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Le droit des biens est fortement marqué par la tradition territorialiste (200). Il repose sur

une distinction traditionnelle entre biens corporels (Sous-section I) et biens incorpo-

rels(Sous-section II).

Sous-section I Les biens corporels

§ I

Les immeubles

La règle de conflit de lois définit pour les biens corporels la loi applicable pour tous les droits réels, que ce soit le droit de propriété, le démembrement, l’usufruit, les servitudes, les

droits réels accessoires. Le principe est fixé parl’article 3, alinéa 2 du Code civil: « Les

immeubles, même possédés par des étrangers, sont régis par la loi française ». Cette règle de conflit de lois s’est bilatéralisée (201). Néanmoins, il est aujourd’hui nécessaire de coor- donner cette règle avec le règlement « Successions » qui fait dépendre l’ensemble des biens appartenant au défunt à la loi de la dernière résidence habituelle si celui-ci n’a pas effectué de choix de loi, ainsi qu’avec le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles et le choix de loi laissé aux parties. Un arrêt de la Cour de cassation (202) répartit la loi qui régit la créance et celle qui s’applique à l’hypothèque qui garantit la créance. Des règles particulières sont également prévues pour les contrats internationaux de construction immobilière, de crédit immobilier, ou en présence d’une procédure d’insolva- bilité (203). Ces questions étant détaillées par la quatrième commission (204), elles ne sont donc pas détaillées dans cette partie.

(198) Cass. 1reciv., 25 mars 1948 : GAJFDIP, no 19.

(199) Cass. 1reciv., 11 mai 1999, no 97-13.972 : JCP G 1999, II, 10183, note H. Muir Watt.

(200) V. supra, no 1010. (201) V. supra, no 1092.

(202) Cass. 1reciv., 19 janv. 1999 : JCP G 2000, II, 10248, T. Vignal.

(203) PE et Cons. UE, règl. no 2015/848, 20 mai 2015. (204) V. infra, no 4252 et s.

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§ II

Les meubles

Le principe du rattachement des meubles à la loi de leur situation a été énoncé par la cour en 1872 (205). Cet arrêt a précisé que les meubles possédés en France par un étranger sont régis par la loi française en ce qui concerne les questions de possession, de privilèges et de voies d’exécution. La formule a été étendue par l’arrêt du 24 mai 1933 (206), qui précise que la loi française est applicable aux droits réels dont sont l’objet les droits mobiliers en France (207). La principale difficulté est liée au conflit mobile. En effet, le déplacement du bien mobilier entraîne la modification de la loi applicable puisqu’il faut retenir par prin- cipe la situation actuelle du meuble. Cette solution a été consacrée dans un arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 1969 (208).

Sous-section II Les biens incorporels

Les biens incorporels en droit international privé regroupent les questions de propriété

intellectuelle (§ I), les créances (§ II) et les valeurs mobilières(§ III).

§ I

La propriété intellectuelle

Il existe des conventions internationales, comme la Convention de Paris du 20 mars 1883 qui a créé l’Union pour la protection de la propriété industrielle, ou la Convention de Berne du 6 septembre 1952 sur la propriété littéraire et artistique, qui sont essentiellement appli-

cables en la matière. De façon générale, ces conventions retiennent la loi du pays dans

lequel la protection est réclamée.

À défaut, la détermination de la loi applicable pour la propriété intellectuelle est fragmentée. Le règlement Rome I sur les obligations contractuelles ne prévoit pas de disposition spéci- fique. En conséquence, les parties peuvent choisir la loi qui leur est applicable. À défaut, il faudra se référer à l’article 4 qui définit les rattachements objectifs. Le règlement Rome II

précise, dans son 26econsidérant, la notion de droit intellectuel. Son article 8 désigne la loi

du pays pour lequel la protection est demandée.

§ II

Les créances

Le règlement Rome I sur les obligations contractuelles régit les créances, qu’elles soient ordinaires, privilégiées, titres de sociétés, titres négociables, nominatifs, à ordre, au porteur. Le règlement règle également la question du transfert pur et simple et, à titre de garantie, les nantissements ou les autres sûretés sur les créances. L’article 14 du règlement prévoit un

choix de loi par les parties. À défaut, l’article 4, § 2 désigne la loi de la résidence

habituelle de la partie qui doit fournir la prestation, soit la loi du cédant.

Il faut relever que la Commission européenne a présenté le 12 mars 2018 une proposition de règlement sur la loi applicable à l’opposabilité des cessions de créances, question peu abordée par le règlement Rome I. À ce stade, la proposition de règlement retient comme règle de rattachement la loi de la résidence habituelle du cédant ou, le cas échéant, l’auto- (205) Cass. req., 19 mars 1872, Craven : S. 1872, 1, p. 238.

(206) Cass. req., 24 mai 1933, Kantoor de Mas : S. 1935, 1, p. 235, note H. Battifol.

(207) Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, Droit international privé, Dalloz, 10eéd.

(208) Cass. 1reciv., 8 juill. 1969, no 07-19.465, Diac : JCP G 1970, II, 16182.

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nomie de la volonté. Il faut aussi souligner que certaines cessions (strictement énumérées, par exemple les cessions découlant d’instruments financiers) seront soumises, par déroga- tion, à la loi de la créance cédée.

