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Les besoins des utilisateurs

C’est « en commençant par écouter le terrain et les signaux qu’il envoie » (Wackermann, 2004) prédit X. Guilhou qu’une solution durable sera vraisemblablement trouvée. L’expert en

crises politiques internationales estime – et nous nous rangeons à son avis – qu’il serait

désastreux de négliger les besoins exprimés par les populations menacées (en l’occurrence, les futurs utilisateurs du système d’information à Nouakchott). Il met aussi en garde contre les décisions trop hâtives, méconnaissant les signes annonciateurs d’événements catastrophiques, les représentations et savoirs des victimes potentielles. « Toutes les grilles de réflexion doivent être revues. Elles doivent l’être dans l’urgence mais, surtout, avec un esprit neuf, attentif aux évolutions d’une planète peuplée aux deux tiers par des éléments étrangers à la civilisation occidentale, réfractaires à nos modélisations et donc, le plus souvent, exclus des analyses (…) » (Wackermann, 2004). La compréhension d’une réalité géographique ne peut ainsi, selon J.-F. Staszak, « faire l’économie des représentations géographiques qui ont participé à sa construction et déterminent son évolution » (Staszak, 1996 : 44 cité par Buire, 2005). On a tout à gagner à « prendre en compte les savoirs géographiques avant d’intervenir dans la réalité géographique » (ibid. : 45).

Dans leur caricature du technicien-expert et sa machine toute puissante – L’ordinateur

magique (Goscinny et Tabary, 1977) – R. Goscinny et J. Tabary modélisent les noirs desseins

du célèbre grand vizir Iznogoud [cf. Fig. I-10]… en ne manquant pas d’insister sur l’arbitraire de la méthode et son coût. Ils dénoncent, à leur manière, le mythe d’un contrôle rationalisé des activités et des individus… Trop souvent, l’illusion d’une maîtrise rigoureuse des risques a abusé les hommes. Or, il n’est plus temps de se satisfaire de stratégies périmées : il s’agit de réinventer des outils, mais également des concepts et des attitudes, qui leur permettront d’affronter et traverser les adversités de l’histoire. Les modèles construits n’ont donc pas la prétention d’expliquer tout : ils normalisent les relations et les objets qui ont paru nécessaires aux partenaires du projet conformément à la problématique développée… et pour lesquels des données étaient disponibles.

Au nombre des besoins exprimés par les universitaires consultés et les administrations rencontrées figurent, par ordre décroissant d’importance : (1) la description de l’environnement et la localisation des enjeux humains [cf. Fig. I-11], environnementaux, mobiliers et immobiliers ; (2) la représentation des périmètres de dangers et des aléas ; (3) le stockage de l’information collectée dans le but de l’exploiter en cas de crise ; (4) l’analyse de vulnérabilité.

1 LE BESOIN 3 LE TECHNICIEN 8 LA PANNE 11 LE NOUVEAU MODÈLE... 10 LE COÛT 9 LE TEMPS 7 "LE" GÉNIE 4 LA MACHINE 5 LE GÉNIE 2 LE MODÈLE 6 L'EXEMPLE

D'après [Goscinny et Tabary, 1977] Fig. I-10 : « Magicratie » vs « scepticratie » (Goscinny et Tabary, 1977 : 11-12)

Habitat Equipement Commerce Administration Culte Education Banque Industrie Défense Loisirs Soins BÂTIMENTS DENSITÉS

Fig. I-11 : Enjeux humains et stratégiques dans la région de Nouakchott

351-450 hab./ha 251-350 hab./ha 151-250 hab./ha 081-150 hab./ha 00- <80 hab./ha Moughataa Quartier

D'après [Buire, 2005 ; Cimdet, 2005 ; Adu, 2003 a ; Adu, 2003 b ; BSA Ingénierie, 2003 ;

ONS, 2002 b ; BSA Ingénierie, 2000 ; Ould Mohameden, 2001 ; Kibily, 1998]

