• Aucun résultat trouvé

A-1- Le désir d’enfant, le désir d’être enceinte, le désir de devenir mère Un désir d’enfant peut ne pas être lié à un projet d’enfant concret. Il peut être motivé par un désir inconscient de vérifier le bon fonctionnement de son corps et se rassurer sur ses capacités de conception. Selon Bydlowski (1998) cette vérification se réaliserait lors de la grossesse. Klein (1932), suppose que seul l’enfant né en bonne santé permettrait à la femme de s’assurer qu’elle n’est pas stérile et que ses organes génitaux sont intègres. Bydlowski (1998) précise qu’avant le premier enfant, le désir de maternité peut se confondre avec le désir d’enfant. Dans la lignée des théories freudiennes, elle écrit : « le désir d’enfant peut être le lieu de passage

d’un désir absolu car l’enfant imaginé, l’enfant à venir est, pour la femme, l’objet par excellence. Ce qui est désiré est moins un enfant concret que la réalisation des plus vivaces des souhaits infantiles. » (Bydlowski, 1998, p.66)

Enfin, Missonnier (2003) propose de concevoir le désir d’enfant et de grossesse dans une perspective non-dualiste. Ces désirs sont finalement deux aspects d’un même désir, dont la prévalence de l’un sur l’autre varie en fonction de l’économie psychique singulière de la femme.

36

A-2- Les désirs d’enfant au cours du développement

A-2-1-Dimension narcissique du désir d’enfant

Avant de conceptualiser le désir d’enfant dans sa valence œdipienne et préœdipienne, Freud, en 1914, attribue le désir d’enfant, chez l’homme et la femme, à un projet narcissique, par lequel, il suppose, une possibilité de réédition de leur propre sentiment narcissique de toute- puissance : « His Majesty the Baby, comme on s’imaginait être jadis. Il accomplira les rêves de

désir que les parents n’ont pas mis à exécution, il sera un grand homme, un héros, à la place du père ; elle épousera un prince, dédommagement tardif pour la mère. Le point le plus épineux du système narcissique, cette immortalité du moi que la réalité bat en brèche, a retrouvé un lieu sûr en se réfugiant chez l’enfant. L’amour des parents, si touchant et, au fond, si enfantin, n’est rien d’autre que leur narcissisme qui vient de renaître et qui, malgré sa métamorphose en amour d’objet, manifeste à ne pas s’y tromper son ancienne nature » (Freud, 1914, p. 234). L’enfant à

venir est porteur d’un contrat narcissique, à travers lequel les parents cherchent à se retrouver et à se réaliser. L’enfant est un prolongement de ce que le parent a été et ce qu’il n’a pas réussi à devenir.

A-2-2- Le désir d’enfant dans la partition œdipienne et préœdipienne

En 1924, Freud, ouvre une nouvelle voie d’explication à l’émergence du désir d’enfant chez la femme via le complexe d’Œdipe. Le désir d’enfant serait une manière de réparer l’atteinte narcissique infligée par la situation féminine. La petite fille désire un enfant du père, non pas comme objet premier de désir, mais comme substitut du pénis désiré mais inaccessible. Ainsi pour Freud, « la fille glisse le long d’une équation symbolique du pénis à l’enfant, son

complexe d’Œdipe culmine dans le désir longtemps retenu de recevoir en cadeau du père un enfant, de mettre au monde un enfant pour lui » Freud, 1923, p.122). Même si le père est investi

d’un rôle, le désir d’enfant est inscrit dans une logique phallique, dans une perspective de restauration narcissique. Le désir d’obtenir un enfant du père est progressivement refoulé, par crainte d’une rétorsion maternelle et par intériorisation de l’interdit de l’inceste. Le refoulement de ce désir participe au dépassement du Complexe d’Œdipe et de pouvoir, à l’âge adulte, adresser et réaliser ce désir d’enfant à et avec un autre. Certains auteurs ont critiqué cette version réductrice de l’origine du désir d’enfant. Premièrement en l’associant uniquement à l’équation

37

symbolique pénis enfant, venant réparer la blessure liée à sa castration. Et aussi, par le peu de place faite au père au sein de ce désir d’enfant. André (2009), propose de considérer la proposition freudienne, non pas comme l’unique origine du désir d’enfant, mais l’une de ses figures, parmi beaucoup d’autres possibles.

