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A-1- Psychanalyse et méthode d’observation d’Esther Bick

« Pouvoir être à l’écoute de l’autre, être au contact du monde interne, sans s’agripper immédiatement de façon défensive à une quelconque grille préétablie, à une théorisation déjà là est l’état d’esprit que doit constamment rechercher l’analyste ». (Ciccone, 2001, p.9) Même si nous n’étions pas dans un cadre thérapeutique et que nous ne sommes pas psychanalystes, le positionnement que nous avons adopté durant cette recherche est proche de celui décrit ci-dessus par Ciccone. Il est aussi proche du positionnement de l’observateur qui utilise la méthode d’observation Esther Bick. Cette méthode observe deux règles fondamentales : la première est celle de la « tabula rasa » : qui consiste à tenter de mettre de côté tous les a priori théoriques, à observer sans chercher à théoriser ni interpréter, ce qui permet d’être vraiment présent et attentif à la situation. La deuxième règle consiste à observer une attitude particulière : être présent en retrait. Ciccone décrit ainsi : « l’observateur, qui est “participant”, soit seulement un receveur, qu’il ne demande jamais un changement quel qu’il soit, qu’il n’interfère pas dans la situation, qu’il respecte la relation parents/enfants, qu’il ne s’immisce pas de façon intrusive au sein d’une relation sensible et vulnérable » (Ciccone, 2001, p.48). Même si le dispositif et les objectifs de la recherche ne permettaient pas d’utiliser la méthode Esther Bick stricto sensu, nous avons tenté de garder ce cadre intérieur dans la rencontre avec les familles. La méthode Esther Bick a également considérablement influencé notre manière d’utiliser les outils cliniques : l’observation et l’entretien.

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A-2- Observation et entretien clinique au service de la rencontre intersubjective

A-2-1- Observation clinique

Notre premier outil est l’observation, car le travail clinique est dans son essence un travail d’observation. Observer ne consiste pas seulement à voir. Observer, c’est avant tout considérer avec attention des choses, des êtres, des événements. Comme l’écrit Mellier, l’observation est avant tout un travail d’attention : « il s’agit de se rendre disponible à ses émotions, à ce qu’il pourrait ressentir, penser […] être à l’écoute de l’autre, d’être attentif à la vie psychique de l’autre, à sa présence. Tous les sens sont ici importants : ce qui est dit, entendu, comme ce qui est vu, touché, senti, ressenti. » (Mellier, 2001, p.8-10). Le travail d’observation est donc un travail d’observation de l’autre, mais aussi des effets que cela induit chez l’observateur : « L’observateur travaille sur ses propres projections et capacité psychique de réception de ce qui se transfère alors sur lui. » » (Mellier, 2015, p.20).

L’observation est un outil, mais il est aussi un positionnement spécifique vis-à-vis de ce qui est observé. Ciccone le décrit ainsi, l’observateur psychanalytique est « inclus dans la situation observée, (il) sera sensible aux effets subjectifs des échanges conscients et inconscients, verbaux et infraverbaux, dans lequel il est lui-même parti pris et partie prenante. Le but du psychanalyste n’est pas d’expliquer objectivement les données de la psychanalyse, mais d’entrer subjectivement en résonnance avec les fantasmes les plus intimes du patient, avec la subjectivité du patient. Cependant, l’observateur psychanalytique cherchera à objectiver les processus subjectifs. » (Ciccone, 1998, p.29).

Être au plus près de l’expérience vécue, des interactions comportementales affectives et fantasmatiques, des émotions, des affects de l’autre, mais aussi de soi-même. « C’est une attention double simultanée, à la fois à l’autre ou à la situation observée, à ses propres réactions, aux effets sur lui-même de l’impact de la rencontre avec la situation observée ; il doit enfin, en conséquence analyser ces effets, c’est-à-dire ce qu’on appelle le contre- transfert. » (Ciccone, 1998, p.37).

Dans cet objectif, nous avons donc été particulièrement attentives à prendre des notes de nos propres ressentis après chaque entretien et à tenter de comprendre ce qui nous a parfois amenés à ne pas en prendre. Les visites en binôme ont été une ressource inestimable pour faire ce travail. Nous prenions un temps à deux, après la rencontre, pour échanger et parfois écrire tous les

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éléments que nous avions observés chez la mère, le père, le bébé, en nous-mêmes, et sur les interactions de ces différents niveaux.

A-2-2- Entretien clinique de recherche semi-directif

Le deuxième outil principal que nous avons utilisé dans notre recherche est l’entretien clinique. Les entretiens cliniques ont été menés dans une visée exploratoire avec l’objectif que les nouveaux parents puissent se raconter et que l’on puisse avoir accès à leur vécu singulier, aux processus psychiques à l’œuvre en lien avec les thèmes de la recherche principale : le devenir mère, père, les relations conjugales, les relations parentales, les relations dyadiques et triadiques, le développement du bébé et l’étayage familial. Des sous-thèmes ont été aussi abordés en fonction de la visite, de l’âge et des principales acquisitions cognitives, émotionnelles et relationnelles du bébé et des incidences sur les parents et leurs relations (sevrage, angoisse du 8e mois, l’apparition du langage, du non, …). Nous avons aussi abordé les changements singuliers dans la vie des parents (le congé maternel, la reprise du travail pour la mère, le congé paternel…).

