• Aucun résultat trouvé

L’étude des lauréats qui précède nous a donc permis de dégager un certain nombre de caractéristiques Ainsi, sans évoquer le talent, ou l’œuvre architec-

10 Participer à des expositions

Le MoMA, la Biennale de Venise, les Expositions Universelles ou les récents mu- sées d’architecture sont les lieux idéaux pour organiser ou participer à une exposi- tion. Cela peut-être aussi l’occasion de développer une seconde vocation, comme l’art ou le design.

(Si vous remplissez 7 de ces conditions, vous êtes déjà une star ! Au-delà, vous êtes Philip Johnson...)

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

100

CHAPITRE 2

« Qu’importe l’œuvre... »

« Qu’importe l’œuvre, ce qui compte c’est le caractère, le parcours, depuis la

pseudo marginalité de l’Architectural Association jusqu’au Pritzker. Derrière les

oripeaux usés de l’avant-garde, ce qui se dessine ici, c’est une conception aristo-

cratique de la profession d’architecte : on vaut pour ce qu’on est, pas pour ce

qu’on fait. »

1

C’est ce que concluait Valéry Didelon après l’annonce de la lauréate du prix Pritzker en 2004. Cette année-là, Zaha Hadid avait été récompensée pour avoir « perfectionné un vocabulaire éta- blissant de nouvelles frontières pour l’art de l’architecture ». Pourtant selon Valéry Didelon, l’ar- chitecte avait alors peu construit, n’avait pas développé de théorie architecturale, et ses innova- tions formelles étaient restées à l’état d’ébauche. Selon le critique, il fallait chercher la vraie raison à ce choix dans une autre déclaration du jury, décrivant une femme qui « brave les conventions ». Hadid doit alors le prix à son caractère et à son personnage plutôt qu’à son œuvre ? Le potentiel médiatique des architectes serait le premier critère de sélection ?

C’est hélas l’une des critiques faites, de plus en plus régulièrement, aux prix d’architecture. Ainsi, en 1990 lorsque le prix européen Mies van der Rohe fut remis à Norman Foster pour l’aéro- port de Stansted, les critiques froncèrent les sourcils2. Le prix devait récompenser une œuvre réa-

lisée, et l’aéroport était alors en cours de construction. Un membre du jury, Hans Hollein, avait exprimé son désaccord en citant Frank Lloyd Wright : « Only fools choose unfinished buildings ». Est-ce possible qu’il n’y ait eu aucune œuvre achevée digne d’être récompensée cette année-là ? Ou bien n’y en avait-il aucune qui puisse servir les fins du star-system ?

Le star-system s’alimente continuellement des prix d’architecture et des autres mécanismes qui distinguent les stars de la masse des architectes anonymes. Selon Magali Sarfatti Larson, «les

publications, les récompenses, les expositions et les concours sont toujours les principaux méca- nismes à travers lesquels la profession sélectionne les oeuvres, construites ou non, qui accèderont

1. Valéry Didelon, « A quoi sert le star-system? », d’Architectures, n°138, juin/juillet 2004, p.9 2. Dietmar Steiner, « Architecture as Spectacle », LOTUS, n°70, octobre 1991, p. 73

Partie 3 : l’Architecture au risque du star-system

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

à la reconnaissance de leurs pairs»1

Le prix Pritzker est un élément fondamental du star-system, puisqu’il est la plus haute dis- tinction qu’un architecte puisse recevoir. Mais aujourd’hui, il semble que ce prix se contente de récompenser des architectes « présélectionnés » par la publication, les écoles, les commandes de prestige, et les expositions. Ce sont ces quatre éléments, développés dans notre ouvrage, qui sont les mécanismes du star-system. Ils créent la célébrité, que le prix Pritzker vient ensuite couron- ner.

