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Chapitre 1 : Mesures électriques sur cellules individualisées

A. Pourquoi et comment mesurer des courants ioniques intracellulaires ?

3. Le patch-clamp : un outil de la recherche pharmacologique

3.1. Implication des canaux ioniques dans les pathologies

En raison de l’hétérogénéité des canaux ioniques, leurs dysfonctionnements directs ou indirects sont associés à de nombreuses et diverses pathologies. Elles étaient partiellement connues par les cliniciens depuis des années mais c’est seulement la biologie moléculaire de ces dernières années qui a pu en expliquer la physiologie pathologique [59]. Cependant il est difficile de savoir si le dysfonctionnement de ces canaux est la cause ou la conséquence d’une pathologie cellulaire.

Certaines maladies des canaux ioniques sont associées à des désordres génétiques héréditaires. Les mutations des gènes codant pour les canaux ioniques affectent la fonction régulatrice des canaux. Ces pathologies sont appelées « canalopathies » et à ce jour, une trentaine ont été clairement identifiées et étudiées [60]. Citons quelques exemples de canalopathies connues et clairement identifiées en termes biologiques [49].

La mucoviscidose ou fibrose kystique est une maladie héréditaire létale qui touche un nouveau né sur 2000. Le gène responsable de cette maladie fut découvert et cloné en 1989 [47]. Il code pour une protéine canal Cl-. La mutation du gène provoque une modification du fonctionnement de la protéine : les ions Cl- ne sont plus sécrétés et les sécrétions d’ions Na+ et d’eau sont diminuées vers le compartiment muqueux. Les conséquences au niveau des poumons sont un épaississement du mucus et une inflammation chronique due au développement de bactéries pathogènes [59]. L’objectif des recherches pharmacologiques en cours est donc de corriger les défauts de transport des ions Cl- et l’inhibition de l’influx d’ions Na+.

Les cardiopathies ou syndrome cardiaque du QT long sont les pathologies cardiaques

qui se définissent par un espace QT trop long. Cette anomalie est visible sur un électrocardiogramme. L’intervalle QT correspond au temps de systole ventriculaire qui va du début de l’excitation des ventricules jusqu’à la fin de leur relaxation. Cette durée anormalement longue du QT se retrouve dans divers syndromes comme les arythmies,

Figure 12 : Potentiel d’action (PA) dans les cellules musculaires du ventricule. La courbe en gras représente la durée du potentiel d’action à l’état naturel des cellules étudiées. En augmentant ou en bloquant le courant ioniques des canaux hERG, la durée du potentiel d’action peut être réduite ou allongée. La durée du potentiel d’action ventriculaire est reflétée par l’intervalle Q-T de l’électrocardiogramme.

tachycardies, fibrillation ventriculaire…Ce dysfonctionnement est dû à un dérèglement dans la repolarisation du potentiel d’action ventriculaire, consécutif à diverses mutations de canaux potassium ou sodium. Trois canaux principaux sont ainsi en cause : KvLQT1, hERG et SCN5A [47].

Par ailleurs des QT anormalement longs peuvent aussi être la manifestation d’effets secondaires lors de la prise de médicaments. En effet certaines molécules utilisées dans la conception de médicaments ont pour effet le blocage des canaux hERG, le patient acquérant ainsi le syndrome du long QT (Figure 12, [61]). Lorsque l’intervalle QT devient trop long, le muscle ventriculaire n’est plus en mesure de répondre de façon uniforme aux battements, les cellules cardiaques se désynchronisent vers une activité électrique chaotique, une mort subite intervient. Du fait de leurs effets secondaires ayant entraîné la mort de patients, certains médicaments (neuroleptiques) ont été retirés de la vente [62]. Désormais, lors du cycle de développement d’un nouveau médicament (voir partie 2.6 de ce chapitre), les canaux hERG sont systématiquement utilisés comme sonde d’effets secondaires [63].

Les cancers sont de plus en plus reliés aux canaux ioniques. La progression du cycle cellulaire dépend de la translocation d’ions à travers la membrane. Il a été observé dans plusieurs types cellulaires (poumons, vessie, prostate ou seins) une inhibition de la prolifération cellulaire lorsque des antagonistes de canaux potassiques sont appliqués. Par exemple, dans le cas du cancer du sein, il a été montré que le contrôle de la prolifération cellulaire et la progression du cycle cellulaire dépendent de l’activité des canaux potassiques. Autre exemple, les canaux BK(Ca) sont cités dans plusieurs études traitant des cancers du sein [64-66], de l’activation des lymphocytes T [67] ou encore dans la prolifération de la rétinopathie [68]. Les canaux potassiques sont de plus en plus impliqués dans le phénomène de cancérisation et les activités de recherche dans ce domaine sont très importantes. Toutefois les canaux potassiques ne sont pas les seuls impliqués, les canaux calciques le sont également dans la prolifération cellulaire et l’apoptose.

• L’épilepsie se manifeste par des pertes d’attention et des convulsions graves et fréquentes. Plusieurs canaux cationiques, potassiques, sodiques et chlorites sont impliqués.

• Enfin citons l’ostéoporose qui touche principalement les femmes en causant des fractures osseuses et qui met en cause des canaux chlorites.