L’approche historique pour la représentation et l’évaluation des dangers

« [S’]il devient de plus en plus vain, et même de plus en plus dangereux, [nous dit P. Valéry,] de prévoir à partir de données empruntées à la veille ou à l’avant-veille, (…) il demeure sage [en revanche], (…) de se tenir prêt à tout, ou à presque tout » (Valéry, 2002 : 230). L’approche historique initiée, au même titre que les travaux de modélisation, les enquêtes de terrain, etc., est ainsi une étape importante en analyse des risques. En plus de nous avoir permis de valider nos modèles, elle nous a conduit à réaliser un inventaire d’événements catastrophiques passés, à les décrire assez précisément – en particulier les phénomènes extrêmes –, à en comprendre a posteriori les conditions de genèse et en établir les fréquences de référence (largement méconnues et sous-évaluées) lorsque l’on a disposé de séries de données fiables, à s’intéresser incidemment à leurs impacts sur le paysage. Car, des pages décisives sur les catastrophes manquent en Mauritanie. Ravivant la mémoire collective en rappelant que les catastrophes se répètent, cette approche a aussi une valeur pédagogique indéniable auprès des populations menacées autant que de leurs dirigeants. Photographiques et parfois cartographiques, habituellement littéraires ou oraux, les matériaux historiques recueillis ont été – après un examen approfondi et maints recoupements – dotés d’un contour : de ponctuelle, leur emprise spatiale est devenue surfacique. Le passé est, de fait, un « point d’appui vers le futur » (Roche et Caron, 2004 ; Wackermann, 2004), chaque nouvel enregistrement concédant au système-risque global davantage de vraisemblance et de pertinence. Certes, la fiabilité des données recueillies a souvent été compromise par le décalage incompressible séparant la catastrophe de l'enquête proprement dite36, par le contexte scientifique qui les a produite, par le public auquel elles étaient destinées. Toutefois, en les soumettant à une critique rigoureuse, les principaux écueils ont été évités.

Le territoire urbanisé de la capitale mauritanienne a quintuplé en à peine trente années et, fatalement, colonisé des espaces que des politiques d’urbanisme rigoureuses auraient vraisemblablement considérés comme inconstructibles. À partir des fonds parcellaires disponibles à plusieurs époques (BSA Ingénierie, 2000 ; Pitte, 1977), de photographies (Caruba

et al., 1997 ; http://www.mapeci.com/), d’articles (Marico et al., 2006 ; Benedittini et al., 2005 ;

du Puigaudeau, 1992 ; Duchemin, 1951), d’archives de journaux (http://www.mapeci.com/; http://www.ami.mr/fr/defaultfr.htm), de séries climatiques (Goutet, 2000 ; http://www.shom.fr/fr_page/fr_serv_prediction/ann_marees_f.htm) et de cartes (Abou Dagga, 2007 ; Wu, 2003 ; IGN, 1981), nous avons tenté d’évaluer l’extension maximale de la lame d’eau inondante à Nouakchott et dans son environnement pour les principaux événements

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Certains événements anciens ont exigé la reconstitution des valeurs a posteriori et l’emploi de méthodes de diagnostics indirects fondés, entre autres, sur la géomorphologie. Les résultats sont naturellement entachés d’une plus grande incertitude.

catastrophiques recensés (08.1932, 04.12.1950, 1965, 11.02.1985, 1991, 20/24.09.1995, 08.09.1998, 18.12.1999, 21.09.2001). Le tableau [cf. Tab. I-1] présente la synthèse de nos résultats. Les scènes Spot à disposition, en particulier celles de 1989, novembre 1995 et 2002, coïncidant avec des épisodes catastrophiques de surface, il était même envisageable d’apprécier, en croisant l’information contenue dans ces images avec des données diachroniques (Abou Dagga, 2007), les états probables de l’environnement à ces dates. La digitalisation des contours des inondations restant un exercice délicat et incertain, pour ne pas dire risqué – peu d’informations historiques nous sont parvenues en réalité –, le lecteur est exhorté à la plus grande prudence quant aux interprétations suggérées par les produits cartographiques élaborés. Ceci étant posé, la figure suivante schématise le modèle de processus associé à cette approche historique [cf. Fig. I-12].

Une approche sensiblement identique a été adoptée pour les risques de pollution, d’incendie, d’accident de la circulation et d’ensablement. Partielles et rares, les données recueillies n’ont, toutefois, pas permis de produire de résultats aussi exhaustifs que pour les inondations. Les cartographies des accidents de la route, incendies et autres menaces technologiques, de l’ensablement et des pollutions restent donc, à ce stade de l’analyse, grossières et leur valeur toute théorique.