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Les mariages inter-dynastiques, guerres territoriales ou alliances politiques

Chapitre 4. Le genre et le pouvoir chez les Mayas classiques

4.2 Des femmes dans un monde d’hommes

4.2.2 Les mariages inter-dynastiques, guerres territoriales ou alliances politiques

Comme nous l’avons vu, obtenir une épouse était profitable, au sein de la société maya classique, pour de nombreuses raisons et indépendamment de la sphère sociale. Cependant, il est probable qu’un mariage au sein des élites devait refléter des stratégies politiques bien plus complexes et avoir des conséquences à plus grande échelle.

Karen Bassie-Sweet (2008 : 236-38) avance que les bénéfices et avantages d’un mariage entre deux maisons élitistes mayas devaient être conséquents. Les liens de parenté, à tous les niveaux de la société, devait former la base de la construction des relations sociales et des allégeances. Quelque soit le type de système politique et économique, les relations de parenté devaient jouer un rôle considérable dans l’établissement d’accords commerciaux et de stratégies militaires défensives ou offensives. Un mariage entre deux maisons leur permettait d’échanger aide, services, ressources mais aussi relations. Les dynasties dirigeantes devaient

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obtenir beaucoup de ressources matérielles en échange de la main de leurs filles et une dynastie ayant plusieurs filles à marier pouvait certainement être considérée comme riche. L’auteur ajoute que, si une partie de la dote pouvait être payée sous forme de travail, un dirigeant mariant sa fille pouvait obtenir de l’aide de la part de la maison du fiancé dans ses campagnes de constructions, par exemple. Ainsi, il est probable que les seigneurs moins hauts placés aient été obligeants lorsqu’il s’agissait d’offrir la main d'une de leurs filles à un dirigeant ou à son fils, afin d’obtenir non seulement un statut mais aussi l’accès à des ressources contrôlées par les dynasties au pouvoir, comme le cacao. En résumé, un bon mariage au sein des élites classiques mayas était un arrangement profitable pour les deux parties, qui permettaient certainement d’obtenir à la fois des connections et relations politiques utiles et des ressources économiques non négligeables.

Plusieurs auteurs, comme Schele et Miller (1986) ou Josserand (2002), ont noté la présence d’inscriptions concernant des mariages inter-dynastiques sur plusieurs monuments classiques.

Il fut d’abord proposé que les mariages inter-dynastiques de la Période Classique suivaient un modèle qui reliait le centre des terres mayas et ses cités avec celles de la périphérie (Molloy et Rathje 1974). En effet, un tel schéma voudrait que les centres de périphérie, comme Copán, Yaxchilan et Dos Pilas aient obtenu des épouses de haut-rang, venues de la région de Tikal, en échange de ressources naturelles. Obtenir des épouses originaires d'une dynastie mieux placée que la leur auraient permit aux élites locales de légitimer et renforcer leur pouvoir.

Cependant, au vu des connaissances actuelles sur la civilisation maya et des dynamiques entre ses différentes cités, on peut certainement dire sans trop de risques que la toile des mariages inter-dynastiques devait se tisser sur un fond politique, économique et social bien plus complexe qu’une opposition ou une complémentarité centres/périphéries.

Comme nous l’avons déjà expliqué plus haut, lors d’un mariage maya des Périodes Précolombiennes et Coloniales, les jeunes femmes quittaient probablement le domicile familial pour vivre dans la maison de leurs époux. Il en serait de même pour les élites de la

Période Classique, comme le montrent de nombreuses inscriptions reliant les épouses royales aux glyphes emblèmes d’autres cités, sûrement leurs cités natales.

Par exemple, on peut citer Yaxun Balam IV (752-768), un dirigeant de Yaxchilan, qui aurait eu quatre épouses, dont trois provenaient d’autres sites : Ix Wak Tuun et Ix Wak Jalam Chanj Ajaw, toutes deux associées au site de Motul de San José (Petén, Guatemala) et Ix Mut Bahlam, qui serait venue de Hix Witz (Petén, Guatemala) (Martin et Grube 2000 : 131).

Si parfois une jeune fille étaient envoyée dans la cité de son nouvel époux, tissant ainsi des liens politiques et économiques entre les deux familles, d’autres inscriptions provenant de certains sites classiques, nous apprennent que parfois de telles unions étaient aussi les conséquences de guerres de territoires où les jeunes femmes des lignées vaincues étaient mariées aux vainqueurs.

Le phénomène semble avoir été pratiqué dans la région de Petén au Guatemala et, notamment, sur le site de Naranjo où l’on peut citer le cas d’au moins deux épouses royales, ayant été des captives de guerre. Ix Unen B'alam of Tuub'al, serait devenue la femme de K'ahk' Tiliw Chan Chaak (693-728>) au début du sixième siècle de notre ère. Des inscriptions nous précisent qu’elle était une captive obtenue durent la guerre contre Tuub’al (le site moderne de Nakum) (Martin et Grube 2008 : 77). Toujours à Naranjo, Dame Parchemin de Yaxha, l’épouse de Itzamnaaj K’awiil (784-810>) en 800, aurait probablement été une proche du dirigeant de Yaxha (Petén, Guatemala), vaincu par Itzamnaaj K’awiil, peut-être même sa veuve (Martin et Grube 2008 : 82-83).

À Tikal, l’épisode de l’ « entrada » est très enrichissant en ce qui concerne les stratégies politiques pour justifier un mariage inter-dynastique. En effet, des étrangers venus vraisemblablement de Teotihuacan et menés par Siyaj K’ak’ arrivèrent en 378 dans la cité de Tikal. Ils s’emparèrent vraisemblablement du pouvoir politique par la force puisque le précédent roi aurait trouvé la mort le jour même de l’« entrada ». Yax Nuun Ayiin I (r. 379- 404?), le fils d’un des conquérants de Teotihuacan proche de Siyaj K’ak’ et d’une femme de la noblesse locale, fut placé sur le trône en 379. Déjà lui-même fruit d’une fusion des dynasties de Teotihuacan et de Tikal, il épousa une femme originaire de la noblesse locale, Ix K'inich. À son tour, son fils et successeur, Siyaj Chan K’awiil II (411-456), en fit de même. Ici de tels

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mariages semblent clairement avoir pour but de légitimer les nouveaux dirigeants en installant durablement une nouvelle dynastie mixte (Martin et Grube 2000 : 29-32).

Un mariage inter-dynastique de conquête, stratégiquement semblable de ceux ayant eu lieu à Tikal, fut probablement celui du fondateur de la cité de Copán, K’inich Yax K’uk’ Mo’ (426- 435?). En effet, si aucune inscription ne précise son origine étrangère, des analyses réalisées sur le squelette trouvé dans la tombe Hunal et interprété comme étant la sienne, ont révélé son rattachement à la vallée de Tikal. Pour cette raison, les auteurs pensent qu’il serait soit originaire de Tikal, soit de Teotihuacan et aurait été un des étrangers venus du Nord pour conquérir des terres mayas durant le IVème siècle de notre ère. Et une fois encore, son épouse, celle qu’on pense enterrée dans la tombe de Margarita a été identifiée comme originaire de Copán ou de sa région (Martin et Grube 2000 : 192-95).