Par ailleurs, les canaux ioniques peuvent être liés de manière indirecte à des pathologies causées par un dysfonctionnement cellulaire et tissulaire tel que l’hyperexcitabilité des voies nerveuses ou l'altération de la conduction nerveuse. En d’autres termes, la pathologie provoque un dysfonctionnement des canaux, non pas en les altérant, mais en modifiant les paramètres physiologiques environnant qui permettent un fonctionnement normal de ceux-ci. Contrairement au cas des canalopathies, où les traitements sont curatifs, il est alors envisageable d’offrir un traitement palliatif agissant sur les canaux [47]. A titre d’exemple, nous pouvons citer le cas des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, ou bien encore le cas de la sclérose en plaques. Dans cette dernière pathologie, on assiste à une atteinte évolutive du système nerveux central au cours de laquelle des plaques éparses de myéline (couverture protectrice des fibres nerveuses) de l’encéphale et de la moelle épinière sont détruites. Une des thérapies envisagées consisterait à utiliser des bloqueurs de canaux K+. En effet le blocage des canaux K+ aurait pour effet d’augmenter la durée des potentiels d’actions et donc d’augmenter les courants locaux et ainsi d’améliorer la conduction entre les axones démyélinisés [49].

Les maladies liées aux canaux ioniques apparaissent ainsi sur les organes rénaux, endocriniens, osseux, neurologiques, cardiaques, musculaires… Etant donnée l’importance de ces protéines dans les processus physiologiques, force est de constater que leur implication dans les pathologies risque d’augmenter de manière significative dans l’avenir. L’exemple le plus probant est certainement celui des cancers, puisque de plus en plus de canaux ioniques sont soupçonnés ou semblent être impliqués dans les phénomènes de cancérisation.

La physiopathologie des « canalopathies » n’est souvent pas connue en détail car les canaux ioniques et leurs mutants doivent être étudiés par des techniques sensibles et élaborées, notamment par la technique du patch-clamp. En effet, les canaux ioniques, aisément accessibles par le milieu extracellulaire sur des cellules intactes, sont les seules protéines qui peuvent être observées en temps réel et de manière directe au niveau de molécule unique par la technique du patch-clamp. Les nouvelles découvertes en biologie moléculaire et l’étude de la structure-fonction des canaux ioniques par la technique du patch-clamp devraient permettre d’attribuer une thérapie à des maladies et de les traiter de manière plus ciblée et plus efficace.

3.2. Le patch-clamp dans le processus d’identification de molécules

thérapeutiques

Le cycle de développement de nouvelles molécules thérapeutiques s’appuie tout d’abord sur les travaux de la recherche fondamentale qui ont pour but d’acquérir des connaissances sur la compréhension des fonctionnements biologiques et des dysfonctionnements pathologiques. Ces résultats identifient et valident le ou les canaux d’intérêts, appelés alors cibles thérapeutiques. Par la suite, un criblage d’une chimiothèque de molécules actives permet de sélectionner et de développer les molécules identifiées comme ayant un effet potentiellement intéressant sur un canal donné (Figure 13).

Figure 13 : le cycle de développement des molécules thérapeutiques.

Plus précisément, le premier criblage sert à l’identification de « touches ». Une grande collection d’entités chimiques est testée contre la cible identifiée par la recherche fondamentale. Les données obtenues servent à sélectionner les composés « touches », c’est à dire ceux qui présentent la meilleure interaction avec la cible. Le second criblage identifie les têtes de séries parmi les touches. Les composés sélectionnés précédemment sont étudiés pour leurs propriétés physiques et physiologiques. Ils sont également modifiés par chimie combinatoire pour optimiser leur mode d’action sur le canal d’intérêt. Le développement des molécules actives sélectionnées est ensuite divisé en deux phases, la phase pré-clinique puis la phase clinique, juste avant la mise sur le marché. Il existe une phase supplémentaire, appelée criblage toxicologique ou pharmaco-vigilance, qui permet de tester les effets secondaires éventuels des molécules sélectionnées sur des canaux ioniques dont le dysfonctionnement aurait des conséquences graves voire mortelles (cas des canaux hERG en particulier) [46, 69]. Au total, le cycle de mise sur le marché d’un médicament prend entre 10 et 15 ans.

Les canaux ioniques sont impliqués dans de nombreuses pathologies et pour les industries pharmaceutiques qui visent à découvrir et à valider des molécules innovantes les ciblant spécifiquement, leur étude constitue un défi majeur et un véritable goulet d’étranglement. Comme nous l’avons vu précédemment, seule la technique du patch-clamp permet d’étudier de façon directe les propriétés électriques de canaux ioniques individuels ou de récepteurs protéiques naturels ou recombinants. Aussi élégante et performante soit-elle, la technique du patch-clamp présente des inconvénients qui l’empêchent de révolutionner la recherche et le développement de nouveaux médicaments. Cette recherche et développement est réalisée selon une chaîne de valeurs dans laquelle les techniques employées doivent répondre à un certain nombre de critères comme la sensibilité, la sélectivité et la pertinence physiologique. L’élaboration de molécules d’intérêt thérapeutique ou le test de molécules issues de vastes chimiothèques requiert ce panel de techniques à différents stades. En d’autres termes, même les techniques indirectes (flux, liaison et fluorescence) vont être employées dans certaines phases de développement car elles suffiront à répondre à la question posée. La technique du patch-clamp, bien que la plus performante et la plus directe, souffre d’un trop faible débit (un « patcheur » expérimenté parvient à réaliser une vingtaine de mesures par jour en moyenne) pour pouvoir répondre aux besoins de tests, en particulier lors du criblage primaire, à moyen et haut débit de l’industrie pharmaceutique (Tableau 2) [47, 70].

Patch-clamp Liaison Flux Fluorescence

Recherche fondamentale ++ ++ ++ +

Premier criblage - ++ ++ ++

Second criblage ++ - ++ ++

Criblage toxicologique ++ - + ++

Tableau 2 : Techniques d’études des canaux ioniques dans la chaîne de développement de molécules thérapeutiques. ++ : très employée, + : peu employée, - : non utilisée.

B/ Emergence de nouvelles technologies

1. Les promesses des microsystèmes : pourquoi automatiser et