§ III

Les valeurs mobilières

Par principe, l’émission de valeur mobilière est régie par la lex societatis, loi applicable à la société. Le règlement Rome I sur les obligations contractuelles détermine la loi applicable au contrat d’émission. La loi applicable au contrat de cession est désignée par les articles 3 et 4

du règlement. À défaut de choix de loi par les parties, le contrat est régi parla loi de la

résidence habituelle du cédant, conformément à l’article 4 du règlement Rome I.

SOUS-TITRE II

Les conflits de juridictions

Dans une situation internationale, la règle de conflit de lois permet de déterminer la loi applicable, et la règle de conflit de juridictions le juge compétent. Dans une situation présentant un élément d’extranéité, comme par exemple la demande en divorce intro- duite en France par des époux allemands, il y a une pluralité de juridictions potentielle- ment compétentes pour traiter du litige : les juridictions allemandes ou les juridictions françaises.

Dans une approche classique du droit international privé, le conflit de juridictions n’a qu’un rôle secondaire par rapport au conflit de lois. En effet, si l’on part de la conception de droit romain, au niveau interne la loi crée le droit, le juge ne fait que l’appliquer. Il y a une supériorité de la loi sur le juge que l’on peut transposer au niveau international comme la supériorité du conflit de lois sur le conflit de juridictions. Pour reprendre la formule de Montesquieu, « les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi » (209). Il n’y a pas de réelles règles de « conflits de juridictions », car ces règles ne désignent pas la loi qui détermine la juridiction compétente, mais déterminent directement la juridiction ; ce sont des règles matérielles.

Chaque État détermine si ses juridictions sont compétentes pour traiter du litige.

Le juge français peut-il se déclarer compétent pour cette action ? Il s’agit de la question de

la compétence judiciaire internationale (Chapitre I).

Cela induit que les juridictions de plusieurs États pourraient se reconnaître compétentes (conflit positif), comme l’inverse (conflit négatif). Lorsqu’un système juridique étranger s’est reconnu compétent, de son côté le système juridique français accepte-t-il de le prendre en compte, et à quelles conditions ?

Chaque État fixe également les conditions de la reconnaissance des décisions étrangères et

de leur exécution sur son territoire(Chapitre II).

(209) Montesquieu, L’esprit des lois, Livre XI, Chapitre 6.

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CHAPITRE I

La compétence internationale des tribunaux

français

Les juges français sont-ils compétents pour connaître d’un litige international ?

Avant de répondre à cette question, il convient d’apporter quelques précisions sur la nature de la compétence des tribunaux français.

En droit judiciaire français, il existe deux catégories de règles de compétence : les règles de compétence d’attribution et les règles de compétence territoriale. Les règles de compétence d’attribution sont fonction de la matière du litige : s’agit-il d’une affaire civile qui relève de la compétence des juridictions civiles, ou d’une affaire administrative qui relève de la compétence des juridictions administratives ? Les règles de compétence territoriale, quant à elles, déterminent le lieu où le procès doit se tenir.

La compétence internationale soulève-t-elle alors la question de la compétence d’attribution, ou celle de la compétence territoriale ?

La compétence internationale suppose l’existence d’un élément d’extranéité, et en présence de cet élément d’extranéité, le juge français doit vérifier s’il est compétent non pas à titre personnel ou « spécial », mais si les tribunaux français et plus exactement l’« ordre juridic- tionnel français » sont compétents d’une manière « générale ».

La question de la compétence internationale ne se limite donc pas à une question territoriale puisque l’ordre juridictionnel français représente la souveraineté française, et celle-ci peut être représentée non seulement par les tribunaux français, mais aussi par les consuls français à l’étranger ; alors qu’à l’inverse un consul étranger sur notre territoire ne fera pas partie de cet ordre juridictionnel.

La compétence internationale est-elle alors une compétence d’attribution ? Si la question est celle de la compétence d’un groupe de tribunaux, la réponse est affirmative. Mais rappelons que chaque État fixe unilatéralement, en vertu du principe de souveraineté, les règles de

compétence d’attribution desestribunaux et qu’en aucun cas l’État français ne peut décider

de la compétence d’une juridiction étrangère, ni répartir la compétence entre les différents tribunaux nationaux d’un État étranger, mais qu’il peut uniquement indiquer la compétence ou l’absence de compétence des juridictions françaises (210).

L’État français n’a pas fixé de règles générales de compétence de ses juridictions au niveau international. En revanche, deux articles du Code civil prévoient la compétence des tribu- naux français du fait de la nationalité française, tant celle du demandeur que celle du défendeur dans le litige (211).

En l’absence de règles, la jurisprudence française a pris le relais et a posé la règle selon laquelle les tribunaux français sont compétents par extension des règles internes aux litiges

internationaux (Section III).

Et, au-delà de la jurisprudence, la compétence des tribunaux français résulte aujourd’hui de

conventions internationales (Section II)et surtout de règlements européens(Section I).

(210) Cass. 1reciv., 13 mai 2015, no 13-21.827.

(211) C. civ., art. 14 : « L’étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l’exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français ». C. civ., art. 15 : « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger ».

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Pour répondre à la question de la compétence des juges français, dans le respect de la hiérarchie des normes, le raisonnement doit être le suivant :

Une norme européenne ou internationale donne-t-elle compétence aux tribunaux français ? Dans la positive, il convient de l’appliquer.

Dans la négative, il convient de vérifier les règles internes de compétence.