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Sur la participation aux pratiques

A. Sur la participation au grief n° 1

2. Sur la participation aux pratiques

245.Les sociétés DHL, DHL Holding (France) et Deutsche Post soutiennent que la participation de la société DHL aux échanges d’informations visés par le grief n° 1 n’est pas établie.

246.Elles font valoir, en premier lieu, que l’Autorité n’a pas rapporté la preuve de la participation des dirigeants de la société DHL à la conférence téléphonique du 26 mai 2004, dont ils ont reçu le compte-rendu. Elles ajoutent que le président de la société Schenker-Joyau ainsi que celui de la société Transports Alloin, organisateurs de la concertation et demandeurs de clémence, n’ont pas été en mesure d’affirmer ou de prouver leur présence.

247.Elles exposent, en deuxième lieu, que la participation à l’entente n’avait aucun intérêt pour la société DHL, puisque celle-ci avait déjà décidé, avant sa mise en œuvre, de transposer au gazole la méthodologie de répercussion de la hausse des coûts de kérosène qu’elle appliquait depuis 2002 à ses activités de transport aérien.

248.Elles ajoutent, en troisième lieu, qu’aucune pratique concertée ne peut être retenue à leur encontre en raison des spécificités propres à la méthodologie utilisée par la société DHL.

À ce titre, elles développent à nouveau les moyens précédemment exposés au paragraphe 234 du présent arrêt. Elles indiquent en outre que les seuls éléments communs entre la méthode de la société DHL et celle résultant de l’entente, soit, selon elles, la mensualisation et la répercussion en pied de facture, étaient imposés par la réalité économique et recommandés par les pouvoirs publics.

249.Le ministre chargé de l’Économie rappelle que la décision attaquée est à juste titre fondée sur le principe, consacré par la jurisprudence des juridictions de l’Union, selon lequel, lorsqu’une société participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu’elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participantes qu’elle souscrit au résultat des réunions et qu’elle s’y conformera, il peut être considéré comme établi qu’elle participe à l’entente résultant de ces réunions (TUE, arrêts du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, point 232 ; du 10 mars 1992, Solvay/Commission T-12/89, point 98 ; du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, points 85 et 86, et du 20 mars 2002, Dansk Rørindustri/Commission, T-21/99, points 41 à 56). Il conclut en conséquence au rejet des moyens des requérantes.

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250.Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, si la preuve de la présence de représentants de la société DHL à la conférence téléphonique du 26 mai 2004 n’est pas directement rapportée, elle résulte toutefois d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants, détaillés par l’Autorité aux paragraphes 211 et 854 de la décision attaquée,

auxquels la cour renvoie. Il ressort, en effet, de ces éléments, d’abord, que le dirigeant de la société DHL France et directeur de la société DHL, ainsi que le dirigeant de la société DHL ont reçu le compte rendu de la conférence téléphonique du 26 mai 2004 par courrier électronique, ce qui n’est pas contesté, ensuite, que les destinataires de ce compte rendu étaient les personnes présentes à la conférence téléphonique, ainsi que l’ont indiqué les demandeurs de clémence et, enfin, que seules ces personnes, lesquelles ne représentaient pas tous les participants du Conseil de Métiers, avaient été destinataires de ce compte rendu à caractère secret et, de ce fait, à diffusion limitée.

251.Il importe peu, au regard de la concordance de ces indices et de leur caractère probant, que les organisateurs de la concertation et demandeurs de clémence n’aient pas nommément cité les participants à la conférence téléphonique du 26 mai 2004, ni apporté d’éléments de preuve directe de leur présence.

252.En outre, la cour relève que les requérantes ne contestent pas que la société DHL a participé aux réunions du Conseil de Métiers des 8 juin 2004, 30 septembre 2004, 8 juin 2005 et 22 septembre 2005, lors desquelles la surcharge gazole a été évoquée. Il n’est pas contesté non plus que cette société a participé aux échanges informels à la fin de l’été 2005, au cours desquels les entreprises participantes ont échangé des informations sur leur comportement passé et sur leurs intentions futures en relation avec cette surcharge.

253.Dans ces circonstances, et ainsi qu’il a déjà été retenu en conformité avec les principes jurisprudentiels rappelés par le ministre chargé de l’Économie, la société DHL était assurée du mouvement coordonné par lequel ses concurrents allaient, comme elle-même avait décidé de le faire, appliquer mensuellement la surcharge gazole par une mention en pied de facture et selon une méthodologie semblable à la sienne. Elle était donc assurée que les éventuelles tentatives de ses clients de trouver auprès de la concurrence une modalité de répercussion alternative qui leur soit plus favorable échoueraient. Il est, en conséquence, inopérant que cette société ait utilisé un indice d’augmentation des prix d’une autre origine que celui de ses concurrents, appliqué des paliers qui n’étaient pas exactement les mêmes et fixé ses propres coefficients multiplicateurs puisque, d’une part, la méthodologie employée était identique, d’autre part, les concurrents, eux non plus, n’ont pas adopté les mêmes paliers ou les mêmes coefficients, tous les faisant varier de façon marginale.

