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Nouvelle donne numérique : à l’heure des autoroutes de l’information…

Imaginé en 1945 et démocratisé dès la fin des années 80, l’Internet modifie totalement les pratiques et les enjeux (Lengagne, 1999 ; Joliveau, 2004 : 38) : des informations éparses, hétérogènes, à la diffusion confidentielle d’il y a quelques décennies (quelques années en Afrique) aux données riches et homogènes actuelles, les progrès sont remarquables. Des

gisements jalousement enfermés se livrent peu à peu à une clientèle mondiale dans des bases de

données en ligne – l’investissement dans des bases lourdes, rendues rapidement obsolètes, n’étant plus d’actualité –, tenues à jour et aisément accessibles grâce aux moteurs de recherche41. Mais les technologies de l’Internet évoluent très vite et conduisent à des bouleversements autrement plus radicaux : à l’heure où les autoroutes de l’information se substituent aux autoroutes de l’automobile, l’environnement Internet favorise une représentation dynamique de l'information géographique. Multipliant la puissance de la communication visuelle des données en accroissant l'interactivité, améliorant l'utilité et la valeur du produit cartographique, il décloisonne les esprits, ébranle et abolit les frontières nationales, en l’espèce, anachroniques. Des sociétés mondiales spécialisées dans les banques de données et la télématique ont été créées, dont le rôle consiste à maîtriser l'information, cette ressource

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Le bruit généré par une requête plein-texte dans l’un de ces moteurs n’est évité qu’à la faveur d’une intervention analytique humaine complémentaire.

stratégique canalisée et circulant dans des réseaux, banques de données et centres de recherche…

Dans ce bouillonnement quasi-universel, l’Afrique de l’Ouest peine à suivre (Brunet et al., 2002) : une véritable fracture numérique fondamentalement sociale et économique s’esquisse à l’échelle mondiale (AFD42, 2001 : 3 ; Nouakchott Info n°1 131, 2006) en dépit d’initiatives internationales nombreuses visant, précisément, à la réduire. D’autres expressions – « fossé » (Bernard, 2003 : 320 ; Ki-Zerbo, 2004 : 109) numérique, « exclusion numérique » (ibid.) – sont employées pour qualifier cette inégalité d’accès au réseau et aux ressources qu’il véhicule.

Grâce à l’appui de la Banque Mondiale, de nombreux PED ont procédé à la numérisation de leur cartographie à partir du milieu des années 80 (Gerbe et al., 1997). Dans ces pays, le développement des Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications (NTIC) a été particulièrement rapide et la tendance actuelle est, encore, à l’amélioration qualitative et quantitative du réseau et à l’interconnexion sous-régionale. Une étude des enjeux et du rôle de ces technologies dans les mutations de la ville de Touba au Sénégal montre que l’Afrique en général – et, plus spécialement, la confrérie mouride en Afrique de l’Ouest – s’approprie peu à peu, « avec ses moyens et son identité ce nouvel espace [d’échange] » (Guèye, 2002 : 31), tire profit de ce nouveau territoire virtuel « source d’opportunités sans limites » (Brunet et al., 2002). Mais, comme le signale à juste titre E. Bernard, « Internet s’appuie sur les réseaux existants, (…) ne se diffuse pas sur un espace vierge de toute opportunité et contrainte » (Bernard, 2003 : 331) : dans la sous-région selon l’auteur, son déploiement aurait pratiquement atteint « les limites géographiques de cette dépendance » (ibid. : 330). Le risque est grand de voir, désormais, se renforcer les pôles connectés au détriment d’une couverture territoriale nationale, de « favoriser l’insertion sélective dans le système monde d’un archipel d’espaces privilégiés en participant à l’exclusion de la majorité des zones et des populations » (ibid. : 331) : comme la révolution industrielle, la révolution numérique fabrique ses exclus et ses défavorisés. L’auteur insiste, enfin, sur le fait que le continent est ostensiblement maintenu à l’écart d’un système technique mondial géo-concentré (géo-centré) car il s’y insère en position de consommateur, plutôt que d’acteur, de fournisseur. C’est en développant des industries et des produits d’information locaux, en s’appropriant ces nouvelles technologies et le processus du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI43) au texte duquel une poignée d’entre eux seulement a contribué à Genève en 2003 et à Tunis en 200544, que les pays ouest-africains parviendront à lever un des obstacles à leur développement.

