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Pour pouvoir faire ressortir les particularités des deux secteurs respectifs, il convient de s’attacher à deux aspects le premier étant celui de la culture de branche et le second celui des relations interprofessionnelles qui deviennent pour les banques des deux pays respectifs de plus en plus complexes.

1.4.1 Une culture de branche proche de celle de la fonction publique

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Au niveau du secteur bancaire tunisien, la formation professionnelle dépasse le cadre exclusif de l’emploi ou du métier, puisqu’elle touche également à l’aspect moral de ces jeunes apprentis.

Ardoino parle de la transmission et de la position relative du « maître » et de « l’apprenti » en ces termes : « Dans notre périmètre culturel, les traditions alchimistes, le « compagnonnage » et certaines coutumes corporatives jouaient un rôle en mêlant intimement la formation morale à l’apprentissage du métier. Le grade du « maître » signifiait la maturité professionnelle, avec tout ce que cela devait comporter sur le plan humain » (Ardoino, 1978, p.53, cité par Boutte). Aujourd’hui, dans les entreprises bancaires beaucoup de salariés âgés sont nostalgiques et regrettent l’ambiance familiale de jadis.

L’entreprise a transformé sa conception de la professionnalité laissant plus la place au prescrit et au formel qu’à l’aspect d’éducation morale des jeunes ou à l’implicite et à l’ambiance de famille antérieure.

Concernant la France, « la culture de branche très spécifique dans le tissu socio-économique évoque à ce point celle des fonctionnaires ou des entreprises publiques (EDF, SNCF) que certains auteurs comme Dejonghe et Gasnier55 » n’hésitent pas à parler de « professions

statutaires » ( Dressen et Roux-Rossi)56

Les deux auteurs ajoutent que « sans aller jusque-là, il est patent que la culture de la branche évoque celle de la fonction publique de différents points de vue ».

Nous énumérerons les différents points présentés par les deux auteurs et sur lesquels ils se basent pour étayer leur propos, à savoir :

54 Expression empruntée à Dressen Marnix et Roux-Rossi D, in « Restructuration des banques et devenir des

salariés », Cahier Travail et Emploi, La documentation Française, décembre, 1996.

55 Dejonghe V et Gasnier C, « Pratiques salariales et gestion du personnel dans les banques et les assurances »,

Travail et emploi, n°45, Mars, 1990.

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- « la gestion du personnel selon des procédures impersonnelles (pour eux, ajoutent-t-ils « la CCN prévoit, par exemple, que tel diplôme confère telle classification, que la maîtrise d’une langue étrangère confère tant de points de classification, selon que la maîtrise est orale, écrite ou écrite et orale, etc. »).

- l’amélioration des rémunérations à l’ancienneté ;

- l’importance du paritarisme et de l’autorité de la négociation centralisée ;

- le calcul de rémunération comme étant le produit entre un indice et la valeur du point (le point bancaire est réévalué au moins une fois par an) ;

- la reconnaissance et protection des droits syndicaux au delà des prescriptions du code du travail ;

- la reconnaissance de la formation initiale, l’importance accordée à la formation continue et qualifiante du personnel ;

- la quasi-garantie de l’emploi à vie par application de la « règle du dernier entré premier sorti » (art.49 de la CCN) ;

- la conception très hiérarchisée de l’organisation du travail régie sur le mode de la « bureaucratie mécaniste » au sens de Mintzberg : tâches et responsabilités définies rigoureusement et contrôle le plus centralisé possible ;

- la possibilité de réaliser des carrières ascendantes, non négligeables pour ceux qui étaient volontaires, patients et savaient saisir les occasions qui s’offraient à eux.

Le secteur bancaire français est régi par une convention collective qui « traite de façon précise de toutes les étapes de la carrière des salariés de la banque, de l’embauche à la retraite, sans oublier la formation professionnelle et l’avancement, ni les différents congés possibles ». Les deux auteurs évoquent même « une culture enracinée » dans la mesure où malgré les efforts des différentes directions d’entreprise pour lui substituer une nouvelle culture de branche la plupart de ces caractéristiques perduraient lors de la rédaction de leur rapport (depuis 2000, cependant, une nouvelle convention collective s’applique (la Convention collective des Banques) et elle comporte de profonds changement par rapport à la Convention collective nationale dont la base remonte à 1952.

A leurs yeux, le caractère relativement pérenne de cette culture tient à plusieurs éléments qu’ils énumèrent, à savoir:

- à la place de la banque dans les rapports de production, de consommation et d’échange (à la charnière des services et de l’industrie).

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- à la surveillance des pouvoirs publics, soucieux de stabilité dans le domaine financier du fait de la crainte de conflits qui pourraient avoir un effet « thrombose » sur l’économie ;

- au poids du secteur nationalisé à la suite des vagues de nationalisation de 1945 et de 1982, pour le cas Français.

- à l’ancienneté de cette culture, qui plonge ses racines dans l’entre-deux-guerres et qui a été confortée à partir des années cinquante.

Il ne paraît pas y avoir en la matière de significative exception française (sauf peut-être dans la banques des Etats-Unis d’Amérique) ».

En tout cas, la Tunisie est également passé par ces étapes qui ont presque été calquées sur le model français.

