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Chapitre 4. Le genre et le pouvoir chez les Mayas classiques

4.1.2 Patriarcat et patrilinéarité

La société maya semble avoir favorisé les hommes plus que les femmes, quelque soit la classe sociale. On peut au moins le proposer dans le cas de la cité de Tikal, dont environ 280 tombes ont été étudiées par William A. Haviland (1997). Des recherches menées par l’université de Pennsylvanie entre 1958 et 1970, ont permis d’étudier 38 tombes classées comme sépultures des « élites », qui se trouvaient vers le centre de la ville. Haviland est parvenu à la conclusion que les hommes de Tikal semblent avoir eu un statut plus élevé que les femmes quelque soit le milieu social (Haviland 1997 : 2).

Haviland remarque qu’à partir de 50 AD? et jusqu'à 889 AD, les femmes de haut-rang sont très rarement, voir jamais, enterrées sous les temples et monuments de la cité, contrairement aux hommes de leur classe. On a retrouvé quelques exceptions, cependant leurs tombes étaient moins riches et moins valorisées que celle des hommes. D'ailleurs lorsque des femmes étaient enterrées sous le centre-ville, leurs tombes semblaient toujours associées à celle d’un fils ou d’un époux (Ibid.: 3). Une tombe féminine attire néanmoins le regard, par sa taille et sa richesse. Il pourrait s’agir, selon l'auteur, de la tombe de la Dame de Tikal (511- 527), une des deux femmes qui aurait dirigé la cité. Cependant, là encore la tombe est directement associée à celle d’un homme de sa dynastie. Le statut exceptionnel que la Dame de Tikal aurait eu durant sa vie expliquerait ce traitement de faveur par rapport aux autres femmes de la cité (Ibid. : 4-7).

Le même schéma s’observe pour les tombes de nobles sous les résidences luxueuses. Les plus riches d’entre elles, souvent sous les temples de ces ensembles domestiques, étaient réservées de préférence aux hommes et les quelques femmes présentes étaient là aussi directement associées à un homme de leur parenté (Ibid. : 4).

L'auteur conclut ses analyses en avançant que la cité de Tikal aurait vécu un net changement dans les rapports de genre au moment de la stratification de l'État. « Tikal men

began to occupy a favoured position vis-à-vis women with the rise of political complexity associated with dynastic rule » et ajoute que « the rise of sexual inequality at Tikal is directly tied to the emergence of the centralized state » (Haviland 1997 : 9). En effet, selon l'auteur, plus la société se stratifiait, plus la centralisation et la militarisation de Tikal se développaient, plus le patriarcat se serait instauré, éloignant doucement les femmes du pouvoir. En effet, il remarque que les tombes féminines sont progressivement écartées du centre monumental de la cité durant la Période Classique et que les ressources alimentaires deviennent de moins en moins variées pour les femmes, contrairement aux hommes. Cela ne veut pas dire que les femmes mayas perdirent tout pouvoir et statut à tous les niveaux sociaux, mais indiquerait plutôt qu’en comparaison avec les hommes de leurs classes sociales, leur statut social ainsi que les biens leur étant accessibles aient diminuées (Ibid. : 9-10).

Il est important de noter néanmoins que Tikal n'est pas représentative de toutes les cités mayas de la Période Classique. En effet, beaucoup étaient bien plus petites et possédaient un pouvoir bien moins centralisé et hiérarchisé.

Cela étant dit, un meilleur accès aux ressources alimentaires pour les hommes semble se retrouver dans les données issues d'autres cités mayas de la Période Classique. On citera notamment la cité de Yaxuna, où il était rare qu'une femme dépasse l'âge de 35 ans, alors que les hommes atteignaient plus facilement l'âge de 45 ans (Ardren 2002 : 75-76). Par contre, toujours à Yaxuna, les hommes et les femmes de la noblesse partageaient des déformations et des incrustations dentaires semblables, à l'exception de l'obsidienne, toujours retrouvée chez les hommes. Enfin, il semble que les caractéristiques individuelles aient été mises de côté chez les femmes, au profit de leurs pouvoirs de reproduction et de fertilité (Ibid. : 86-87).

Les hiéroglyphes de la Période Classique Maya semblent aller dans le même sens que les données archéologiques issues du milieu funéraire. On peut retrouver de nombreux titres, employés pour différencier, hiérarchiser et désigner les hommes de l’élite entre eux alors que très peu de titres concernent les femmes de l’élite (Rice 2004 : 34).

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Kaloomte : titre pouvant être comparé à un « empereur », très commun notamment à Tikal. Il s'agit vraisemblablement du statut le plus élevé chez les Mayas de la Période Classique (Ibid. : 34).

Ajaw : signifiant « roi » ou « seigneur » est le rang le plus élevé de la hiérarchie d’un territoire donné. Il peut cependant être sous un Kaloomte. Il détient un pouvoir héréditaire et dynastique. Les Ajaw apparaissent dans les basses terres mayas à partir du première siècle avant notre ère, mais le titre ne sera divinisé que vers le quatrième de notre ère. À partir de ce moment les dynasties de Ajaw comprenaient à la fois des divinités, des ancêtres divinisés et des humains vivants, les Ajaw actuels (Ibid. : 34-35).

