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Depuis 1968/1973 et 1983/1985, les impacts de la désertification sont perceptibles et l’environnement nouakchottois, incontestablement saharien, l’est selon J. Bisson « (…) chaque jour un peu plus » (Bisson, 2003 : 169). Chronologiquement, trois phases ont été identifiées. (1) La sécheresse prolongée des années 60 aux années 90 – nous réfutons ici l’assertion de Y. Veyret et P. Pech selon laquelle les crises climatiques sahéliennes au XXe siècle coïncideraient avec des « pulsations à caractère accidentel » (Veyret et Pech, 1993 : 142) – a déclenché un exode rural massif, le déplacement et la concentration des populations dans les zones potentiellement productives : elle est à l’origine du déséquilibre des écosystèmes. Consécutive de la forte croissance démographique et de la pression accrue sur les ressources naturelles, la désertification s’est donc aggravée dans les zones d'importance agricole. L'urbanisation enfin a profondément modifié les structures sociales, sanitaires, culturelles, économiques et politiques. (2) La mauvaise gestion de la crise initiale ayant incité les éleveurs nomades à se sédentariser, d'autres atteintes à l'environnement se sont rapidement manifestées : l'épuisement du potentiel fourrager vers les points d'eau, la surexploitation des forêts pour l'approvisionnement des foyers en bois de feu et en charbon, le surpâturage de la couverture arbustive et arborée ayant accéléré la dégradation du couvert végétal et l’appauvrissement des sols. Ces systèmes de production archaïques et gros consommateurs en ressources naturelles ont aussi conforté les phénomènes d'érosion hydrique et éolienne. (3) La surexploitation des nappes phréatiques dans les oasis suite au développement de cultures vivrières et maraîchères, l'épuisement et la salinisation du principal aquifère approvisionnant Nouakchott en eau potable, sont les signes de la diversification de la crise. L'absence de ramassage systématique des ordures ménagères et l'insuffisance du système d'évacuation des eaux usées sont à l’origine de conditions de vie précaires dans la plupart des grandes villes et en particulier dans la capitale. La non prise en compte de l'environnement littoral et marin enfin a provoqué la recrudescence des pollutions marines et l’exploitation excessive des ressources halieutiques.

Nuances sahéliennes en pays saharien : une frontière climatique fluctuante

Frange incertaine ou espace de transition, le Sahel (rivage en arabe) se distingue par l'irrégularité et la concentration saisonnière des pluies estivales : peu abondantes et en général limitées à une série de fortes averses, ces précipitations autorisent en année moyenne la culture sans irrigation. Il est aussi caractérisé par l'importance des prairies de plantes herbacées annuelles, contrairement aux steppes sahariennes et aux savanes soudaniennes de graminées vivaces. Le Cenchrus biflorus, plus communément appelé cram-cram (sic), est l'un des marqueurs du monde sahélien : il apparaît avec cent cinquante millimètres de pluies.

L’alternance d'années sèches et d’années humides est une autre particularité du régime climatique. À mesure que l'on progresse vers le nord du pays, le renforcement de l'aridité s'accentue : le climat est tantôt sahélien, tantôt saharien et les paysages passent insensiblement du Sahel à la zone aride – dont le désert, cet écosystème fragile et complexe par sa topographie et ses propriétés biophysiques, est une forme extrême. L'isohyète deux cents millimètres matérialisant habituellement la frontière entre ces deux influences78, on estime qu'à peine 10% du territoire mauritanien aurait en 1992 appartenu au domaine sahélien (et ses steppes arbustives) et reçu une pluviométrie supérieure à ce seuil. Le Sahel s’étendrait ainsi approximativement au sud d'une ligne fictive reliant les villes d’Akjoujt et Néma ; l’isohyète cent millimètres marquant la limite septentrionale de la zone sahélienne stricto sensu passe actuellement entre Nouakchott et Nouadhibou. Mais, la situation du pays en bordure orientale d'océan, à une latitude intertropicale, complique en réalité davantage le schéma.

