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Introduction de la première partie

CHAPITRE 1 : DES LANGUES EN FAMILLE AUX POLITIQUES LINGUISTIQUES FAMILIALES (PLF) POLITIQUES LINGUISTIQUES FAMILIALES (PLF)

1. Le bilinguisme en famille

2.4. Vers une définition des PLF

Hélot (2007), qui avait tout d’abord utilisé le terme de « planification », explique désormais sa préférence pour celui de « politique » dans la mesure où il y a bien plus qu’une planification qui s’effectue avant la naissance des enfants, ou peu après. Il y a bien des règles à établir et à suivre, règles discutées puis mises en pratique avec plus ou moins de succès selon leur faisabilité :

« le terme « policy » est sans doute plus juste, car il s’agit aussi d’instituer des pratiques linguistiques au sein de la famille selon des règles, règles discutées puis mises en pratique avec plus ou moins de succès selon leur faisabilité et selon divers contextes de leur application » (Hélot, 2007 : 73).

Pour Curdt-Christiansen (2009 : 352), il s’agit d’une « tentative délibérée de pratiquer un schéma d’utilisation des langues […] au sein de la famille et parmi ses membres »29. Dans tous les cas, nous sommes en présence de choix réalisés et de décisions prises quant à l’utilisation des langues en famille, qu’il s’agisse de politique stricte ou non, ce que King et Mackey (2007 : 224) soulignent également : « une possibilité est de mettre en place des politiques des langues assez strictes en famille »30.

Plus qu’une ligne de conduite ou qu’une stratégie de communication, il est nécessaire, dans l’étude des PLF, d’inclure la façon dont les parents « comprennent,

29 « a deliberate attempt at practising a particular use pattern […] within home domains and among family members » (Curdt-Christiansen, 2009 : 352). (Ma traduction).

30 « one possibility is implementing some fairly firm language policies in the home » (King et Mackey, 2007 : 224). (Ma traduction).

54 expliquent et défendent leurs décisions »31 (King et Fogle, 2006 : 696). Le champ est donc plus large que celui de l’étude des stratégies de communication mises en œuvre par les familles pour utiliser plus d’une langue avec l’enfant. Il s’agit en effet de comprendre pourquoi ces décisions sur les stratégies sont prises en amont et ce qui les influence. Ces choix et ces décisions quant à la langue sont considérés comme « évidentes »32 (Schiffman, 1996) et « explicites »33 (Shohamy, 2006), déterminant ainsi une « ligne de conduite » (Hélot, 2007) qui sera suivie par les parents-mais aussi théoriquement par les enfants- afin de favoriser l’exposition aux deux langues (trois ou davantage) pour l’enfant et leur utilisation par les parents et/ou enfants, voire également par d’autres acteurs éducatifs proches de la famille tels que les jeunes filles/garçons au pair ou les grands-parents par exemple.

Il me semble nécessaire de souligner qu’une PLF n’implique pas nécessairement l’utilisation de plus d’une langue en famille. En effet, les parents peuvent très bien décider de n’utiliser qu’une seule langue alors même que plusieurs s’offrent à eux. Aussi, lorsque Grosjean (1982) fait référence au bilinguisme de l’enfant en famille, il précise qu’il s’agit d’une « affaire planifiée » ou bien encore d’un « bilinguisme planifié en famille », et s’il y a planification, il y a nécessairement une décision – ou plusieurs- en amont. Dans le cadre de la famille, il s’agit de décisions provenant des parents (généralement) pour ce qui a trait aux langues utilisées entre les parents et/ou avec les enfants.

Pourtant, plusieurs chercheurs mentionnent l’absence de décision explicite ou planifiée (Schwartz, 2010 : 180). Pour Palviainen et Boyd (2013 : 224-225), qui se basent sur les travaux de Schwartz (2010) et Spolsky et Shohamy (1999) : « l’absence d’une décision explicite concernant le choix initial de la langue dans la communication avec les enfants peut être interprété comme l’absence d’une PLF

31 « understand, explain and defend their decisions » (King et Fogle, 2006 : 696). (Ma traduction).

32 « overt » (Schiffman, 1996). (Ma traduction).

55 consciente et motivée34 ». Il faut donc distinguer les familles qui prennent une décision claire et réfléchie (et donc des possibles stratégies qui seront mises en œuvre) de celles qui ne prennent aucune décision précise quant à l’utilisation des langues en famille. Cette absence de décision « explicite » ne signifie bien entendu pas qu’il n’y en a aucune : elle est simplement insuffisamment élaborée ou exprimée (Okita, 2001).

Enfin, étudier les PLF requiert d’élargir la prise en compte du contexte micro en prenant en considération le contexte qui influence les décisions. C’est ce qu’explique Caldas (2012 : 351) : « pour la majorité des familles, la politique linguistique familiale n’est pas consciemment planifiée, mais a plutôt été déterminée par l’histoire et les circonstances35 ». Aussi, il convient par ailleurs de s’intéresser au contexte plus large des langues dans la société. C’est pourquoi il semble pertinent, dans l’étude des PLF, de s’intéresser au contexte sociolinguistique dans lequel évolue la famille (Palviainien et Boyd, 2013 : 225), ce que je présenterai dans le second chapitre. Dans le cas présent, il s’agit du contexte de la France et de son rapport aux langues, c’est-à-dire à la langue nationale, aux langues étrangères, et dans le cas particulier de ma recherche, de son rapport à la langue anglaise. De plus, le contexte externe à la famille nucléaire a un impact sur la dynamique de la PLF. C’est ce que Schwartz (2000 : 36) souligne également en dissociant le contrôle interne (modifier les pratiques au sein de la famille) et le contrôle externe (choix de l’école ou du lieu de résidence par exemple). En d’autres termes, les parents qui décident d’une PLF bilingue en famille peuvent tout à fait contrôler, gérer les langues au sein de la famille ou en son extérieur.

Dans ma recherche doctorale, les familles participant à l’étude sont toutes de français langue première. Je choisis d’employer le terme francophone pour caractériser la spécificité linguistique des familles étudiées. Par francophone, j’entends tout locuteur de français langue première. Ma définition est plus

34 « the absence of an explicit decision concerning initial language choice in communication with the children may be interpreted as the absence of a conscious and motivated FLP » (Palviainen et Boyd, 2013 : 224-225). (Ma traduction).

35 « for the majority of families, the family language policy is not consciously planned, but rather determined by history and circumstances » (Caldas, 2012 : 351). (Ma traduction).

56 restrictive que celle fournie par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). En effet, l’OIF considère francophone tout locuteur de français langue première, seconde et étrangère (donc francophone et francophile). Quant à l’anglais, langue partagée par chacun des parents dans les 11 familles participantes, il s’agit d’une langue qui a été apprise dans le contexte scolaire en tant que langue étrangère, puis pratiquée à l’âge adulte dans le cadre professionnel. Les parents utilisent pour la plus grande partie l’anglais dans des contextes professionnels et ont fait le choix de l’utiliser aussi dans le cadre de la sphère familiale avec leurs enfants. Je reviendrai sur le profil linguistique des parents dans la deuxième partie de cette thèse.

Spolsky (2004) a élaboré les divers domaines et composantes existant dans toute politique linguistique. Cette élaboration permet de mieux comprendre dans quel domaine se trouve une PL et comment ses diverses composantes interagissent entre elles. Voyons plus en détail ce dont il s’agit.