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L’atlas papier ou l’actualité éphémère : un support diffusé en Afrique ?

Si la question frontalière et du découpage de l’Afrique a largement été débattue au sein de la communauté scientifique internationale, elle a fort peu été approchée de manière strictement cartographique. Or, il est notoire que beaucoup d’ex-colonies ont considéré la carte comme un outil de développement économique et, plus encore, d’identité politique de l’espace d’État – porteur de représentations, d’une « charge symbolique » (Antheaume et al., 1989) selon R. Pourtier. Ainsi, le nombre des atlas nationaux aurait été multiplié par quatre entre 1940 et 1980, passant de moins de vingt à plus de quatre-vingt. Il est probable que cette hâte des nouvelles nations à affirmer cartographiquement leur indépendance ait reflété l’ancienne habitude des puissances coloniales d’user des cartes pour légitimer leurs conquêtes territoriales, exploitations économiques et impérialisme culturel, bref un nouvel ordre spatial issu d’un « modèle stato- national » (Antil, 1999) longtemps considéré comme universel.

De fait, en Afrique subsaharienne, la frontière49 et la carte ont souvent précédé l'État, qui lui-même précédait la nation. Les sociétés nomades mauritaniennes ont ainsi vu peu à peu leurs territoires mouvants et fluctuants – qui, avant les Français, n’avaient jamais été réunis par une construction politique unique – mutilés par la multiplication et la rigidification des frontières, par d’aberrantes et définitives lignes droites. Un « filet de plus en plus complet de découpages, de postes et de réseaux de transport » (Antil, 1999 : 167) allait progressivement cloisonner l’espace et aider les colons à prendre la mesure du pays – les fonctionnaires français n’ayant eu de cesse de répertorier, classer et essayer de trouver une cohérence aux sociétés auxquelles ils étaient confrontés.

Il semble d’ailleurs que cet usage de l’atlas et de l’analyse cartographique reçoive l’adhésion de nombreuses institutions internationales œuvrant sur le continent. L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), pour ne citer qu’elle50, a publié en 2005 un atlas régional des transports et des télécommunications dans la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao)51, diffusé librement sur Internet52. Au-delà de la reconnaissance d’un nouveau pôle régional d’intervention (le territoire des pays membres de la Cedeao) avec lequel le continent doit compter désormais, la vocation de ce document était également de fournir aux responsables politiques et techniques du Sud et du Nord un outil dynamique de négociation, de décision et de travail leur permettant de situer leurs stratégies et actions respectives par rapport à cet espace d’échanges.

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Ce « troisième territoire de la nation » (Lacoste, 1996) selon Y. Lacoste. 50

Signalons également l’AAAS Atlas of Population and Environment de l’American Association for the Advencement of Science (AAAS) publié en 2001 et en libre accès sur le site du magazine Our Planet (http://www.ourplanet.com/) de l’United Nations Environment Programme (Unep).

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Mais si la collection de cartes est une forme de connaissance et de légitimation d’un territoire, elle est aussi une forme d’autorisation et de légalisation. Dans le système polymorphe et protéiforme nouakchottois, les poches d’informalité des kebba et des gazra, constituent des sous-systèmes cohérents, au même titre que l’habitat traditionnel. Qualifiés d’informels, ils sont pour le moins réels, conséquence d’une interaction sociale. Leur représentation et la diffusion de leur image leur confèrent une certaine matérialité, une évidence : reconnus sur plan, ils deviennent dans l’esprit des citadins égaux (comparables) aux quartiers légaux… La cartographie de l’habitat informel sera-elle une prémisse de sa légalisation foncière et immobilière, et partant de son intégration ?

Atlas numérique vs atlas interactif

« Ne peut-on pas espérer en des atlas qui soient réellement les sommes de toutes les informations disponibles dont l’examen comparé de leurs planches (soutenues par des notices, non seulement descriptives, mais aussi explicatives) permette bien entendu d’apprécier l’organisation de l’espace mais aussi de dresser des bilans et de disposer de solides éléments prospectifs pour la décision en matière d’aménagement ? » (Marchal, 1979 : 272). Cette prédiction, J.-Y. Marchal la verra se réaliser à peine cinq années plus tard… La démocratisation de l’accès à l’informatique et à l’outil Internet est, en effet, à l’origine du regard neuf porté sur la cartographie à partir du milieu des années 80. Assurément, l’ère numérique a permis de renouveler le genre atlas et donné des ambitions nouvelles aux adeptes enthousiastes de la cartomatique53 et la cartographie numérique. L’atlas régional ou national n’est donc pas encore passé de mode. Il a l’avantage de toucher, dans le monde en développement en particulier, un public plus nombreux que sa version traditionnelle invariablement mise à l’abri (de la poussière ou de l’humidité) dans le bureau d’un agent administratif attaché à ses prérogatives et défendant

chèrement l’accès au document, comme à beaucoup d’autres données d’ailleurs. Les

développements récents de la cartomatique ont été à l’origine de la tendance à la production

mécanique de cartes et d’atlas…

Doté d’une architecture dynamique, en relation avec une ou plusieurs bases de données externes, l’atlas interactif est à l’origine de l’élaboration de savoirs géographiques utiles. Succédant souvent à un atlas imprimé, il permet d’en actualiser régulièrement les planches périmées en réduisant notablement les délais de publication et d’illustrer de nouvelles réalités. Répondant à un besoin d’informations sur le territoire, il présente un intérêt évident pour les usagers des technologies numériques. Diffusé sur intranet voire l’Internet, ou au moyen de Cd-

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« Ensemble de procédures mathématiques et graphiques destinées à traduire sur un fond de carte la variation spatiale d’une variable statistique » (Waniez, 2002 : 47) tout en respectant certaines précautions d’emploi (Waniez, 1992 : 16), en particulier les règles de communication cartographique.

rom, il met à la disposition du public des produits scientifiques dont la communication aurait, en Afrique notamment, difficilement dépassé le cercle très fermé des organismes producteurs et laisse à ses lecteurs toute latitude d’explorer le document selon leur logique propre (Arreghini, 1995). Habituellement gratuit, il est un construit, fruit d’une problématique pertinente élaborée par un comité scientifique et développée grâce à des connaissances préalables sur l’objet d’étude, une réflexion amont. Il n’est en aucun cas un simple inventaire. Support de communication synthétique et attractif, interface de saisie ergonomique, la carte numérique a su tirer parti de la révolution des modes de transmission des données par Internet et des nouveaux usages qui en ont résulté (mutualisation des données géographiques, des services de type Sig,

etc.). Elle constitue, par exemple, un formidable instrument d’analyse du territoire et

d’identification des dangers…