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Chapitre 3. Le genre et l’univers symbolique maya

3.1 L’univers maya

3.2.2 Les couples de divinités créatrices

3.2.2.1 Les grands-parents créateurs : Xpiyacoc et Xmucane

Christensen (2003, 2007) décrit que le récit mythique présente le couple de divinités primordiales comme un ensemble:

« The mother and the father of life and all creation, the giver of breath and the giver of heart, they who give birth and give heart to the light everlasting, the child of light born of woman and the son of light born of man, they who are compassionate and wise in all things-all that exist in the sky and on the earth, in the lake and in the sea » (Christensen 2003, 2007: 66).

Karen Bassie-Sweet (2008 : 53) rajoute que, puisque le souffle et le cœur représentaient l’âme humaine chez les anciens Mayas, le Popol Vuh identifie clairement le couple primordial non seulement comme les créateurs du corps humain, mais aussi de l’âme humaine.

Les grands-parents primordiaux, en plus d’avoir créer la terre, les animaux, les plantes et les humains, auraient également construit le premier foyer sur terre. C’est dans ce foyer,

qu’ils formèrent la première famille d’abord avec leur deux fils jumeaux, puis avec leurs belles-filles et leurs deux paires de petits-fils, les jumeaux singes et les jumeaux héroïques (Ibid. : 65).

Les grands-parents primordiaux sont décrits comme un couple âgé aux multiples talents et rôles. Ils sont tous deux prêtres, divins, magiciens, guérisseurs et artisans. Dans la culture maya moderne les grands-parents et les personnes âgés sont grandement respectés, considérés comme possédant la sagesse et l’expérience. Xpiyacoc, le grand-père primordial était appelé mamom, ce que Christensen (2003, 2007 : 62) traduit par « patriarche ». Xmucane quant-à-elle porte un titre associé à celui de Xpiyacoc, celui de iyom, « la sage-femme ». D’ailleurs encore aujourd’hui, dans la société Quiché contemporaine, le patriarche est vu comme un vieil homme reconnu pour ses talents de divination et d’interprétation des rêves mais aussi comme un excellent négociateur, notamment dans les arrangements de mariages. La sage-femme est de préférence une femme âgée, ayant passé elle-même l’âge de procréer. Elles travaillent souvent en association avec le patriarche comme guérisseuse spécialisée dans les soins prénataux et postnataux, mais elle est également douée pour la divination, interprétant le destin de l’enfant qui vient de naître (Bassie-Sweet 2008 : 125-26).

Outre son rôle de sage-femme, Xmucane tient le rôle de la femme et mère par excellence. Elle crée de la nourriture et des boissons, elle collecte de l’eau, des plantes médicinales et du bois pour maintenir le feu et s’occupe du jardin (Ibid.: 197).

On peut observer sur les céramiques peintes de la Période Classique de nombreuses scènes en rapport avec la mythologie de la création. Et il semble que les Mayas classiques aient cru, tout comme les peuples du Postclassique, de la période coloniale ou de l’époque actuelle en l’existence préalable de plusieurs mondes que les dieux auraient créé puis détruit, avant ce monde-ci (Sharer et Traxler 2006 : 728). Cependant, les sources des basses terres mayas classique ne font références ni à Xpiyacoc ni à Xmucane. Il existe néanmoins un couple de dieux à la fois destructeurs et créateurs, nommés Itzamnaaj et Ix Chel, partageant les mêmes rôles et de nombreuses caractéristiques avec celui du Popol Vuh (Bassie-Sweet 2008 : 53).

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Itzamnaaj aurait notamment été reconnu à travers deux dieux présents sur le codex de Dresde (Chichen Itzà, Postclassique), les dieux D et N. On peut également identifier ce dieu sur certaines œuvres de la Période Classique. On citera par exemple, la scène sur la céramique K1485© Justin Kerr (fig. 2), où l’on reconnait le dieu N, assis à droite en bas de l’image sur un trône (Ibid. : 128-135).

La déesse Ix Chel était représentée sur des nombreux œuvres mayas précolombiennes, la plupart du temps comme une vielle femme, légèrement voutée et aux seins pendants. C’est ainsi que la déesse est illustrée sur la page 30 du codex de Madrid, où l’on peut la voir en train de créer de la pluie, en compagnie du dieu Chahk (Ibid. : 90) (fig.3). Cette vieille déesse est reliée à Xmucane notamment dans son rôle de sage-femme, comme nous l’apprend De Landa (Tozzer 1941 : 129) dans ces récits du XVIème siècle. De nombreux indices semblent révéler que les sages-femmes mayas précolombiennes, invoquaient la déesse Ix Chel, voir se présentaient en tant que son incarnation, lors des accouchements Cependant, et à l’image de nombreuses déesses mésoaméricaines, si les deux déesses avait le pouvoir de donner la vie, elles étaient également associées à la mort et à la destruction. En effet, si Xmucane a donné vie aux humains en les façonnant, ce fut également elle qui, avec Xpiyacoc, détruisit les trois premières créations. Ix Chel, quant à elle, à l’image d’autres déesses sages-femmes en Mésoamérique, comme la déesse nahua Cihuacoalt, est également la patronne des femmes mortes en couche. Ces femmes étaient vues comme l’équivalent féminin des guerriers morts au combat et leurs déesses/patronnes étaient des divinités guerrières (Bassie-Sweet 2008 : 194- 97, 200). Ainsi, une des facettes d’Ix Chel était celle de la guerrière impitoyable et destructrice, tout comme Xmucane.

