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Chapitre 3. Le genre et l’univers symbolique maya

3.1 L’univers maya

3.1.2 La dualité complémentaire, un principe structurant

Chercher à définir, classifier et catégoriser le monde qui nous entoure est un mécanisme universel. Ce mécanisme permet d’interagir et de manipuler notre environnement immédiat ainsi que le monde dans son sens le plus large. Il est d’ailleurs courant, dans les sociétés humaines, de définir le monde autour de catégories associées aux deux sexes. C’est ce qu’observe Françoise Héritier (1996 : 76) lorsqu’elle avance qu’à partir de « l’observation primale de la différence irréductible des sexes », les sociétés humaines élaborent un système de classification de leur environnement, en catégories duelles, elles-mêmes identifiées soit par féminin, soit par masculin. Les Mayas anciens n’ont pas échappé à la règle. Pour de nombreux spécialistes, un des principes fondamentaux de la conception du cosmos maya était basé sur une dualité complémentaire des genres. Cette dualité complémentaire régissait de nombreux domaines comme le jour et la nuit, la droite et la gauche, le jeune et l’ancien. L’est et l’ouest, le haut et le bas, etc.… (Bassie-Sweet 2000 : 2).

Dans la pensée maya, la dualité complémentaire de genres associe notamment le masculin avec le soleil et le jour et féminin avec la lune et la nuit. Duncan Earle, qui vécut une année au sein de familles Quiché à Chinique au Guatemala, nous décrit l’association entre les activités masculines et féminines d’une part et les cycles quotidiens et annuels du soleil et de la lune, d’autre part, au sein d’une communauté maya moderne. La journée de travail dans ces communautés est bien définie tout au long de l’année. Chaque jour la femme se lève avec l’étoile du matin et dans la fraîcheur de l’aube pour ranimer le feu du foyer. Elle travaille la journée entière d’un rythme régulier, comme la lune, invariablement présente dans le ciel. L’homme se lève avec le soleil et vient se réchauffer auprès du feu. Sa journée de travail sera intense jusqu'au coucher du soleil, ou jusqu’à ce que la pluie arrive, comme le soleil qui passe brièvement, mais frappe intensément la terre de ses rayons durant la journée. Les activités féminines, encore à l’image de la présence lunaire, sont constantes tout au long de l’année, alors que les activités masculines, à l’image du soleil, sont dépendantes des saisons (Earle 1986 : 157-158).

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De plus, Earle observe que les différents espaces de la maison, lieu des activités féminines, sont eux-mêmes divisés symboliquement en catégorie de genre. Ainsi le toit de bois est masculin car les troncs des arbres qui le constituent sont considérés comme des éléments masculins, tandis que le sol et les murs sont féminins puisque façonnés à partir de la terre, un élément froid et avant tout féminin (Earle 1986: 166).

Selon Earle, cette séparation des activités et des domaines masculins et féminins ne reflète pas uniquement les notions de genre des Mayas Quiché, mais aussi la conception de leur cosmos dans son entier :

« Things that are unchanging (repetitive women’s activities) are juxtaposed to those things that change, things that grow and die (men’s activities). The process of separation, complementary opposition, and reintegration of these two concepts characterizes the Quiché view of daily life and their beliefs about the nature of the temporal and spatial world » (Earle 1986 : 158).

L’association masculin/soleil/jour et féminin/lune/nuit se retrouve, comme nous le verrons, dans les histoires mythiques du Popol Vuh, puisqu’une divinité masculine, Hunahpu, deviendra le soleil et tandis qu’une divinité féminine, Xquic, deviendra la lune dans toutes ses phases sauf la pleine lune. En effet, la pleine lune était l’incarnation de Xbalanque le jumeau de Hunahpu (Bassie-Sweet 2008 : 225). Or, si le masculin est associé au soleil et au jour et le féminin à la lune et à la nuit, alors le masculin est également en rapport à l’Est et au haut tandis que le féminin est en rapport à l’Ouest, et au bas.

Idée d’une dualité des genres spatiale se retrouve aussi dans l’opposition gauche/droite. On notera que de nos jours de nombreux peuples mayas conceptualisent encore l’être humain comme étant à la fois masculin et féminin, le côté gauche de la personne étant sa partie féminine tandis que le côté droit serait sa partie masculine. Ainsi afin de devenir une personne « complète », chacun se doit de se marier. Les époux sont toujours considérés comme un ensemble allant de pair, comme la partie gauche et droite du corps ont besoin l’une de l’autre pour fonctionner (Bassie-Sweet 2000 : 2).

L’idée d’une dichotomie droite/gauche associée au genre se retrouverait chez les Mayas classiques, comme le défend Joël Palka (2002) lorsqu’il analyse le symbolisme gauche/droite dans les représentations iconographiques. L’auteur avance que la dichotomie gauche/droite pourrait être un des principes fondamentaux de l’organisation et la structure spatiales au sein de l’art maya de cette période. Selon l’auteur, le côté droit est associé clairement avec le masculin, la journée, le « bon » et le « dominant » lorsque le côté gauche serait associé au féminin, la nuit, le « mauvais » et le « dominé » (Palka 2002 : 420-421). Rosemary Joyce (2000 : 74-75) va dans le même sens que Palka, lorsqu’elle remarque que les œuvres monumentales de la Période Classique représentant des femmes se trouvent souvent à la gauche de celle représentant des hommes, sans pour autant parler de bien/mauvais ou dominant/dominé. Je trouve pour ma part difficile de défendre l’idée que les Mayas associaient les notions de bon/mauvais et de dominé/dominant aux concepts de genres, mais je reviendrais sur la question en conclusion de ce mémoire.