À l’instar de ses plus proches voisins, la Mauritanie a décidé en 1997 d’investir dans les technologies de l’information et de la communication, mais c’est depuis 198945 véritablement que les projets se sont manifestés (Bennani et Mrabet, 2002 : 49). Si à l’origine, la République ne semble pas en reste dans la sous-région, l’Internet n’a pourtant pas la cote auprès des usagers mauritaniens : mauvaises connexions, interruptions intempestives du service (Nouakchott Info n°1 086, 2006 : 3), coûts prohibitifs, sont en effet à l’origine du différend opposant la

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Agence Française de Développement (AFD). 43

http://www.itu.int/wsis/index-fr.html 44

Entre les 10 et 12 décembre 2003, la première phase a conduit à l’adoption d’une Déclaration des principes de Genève et au Plan d’action de Genève. La seconde phase s’est déroulée du 16 au 18 novembre 2005 et a donné lieu à l’Engagement de Tunis et l’Agenda de Tunis pour la société de l’information.

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MAURItanienne de TÉLécommunications (Mauritel) – fournisseur d’accès historique du pays – aux gérants de cybercafés, télécentres et particuliers. Ce monopole de fait a durablement hypothéqué l’avenir d’un secteur placé, selon l’hebdomadaire Points Chauds, « entre le marteau des opérateurs et l’enclume du Secrétariat d’état aux Nouvelles Technologies » (Points Chauds n°21, 2004). Des soixante-quatorze cybercafés apparus en 2001, à peine quatre subsistaient trois ans plus tard (ibid.) : la désertification technologique faisait là ses premières victimes…

Plus récemment, dans son allocution du 16 novembre 2005 à Tunis, le Colonel E. Ould Mohamed Vall a néanmoins réaffirmé la position de son pays à l’égard de cette révolution de la

connaissance qui ouvre « d’immenses perspectives », notamment en matière d’éducation, de

santé et de commerce : « (…) la Mauritanie s’est résolument engagée sur la voie de la maîtrise et de l’appropriation des nouvelles technologies comme étant un puissant catalysateur (sic) du développement, mais aussi un appoint essentiel pour la démocratie, la transparence et la bonne gouvernance (…) ». Cette volonté s’est traduite par des initiatives significatives : en particulier, une réforme des télécommunications ayant conduit à la libéralisation du secteur (l’ouverture à la concurrence permettant l’abaissement du coût des innovations) et l’institution d’une autorité de régulation indépendante, la promotion de l’accès universel aux services de base, la création d’un département ministériel en charge des NTIC, l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie nationale de développement de ces technologies…

Selon le bureau d’études Bestat, en 2004, le niveau de connaissance des NTIC et de l’Internet en Mauritanie est relativement élevé – notamment dans l’Adrar et le Trarza. Près des trois-quarts des personnes enquêtées y auraient, en effet, été sensibilisées, principalement par les canaux radiophonique ou télévisuel nationaux. Par ailleurs, 14% de la population aurait accès à l’Internet : les wilaya de l’Adrar, l’Inchiri, Dakhlet Nouadhibou et, dans une moindre mesure, Nouakchott obtiendraient les meilleurs résultats. L’internaute moyen serait un homme (80% de la population), entre 30 et 49 ans (89%), fonctionnaire (41%) ou commerçant (40%). Utilisé essentiellement pour la messagerie et/ou la recherche documentaire (cités dans 80% des cas), l’Internet recruterait ses clients dans les cybercafés (60%) ou sur leurs lieux de travail (23%). Peu d’entre eux disposeraient d’une adresse électronique (10%). La radio (82%), le téléphone portable (72%), la télévision (63%), l’antenne parabolique (34%) et le téléphone fixe (21%) représenteraient les équipements les plus fréquents des ménages. 2% d’entre eux possèderaient un ordinateur. À peine 1% des enquêtés (soit quelques 1 613 ménages) se connecteraient à l’Internet depuis leurs domiciles situés dans les wilaya de l’Adrar (7%) et de Dakhlet Nouadhibou (6%). Dans la capitale, le niveau atteint serait sensiblement équivalent à la moyenne nationale, soit 1%. Enfin, 27% des ménages n’étant pas connectés à domicile souhaiteraient l’être (Bestat, 2004). Un nouvel ordre informationnel s’instaurerait-il en Mauritanie ?