Jalach winik : signifant littéralement « vrai homme », est un des postes les plus élevés sur un territoire donné avec l'Ajaw. Les rôles et responsabilités d'un Jalach winik touchent à l'administration, à la gouvernance et à la justice dans les domaines militaire, religieux et politique. Au temps de la colonisation, la cité d'un Jalach winik était souvent considérée comme la capitale d’une région (Ibid. :36).

D'autres titres moins prestigieux existent également et sont largement utilisés dans la littérature maya pour désigner des hommes :

B’atab : le gouverneur d’une ville ou un chef d'un petit territoire local. Issu de la noblesse locale, il est parfois désigné par le Jalach winik ou obtient le pouvoir par hérédité (Ibid.: 38).

Aj kuchkab : Chef d'une sous division d'une cité et membre de son conseil, il assiste le b’atab dans ses décisions.

Aj k’uhun : le “bookkeeper” (Montgomery 2001b: 49), un personnage qui tient le rôle illustre de maintenir les codex (Rice 2004: 39).

Chilam : peut-être un titre spécial pour Aj k’uhun, signifiant « l’interprète » (Coe et Kerr 1998 : 95). Ce titre existaient encore durant le Postclassique et était donné aux interprètes des prophéties de b’alam’s (les prêtres jaguars) (Ibid. : 39).

Concernant les femmes de l'élite à présent : les reines et princesses pouvaient porter le titre d'Ajaw, cependant toujours associé avec le préfixe ix (lady) ou bien na (femme ou mère).

Dame Main Ciel of B'alam de Tikal, par exemple, portera le titre de « ix ajaw » (Martin et Grube 2000 : 40-41) De la même manière que les hommes, les noms des femmes de la noblesse maya seront parfois associés à leur cité d'origine. Ce sera particulièrement le cas lors d'un mariage inter-dynastique, où l’épouse gardera parfois le nom de sa maison. On peut citer, par exemple, Ix Ik’ Crâne née dans la maison Ik’ Crâne et ayant épousé Yaxun BalamIV de Yaxchilan. (Ibid. : 132) Ainsi, non seulement les titres à la disposition des femmes sont moins variés que ceux des hommes, mais ces titre les désigne également en tant que « femme » ou « mère », ou comme membre de leur maison, bref les désignent par rapport à un homme de leur parenté. Cela concorde avec la théorie avancée par Haviland, concernant les tombes féminines sous le centre monumentale de Tikal qui seraient associées à celle d’un homme de leur parenté.

De plus, nous verrons que les noms et titres des femmes ayant eu un réel pouvoir politique sont différents de ceux des autres femmes des élites (Hewitt 1999 :255; Houston et Inomata, 2009 : 132), cependant cette question sera abordée plus tard dans ce chapitre.

Ainsi, à première vue, il semble que l’archéologie et l’épigraphie semblent confirmer un système social favorisant plus facilement les hommes que les femmes chez les Mayas classiques. En partant de ce constat, il n’est pas étonnant de constater, que de nombreuses preuves nous indiquent que le système de descendance maya suivait, la plupart du temps, une règle patrilinéaire.

Les anciens Mayas auraient suivit un schéma de mariage de type cousin croisé selon lequel un jeune homme est poussé à épouser la fille du frère de sa mère ou la fille de la sœur de son père. Il semble que la polygamie et le concubinage ait été possible au sein des élites dirigeantes, comme nous l'apprennent les inscriptions hiéroglyphes, mais ne peuvent pas être prouvés pour toutes les couches sociales (Houston et Inomata 2009 : 186).

Les fils du roi étaient connus sous le titre Ch’ok Ajaw, « jeune seigneur » et l’héritier était désigné sous le titre b’aah Ch’ok Ajaw, littéralement « à la tête des jeunes seigneurs » (Sharer et Traxler 2006 : 698).

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celui du dirigeant K’inich Muwaan Jol (?-359) de Tikal, qui aurait régné durant la première partie du IV siècle de notre ère, se serait officiellement associé à son fils et successeur, Chak Tok Ich'aak I (360-378), sur la stèle 39 de la cité, puis aurait été représenté en sa compagnie, sur la stèle 28, après sa mort (Martin et Grube 2000 :27).

Un autre exemple nous provient de la cité de Yaxchilan, où Itzamnaaj Bahlam III (769- 800), alors enfant, s’est vu présenté comme le successeur de son père Yaxun Balam IV (752- 768), sur le linteau à l’entrée principale du temple 33 de Yaxchilan, en 757 (Ibid. : 133).

4.1.3 Conclusion

À première vue, l’archéologie nous dépeint une ancienne société maya patriarcale et patrilinéaire, où les hommes semblent avoir été favorisés par rapport aux femmes, quelque soit la classe considérée.

Néanmoins, de nombreux indices nous indiquent que les choses n’étaient pas si tranchées. Nous verrons que les dynamiques de succession chez les Mayas de la Période Classique n’étaient pas uniformes sur tout le territoire et pouvaient posséder une forme de flexibilité en ce qui concernait la règle de descendance patrilinéaire, la succession au trône de certaines cités pouvant parfois passer par la mère (Sharer et Traxler 2006 : 692-94). Ce détail, selon moi, irait encore en faveur d’un modèle basé sur les « maisonnées » pour la société des anciens Mayas. En effet, un système où les relations de parentés pouvaient être « crées », notamment par mariage et où la hiérarchie au sein de la « maisonnée » se basait sur la proximité biologique avec le fondateur, devait certainement encourager une certaine flexibilité dans les règles de descendance.