Si ces 4 mécanismes sont les principaux vecteurs de la célébrité, il faut souligner également l’importance de l’identité de l’architecte. Plus celle-ci est forte, facilement identifiable, plus l’ar- chitecte sera capté par les médias, et plus il sera célèbre. Les lauréats du prix Pritzker ont en commun leur capacité à se créer une identité singulière, par leur architecture comme par leur personnalité. À l’inverse, une personnalité trop floue ou une architecture trop changeante seront des causes d’abandon des médias. François Chaslin remarquait : « Il y a un moment aussi où

les architectures se dégradent et deviennent moins significatives. L’architecture de Chipperfield aujourd’hui, vous auriez du mal à la décrire, parce qu’elle devient tout à fait polymorphe. Il est en train de devenir une chose moins nette, moins porteuse d’idéal. Or le prix récompense tout de même une chose un peu idéale. »

1. Magali Sarfatti Larson, Behind the Postmodern Facade, Architectural Change in Late Twen- tieth Century America, University of California Press, Los Angeles, 1993, p.136

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

102

CHAPITRE 3

Pronostics

« RR : Vous avez des pronostics ?

FC : Steven Holl puisque vous y tenez ! Dominique Perrault pourrait l’avoir.

Son œuvre est immense, dans le monde entier, il le mériterait ! Chipperfield ne l’a

pas eu ? Il pourrait l’avoir, il est couronné de lauriers. [...] Si vous me demandiez

quel français le mériterait, je vous dirais Perrault. Si vous me demandiez quel très

grand architecte ne l’a pas eu, Toyo Ito. Il ne l’a pas eu et le méritait absolument.

Quand il aura fini l’Opéra de Corée, il l’aura, je pense. Botta le méritait, mais

maintenant Botta fait une architecture trop répétitive, il n’est plus à la mode. Il y

a des moments où vous êtes bon, et des moments où les choses se gâtent, pour des

raisons qui échappent à toute logique. Botta est dans une période de déclin. C’est

dû parfois à la taille de l’agence, ou à une lassitude, ou au fait que ce que vous

poursuiviez n’est plus en adéquation avec la demande de l’époque. Toyo Ito est

encore un immense créateur. Bizarre qu’il ne l’ait pas eu alors que son ancienne

collaboratrice, la fille de SANAA, l’a eu avant lui.»

1

Nos pronostics se feront donc parmi la « présélection », c’est-à-dire parmi les architectes concernés par un ou plusieurs des mécanismes évoqués (publication, écoles, commandes pres- tigieuses et expositions). Pour réduire le champ des possibilités, il faut tenir compte du souci de diversité du prix Pritzker, et s’intéresser aux pays dont l’architecture a été rarement récompensée. Les enjeux politiques présents derrière le prix sont aussi à prendre en considération. Ainsi, les pays émergents (du point de vue architectural ou économique) sont concernés.

50/1 : Mario Botta (suisse, 70 ans)

Disciple de Le Corbusier, puis de Carlo Scarpa, il se fit remarquer dans les années 1980 pour son style local. Kenneth Frampton vit en lui un exemple de « régionalisme critique »2. Sa signa-

ture de brique lui valut bientôt une reconnaissance internationale, et il réalisa des musées dans le monde entier (Tokyo, Séoul, San Francisco). En 1987, le MoMA lui consacrait une exposition.

1. cf. annexe Un entretien avec François Chaslin

2. Jean Claude Garcias, « Mario Botta », Encyclopaedia Universalis

Partie 3 : l’Architecture au risque du star-system

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

Malgré une célébrité incontestable, il semble peu probable que Botta soit récompensé. Il n’est déjà plus une figure « actuelle » de la profession.

30/1 : Valerio Olgiati (suisse, 55 ans)

Il fut professeur à l’ETH de Zurich à la AA School, et à la Cornell University, et enseigne depuis 2002 à Mendrisio. Il a fait l’objet en 2011 d’un numéro de El Croquis (n°156). La majeure partie de ses réalisations est en suisse ou en Europe, mais il a été exposé en 2011 à Tokyo. Depuis un peu plus de 10 ans, cet architecte est le plus célèbre de la nouvelle génération d’architectes suisses. Mais 4 ans après la sélection de Peter Zumthor, il sera peut-être un peu tôt en 2013 pour récompenser à nouveau la discrétion suisse.