Insuffisance et variabilité annuelle des pluies d’hivernage pour un stress hydrique accentué

De 1931 à 1960, la pluviométrie annuelle moyenne nationale est de 138.2 millimètres. Elle n'est plus que de 98 millimètres entre 1960 et 1998. L'observation de la répartition des précipitations au cours de l'année met par ailleurs en évidence le faible nombre de jours de pluie. Et si de juillet à octobre les pluies de mousson – l’essentiel du potentiel précipitable étant issu de l'Atlantique et advecté par la mousson – ont une influence réelle sur le couvert végétal et le renouvellement des nappes phréatiques, la constitution de la réserve utile en eau du sol dépend véritablement de la date du début de la saison humide. Les années les plus pluvieuses relevées par Z. Nouaceur sont 1965/1966, 1975, 1988, 1993, 1995/1996, 1998 (Nouaceur, 1995).

Dans le Sahel jusqu'aux années 40, la variabilité interannuelle des pluies est forte. Les périodes successives de sécheresse ne dépassent pas deux ou trois ans successifs. Après 1911/1914 et 1941/1942 (années fortement déficitaires), une phase plus ou moins excédentaire se poursuit jusqu'en 1947. La décennie 50 correspond à une période fortement excédentaire. En 1956, les précipitations maximales relevées atteignent 267 millimètres. De 1959 à 1967, une phase plus sèche succède aux années des vaches grasses : en moyenne plutôt proche de la normale de 1959 à 1963 et plutôt supérieure entre 1964 et 1967. À partir de 1968, un net décrochement est perceptible. Hormis 1969, la période 1968/1975 marque le début de la grande sécheresse : le déficit record est atteint en 1971 avec 17 millimètres de pluies annuelles. Les cinq années les plus sèches connues par la Mauritanie s'étalent de 1970 à 1974. Puis une phase aussi aride mais d'intensité plus forte que la précédente s'établit de 1977 à 1990 : dix années déficitaires se succèdent entre 1979 et 1988, et notamment 1983/1984. L'isohyète cent millimètres de pluie se déplacera de cinq cents kilomètres vers le sud. La décennie 90 est un enchaînement d'années à la fois très déficitaires (1992/1993) et très excédentaires. Durant les derniers quarante ans, le minimum

78

En associant aux mouvements de va-et-vient de l'isohyète deux cents millimètres les variations de l’indice NDVI, C. J. Tucker et al. sont parvenus en 1991 à modéliser les phases d’expansion ou de contraction du désert (Tucker et al., 1991)… et, partant, la frontière saharo-sahélienne.

enregistré s'élève à 2.7 millimètres et le maximum à 224.9 pour une moyenne proche de 95.94 millimètres. Pendant les sécheresses extrêmes de 1977, 1983 et 1984, les précipitations relevées ont atteint respectivement 2.7, 6.8 et 5.2 millimètres.

La station de Nouakchott a connu globalement la même alternance de périodes excédentaires et déficitaires que le pays. La période 1976/1987 est la plus sèche qui ait été enregistrée. Les années de déficit sont cependant plus nombreuses que la moyenne mauritanienne et les périodes humides moins homogènes (des années sèches s'intercalant au cours de phases pluvieuses). Les minima et maxima sont davantage extrêmes même si depuis quelque temps la situation redevient plus clémente. Les plus forts taux pluviométriques s'observent en général au mois d'août [cf. Tab. III-1]. Originalité des régimes capverdien et canarien, la rosée représente une forme de précipitation non négligeable dans la capitale. Elle a un impact bénéfique sur la végétation car tempère l'aridité du climat, les vastes régions salines renforçant le phénomène, en intensité comme en extension. Sa quasi disparition entre 1969 et 1989 constitue un stigmate de la sécheresse.

