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Sur l’individualisation des sanctions

B. Sur la sanction du grief n° 2

3. Sur l’individualisation des sanctions

1187.La cour rappelle que, l’Autorité ayant fait le choix, non contesté par les requérantes, de prendre en compte la participation inégale au grief n° 2 selon les entreprises au stade de la détermination du montant de base de la sanction, l’ensemble des moyens relatifs à cette circonstance atténuante ont déjà été examinés ci-dessus.

a) Sur la coopération procédurale

1188.La société Normatrans, qui invoque les lignes directrices 2006 de la Commission, fait valoir qu’elle a coopéré avec l’Autorité dès la notification des griefs, puis à chaque étape de la procédure, ce qui justifie une réduction de sa sanction.

1189.Le ministre chargé de l’Économie objecte que le communiqué sanctions ne prévoit pas de réduction de sanction pour les entreprises qui coopèrent avec l’Autorité en dehors de la procédure de clémence. Au surplus, la société Normatrans n’aurait apporté aucun élément que l’Autorité ignorait.

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1190.La cour constate qu’en tout état de cause, à supposer que la société Normatrans ait coopéré avec l’Autorité, sa coopération n’a pas apporté de plus-value significative à l’enquête, la requérante n’alléguant même pas qu’elle aurait fourni des éléments ignorés des services d’instruction de l’Autorité.

1191.Sa demande de réduction à ce titre ne peut donc qu’être rejetée.

b) Sur l’encouragement par les autorités publiques

1192.La société Geodis fait valoir que la connexité temporelle et matérielle entre les pratiques reprochées au titre des grief n° 1 et n° 2 est telle que les secondes n’auraient probablement pas eu lieu si les premières ne s’étaient pas déroulées.

1193.Dès lors que l’Autorité a reconnu et pris en compte, aux fins du calcul de la sanction des pratiques objet du grief n° 1, le contexte très particulier dans lequel ces pratiques ont été initiées, tenant à la confusion que les interventions des pouvoirs publics en faveur d’une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transports a pu créer dans l’esprit des transporteurs, elle aurait dû, selon la société Geodis, en tenir également compte dans le cadre du grief n° 2.

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1194.Mais, d’abord, les pratiques objet du grief n° 1 et celles objet du grief n° 2, nonobstant le fait qu’elles se sont déroulées dans le même contexte et, pour partie, à la même époque, sont très différentes, de sorte qu’aucun lien de connexité ne saurait être relevé.

1195.Ensuite, à supposer même établi un tel lien de connexité, ainsi que la cour l’a déjà relevé au paragraphe 1078 du présent arrêt, le grief n° 2 ne s’est nullement inscrit dans un contexte d’encouragement par les autorités publiques.

1196.Enfin, en tout état de cause, la non-participation de la société Geodis au grief n° 1 suffit à démontrer qu’en ce qui la concerne, aucune confusion dans son esprit n’a été provoquée par les pouvoirs publics.

1197.Le moyen est rejeté.

c) Sur le caractère d’entreprise mono-produit

1198.Au titre des « autres éléments d’individualisation », le point 48 du communiqué sanctions précise que le montant de base peut être adapté à la baisse pour tenir compte du fait que

« l’entreprise mène l’essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l’infraction (entreprise ‘mono-produit’) ».

1199.La prise en compte du caractère d’ « entreprise mono-produit » a pour finalité d’éviter que l’application de la méthode normale de détermination des sanctions aboutisse à des montants disproportionnés.

1200.Conformément au communiqué sanctions (point 23), le montant de base de la sanction pécuniaire représente une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise concernée, de produits ou de services en relation avec l’infraction. Or, pour une entreprise dont la valeur de ces ventes est proche de son chiffre d’affaires, parce que ce dernier est réalisé pour l’essentiel au travers des ventes de produits ou de services en relation avec l’infraction (entreprise mono-produit), la méthode normale de détermination de la sanction peut conduire à lui infliger une sanction représentant un pourcentage très élevé de son chiffre d’affaires.