254.Pour le même motif que celui qui vient d’être exposé, il est indifférent que la société DHL ait pu, avant la mise en place de l’entente, décider de transposer au gazole la méthodologie de répercussion de la hausse des coûts de kérosène qu’elle appliquait depuis 2002 à ses activités de transport aérien, et donc que l’Autorité n’ait pas examiné les éléments de preuve présentés sur ce point par elle. À ce sujet, la cour observe que, si, comme les requérantes le soutiennent, l’Autorité a relevé que la société TNT avait, depuis 2003, mis en place un système de surcharge gazole aux prestations d’express international (décision attaquée, § 249), elle n’en a tiré aucune conséquence particulière, puisqu’elle a également sanctionné cette société au titre du grief n° 1, pour avoir, à partir de 2004, appliqué la surcharge gazole aux prestations de messagerie classique nationale.

255.Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l’Autorité a, par un faisceau d’indices précis, graves et concordants qui ne laisse pas de part au doute, et sans inverser la charge de la preuve, établi que la société DHL avait participé aux pratiques d’entente entre les entreprises du secteur de la messagerie classique et de la messagerie express visant à instaurer et appliquer la surcharge gazole. Leurs moyens sont en conséquence rejetés.

b) Concernant la société Normatrans

256.La société Normatrans conteste sa participation à l’infraction visée par le grief n°1.

257.Elle rappelle que, lorsqu’une concertation anticoncurrentielle se déroule au cours de réunions tenues dans le cadre statutaire d’une organisation professionnelle, la preuve de l’adhésion d’une entreprise à cette concertation exige des éléments allant au-delà de la seule participation auxdites réunions, comme une adhésion plus explicite, ou caractérisée par la diffusion des consignes, l’application des mesures décidées lors de la réunion ou la participation à d’autres réunions à objet anticoncurrentiel. Elle ajoute que le Conseil de la

concurrence a déjà jugé que la participation à une seule réunion ne constitue pas en soi la preuve de l’adhésion aux projets anticoncurrentiels.

258.Elle fait valoir qu’il n’est pas contesté qu’elle n’a participé qu’à une seule réunion, celle organisée le 8 juin 2005 par la fédération TLF, qui est un syndicat professionnel, réunion à laquelle elle avait été invitée sans en connaître l’ordre du jour et que la seule raison de sa présence résultait de ce qu’il avait été considéré que les petites et moyennes entreprises (ci-après les « PME ») étaient sous-représentées au sein de la concertation.

259.Elle précise n’avoir jamais adhéré, ni donné effet aux décisions prises au cours de celle-ci concernant la mise en place d’une surcharge gazole, dans la mesure où elle pratiquait déjà de cette façon depuis 2004. Dans ces conditions, elle estime que son adhésion à l’accord litigieux ne pouvait être déduite du seul fait qu’elle ne s’en serait pas distanciée publiquement et qu’il incombait à l’Autorité de rapporter une preuve additionnelle de sa participation à l’entente.

260.La requérante fait également valoir que sa situation ne pouvait être appréciée de la même façon que celle des autres transporteurs, eu égard à la dimension locale et mono-produit de son activité, qui ne concerne que la messagerie traditionnelle à l’exclusion de la messagerie express et du transport de « mono-colis ».

261.Elle reproche, enfin, à l’Autorité d’avoir commis plusieurs erreurs de fait dans la décision attaquée. À ce titre, elle expose que celle-ci se serait fondée sur un motif erroné en jugeant qu’elle aurait appliqué une surcharge gazole à ses clients à la suite de la réunion du 8 juin 2005, alors qu’elle la pratiquait déjà avant cette réunion. Elle fait valoir qu’il est inexact de soutenir qu’elle aurait « progressivement adopté la même politique tarifaire » que les autres participants à la réunion litigieuse, puisqu’elle n’a fait que continuer sa pratique antérieure et n’a pas modifié son comportement. Elle indique qu’il ne peut être retenu que la réunion aurait été l’occasion de renouveler l’accord de volontés entre les parties, alors que son accord n’a jamais existé et ne pouvait donc être renouvelé. Elle oppose, enfin, qu’il ne peut lui être reproché de ne pas s’être distanciée explicitement des discussions puisque sa pratique de répercussion était la même que celle décidée dans le cadre de la concertation et qu’elle ne pouvait donc s’y opposer.