Concernant la nature du couple, Bassie-Sweet précise que la force divine qui vivait dans l’immensité du ciel et/ou dans celles des eaux de la mer primordiale était sexuellement dualistique, personnifiée à la fois par une entité bisexuelle et par un couple primordial des grands-parents créateur, Xpiyacoc et Xmucane. (Ibid. : 53). Or parfois sur les représentations de la Période Postclassique, le couple Itzamnaaj/Ix Chel est représenté comme une entité divine bisexuelle. On peut notamment observer le phénomène sur certains codex, comme celui de Dresde (fig.4), où l’on voit une divinité possédant la tête d’Itzamnaaj et le corps d’Ix Chel.

Le glyphe accompagnant l’image précise qu’il s’agirait du dieu D, une des forme de Itzamnaaj (Bassie-Sweet 2008 : 129-30).

Néanmoins Itzamnaaj et Ix Chel ne sont peut-être pas les uniques manifestations du couple primordiale. En effet, la variabilité culturelle régionale que l’on connait aux époques Classique comme Postclassique, rend fortement probable que leurs noms au moins n’ont pas été les mêmes partout.

Une des versions les plus complètes des mythes de création maya datant de la Période Classique peut se lire à travers les textes du temple de la croix à Palenque. Le mythe se concentre principalement sur la naissance des premiers dieux, le couple divin primordial, surnommés « premier père » et première mère » et de leurs enfants, qui formèrent la triade des dieux patrons de Palenque, nommés dieu GI, GII et GIII. Ces textes stipulent que le couple divin primordial serait né durant la précédente création et que la création du monde actuel remonterait au début du cycle de Bak’tun dans le calendrier maya (Août 14, 3114 avant notre ère). Leurs trois enfants, eux, seraient nés presque 1000 ans plus tard, en 2360 avant notre ère. Un autre monument détaille la création de 3114 avant notre ère. Il s’agit de la stèle C du monument 3 de Quiriguá, un ancien site maya classique qui se situe aujourd’hui dans le département d'Izabal au Guatemala. Les hiéroglyphes racontent que les premiers dieux créent le foyer primordial, avec trois pierres, comme tous les foyers des maisons mayas, des pierres qu’ils posèrent comme étant les trônes du jaguar, du serpent et de l’eau (Sharer et Traxler 2006 : 728).

Mais pour en revenir au couple du Popol Vuh, les grands-parents créateurs, et plus particulièrement Xpiyacoc, trouve leur exact opposé dans le personnage de Cuchuma Quic, un des dieux secondaires mais important du Xibalba et père de Xquic (Bassie-Sweet 2008 : 57). Sa correspondance à la Période Classique serait le Dieu L, un vieux dieu souvent illustré assis sur un trône et entouré de nombreuses jeunes femmes. Le Dieu L est un dieu très largement représenté dans l’iconographie de la période. On le voit par exemple en compagnie de ses nombreuses filles et femmes, sur la porterie K0511 © Justin Kerr (fig.5) (Ibid. : 230-32).

Une théorie intéressante propose que le couple primordial, en plus d’être un ensemble complémentaire, soit également duel. Karen Bassie-Sweet (Ibid. : 236) propose que Xmucane

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fut elle aussi une déesse du monde souterrain, peut-être la sœur de Cuchuma Quic. En effet si, comme le défend Hopkins (1988), les anciens Mayas suivaient un schéma de mariage entre cousins croisés selon lequel un jeune homme est poussé à marier la fille du frère de sa mère ou la fille de la sœur de son père, l’idée pourrait être défendu. De plus, selon Bassie-Sweet (2008 : 197-98), les caractéristiques de jaguar associées à la déesse Ix Chel, les ossements croisés parfois présent sur sa jupe ainsi que ses rôles de sage-femme, de déesse guerrière et de destructrice du monde, font penser à une déesse du monde souterrain. Ainsi le couple divin représenterait en lui-même le principe d’opposition complémentaire masculin/féminin et leur mariage, dans les eaux primordiales qui séparaient alors le monde souterrain du ciel, aurait créé la dualité (Ibid. : 263).