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Introduction de la première partie

CHAPITRE 1 : DES LANGUES EN FAMILLE AUX POLITIQUES LINGUISTIQUES FAMILIALES (PLF) POLITIQUES LINGUISTIQUES FAMILIALES (PLF)

1. Le bilinguisme en famille

2.6. Particularités des PLF

Les PLF sont soumises à des changements, à des évolutions et à des ajustements. Ce qui est théoriquement décidé en amont peut tout à fait changer parce que d’autres facteurs ont influencé la politique des langues choisie. Comme l’écrit Deprez (1994 : 76) : « une politique linguistique familiale même consciente, explicite et raisonnée, est sujette à évolution ». Parmi les facteurs influençant cette politique se trouve la « structure familiale » (Deprez, 1994 : 76), à savoir la naissance d’un enfant (ou l’arrivée d’un enfant dans le cadre d’une adoption) ou bien encore une séparation, un divorce ou le décès d’un parent. Ces événements –peut-être davantage que d’autres facteurs- ont pour conséquence une modification de la structure familiale et par conséquent des politiques linguistiques familiales. Si l’on prend pour exemple un couple mixte qui se sépare, comment, dès lors, le parent gardien peut-il maintenir la langue de l’autre parent (Hélot, 1995) ? D’autres facteurs, plus extérieurs à la structure familiale, influencent et modifient la politique linguistique familiale. Il s’agit notamment de la mobilité ou de la scolarisation de l’enfant. Si une famille vient à s’établir temporairement à l’étranger, la langue dominante change, et donc impacte le degré d’exposition à chacune des langues pour l’enfant. Quant à la scolarisation, l’entrée à l’école maternelle peut avoir une

59 conséquence sur le degré d’exposition à l’autre langue (celle de la famille par exemple, lorsqu’elle n’est pas la langue du pays d’accueil). Si l’enfant a été gardé par une nourrice anglophone plusieurs heures par jour avant son entrée à l’école, permettant ainsi une exposition quasiment quotidienne à l’anglais, la scolarisation en école française diminuera le degré d’exposition à la langue. De ce fait, la politique linguistique familiale pourrait s’en retrouver modifiée.

Le rôle des parents en tant que preneurs de décision est certes important dans l’étude des PLF. Toutefois le rôle des enfants n’est pas à négliger dans la poursuite de la PLF, comme le rappellent Palviainen et Boyd (2013 : 225) : « bien que la littérature, et particulièrement les guides à l’attention des parents, montrent souvent l’importance des parents dans les prises de décision sur l’utilisation de la langue dans les familles bilingues, il y a aussi des études reconnaissant le rôle des enfants dans la formation des PLF42 »

L’on remarque bien le caractère dynamique des PLF. Comme le précise Hélot (2007), les « règles qui pourront d’ailleurs évoluer avec l’âge des enfants, ou même changer selon le vécu de la famille » (Hélot, 2007 : 73). Les enfants eux-mêmes peuvent mener à une modification de la PLF (Tuominen, 1999 ; Made Mbe, 2016), si bien que les parents- que l’on peut qualifier de « décideurs » – ne sont pas les seuls à jouer un rôle décisionnel. Ce sont aussi les enfants qui ont un rôle dans ces décisions (Piller, 2001a ; Tuominen, 1999).

Concernant l’aspect dynamique des stratégies déterminées par les PLF et entrant dans le domaine du « management » selon le modèle tripartite défini par Spolsky (2004), celles-ci sont dynamiques et évolutives dans la plupart des situations concrètes. Ainsi, Kopeliovich (2013) montre combien les stratégies sont soumises à ajustements et changements. Dans une étude longitudinale de ses 4 enfants acquérant l’hébreu et le russe, Kopeliovich montre qu’avec le premier enfant, il s’agit de tester la PLF définie par les parents. Avec les deux enfants

42 « although research literature, and particularly parental guides, often point to the importance of the parents’ decision-making for language use in bilingual families, there are also studies acknowledging the role of children in forming FLPs » (Palviainen et Boyd, 2013 : 225). (Ma traduction).

60 suivants, il s’est agi d’ajuster la PLF en fonction des attentes et progrès, tandis qu’avec le dernier et quatrième enfant de la fratrie, la PLF est devenue stable, telle une routine dans la mesure où le foyer était devenu, au fil des années, « un foyer bilingue expérimenté43 » (Kopeliovich, 2013 : 271).

Les familles participant à ma recherche ne sont pas seulement des familles bi- ou plurilingues. Il s’agit de familles dont la langue choisie pour le bilinguisme de l’enfant fait partie du répertoire plurilingue des parents. En outre, les langues premières des parents sont identiques, à savoir le français. Le contexte sociolinguistique est également spécifique puisqu’il s’agit de la France, un pays dans lequel de nombreuses langues sont effectivement utilisées mais dont la Constitution n’en reconnaît qu’une au niveau national, le français.

Peu d’études se sont intéressées aux raisons pour lesquelles les parents choisissaient d’intégrer une autre langue que leur langue première (King et Fogle, 2006). Quant au rôle des enfants, il a souvent été abordé pour mieux comprendre comment l’enfant pouvait renforcer ou modifier les PLF définies par leurs parents (Fogle, 2013) et les raisons pour lesquelles les enfants pouvaient choisir de ne pas se conformer complètement aux attentes des parents (Tuominen, 1999 ; Caldas, 2006 ; Caldas & Caron-Caldas, 2002). Enfin, très souvent, les travaux menés traitent d’un groupe particulier : King et Fogle (2006) ont étudié les familles anglo-hispaniques aux USA, Curdt-Christiansen (2009) la communauté chinoise et Okita (2001) la communauté japonaise.

Je propose dans ce travail de recherche doctorale de ne prendre appui que sur les parents et plus principalement sur les parents ayant réalisé l’entretien (10 mères et 1 père). Même si « la PLF n’est pas simplement le résultat des idéologies et des stratégies parentales, mais plutôt un processus dynamique dans lequel les enfants jouent un rôle actif en influençant le choix des codes et en formant les

61 idéologies linguistiques parentales44 » (Fogle, 2013 : 197), j’ai fait le choix, pour ce travail de thèse, de prendre appui sur des données recueillies auprès des parents (10 mères et 1 père) qui ont accepté de réaliser un entretien sur leurs choix linguistiques. Je me focaliserai donc exclusivement sur les discours parentaux afin de mieux comprendre comment les représentations parentales envers les langues peuvent expliquer les stratégies de communication en famille et les choix de scolarité décidés par les parents dans le cadre de la langue anglaise.

Si les décisions quant au choix des langues en famille voient le jour en famille, il n’en demeure pas moins que des pressions extérieures sont exercées sur la famille et donc sur la PLF déterminée : il peut s’agir des facteurs externes à la famille (le contexte sociopolitique par exemple), de facteurs à mi-chemin entre le contexte externe et interne de la famille et en interaction avec elle (l’école par exemple) ou bien encore des facteurs internes à la famille et à ses membres.