Même si les thèmes étaient prédéfinis, nous n’avons pas souhaité utiliser de grille d’entretien. En effet, il nous a semblé que l’utilisation d’une grille aurait pu à la fois contraindre les processus élaboratifs et associatifs à l’œuvre chez les parents et aussi chez nous et entraver notre qualité d’écoute.

Nous avons voulu laisser une place importante à l’imprévu, à l’inattendu (Ciccone, 2008). Cela nous a permis d’observer si les parents abordaient ou non par eux même certains sujets, mais aussi, cela nous a permis de voir la manière avec laquelle les parents se racontaient. Par exemple, lors de la première visite, c’est-à-dire au deuxième temps de la recherche (6 semaines) nous leur posions fréquemment la question : « alors, racontez-nous, quelle est l’histoire de votre bébé ? » Les parents n’ont presque jamais répondu de la même manière. Certains évoquaient l’histoire de leur bébé, d’autres abordaient leur histoire de couple, leurs difficultés rencontrées (parcours PMA), l’accouchement, et même parfois une histoire d’abus sexuel. Cela nous donnait des éléments très riches sur les représentations associées au bébé, la place qu’il avait dans l’économie psychique de ses parents. Dans un deuxième temps, et si cela était possible, nous revenions sur des sujets précis, comme par exemple, lors de notre première visite,

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nous revenions sur la préhistoire de leur enfant et de leur couple, leur rencontre, leur désir d’enfant, la grossesse, l’accouchement, la naissance et leur première rencontre et leur retour chez eux.

De plus, compte tenu de la problématique de notre recherche et conscientes de l’impact psychologique que celle-ci pouvait engendrer nous avons privilégié un cadre de recherche souple et flexible, contenant et soutenant l’élaboration et l’expression des affects. Dans cet objectif, nous avons privilégié le cadre de recherche écologique des visites à domicile. Ce cadre singulier a permis d’une part que ces rencontres soient le moins possible anxiogènes ni pour le bébé ni pour les parents et d’autre part, cela nous a permis d’avoir une perception de l’environnement familial et social (état de l’appartement, espace consacré au bébé…).

Les entretiens nous ont permis d’avoir accès à une partie du fonctionnement psychique des femmes qui ont accepté de participer à la recherche. Comme le soulignent Chahraoui et Bénony, le discours n’est qu’une partie de la vie psychique du sujet : « Ce serait une illusion de considérer que la personne est donnée d’emblée dans sa totalité. En effet, quel clinicien aurait l’audace de dire qu’il connait complétement et globalement les sujets avec qui il travaille parfois même après des années de psychothérapie ? Il ne connait que ce que le sujet veut bien lui dire dans un espace-temps et de lieu délimité et il lui est impossible de comprendre l’homme dans son exhaustivité. Et même cela est -il plutôt rassurant qu’une part de cette intimité soit préservée […] » (Chahraoui & Bénony, 2003).

Nous avons observé et adopté une position humble concernant cette impossibilité d’appréhender dans leur entièreté le fonctionnement psychique de chaque femme rencontrée.

Au début de la recherche, nous avons tenté de suivre les règles de la méthode Esther Bick durant nos visites, c’est-à-dire sans enregistrer et sans prendre de note. Or, nous avons rapidement senti les limites de ce dispositif. Premièrement, les visites duraient en moyenne 1h30, il nous est arrivé fréquemment de rester plus de 2h30 à domicile et le matériel était conséquent à contenir. Deuxièmement, arrivée au tiers du protocole, il arrivait fréquemment que nous ayons deux visites par jour. Le temps entre les visites était trop court pour élaborer et écrire le compte rendu et les matériels devenaient confus. Nous avons donc pris la décision, en accord avec l’équipe, d’enregistrer les entretiens avec l’autorisation des parents. Si nous avons continué de réaliser des comptes rendus d’entretien après chaque visite, l’enregistrement nous a permis d’être vraiment présentes durant les visites dans notre écoute et notre travail d’observation. Il

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nous a aussi permis de reprendre précisément le matériel brut pour l’analyse des entretiens qui ont été retranscrits dans leur entièreté par nos soins, mais aussi avec l’aide d’étudiants.

A-3- Méthode d'analyse des données cliniques des observations et des entretiens : L’analyse des entretiens et des temps d’observation a été réalisée en associant le matériel des comptes rendus au matériel brut des entretiens retranscrits et aux données relatives à notre contre-transfert. Ces données contre-transférentielles ont été le fruit d’un travail personnel, mais aussi grâce à de nombreux moments de reprise clinique directement après les visites, mais aussi en équipe lors de réunions de recherche.

Les données ont été ensuite traitées selon une analyse qualitative fidèle à la théorie psychodynamique sur à la fois le contenu des entretiens (« ce qui est dit »), mais nous avons été aussi attentives aux procédés discursifs (« le comment c’est dit » : intonations, lapsus, récurrences, …).

Les outils qualitatifs ont été complétés par une méthodologie plus standardisée, constituée de questionnaires.