En Tunisie, il existe aussi une surveillance des pouvoirs publics avec des autorités de tutelle comme le ministère des finances et une banque centrale. Mais également, et tout récemment l’instauration, à l’image de la Commission des opérations boursières (COB) en France, d’un conseil du marché financier (CMF) ayant globalement les même attributions.

Après l’indépendance, la recherche de compétences était à l’œuvre pour constituer les premières banques.

A l’époque, la main d’œuvre qualifiée disponible sur le marché externe était rare, les employeurs étaient donc incités à trouver « en interne » les ressources dont ils avaient besoin. Cette pratique de recherche en interne de certaines compétences et profils est encore pratiquée à ce jour, la banque ne recrute en externe qu’en dernier lieu.

Pour le cas du secteur bancaire tunisien il n’y a pas une grande différence avec le secteur bancaire français étant donné que le secteur des banques tunisiennes s’est construit, comme nous l’avons indiqué plus haut, sous l’influence de l’organisation des banques françaises. Toutefois, les textes régissant le secteur sont apparus plus tard dans le cadre de négociations générales et d’un mouvement d’organisation beaucoup plus global.

1.4.2

Des relations interprofessionnelles complexes

Il existe au sein de la banque publique tunisienne des relations interprofessionnelles complexes qui témoignent non seulement de l’existence d’un « conflit de génération » inhérent au problème démographique du « choc des générations », mais aussi en rapport avec d’autres variables structurelles et internes (rapport avec la hiérarchie).

Dans tous les pays étudiés, on observe des tensions au sein du personnel en place, à tous les niveaux de responsabilité, excepté peut-être les postes d’experts, entre des générations de

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personnel embauchées à des époques différentes, les plus jeunes étant sortis plus diplômés du système éducatif.

Ces tensions portent à la fois sur les façons de travailler au quotidien et les perspectives de carrière. Mais « le choc des générations » est plus fort en Tunisie, en raison des embauches qui ont été encouragées par la volonté politique et non basées sur une réelle gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Ainsi, le recrutement massif qui a été opéré au début des années 90 répondait beaucoup plus à une volonté d’éponger la demande additionnelle des diplômés tunisiens du supérieur que de parer au problème démographique du vieillissement des salariés des banques tunisiennes. De plus, il est clair que les employeurs ne peuvent, pour les banques publiques du moins, prendre de telles initiatives sans l’approbation des autorités de tutelle en place. En effet, l’impact sur les charges salariales serait considérable d’autant plus qu’il n’existait pas encore de flexibilité quant à l’emploi et que la tradition était à la sécurité et la fidélisation de l’emploi bancaire.

Ainsi, à défaut de remplacer les seniors, le recrutement de jeunes plus employables et plus motivés devait contribuer naturellement à assurer la relève qui n’a pas pour autant été organisée mais beaucoup plus improvisée.

Or, la transmission intergénérationnelle des connaissances ne s’improvise pas mais se programme en vue d’une possible codification pour la pérennité de l’activité bancaire propre à chaque banque, même si les employeurs de banque ne tiennent pas compte d’une variable importante qui permet d’opérer ce transfert, à savoir, la motivation des seniors.

Christine Bruniaux57 affirme qu’ « en Allemagne, on peut supposer que l’apprentissage, même

à plusieurs vitesses, homogénéise quelque peu les pratiques ; en revanche, les perspectives de carrière ont été améliorées pour les apprentis les plus diplômés, pour remédier à un taux de séparation très élevé des plus diplômés (cf. supra), ce qui provoque actuellement des tensions et des pressions au sein d’une même génération (« érosion de l’équité ») ».

En Tunisie, l’embauche de jeunes d’une même génération, ne dispense pas de rencontrer des tensions entre titulaires de diplômes différents, sur les mêmes types d’emplois, voire même du simple fait d’une affectation réputée comme étant plus importante qu’une autre.

57 Bruniaux Christine, « Evolution de l’emploi et des qualifications dans le secteur bancaire »,

Synthèse élaborée dans le cadre de la troisième phase des travaux d’EDEX - WP3, à partir des rapports nationaux de cinq pays, (Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France) à l’attention du Zentrum für Sozialforschung Halle, mai 2001.

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C’est généralement ce que pensent les cadres des départements crédit par rapport à ceux des directions de soutien comme la formation ou la gestion des ressources humaines, réputées comme étant beaucoup plus des activités administratives peu dynamiques.

Mais, il peut également régner un climat de tension avec l’existence d’un conflit de générations issu du simple fait d’une difficile cohabitation entre seniors qualifiés par leur expérience et leur ancienneté et jeunes qualifiés par leurs diplômes universitaires.

Même pour les banques allemandes, la question demeure entière étant donné que, même si comme l’indique Christine Bruniaux, il a été « tenté de résoudre le problème en instituant un traitement à deux vitesses pour les titulaires de l’apprentissage », cela peut ne pas suffire. En effet, elle ajoute toutefois à ce propos que « ces apprentis somme toute « classiques » risquent d’être concurrencés à leur tour par les titulaires de l’enseignement supérieur ayant bénéficié de la nouvelle formation duale mise en place à leur intention, qui viendra peut-être à terme concurrencer la formation traditionnelle des économistes de banque, pour les postes d’encadrement intermédiaire ».

1.5 L’emploi des jeunes et l’intérêt porté sur les rapports