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Chapitre 5. Genre et économie au sein des élites mayas classiques

5.1 Acteurs d’extérieur versus actrices d’intérieur

Comme nous l’avons vu précédemment, Josserand (2002 : 118) propose que les hommes performaient les rituels et les actions politiques publiquement tandis que les femmes restaient en arrière, leur rôle étant d’organiser, créer les offrandes et de réaliser les rituels plus privés. Cette hypothèse suggère également une forme de séparation spatiale entre les genres.

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Certaines données iconographiques et épigraphiques de la Période Classique semblent aller dans ce sens. Rosemary Joyce (2000 : 74-75) analyse les emplacements respectifs des illustrations d’hommes et de femmes de l’art monumental de cette période. Elle observe que lorsqu’un couple est représenté en opposition sur les deux faces d’une seule stèle, la femme est souvent tournée vers l’intérieur, le foyer, alors que l’homme est généralement tourné vers l’extérieur, le monde.

Nous avons vu précédemment que les princesses envoyées dans d’autres dynasties pour consolider ou créer des alliances se voyaient parfois offrir leurs propres espaces au cœur de la cité. Ce fut le cas des structures palatiales 23 et 11 de Yaxchilan respectivement dédicacées a Ix K'abal Xook et Ix Sak B’iyaan, deux des épouses de Itzamnaaj B’alam II (Plank 2004 : 38; 53). Le fait d’offrir des structures palatiales n’est peut-être pas anodin. Cela sous-entend que l’espace fermé à l’intérieur du foyer était considéré comme le domaine féminin. Au contraire, l’espace public, marqué par des structures, des autels et des stèles représentant plus volontiers des hommes, semble avoir été identifié comme un domaine masculin.

Cette séparation spatiale semble pouvoir être directement reliée à la répartition des tâches quotidiennes et des activités pratiquées respectivement par les deux sexes.

Chez les Mayas modernes, les tâches quotidiennes sont clairement réparties entre les activités qui se déroulent à l’intérieur du foyer et aux alentours et qui sont réalisées par les femmes et les activités d’extérieur qui peuvent parfois amener très loin du foyer et qui sont pratiquées par les hommes. Duncan Earle (1986: 166) décrit la séparation des tâches au sein de familles Quiché à Chinique au Guatemala. Durant leur journée de travail, les femmes restent proches de la terre, cuisinant au-dessus du foyer, tissant assises à même le sol, lavant les vêtements à la rivière ou s’occupant des enfants. Idéalement, elles ne quittent que rarement le cercle du foyer, vu que toutes leurs activités s’y déroulent. De ce fait, les Quichés appellent les femmes rahaw ha, propriétaires de la maison, bien que légalement la terre appartient aux hommes (Earle, 1986 : 157-158).

Les hommes, quant à eux, quittent le foyer chaque matin, pour aller aux champs ou pour s’engager dans des activités commerciales et diplomatiques.

Durant les périodes précolombiennes, la séparation des activités féminines et masculines est documentée, une fois de plus à travers les récits du Popol Vuh. L'association des activités féminines avec la zone du foyer y est clairement relatée. Xmucane et les deux jeunes déesses sont presque toujours au sein de la maison ou aux alentours et s'affairent aux tâches domestiques. Il est dit que Xmucane, outre son rôle de sage-femme, a comme responsabilités la préparation de la nourriture et des boissons, la collecte de l’eau, des plantes médicinales, du bois pour maintenir le feu, de l'entretien du jardin et du tissage des vêtements. Elle se fait accompagner dans ces tâches par ces deux belles-filles (Bassie-Sweet 2008: 194- 197).

Hun Hunahpu et son jumeau, tout comme Hunahpu et Xbalanque, sont au contraire, engagés dans des activités à l'extérieur du foyer, d'abord comme joueurs de jeu de balle émérites, puis comme « guerriers » descendus au Xibalba pour affronter les seigneurs de la mort (Ibid. : 215-222).

Pendant la Période Classique, les indices d’une même répartition intérieur/extérieur concernant les tâches quotidiennes, en fonction des sexes, ne manquent pas. Rosemary Joyce (2000 : 65-68), propose que les iconographies spécifiques aux deux genres illustrent cette séparation. Elle remarque que les riches huipiles, tenues portés par les femmes des élites sur les gravures monumentales, sur les céramiques fines ou bien sur les peintures murales, associaient ces dernières aux activités de tissage, de broderie et de filage. De plus, nous avons vu que ces mêmes femmes, richement vêtues, portaient souvent dans leurs mains des paniers remplis de vaisselles ou des textiles, rappelant à nouveau leur implication dans les activités d’intérieur (voir chapitre 3 et 4). Les dirigeants hommes, à l’inverse, portaient des costumes constitués d’éléments naturels, comme des peaux d’animaux ou encore des bouts d’écorce et tenaient souvent des lances, des boucliers ou des symboles de leur pouvoir politique (voir chapitre 3). Ainsi, selon l’auteur, « Men are shown engaged in ritual and political action in reception, warfare, dancing, and sacrifice. [ …] When female figures hold cloth bundles and pottery dishes, their action in food and cloth production [...] are implied, ... » (Ibid. : 68).

Les données archéologiques nous apprennent qu’en plus d’une séparation spatiale en fonction des activités de genre intérieur/extérieur, l’espace intérieur est également divisé au

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fouilles menées sur des structures d’habitat élitistes à Aguateca, une ancienne cité de la région de Petén, au Guatemala. En effet, la disposition des différents artéfacts au sein des pièces suggère que les zones centrales de la maison étaient vouées aux travaux d’écriture, à l’art ou encore aux rencontres diplomatiques et politiques. Quant aux activités de stockage, de transformation et de fabrication de la nourriture mais aussi de tissage, de broderie et de filage avaient lieu au sein des mêmes zones adjacentes. Houston et Inomata (2009 : 271-72) ont proposé qu’une telle répartition illustre une division de l’espace et des activités en fonction du genre à l’intérieur des structures d’habitat des élites d’Aguateca. En effet, nous verrons plus loin, que les activités de scribes, d’artistes, d’administrateurs et même de diplomates sont généralement attribuées aux hommes des élites mayas non dirigeantes.

Néanmoins, nous aborderons plus tard la question de l’attribution délicate d’un genre à certaines activités, comme celle du scribe/artiste.

Maintenant que nous avons vu brièvement que l’espace et les activités quotidiennes des élites mayas de la Période Classique étaient définis et séparés en fonction des genres, nous allons nous pencher plus précisément sur l'économie et la production de denrées de luxe au sein de ces élites.