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Les divinités célestes Xquic et les jumeaux héroïques

Chapitre 3. Le genre et l’univers symbolique maya

3.1 L’univers maya

3.2.2 Les couples de divinités créatrices

3.2.3.3 Les divinités célestes Xquic et les jumeaux héroïques

La seconde femme de Hun Hunahpu, Xquic était une des filles du dieu Cuchuma Quic, un dieu secondaire du Xibalba (Bassie-Sweet 2008 : 184). Plusieurs preuves indiqueraient que cette déesse, qui aurait donné naissance à ceux qui deviendront le soleil et la pleine lune, serait associée à la divinité lunaire, dans les autres phases de cet astre, de la période Classique.

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lune et le sang menstruel. D’ailleurs, le terme Quiché pour menstruations est ri quic’ rech ri ic’ qui signifie littéralement « le sang venu de la lune». Le mot du Yucatán maya « u » désigne à la fois le mois lunaire, les menstruations et la lune. Jennifer Dornan (2004 : 463) a étudié l’aspect symbolique du sang et notamment du sang féminin des menstruations dans l’imaginaire des anciens Mayas. Pour l’auteur, les menstruations auraient été conçues comme la manifestation des pouvoirs cosmologiques féminins. Ainsi, Xquic du Popol Vuh serait la manifestation de la déesse lunaire de la Période Classique, dont le nom se lit « 1 lune ». La déesse lunaire apparait notamment dans quelques scènes classiques, comme sur les vases K504 et K5166 (fig.11 et fig.12) (Bassie-Sweet 2008 : 206).

Les Tzotzil modernes disent que la lune est la mère du soleil, une pauvre femme qui doit tisser en échange de son maïs (Milbrath 1995 :75). Cela n’est pas sans rappeler l’histoire de Xquic qui donna naissance à des jumeaux dont l'un deviendra le soleil et l’autre la pleine lune (Christenson 2003, 2007 : 191). Le Popol Vuh raconte que lorsque la jeune déesse fut menacée de mort par son père, elle fuit le monde souterrain et alla trouver sa belle-mère, Xmucane. Cependant, cette dernière n’excepta pas immédiatement Xquic au sein de son foyer; la jeune déesse dut d’abord multiplier des plants de maïs et prouvé qu’elle portait bien les enfants de Hun Hunahpu (Bassie-Sweet 2008 : 204-210). Ainsi, sans enfants, la belle-fille n’est pas légitimée en tant que membre de la maison. Sa position est donc clairement dépendante de sa capacité à produire des fils.

Denis Tedlock (1996 : 287) défend l’idée selon laquelle la pleine lune était non seulement vue comme un élément masculin mais également associée de près au soleil comme les jumeaux héroïques sont associés l’un à l’autre.

Le Popol Vuh pourrait être illustré une fois de plus dans une sculpture de la Période Classique que l’on peut admirer sur le panneau 1 à Bonampak. En effet, on peut y voir une divinité, interprétée comme étant une divinité lunaire, portant la ceinture d’un joueur de balle et un ornement sur le nez relatif au dieu jaguar de l’inframonde. Cette divinité lunaire associée avec une ceinture d’un joueur de jeu de balle pourrait bien ici représenter Xbalanque, une fois que le héros serait devenu la pleine lune. De plus, comme d’autres représentations de la divinité lunaire maya de la Période Classique, deux symboles associés à la lune sont présents, le lapin et le symbole du croissant de lune (Milbrath 1995 :75).

Ainsi il semble que le personnage de la divinité lunaire, à l'image des grands-parents créateurs ou de Hun Ixim et Ixik, possédait elle aussi une certaine ambigüité sexuelle qu'elle partage cette fois avec son fils Xbalanque, la pleine lune.

Les activités des jumeaux héroïques reflètent celles que pratiquaient les jeunes hommes de l’élite sur les œuvres d’art monumentales des cités mayas classiques, comme le jeu de balle, la dance rituelle, la diplomatie et la guerre (Joyce 2000 :68). Des thèmes identiques ont également été identifiés sur quelques céramiques de la Période Classique. Sur un vase cylindrique, K1183© Justin Kerr (fig. 13), daté entre 593 et 830, trouvé dans la région de Campeche au Mexique, on peut observer une rencontre diplomatique entre les jumeaux héroïques et un des premiers seigneurs du Xibalba. Le vase de Princeton, K0511© Justin Kerr (fig.6), dont nous avons déjà parlé plus haut, nous donne un autre exemple où l’on peut voir les jumeaux, déguisés en danseurs, montrant leur victoire sur la mort et leur résurrection au dieu L, leur grand-père maternelle (Reents-Budet 1994 : 356).

Finalement, Karen Bassie-Sweet (2008 : 224-225) note avec intérêt que l’histoire du couple Hun Hunahpu/Xquic et des jumeaux héroïques semble une fois de plus illustrer le principe d’opposition complémentaire masculin/féminin. En effet, leur rôle en tant que soleil et pleine lune crée une opposition jour/nuit. Or nous avons vu que le jour est associé avec le masculin et la nuit avec le féminin. Il est intéressant de noter qu’une opposition du même genre est également possible entre les jumeaux héroïques et leurs frères ainés. Les jumeaux héroïques, de la même façon que leur père et oncle, sont associés à des activités masculines, comme le jeu de balle, la dance et la guerre. Alors que les jumeaux singes, bien que nés en premier, sont associés à la production artisanale et alimentaire, ce qui n’est pas sans rappeler les activités féminines.

Enfin l’union même qui permit aux jumeaux de voir le jour représenterait parfaitement la complémentarité dualistique, puisqu’elle unit Hun Hunahpu, descendant du dieu créateur céleste Itzamnaaj et Xquic, descendante d’un des dieux du Xibalba. La manière dont Hun Hunahpu imprégna Xquic et le fait que celle-ci, enceinte, fut contrainte de fuir le Xibalba pourrait relater d'une forme de capture d’épouses. Cet événement s’avèrera être un acte stratégique clef qui permettra la victoire sur les dieux du Xibalba, puisque de cette union

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captures d'épouses représentaient une stratégie politique courante au sein des élites mayas classiques.

3.2.4 Conclusion.

Ainsi, les personnages divins féminins et masculins des Mayas précolombiens dans leurs relations, leurs personnalités et leurs activités illustrent parfaitement le principe de dualité complémentaire des genres. Un fait particulièrement fascinant à noter est que les différents personnages divins de la création du Popol Vuh, comme de la Période Classique, étaient tous présentés associés en pair de divinités distinctes, sexuellement duelles et complémentaires, mais également comme les deux visages d’une seule et même divinité. Le couple primordial est peut-être celui qui illustre le mieux mon propos, puisque Ix Chel et Itzamnaaj étaient deux personnages bien distincts sur de nombreuses représentations, tandis que sur d’autres, ils pouvaient être assemblés en une divinité aux caractéristiques bisexuelles. De plus, il semble qu’une constatation de même ordre puisse être faite pour les personnages de même sexe. En effet, pourrait-on dire que Xpiyacoc/Itzamnaaj, Hun Hunahpu/Hun Ixim et son jumeau ainsi que Hunahpu et Xbalanque représenteraient les diverses facettes du personnage divin masculin tandis que Xmucane/Ix Chel, Xquic/déesse lunaire et Xbaquiyalo/Ixik représenteraient celles du personnage divin féminin. Nous reprendrons néanmoins cette question en conclusion.