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Chapitre 5. Genre et économie au sein des élites mayas classiques

5.2 L’économie politique et les nobles artisans

5.2.2 Les scribes/artistes, donner forme au sacré

5.2.2.1 Un artisanat au plus près du pouvoir

Le thème du scribe est relativement courant dans l’iconographie des céramiques mayas classiques. On reconnait ces personnages aux pinceaux et pots d’encres qu’ils tiennent dans leurs mains et à un costume particulier, comportant notamment une coiffe ressemblant à un turban (Reents-Baudet 1994 : 50, 320) (Fig. 35 K0717 © Justin Kerr). Cependant, ce costume n’est visiblement pas limité aux personnages réalisant des activités d’écriture ou de peinture, mais s’observe aussi sur des personnages engagés dans des activités politiques et diplomatiques (Houston et Inomata 2009 : 258).

Michael Coe et Justin Kerr (Coe et Kerr 1997 : 91-7) ont été les premiers à parler de scribes/artistes au sein des élites mayas. Ils avancèrent que les créateurs des codex étaient probablement les mêmes que ceux qui avaient décoré les poteries fines ou créé les œuvres monumentales. Ces scribes/artistes auraient avant tout été des courtisans, responsables de l’administration du palais royal, de l’organisation des cérémonies religieuses et politiques. En poursuivant cette interprétation, il semble possible de proposer que les nombreux personnages, représentés sur les poteries avec le costume cité plus haut et parmi lesquels on observe aussi quelques femmes, fassent partie d’une même catégorie de courtisans

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rappellent que ce costume pourrait simplement être un costume associé à la vie de courtisans et non à une quelconque fonction.

Quoiqu’il en soit et comme le défend notamment Michael Closs (1992 : 18-20), les scribes/artistes auraient non seulement existés au sein de la société maya de la Période Classique, mais auraient également formé un groupe élitiste, reconnu et prestigieux.

L’ethnohistoire nous apprend que les codex et à travers eux le savoir de leurs créateurs, étaient considérés comme des objets extrêmement prestigieux par les Mayas de la Période Post-conquête. C’est ce que nous explique Diego De Landa, dans ces récits du XVIème siècle, lorsqu’il parle d’un « maître-scribe» qui aurait possédé beaucoup de pouvoir et d’influence au sein de sa communauté. Cet homme aurait été à la fois responsable du maintien des codex, de l’éducation des futurs scribes et du déroulement de certains offices religieux, ce qui lui aurait valu le respect des autres scribes et celui des seigneurs (Tozzer 1941 : 27). Plus loin, Landa ajoute que : « the most important possession that the nobles who abandoned Mayapan took away to their own country was the books of their sciences » (Ibid. : 39).

Quelques preuves archéologiques viennent suggérer que le prestige de la classe des scribes/artistes remonterait au moins à la Période Classique. C’est en tout cas ce que semble nous indiquer les résultats des fouilles du groupe 9N-8 de Copán, une structure interprétée comme une tz’ibal-naah ou « maison de l’écriture ». Ce groupe forme une des résidences les plus larges et élaborées de la cité classique. Parmi ces ensembles domestiques, la structure 9N-82, surnommée la « maison du Bacab », attire particulièrement notre attention. En effet, Houston et Inomata (2009 : 259) propose que cette maison fût celle d’un scribe. En plus d’être un personnage extrêmement riche, comme nous l’indique la qualité de son habitation, certaines inscriptions nous apprennent que ce Bacab fut très proche du dirigeant de l’époque.

Toujours à Copán, la sépulture d’un noble serait peut-être à même de nous renseigner sur la proximité entre les scribes/artistes et les dirigeants. Cette tombe, retrouvée sous le fameux « escalier des hiéroglyphes », serait probablement celle d’un des fils du dirigeant K’ak’ Nab K’awil (628-695). Le mobilier funéraire identifie clairement le défunt en tant que scribes/artistes (Closs 1992 : 20). Ainsi, la proximité des dirigeants et de certains scribes/artistes pourrait venir de leurs liens familiaux. Un autre artefact, issu de la cité de

Naranjo et indiquant la descendance royale d’un scribe/artiste, confirmerait la théorie. Ce dernier, se présente lui-même sur l’une de ces créations comme étant le fils d’un des dirigeants de la cité, probablement K’ak’ Ukalaw Chan Chaak (755-780>) et d’une femme royale provenant de la cité de Yaxhá (Reents-Budet 1994 : 319).

Une autre céramique (Fig. 36, K0772 © Justin Kerr), datant également de la Période Classique, nous donne les noms et titres d’un homme de la noblesse et de ses deux parents, dont au moins un des deux fut scribe. L’homme porte le titre de Kahal, un titre politique extrêmement prestigieux de la Période Classique. Ce détail, en plus de confirmer l’existence de rapports intimes entre les dirigeants et les scribes/artistes, ajoute que si un fils de roi pouvait devenir scribe/artiste, comme cela semble avoir été le cas pour l’un des fils de K’ak’ Nab K’awil de Copán, un fils de scribe pouvait également recevoir un poste politique éminent (Closs 1992 : 20).

Il est judicieux de remarquer que les récits postclassiques du Popol Vuh précisent que les jumeaux singes étaient voués à la production artisanale et artistique. En effet, il est raconté qu’avant de partir pour le Xibalba, 1 Hunahpu et 7 Hunahpu leur demandèrent de s’exercer à l’écriture, à la sculpture, au chant et à la danse plutôt qu’à la pratique du jeu de balle (Bassie- Sweet 2008 : 151). Or, comme nous l’avons déjà vu dans le chapitre 3, bien qu’étant les premiers-nés, les jumeaux singes sont présentés dans une position de « junior » par rapport aux jumeaux héroïques (Ibid. : 224-225). De ce fait, cette partie de l’histoire pourrait illustrer une pratique courante chez les Mayas des Périodes Précolombiennes, qui voulait que l’on encourage les seconds fils royaux vers des occupations artistiques.

En ce qui concerne la Période Coloniale, les écrits de Landa (Tozzer 1941 : 27) mentionne également que certains seconds fils de seigneurs, qui n’étaient pas destinés à leur succéder, pouvaient être dirigés vers la profession de scribe/artiste.