1201.Pourtant, le caractère dissuasif d’une sanction s’apprécie davantage au regard du pourcentage du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée que représente la sanction qu’au regard du montant de cette sanction.

1202.Ainsi, la prise en compte du caractère d’entreprise mono-produit, prévu au point 48 du communiqué sanctions, s’analyse comme un exemple de mise en œuvre de la volonté, exprimée par l’Autorité au point 24 du même communiqué, de ne pas accorder une importance disproportionnée à la valeur des ventes par rapport à d’autres éléments à prendre en considération, tel le chiffre d’affaires.

1203.C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier les moyens des parties revendiquant la qualité d’entreprise mono-produit.

á. Concernant la société Kuehne+Nagel

1204.Les sociétés Alloin Holding, Kuehne+Nagel et Kuehne+Nagel International font valoir que le caractère d’entreprise mono-produit s’apprécie à l’époque des pratiques ; que l’entreprise Alloin n’a été acquise par le groupe Kuehne+Nagel qu’en janvier 2009, soit trois mois avant la fin des pratiques, lesquelles ont duré quatre ans et cinq mois ; que, dans ces conditions il convenait d’apprécier le caractère d’entreprise mono-produit de la société Alloin Transports, devenue Kuehne+Nagel, au regard de son seul chiffre d’affaires, et non au regard du chiffre d’affaires du groupe Kuehne+Nagel ; qu’il apparaît que le chiffre d’affaires de cette société réalisé dans le secteur d’activité de la messagerie classique et de la messagerie express représentait, en 2009, plus de 85 % de son chiffre d’affaires total ; qu’elle avait donc bien la qualité d’entreprise mono-produit.

1205.Les requérantes considèrent donc que le refus de l’Autorité de leur accorder à ce titre un abattement d’au moins 70 % de la sanction est discriminatoire et emporte le caractère disproportionné de la sanction prononcée à leur encontre

1206.L’Autorité répond que la société Kuehne+Nagel International ayant été sanctionnée en qualité de société mère à laquelle les pratiques de la société Alloin Transports, depuis dénommée Kuehne+Nagel, ont été imputées, les conditions d’une minoration du montant de base de la sanction au titre du caractère mono-produit ne sont pas réunies à son égard dès lors que l’activité du groupe Kuehne+Nagel est diversifiée et que la sanction infligée, d’un montant de 32 millions d’euros, représente moins de 0,2 du chiffre d’affaires de ce groupe.

1207.Invoquant la jurisprudence nationale (CA Paris, 16 avril 2016, n° RG 2015/01855), le ministre chargé de l’Économie objecte que l’examen du caractère mono-produit d’une entreprise, a fortiori lorsque les pratiques de la filiale sont imputées à la société mère, porte nécessairement sur la proportion entre la part de l’activité concernée par la pratique sanctionnée et l’activité globale du groupe ; qu’en l’espèce, le groupe Kuehne+Nagel n’exerce qu’une part réduite de son activité sur les marchés de la messagerie classique et de la messagerie express en France ; qu’il n’est donc pas une entreprise mono-produit.

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1208.Il ressort de la décision attaquée que, d’une part, pour la période du 30 septembre 2004 au 30 juin 2007, a été retenue la responsabilité de la société Alloin Holding, à la fois en tant

que successeur juridique et société mère de la société Transports Alloin, auteur de la pratique pendant cette même période, d’autre part, pour la période du 1 juillet 2007 auer 29 septembre 2010, a été retenue la responsabilité de la société Kuehne+Nagel, anciennement dénommée Alloin Transports, en tant qu’auteur de la pratique, ainsi que celle des sociétés Alloin Holding et Kuehne+Nagel International, sociétés mère et grand-mère de la société Kuehne+Nagel, pour la durée pendant laquelle elles ont détenu cette filiale, soit du 1 juillet 2007 au 29 septembre 2010, pour la société Alloin Holding, et du 6 janvierer 2009 au 29 septembre 2010, pour la société Kuehne+Nagel International (décision attaquée,

§ 1047 à 1049 et § 1388). Ni devant l’Autorité ni dans le cadre du présent recours, les requérantes n’ont contesté cette analyse.