262.L’Autorité observe qu’en droit de l’Union, la participation passive à une seule réunion statutaire, sans distanciation publique, suffit à caractériser une infraction au droit de la concurrence. Elle fait valoir que l’application de ce droit ne dépend nullement de la situation individuelle de chacune des entreprises concernées, mais de la ou des pratiques en cause. Elle indique qu’elle a précisé, au paragraphe 572 de la décision attaquée, en quoi les pratiques affectaient sensiblement le commerce entre États membres, justifiant l’application du droit de l’Union, et relève que la requérante a reconnu avoir une « activité nationale au départ de la Basse-Normandie », ce qui suffit à considérer que sa participation à l’entente était susceptible d’affecter les échanges entre États membres.

263.Le Ministre chargé de l’Économie conclut à la confirmation de la décision attaquée sur ce point.

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264.L’Autorité a, par une motivation pertinente que la cour adopte (décision attaquée, §572 à 579), retenu que les pratiques en cause étaient susceptibles d’affecter les échanges entre États membres. Elle en a, à juste titre, déduit que le droit de l’Union s’appliquait à ces pratiques, sans qu’importent les dimensions locales et, à la supposer établie – ce qui sera examiné ultérieurement –, la qualité d’entreprise « mono-produit » de la société Normatrans.

265.Or selon la jurisprudence du Tribunal de l’Union européenne (ci-après le « Tribunal de l’Union »), justement rappelée par le ministre chargé de l’Économie, citée au paragraphe 249 du présent arrêt, lorsqu’une société participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu’elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu’elle souscrit au résultat des réunions et s’y conformera, il peut être considéré comme établi qu’elle a participé à l’entente résultant desdites réunions. La cour de cassation

a statué dans le même sens (voir, notamment, Cass. com., 8 novembre 2016, pourvoi n° 14-29.542).

266.S’il existe, en application du droit national, une jurisprudence selon laquelle la participation à une seule réunion tenue dans le cadre statutaire d’une organisation professionnelle est insuffisante pour caractériser l’adhésion d’une entreprise à l’entente, une telle exception n’est pas admise en droit de l’Union dont relèvent les pratiques de l’espèce. Au contraire, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour de justice ») dans son arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C-8/08, point 61), « ce qui importe n’est pas tant le nombre de réunions entre les entreprises concernées que le fait de savoir si le ou les contacts qui ont eu lieu ont offert à ces dernières la possibilité de tenir compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur le marché considéré et de substituer sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence ».

267.En l’espèce, il n’est pas contesté que la société Normatrans avait, dès 2004, soit avant sa participation à la réunion du 8 juin 2005, décidé et mis en place une répercussion de la hausse du gazole sous la forme d’une surcharge gazole. Il n’est pas contesté non plus que, lors de cette réunion, non seulement les adhérents présents ont échangé sur la façon dont ils pratiquaient par « pied de facture » et sur la réaction des clients à cet égard, mais ils ont également débattu de l’opportunité de réintégrer la « taxe carburant », c’est-à-dire la surcharge gazole, dans le tarif général. Une position consensuelle, consistant à ne pas réintégrer la surcharge est ressortie de ces débats (décision attaquée, § 839).

268.Ces discussions n’ont pu que conforter la société Normatrans dans sa pratique et lui permettre d’acquérir la certitude que ses concurrents appliquaient la même politique qu’elle.

À ce sujet, la cour relève que la société Normatrans a précisé avoir « commencé à appliquer une surcharge gasoil (…) à partir de 2004, et toujours en négociation de gré à gré, pour la généraliser à partir du décret l’imposant » (cote n° 51572, visée au § 280 de la décision attaquée), ce qui montre qu’elle n’avait pas encore, à la date de la réunion du 8 juin 2005, tenue antérieurement à la loi du 5 janvier 2006, généralisé cette pratique. De plus, sa participation à la réunion a renforcé, pour les autres participants, l’idée qu’une part substantielle des entreprises du secteur adhéraient à l’entente et substituaient leur concertation au risque concurrentiel. Il est, en conséquence, sans portée que la société Normatrans, d’une part, n’ait pas connu l’ordre du jour de la réunion du 8 juin 2005, d’autre part, n’ait pas modifié sa façon de procéder à la suite de cette réunion, et c’est à juste titre que l’Autorité a retenu que, faute pour elle de s’être distanciée publiquement de l’entente, le fait qu’elle n’ait été présente qu’à une seule réunion n’était pas de nature à inverser la présomption de son adhésion.

269.En outre, et ainsi qu’il a déjà été dit concernant l’application du droit de l’Union, la situation individuelle de l’entreprise sur le marché, comme la dimension locale ou l’éventuel caractère « mono-produit » de son activité, n’ont pas d’influence sur la question de sa participation à l’entente mais seulement, le cas échéant, sur l’étendue de celle-ci et, donc, sur le niveau de la sanction.

270.Il s’ensuit que les moyens soutenant l’absence de participation aux pratiques du grief n° 1, développés par la société Normatrans, doivent être rejetés.