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Chapitre 4. Le genre et le pouvoir chez les Mayas classiques

4.2 Des femmes dans un monde d’hommes

4.2.1 La femme, un bien dynastique

Dans certaines communautés mayas modernes, lorsqu’une épouse est choisie, une dote doit être payée à sa famille en dédommagement de la perte de leur fille. Les Quiché disent encore aujourd’hui que le cacao donné à la famille de l’épouse est une bonne compensation pour cette dernière (Bunzel 1952 : 115). Parmi les nombreuses histoires parlant de mariages modernes sur les terres mayas, certaines racontent comment des unions auraient mal tournées, parfois jusqu'à la mort de l’épouse, parce que le fiancé n’aurait pas payé la dote à la famille de sa femme (Bassie-Sweet, 2008, 178-86). Durant la période postcoloniale, les jeunes époux vivaient au domicile de la famille du jeune homme. La dote, variant en fonction de la richesse et de la classe des deux familles, était payée en partie en ressources économique et artisanale, mais aussi en travail. Il était rare de se marier en dehors de son milieu social. (Sharer et Traxler 2006 : 676-77).

Si cette dote est une tradition importante à respecter, c’est qu’en plus des tâches domestiques que réalisait quotidiennement la femme, la valeur de production que cette dernière amenait à sa maison, semble avoir été un aspect essentiel au système économique de la société maya de la Période Classique. Car en effet, les femmes étaient également des productrices d’artisanat de luxe, comme les textiles, qui étaient nécessaires aux échanges, aux tributs comme aux offrandes. La valeur et l’habilité économique d’une femme pouvaient vraisemblablement lui apporter beaucoup de prestige au sein même de sa famille et en faire

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vase de la Période Classique (fig. 20 K5847© Justin Kerr) sur lequel on observe la présentation de plusieurs fiancées, dont deux sont portées (Bassie-Sweet, 2008, 179). Ainsi, il semble que cette valeur économique que représentait la femme pour sa maison et qui faisait d’elle une marchandise, aurait perduré après la Période Classique et jusqu'à la Période Coloniale. En effet, lors des mariages mayas de la Période Coloniale, largement documentés par Landa (Tozzer 1941: 100-101, 218), on racontait que la fiancée était portée jusqu'à la maison de son futur époux, comme une marchandise, ce qu’elle représentait en vérité.

Le premier but d’un mariage était évidemment d’obtenir une descendance. C’est pourquoi une femme stérile sera renvoyée dans sa famille et la dote remboursée. Le Popol Vuh, une fois encore, nous rappelle ce fait lorsqu’il est dit que Xquic ne fut acceptée dans le foyer de Hun Hunahpu que lorsqu’il fut prouvé qu’elle portait bien ses fils (Bassie-Sweet 2008 : 210).

Comme nous en avons discuté dans le chapitre précédent, la capacité à saigner sans blessure et sans mourir chaque mois ainsi que celle de donner la vie, auraient été considérés comme un des pouvoirs sacrés féminins chez les Mayas des périodes anciennes comme modernes (Voir discussion chapitre 3). Ces pouvoirs sacrés auraient pu offrir à la femme un certain poids au sein même de sa maison, dont elle symbolisait la fertilité et la prospérité.

Cette hypothèse a été testée par Tracy Ardren (2002) à travers une étude de deux tombes royales de la cité de Yaxuna, au Yucatan actuel, qui semblent correspondre au niveau de la période comme du style. La première est une tombe traditionnelle pour un roi de Yaxuna à la Période Classique et contenait la dépouille d’un homme relativement âgé. La seconde reflèterait le massacre d’une dynastie entière, treize individus, certainement les membres de la dynastie du roi enterré dans la première tombe. Mais ce qui a particulièrement éveillé l’intérêt de Tracy Ardren, dans cette seconde tombe, est la présence de deux jeunes femmes : une jeune fille âgée de 12 à 15 ans et probablement enceinte ou ayant tout juste accouché et une jeune femme de 25 ans environ n’ayant visiblement jamais enfanté. Ces deux corps semblent avoir reçu un traitement spécial par rapport aux autres. Les deux jeunes femmes seraient décédées d’une mort violente, la plus jeune ayant eu le crâne écrasé et la plus âgée, les jambes décharnées, tandis que les autres corps ne présentent pas de traces d’un tel acharnement. Toutes deux étaient également richement accompagnées et ornées de bijoux identiques à ceux

retrouvés auprès du roi de la première tombe. L’auteur pense que la jeune femme de 25 ans, aurait pu être l’héritière du trône de Yaxuna et qu’un complot interne à la cité ou bien une conquête aurait déclenché le massacre de la dynastie entière. Ardren défend particulièrement la seconde hypothèse, à cause de la présence de céramiques du style de Teotihuacan et notamment d’une petite figurine féminine, la muñeca, retrouvée sur la jeune femme. Pour l’auteur, ces princesses auraient incarné, aux yeux de leur dynastie, ou du moins aux yeux des usurpateurs, le pouvoir de reproduction, voire le pouvoir tout court, de leur dynastie et cela même dans la mort. La muñeca, une figurine associée à la fertilité et à l’enfantement, aurait pu être placée là par des conquérants venus de Teotihuacan dans le but de montrer leur contrôle symbolique sur le trône de Yaxuna et sur sa dynastie vaincue (Ardren 2002 : 87-88).

Le pouvoir et l’influence que pouvait obtenir une femme par sa capacité à donner la vie est d’ailleurs mis en lumière par les nombreuses scènes et d’inscriptions de la Période Classique présentant une femme dans son rôle de mère de l’héritier ou du dirigeant, dont nous parlerons plus en détails plus tard.

4.2.2 Les mariages inter-dynastiques, guerres territoriales ou alliances