1209.Il s’ensuit que l’« entreprise », au sens tant de l’article L. 464-2 du code de commerce que du communiqué sanctions, notamment son point 48, a été successivement constituée, du 30 septembre 2004 au 30 juin 2007, de l’entité formée par la société Alloin Transport et sa société mère Alloin Holding, du 1 juillet 2007 au 5 janvier 2009, par l’entité formée de laer société Transport Alloin, devenue Kuehne+Nagel, et de sa société mère Alloin Holding et, du 6 janvier 2009 au 29 septembre 2010, de la société Kuehne+Nagel et de ses sociétés mère Alloin Holding et grand-mère Kuehne+Nagel International.

1210.Il appartenait donc aux requérantes d’établir que ces entités, ou l’une d’entre elles, avait le caractère d’entreprise mono-produit.

1211.Force est de constater qu’elles ne soutiennent pas, et a fortiori ne démontrent pas, que tel aurait été le cas. À cet égard, la circonstance, à la supposer établie, que la société Kuehne+Nagel, considérée isolément, a le caractère d’entreprise mono-produit ne suffit pas à rapporter cette preuve.

1212.La demande de réduction formée à ce titre doit donc être rejetée.

ß. Concernant la société Normatrans

1213.La société Normatrans fait valoir qu’elle réalise plus de 76 % de son activité sur le seul secteur de la messagerie. Elle produit un tableau d’où il ressort que cette activité a toujours représenté les deux tiers de son chiffre d’affaires, et jusqu’aux trois quarts certaines années.

1214.Invoquant la pratique décisionnelle de l’Autorité (décisions n° 13-D-03 du 13 février 2013 et n° 16-D-09 du 12 mai 2016) et la jurisprudence de la cour, (CA Paris, 14 avril 2016, n° RG 2015/01855 ; 25 septembre 2014, n° RG 2013/05595) elle souligne que la qualité d’entreprise mono-produit a déjà été reconnue aux produits d’entreprise dont 72 % et 75 % de l’activité était réalisée sur le marché concerné par l’entente.

1215.Soulignant qu’elle est une PME, qu’elle n’emploie que 310 salariés, que son marché est exclusivement régional et qu’elle réalise un chiffre d’affaires annuel compris entre 28 et 31 millions d’euros, elle estime être en droit de bénéficier d’un traitement différencié par rapport aux autres contrevenants et considère que ces éléments spécifiques ne font que renforcer la nécessité de prendre en compte le caractère mono-produit de son activité.

1216.Elle réclame à ce titre un abattement compris entre 65 et 70 %.

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1217.C’est à la date de l’année de référence, en l’espèce 2009, qu’il convient de se placer pour apprécier le caractère d’entreprise mono-produit de l’entreprise sanctionnée.

1218.Aux fins de reconnaître un tel caractère, seul compte le pourcentage du chiffre d’affaires global de l’entreprise sanctionnée que représente la valeur des ventes en relation avec l’infraction, la taille de l’entreprise étant indifférente.

1219.En l’espèce, d’une part, l’Autorité a indiqué, au paragraphe 1204 de la décision attaquée, qu’aux fins de déterminer la valeur des ventes en relation avec l’infraction, elle déduirait du chiffre d’affaires réalisé sur le marché de la messagerie classique et express, « le chiffre d’affaires réalisé lorsque les entreprises agissent exclusivement comme sous-traitant d’un

autre transporteur ». Or la société Normatrans n’allègue pas que l’Autorité aurait omis de procéder à cette déduction en ce qui la concerne.

1220.D’autre part, la société Normatrans indique qu’en 2009, le chiffre d’affaires qu’elle a réalisé sur le seul secteur de la messagerie a représenté 68,13 % de son chiffre d’affaires global, mais précise que, cette même année, la sous-traitance a représenté 55,68 % du chiffre d’affaires réalisé dans le secteur de la messagerie (Normatrans, mémoire en réplique, § 131).