Tab. III-1 : Fréquences relatives mensuelles des précipitations entre 1969 et 1999 à la station de

Nouakchott (Ould Babah, 2001)

J F M A M J J A S O N D 0 mm 25 24 24 26 30 28 15 2 3 25 23 20 1 à 5 mm 2 2 3 2 1 1 4 2 3 1 5 6 6 à 10 mm 1 1 1 1 – 1 3 4 3 2 1 – 11 à 15 mm 1 1 – – – 1 3 2 3 2 – 1 16 à 25 mm – – 1 – – – 2 4 5 1 – – 26 à 50 mm – 1 – – – – 2 8 9 – – 1 51 à 75 mm – – – – – – 2 7 7 – – 1 76 à 100 mm – – – – – – – 1 1 – – – 101 à 150 mm – – – – – – – 1 1 – – – > à 150 mm – – – – – – – – – – – – Sans observation 2 2 2 2 – – – – – – 2 2

Au cours des quarante dernières années, la température moyenne annuelle enregistrée à la station de Nouakchott oscille entre 24.85°C et 27.85°C avec une nette tendance à l'augmentation entre 1960 et 1999. À partir de 1969, une hausse des températures minimales est observée, commune à tous les pays du Sahel. L'amplitude thermique annuelle est faible en dépit d'une forte variation diurne : elle s'élève à 8.4°C puis diminue dès 1972. Durant les mois froids, l'amplitude thermique journalière est supérieure au chiffre annuel [cf. Tab. III-2].

L'irrégularité de la durée d'ensoleillement est, quant à elle, due à la nébulosité et à la présence d'aérosols dans l'atmosphère. En Mauritanie, la durée quotidienne d'ensoleillement est de huit heures en moyenne et l’énergie incidente varie entre 3.25 et 6 kWh/m²/jour : la moyenne la plus élevée (9.3 heures) a été enregistrée à Bir Moghrein (à l'extrême nord du pays), la plus basse (7.9 heures) à Rosso dans l'extrême sud-ouest (Touré, 2000). Dans la capitale, la durée

en décembre/janvier et 9.8 au mois d’avril – et la radiation annuelle moyenne de 6.7 KWh/m²/jour (ibid. : 1104). Globalement, le temps d'ensoleillement a diminué dans les années 70 puis 80 : il s’élève en moyenne à 2 570 heures par an, la durée maximale (3 410 heures) ayant été atteinte en 1980…

Enfin, les actions du vent (les alizés boréaux soufflent en permanence, mobilisant sables et poussières), de la température, de l'hygrométrie, de la nébulosité se conjuguent pour renforcer l'évaporation potentielle dont le pic de saison froide se situe entre novembre et mars. L'harmattan et son extrême siccité est principalement à incriminer : en s'amplifiant, les brumes sèches accroissent considérablement l'évaporation physique. La végétation est donc en situation de stress hydrique [cf. Fig. III-2] : dans un tel contexte, le tapis graminéen se dégrade très vite.

Tab. III-2 : Moyennes mensuelles interannuelles de la station de Nouakchott entre 1969 et 1999 (Ould

Babah, 2001)

TMIN TMAX TMOY P ETPJ ETP HMIN HMAX

Janvier 13.9 28.9 21.0 0.8 6.8 210.8 8 56 Février 15.1 31.1 22.2 1.7 7.4 207.2 10 67 Mars 16.9 32.3 23.3 1.8 7.5 232.5 13 75 Avril 17.9 33.0 23.9 0.4 7.1 213.0 20 83 Mai 19.7 34.1 24.8 0.0 6.8 210.8 20 84 Juin 21.8 34.4 26.4 0.7 5.9 177.0 22 86 Juillet 23.4 31.3 26.5 9.3 4.5 139.5 25 89 Août 24.7 32.5 27.8 33.3 4.8 148.8 23 89 Septembre 25.1 35.0 29.0 30.4 5.7 171.0 21 88 Octobre 22.7 36.3 28.3 1.8 6.7 207.7 16 81 Novembre 18.6 33.3 24.9 0.6 6.4 192.0 10 72 Décembre 15.1 29.6 21.6 4.8 6.1 189.1 9 60

(moy.) (moy.) (moy.) (total) (moy.) (moy.) (moy.) (moy.)

Année 19.6 32.7 25.0 85.7 6.3 191.6 16.4 77.5

La chute des précipitations sur le long terme, l’augmentation des manifestations lithométéoriques, la prolifération des dunes vives se superposant aux anciens modelés fixés par la végétation sahélienne, sont les signes précurseurs des grands changements qui se préparent dans la région : menaçant directement ou indirectement l’environnement, les hommes et leurs activités, ils méritent toute l’attention des décideurs.