30/1Massimiliano Fuksas (italien, 69 ans)

Celui-ci est « presque aussi influent que Jean Nouvel dans le monde politique français et dans

les rouages de l’État, aussi présent que lui dans les jurys, aussi doté que lui de grosses commandes

publiques »1. Il reçut le Grand Prix national de l’Architecture en 1999, fut directeur de la Bien-

nale de Venise en 2000. Le public européen a pu suivre les frasques de cet architecte engagé politiquement : en 2008 il s’opposait à Berlusconi, en 2010 il se battait en public avec un homme politique... Il est professeur à la Columbia University à New York. Depuis 2000, il également est rédacteur d’une chronique d’architecture dans l’hebdomadaire culturel italien L’Espresso. Mas- similiano Fuksas est un personnage médiatique de l’architecture, néanmoins sa célébrité reste principalement européenne.

15/1 : Daniel Libeskind (américain polonais, 67 ans)

Comme Zaha Hadid et Frank Gehry, Libeskind participa à l’exposition « Deconstructivist architecture » au MoMA en 1988. En 1998, il achevait le Musée Juif de Berlin qui lui offrait une renommée internationale. Le numéro 80 de la revue El Croquis lui fut consacré. Il fut retenu en 2003 pour la conception du master-plan du World Trade Center, sur lequel construisent trois lauréats du Pritzker (Rogers, Foster et Maki). À Séoul, il conçoit un projet tout aussi gigantesque, avec l’urbanisme du quartier d’affaire Yongsan, dont la superficie est 9 fois égale à celle du World Trade Center. Il y construit la deuxième plus haute tour du monde, fin du chantier prévue en 2013.

15/1 : Toyo Ito (japonais, 72 ans)

L’architecte japonais est pressenti depuis plusieurs années, mais la sélection de son élève Sejima en 2010 semble annuler ses chances de victoires. Le travail de Toyo Ito fut exposé dés 1991 à Londres, et depuis partout dans le monde. Il enseigne depuis les années 1980 à la Japan Women’s University de Tokyo. Dés 1998, il fut sélectionné par El Croquis (n°71, puis 123, 147). En 2001, la médiathèque de Sendai le faisait connaitre internationalement. En 2002, il réalisait pour la Serpentine Gallery un pavillon plébiscité par la critique. En 2002, il recevait le Lion d’Or de la Biennale de Venise, en 2006 la Royal Gold Medal du RIBA, et en 2010 le Praemium Impe- rale. Il ne manque à son palmarès que le Pritzker.

1. François Chaslin, Jean Nouvel Critiques, Infolio éditions, Paris, 2008, p.218

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

104

10/1 : David Chipperfield (britannique, 60 ans)

L’architecte anglais est diplômé de la AA School. Son agence est basée à Londres, Berlin, Milan et Shanghai, et il emploie plus de 250 personnes. En 2010, Chipperfield a été anobli par la reine d’Angleterre, et a reçu le Wolfe Prize, puis la Royal Gold Medal du RIBA en 2011. Les numéros 87, 120 et 150 de la publication El Croquis lui sont consacrés. En 2000, il représentait la Grande-Bretagne à la Biennale de Venise, et en 2012, il sera le premier britannique directeur de la Biennale.

10/1 : Sheila Sri Prakash (indienne, 58 ans)

Elle fut la première indienne à créer sa propre agence d’architecture1. Son travail prend en

compte les problèmes environnementaux ainsi que l’habitat des plus démunis. En Inde elle est également célèbre pour ses performances de danse et de musique. Ces dernières années, elle a pris part à de nombreux sommets internationaux sur la question écologique (United States Green Building Council en 2007 ou Global Infrastructure Summit on Sustainable Architecture and Ur- ban Design pour les Jeux Olympiques de Londres en 2012). Sheila Sri Prakash est actuellement l’une des architectes orientales les plus influentes.

5/1 : Steven Holl (américain, 66 ans)

Celui-ci est « largement en tête des sondages » sur internet, depuis déjà quelques années2.

