le juge allemand, tandis qu’elle est internationale par la nationalité pour le juge français. En fonction de la question posée, il est nécessaire que soit le domicile, soit la nationalité soient jugés significatifs par le droit international privé, du point de vue de l’observateur. Comme l’a évoqué Georges Van Hecke (13), « le degré de la perturbation introduite par l’élément étranger est variable ». La détermination de l’extranéité s’effectue à travers divers éléments de faits. La situation sera considérée comme internationale si un de ces éléments est significatif au regard de la question posée. Cette appréciation est faite du point de vue d’un droit international privé et la réponse découle forcément du jugement de valeur de celui qui est appelé à le décider, que ce soit le juge, l’arbitre, ou le notaire. (12) Sur cette question, V. le développement sur la notion de rattachement, infra, no 1053.

(13) Principes et méthodes des solutions des conflits de lois : RCADI 1969, vol. 126.

Si un tel élément est remarqué dans un dossier, le mécanisme du droit international privé doit être mis en œuvre : la qualification (classement d’un fait ou d’un acte dans une catégorie, V. infra, no 1019), le rattachement (détermination du critère à prendre en compte pour la détermination de la loi applicable, V. infra, no 1053), la détermination de l’ordre juridique, et enfin la règle de droit.

Ces principes étant posés, il peut paraître opportun de s’interroger sur la place de l’extra- néité en se limitant à quelques observations critiques qui complètent nos propos. En effet, ce qui est international peut être défini de plusieurs manières. La définition de l’internatio- nalité juridique a été posée et il peut paraître intéressant d’évoquer la notion d’internatio- nalité économique, d’approche plus pratique. Enfin, il peut être opportun de se questionner sur l’approche notariale de la notion d’extranéité.

La différence dans la notion de l’extranéité peut être illustrée en prenant un exemple. J’ai besoin de faire des courses pour le repas de ce soir. Je descends chez l’épicier italien au coin de ma rue pour effectuer quelques achats (14). Le juriste devrait qualifier ces achats de contrat international. L’économiste ne le qualifiera pas de la même manière. Pour lui, l’internationalité ne peut être retenue qu’en cas de franchissement de frontières. Cette notion est donc plus restreinte que pour le juriste. C’est la question de la distinction des notions d’internationalité juridique et d’internationalité économique. Le droit économique a une fonction organisationnelle. Il peut être défini comme « le droit de l’organisation de l’économie pour les pouvoirs publics ou par les pouvoirs privés ou par le concert des deux » (15).

Il émerge comme un sous-système dans le système juridique qui se révèle éminemment expansionniste. Le déploiement du droit économique multiplie les occasions de contact de cette discipline avec le droit international privé. Or, depuis Savigny, le droit international privé et sa méthode conflictuelle établissent un système juridique de manière abstraite et neutre et déterminent la loi d’un pays avec lequel ce rapport présente les liens les plus étroits. Le droit économique vient en contradiction avec ce raisonnement. En effet, il peut difficilement s’intégrer dans les catégories de rattachement du droit civil interne, comme c’est le cas pour le droit international privé. Par ailleurs, le droit économique est l’expres- sion d’une régulation de la vie économique et sociale par chaque État. Il vient également en contradiction avec le caractère abstrait et neutre de la règle de conflit de lois telle qu’elle a été exprimée par Savigny (16). L’économiste a donc une conception plus restrictive que le juriste de la notion d’extranéité et il peut venir en opposition avec le droit. La question qui pourrait être posée est la suivante : est-ce qu’il ne pourrait pas y avoir d’internationalité notariale ?

Pour illustrer ces propos, on peut prendre l’exemple d’un national polonais, qui réside en France depuis de nombreuses années, qui s’est marié en France, qui a des enfants de nationalité française, qui possède tous ses actifs en France, qui ne retourne pas ou peu dans son pays d’origine. Ne pourrait-on pas considérer que le rapport de droit est franco- français ? Est-il opportun de faire jouer les règles de conflit de lois et d’appliquer éventuel- lement à cette situation un système juridique différent du droit français ? Aujourd’hui, le règlement « Successions » prévoit que le Polonais dont la situation est décrite ci-dessus peut choisir sa loi nationale. Est-il véritablement opportun dans ce cas de considérer que la (14) B. Golman, Droit du commerce international, Les cours du droit, 1970.

(15) Cl. Champaud, Contribution à la définition du droit économique : D. 1967, chron. p. 215.

(16) Sur ces questions : H. Muir Watt, Droit international privé, PUF, 4eéd. 2017.

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situation est internationale au regard du coût, de la lourdeur, alors que tout commande de voir appliquer la loi française ? Ne serait-il pas plus souhaitable de retenir un autre critère ? Ne serait-il pas opportun d’interdire le choix de la loi nationale lorsque tous les éléments se rapportent à un autre pays que ce dernier ? Est-il nécessaire de créer des milliers de situa- tions internationales de façon parfois modestement internationalisée ? Le critère de fran- chissement de frontières tel qu’il existe pour la détermination de l’internationalité écono- mique ne pourrait-il pas être retenu ?

Une réponse uniforme est difficile à définir. Mais le notaire doit mener à bien son dossier. Son obligation d’instrumenter et les conseils qu’il est tenu de délivrer doivent conduire à la meilleure solution qu’il soit et orienter au mieux ses clients.