La désaffection pour la communication infra-communale

Si la capitale peut se prévaloir de la présence d'infrastructures de communication d’audience nationale, d’une presse largement diffusée, d’un important espace publicitaire municipal, d’opérateurs privés nombreux, d’une concentration des leaders d'opinion et d’opportunités réelles de communication – en particulier lors des manifestations fréquentes qui y sont

organisées –, le secteur de l’information y demeure largement déprimé et ses finances exsangues. Certes, la situation n’est pas nouvelle, mais, surtout, elle n’évolue pas vers une meilleure connectivité des systèmes. Au contraire, le fossé séparant la Communauté Urbaine et les autorités municipales des Nouakchottois semble se creuser davantage. La situation est préoccupante, qui se traduit par l’impopularité de la mission communale et, partant, l’inadaptation de ses projets aux attentes citoyennes : la démobilisation ostensible des citadins y trouve vraisemblablement son origine. L’inefficacité, la lenteur de l'exécution des décisions, l’absence de suivi, d'esprit d'équipe, la dilution des responsabilités, sont également symptomatiques du laisser-faire qui règne en ville : les services municipaux n’ont jamais, semble-t-il, éprouvé le besoin de justifier leur(s) activité(s) auprès de la population. Aucune lettre périodique d’information n’est publiée ; aucune exploitation de l’espace publicitaire communal potentiellement vaste à des fins d’expression municipale n’est conduite… si ce n’est par quelques uns des plus grands groupes cigarettiers mondiaux ! Une enquête passée par A. Martella auprès des habitants de la kebba d’El Mina en 2001 sur la circulation de l’information et la communication entre les résidants du quartier et les autorités conclut que les canaux officiels (émissions radiophoniques et télévisuelles) et institutionnalisés (partis politiques, anciennes structures d’éducation de masse) existant sont insuffisants pour toucher le plus grand nombre et, malheureusement, fonctionnent à sens unique (Martella, 2001 : 44-45).

Il semble, du reste, que les opérateurs économiques et l’administration ne soient pas mieux lotis : la culture administrative mauritanienne est, de fait, très éloignée d’une culture en réseau. Il s’ensuit une réelle difficulté de coordination des actions et l’absence de cadre favorisant un partenariat mutuellement profitable : centralisées au niveau de quelques institutions, les informations restent inaccessibles aux autres acteurs. Un témoignage édifiant nous en est donné par le fonctionnement du MDRE.

La gestion environnementale est une discipline qui souffre en Mauritanie de la trop grande dispersion de ses acteurs : plusieurs ministères voient l’environnement inscrit dans la définition de leur domaine théorique de compétence. Mais, en l’absence de précision quant à leurs missions spécifiques, ces structures opèrent souvent sans coordination ni véritable lien entre elles, s'enferment dans des conflits déstructurants. L’approche par trop sectorielle des problèmes environnementaux, la dispersion des ressources (l’environnement est encore considéré comme le parent pauvre du MDRE et, à ce titre, peu de crédits sont engagés pour sa protection) et la dilution du pouvoir décisionnaire, sont à l’origine d’une paralysie durable de l’administration. Une plus grande unification des missions communes et une plus grande décentralisation des attributions spécifiques, en d’autres termes, une

désectorialisation, permettraient probablement de trouver une solution à ces

dysfonctionnements en responsabilisant les opérateurs sectoriels, sans toutefois les contraindre à développer des compétences extérieures à leur champ habituel d’intervention, et en encourageant le déploiement de compétences transversales. Car, comme le signale fort justement C. Toupet, « la restauration des équilibres naturels n’est pas une opération technique : elle exige une politique globale et cohérente de l’aménagement de l’espace sahélien » (Toupet, 1984). À l’évidence, l’évolution vers une agence d’exécution au service

pertinente dans le contexte décrit – exigeant, notamment, la mise en œuvre d’un format unifié conventionnel d’échange d’informations, le suivi-évaluation des programmes… Nous y reviendrons.