Dés 1989 il était exposé individuellement au MoMA. Il enseigne depuis 1981 à la Columbia University. En 1998, il reçut l’Alvar Aalto Medal, le Arnold W. Brunner Prize et en 2012 la AIA Gold Medal. En 1994, il écrivait pour un numéro spécial de la revue A+U, avec Juhani Pallasmaa et Alberto Perez-Gomez. 4 numéros de El Croquis lui furent consacrés (n°78, 93, 108, 141). En 2012, il participera à l’exposition « Towards the Tectonic » de la Biennale de Venise, dirigée par Kenneth Frampton. Cela fera 8 ans qu’un architecte américain n’a pas été récompensé, est-ce enfin le tour de Steven Holl ?

3/1 : Elizabeth Diller & Ricardo Scofidio (américains, 59 et 78 ans )

Ces architectes américains sont également de bons prétendants au titre. Fondée en 1979, l’agence new-yorkaise est connue pour avoir développé une pratique riche autour de l’architec- ture, la scénographie, les performances, ou la peinture. Ils collaborent dans différents projets avec un groupe d’artistes, parmi lesquels Olafur Eliasson, lui même star de l’art contemporain. Elizabeth Diller est diplômée de la Cooper Union, où elle rencontra son compagnon Ricardo Scofidio qui y était alors professeur. De 1980 elle devint professeur assistant dans cette même école. Si Scofidio y enseigne toujours actuellement, Diller est elle professeure à l’Université de Princeton. L’agence a reçu le Brunner Prize, et la AIA Medal of Honor. En 2002 ils se firent remarquer en concevant un pavillon extraordinaire pour l’Expo d’Yverdon en Suisse. En 2003, le Whitney Museum of American Art leur a consacré une rétrospective. En 2008 ils participèrent

1. http://www.shilpaarchitects.com

2. http://pablogilcornaro.blogspot.fr/2011/03/souto-moura-pritzker-prize-vs-pritzker.html ou http://www.archdaily.com/54041/and-the-2010-pritzker-goes-to/

Partie 3 : l’Architecture au risque du star-system

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

à la Biennale de Venise avec l’installation Chain City. Le couple est aussi à l’origine de quelques ouvrages parmi lesquels Flesh: Architectural Probes : The Mutant Body of Architecture, ou Blur:

The Making of Nothing, dans lesquels ils expliquent les ambitions théoriques de leurs projets. Diller&Scofidio (+Renfro) forment une agence estimée de la critique et applaudie du grand pu- blic, en particulier grâce à l’intervention sur la High Line à New York, dont la deuxième section a ouvert en 2012. La dernière partie du projet ouvrira en 2014.

Le 30 juin 2010, le magazine Vanity Fair demandait à 52 experts, parmi lesquels 11 lauréats du Pritzker, de choisir les bâtiments les plus importants depuis 1980, et l’œuvre la plus importante du XXe siècle.1 Dans cette catégorie, Kenneth Frampton nommait Steven Holl pour le Linked

Hybrid Building de Pékin; Bernard Tschumi et Hans Hollein se nommaient en personne; Peter Eisenman, Steven Holl, Ben van Berkel ou Michael Graves choisissaient l’église St Pierre de Fir- miny de Le Corbusier; Michael Holzer nommait Peter Cook (Archigram) et la Kunsthaus en Autriche; Thom Mayne et Jean Nouvel préféraient le Scottish Parliament Building à Edinbourg de Enric Miralles; Paul Goldberger et Neil Denari, le Disney Hall de Frank Gehry; Christian de Portzamparc choisissait le congrès de Brasilia de Niemeyer; Richard Rogers et David Chip- perfield, le Stade Olympique de Pékin de Herzog et de Meuron; Anthony Vidler l’œuvre de Rural Studio en Alabama de Samuel Mockbee; et Annabelle Seldorf nommait la Médiathèque de Sendai de Toyo Ito.

1. http://www.vanityfair.com/culture/features/2010/08/architecture-survey-list-201008

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

106

CHAPITRE 4

L’architecture au risque du star-system

Derrière le prix Pritzker, ce sont tous les mécanismes de la diffusion de