SOUS-TITRE II

La qualification et le rattachement

En dépit de nombreuses conventions internationales, il n’existe pas d’ordre juridique uni- versel doté de ses propres règles matérielles, de ses autorités pour en contrôler l’application, et au sein duquel des relations nouées dans un contexte international seraient régies de façon uniforme et structurée. Dès lors que des rapports de droit se créent en impliquant plusieurs États ayant chacun son propre système juridique, se pose la question de la gestion de cette diversité, et de la solution à apporter aux difficultés qu’elle est susceptible d’engen- drer. Ce sont pour l’essentiel des règles matérielles internes qui permettent d’organiser les relations internationales. Le droit international privé ne va pas avoir pour vocation de trancher le fond d’un litige, mais de fournir les éléments permettant de désigner le juge compétent pour le faire, et de sélectionner la loi interne à appliquer.

Pour identifier cette loi, plusieurs méthodes ont été proposées, sur lesquelles on reviendra. Parmi elles, c’est sur celle des conflits de loi proposée par Savigny (17) que repose princi- palement le droit international privé. Il faut, selon Savigny, « assigner à chaque classe de rapport de droit un siège déterminé selon sa nature ». La méthode conflictuelle, dite savi- gnienne, va consister à classer les rapports de droit en différentes classes ou catégories (régime matrimonial, succession, capacité, divorce, contrat...) dont il va falloir rechercher le siège, c’est-à-dire le critère de rattachement le plus approprié (résidence, nationalité, lieu de situation de l’immeuble...). La règle de conflit est l’instrument qui va désigner l’ordre juridique, parmi ceux impliqués par la situation internationale, dont la loi va être appliquée. Il va s’agir de rechercher la loi qui apportera une réponse à la question de droit substantiel posée par une situation internationale. La règle de conflit va permettre la mise en œuvre de

la méthode conflictuelle en associant un critère de rattachement (Chapitre II), à une

catégorie de rattachement. Cela implique au préalable de faire le lien entre la question posée par la situation internationale et l’une des catégories de rattachement prévues par la loi du for. Il s’agit de la qualification qui constitue la première étape de la mise en œuvre de la

règle de conflit(Chapitre I).

(17) Savigny, Traité de droit romain, t. VIII, Paris, 1860.

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CHAPITRE I

La qualification

La qualification n’est pas spécifique au droit international privé, elle est fondamentale et récurrente dans toutes les branches du droit. Elle est définie comme l’« opération intellec- tuelle d’analyse juridique, outil essentiel de la pensée juridique, consistant à prendre en considération l’élément qu’il s’agit de qualifier (fait, acte, règle, etc.) et à le faire entrer dans une catégorie de rattachement préexistante (d’où il résulte, par rattachement, le régime juridique qui lui est applicable) en reconnaissant en lui les caractéristiques essentielles de la catégorie de rattachement » (18). Le terme désigne à la fois un raisonnement et le résultat auquel il mène. En droit international privé, l’opération de qualification consiste, face à une situation internationale qui implique plusieurs ordres juridiques, à identifier un rapport de droit pour permettre son classement dans l’une des catégories prédéfinies du droit interna- tional privé. L’opération va prendre une dimension particulière liée à la singularité de la relation internationale qui met en jeu des intérêts propres (intérêts politiques des États, intérêts liés aux relations commerciales...), au fait que la règle de conflit de lois présente un aspect original de par sa structure binaire qui combine une catégorie et une règle de rattachement, mais encore parce que le droit du for va être confronté à des institutions étrangères variées, parfois inconnues, et pouvant s’apparenter à plusieurs de ses catégories de rattachement. Il arrivera aussi fréquemment que les lois en présence retiennent des qualifications différentes pour une même situation. Il conviendra de rechercher la loi per- mettant de guider l’opération de qualification. Cette recherche, parfois abordée sous l’angle du « conflit de qualifications », sera évoquée avec l’examen des typologies des qualifica-

tions (Section I). Il conviendra ensuite d’évoquer les modalités de cette qualifica-

tion (Section II).

Section I Les typologies des qualifications

Face à une situation présentant des liens avec plusieurs systèmes juridiques, retenant des qualifications différentes, un conflit de qualifications pourra naître. Ou bien une institution présente dans plusieurs ordres juridiques n’est pas rattachée à une même catégorie, il s’agira alors d’un « conflit de catégories ». Un État va par exemple considérer qu’une institution doit être régie par la loi applicable aux effets du mariage alors qu’un autre va estimer qu’elle doit l’être par la loi applicable aux régimes matrimoniaux. La question qui se pose alors n’est pas celle de la loi applicable au fond. La difficulté va concerner le choix de la loi devant fournir la qualification du rapport de droit afin de mettre en œuvre la bonne règle de conflit. La qualification se fera-t-elle selon la loi de l’ordre juridique appelé à connaître de la question (lex fori) ou bien selon la loi étrangère (lex causae) ? Le principe de la qualification lege fori s’est imposé en dépit de ses lacunes ou de ses failles, à défaut de mode alternatif de

qualification convaincant (Sous-section I), mais il tend à s’édulcorer face à l’émergence

d’une qualification autonome sous l’impulsion principale de la Cour de justice de l’Union

européenne(Sous-section II).

(18) G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 12eéd. 2018.

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Sous-section I La qualificationlege fori en déclin

La qualification lege fori de la règle de conflit est celle qui est retenue tant par la doctrine que