1221.Il s’ensuit que la valeur des ventes de la société Normatrans en relation avec l’infraction, qui n’intègre pas le chiffre d’affaires de cette société réalisé dans la sous-traitance, représentait, en 2009, environ 30 % du chiffre d’affaires global de cette société.

1222.Un tel pourcentage exclut de lui reconnaître le caractère d’entreprise mono-produit.

d) Sur l’infériorité économique

1223.La société BMVirolle fait valoir que doit être retenu à titre de circonstance atténuante le fait qu’elle est un acteur mineur du secteur de la messagerie, détenant des parts de marché inférieure à 0,2 % sur le segment de la messagerie classique et à 1,8 % sur celui de la messagerie express. Selon elle, en lui appliquant le même pourcentage de la valeur des ventes – 9 % – qu’aux autres entreprises mises en cause, alors que certaines sont d’une taille et d’une puissance sans commune mesure, l’Autorité a manqué à son obligation d’individualisation de la sanction.

1224.La société Normatrans soutient que sa qualité de PME, avec de faibles moyens, intervenant sur un territoire restreint, le fait qu’elle intervient sur le seul marché de la messagerie classique, sa situation de dépendance économique, ainsi que le fait qu’elle était sous-traitante de la majorité des autres mises en cause, constituent autant de circonstances atténuantes justifiant une réduction de sa sanction au titre de l’individualisation des sanctions.

1225.L’Autorité répond que, dans la mesure où la valeur des ventes liées aux activités de sous-traitance de la société Normatrans a été déduite de l’assiette de la sanction, celle-ci ne peut utilement soutenir qu’elle devrait obtenir, au titre de l’importance desdites activités dans son chiffre d’affaires, une diminution de sanction.

1226.Le ministre chargé de l’Économie objecte que la société Normatrans ne fait état d’aucune menace ni mesures de représailles de la part des autres entreprises mises en cause susceptibles de matérialiser le caractère contraint de sa participation à l’entente.

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1227.La cour rappelle, d’abord, que le pourcentage appliqué à la valeur des ventes afin de déterminer le montant de base de la sanction, est déterminé à la suite d’une appréciation globale de l’entente, sans qu’il y ait lieu, à ce stade, d’opérer une distinction entre les entreprises participantes.

1228.Ensuite, la modestie des parts de marchés détenues par la société BMVirolle et, en conséquence, l’importance relativement moindre de sa participation à l’entente, ont déjà été prises en compte, dans la mesure où elles se traduisent par une valeur des ventes de services en relation avec l’infraction, qui a servi de base au calcul de la sanction de la requérante, très faible, notamment en comparaison avec celle de nombreuses autres entreprises mises en cause. De la même façon, la qualité de PME de la société Normantrans, la faiblesse de ses moyens, le caractère restreint de son territoire d’intervention et la limitation de son activité au secteur de la messagerie classique, ont été pareillement pris en compte au travers de la valeur de ses ventes ayant servi d’assiette au calcul de sa sanction.

1229.Au surplus, dans la mesure où a été écarté de la valeur des ventes le chiffre d’affaires réalisé lorsque les entreprises agissent exclusivement comme sous-traitant d’un autre transporteur (décision attaquée, § 1204), il a déjà été tenu compte du fait que la société Normatrans consacre une part notable de son activité à la sous-traitance.

1230.Enfin, la société Normatrans reconnaît qu’elle n’a pas fait l’objet de pressions des autres participants à l’entente pour en faire partie. S’il est exact que l’importance de la part de son chiffre d’affaires réalisé en sous-traitance, la plaçait dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des grands acteurs du marché de la messagerie, elle ne démontre pas que son refus de participer à l’entente aurait pu donner lieu à des représailles susceptibles de lui faire perdre son chiffre d’affaires.

1231.Il n’y a donc pas lieu d’octroyer une réduction de sanction aux sociétés BMVirolle et Normatrans au titre de l’infériorité économique qu’elles allèguent.