Puis, en 1931, Freud, en s’intéressant à la féminité, découvre, notamment grâce aux travaux de ses collègues, l’importance de la relation pré-œdipienne mère-fille. Avant d’être considérée comme la cause de sa blessure narcissique au stade œdipien, la mère au stade phallique, est l’objet premier d’amour de la petite fille. De cet amour, émerge le premier désir d’enfant chez la petite fille, qui par l’activité onanique, souhaite mettre un enfant au monde pour sa mère ou alors lui en faire un. Le père, quant à lui, est envisagé comme un rival gênant. Le désir s’inscrit alors dans une relation intersubjective à valence objectale et non plus exclusivement narcissique.

L’importance du lien originaire mère-fille a été également souligné par Bydlowski, notamment parce que, selon elle, il est un ingrédient de la filiation féminine et conditionne l’accès à la maternité. La représentation de la mère rivale de la phase œdipienne doit s’effacer pour que la fille puisse retrouver la mère pré-oedipienne, celle de la tendresse originaire. « Une mère qui

aurait besoin que sa propre fille devienne mère elle-même pour lui donner l’enfant qu’elle ne peut plus avoir » (Bydlowski, 1998, p.170). Pour devenir mère, la femme doit pouvoir

s’identifier à une « mère suffisamment faible », « aimée parce-que faible ». Cette identification de la femme à sa mère lui permettra de se reconnaitre dans un mythe narcissisant. Selon Bydlowski, il existe entre mère et fille une dette de vie : « […] par le premier enfant, une femme

accomplit son devoir de gratitude à l’égard de sa propre mère » (Ibid., p.169). Le désir d’enfant

vient donc répondre à un devoir de reconnaissance, de gratitude et d’un devoir de réparation « des outrages du temps » (Ibid., p.172). Le désir d’enfant chez la fille résulte alors « d’une

combinaison harmonieuse entre le désir d’être comme sa mère des premiers soins et un autre désir, celui d’avoir comme elle, un enfant du père » (Ibid., p.145).

Selon Chabert (2003), la fille s’identifie aux représentations de la femme que sa mère incarne. Les travaux de Faure-Pragier ont notamment permis de montrer que l’identification de la femme à sa propre mère en tant que femme, dépend du positionnement de sa mère vis-à-vis de sa propre passivité, sa capacité à reconnaitre sa castration et le rôle actif de son amant qui la complète. Ce positionnement sera essentiel dans l’identification féminine de la fille à sa mère car il permet à la fille de s’identifier d’une part à une mère qui accepte sa féminité et qui investit son amant,

38

et d’autre part, de s’identifier à la féminité du père, qui lui-même reconnait et valorise la féminité de sa fille pour que, ultérieurement, la fille puisse se tourner vers le père afin de pallier sa castration et d’accéder à sa féminité. Dans cette configuration, la maternité ne s’inscrit pas dans un refus du féminin mais dans une demande d’être complétée par l’homme qu’elle aime. Pour Chabert (2009), le désir œdipien d’enfant pourrait impacter les relations mère-fille à l’occasion de la naissance d’un enfant. Celui-ci pourrait être perçu comme l’incarnation du désir œdipien, de la trahison de la petite fille vis-à-vis de sa mère lors du détournement d’objet et de la perte d’amour maternel. Cet amour, bien que décevant car limité dans ses capacités, et notamment dans le fait qu’il n’ait pas suffi à répondre au désir de pénis de la petite fille, est pourtant essentiel: « assurant l’investissement narcissique, le premier sédiment des

identifications, indispensables pour attirer les forces pulsionnelles soutenant le sentiment d’exister et la continuité du Moi » (Chabert, 2009, p.26). Dans cette configuration

fantasmatique, l’enfant pourrait être le représentant du motif de la perte d’amour voire de l’émergence de la haine, ou alors, être à l’origine du maintien pérenne du lien avec la mère. Ainsi nous le voyons, les désirs d’enfant prennent racine très en amont au cours de l’histoire infantile, à la fois dans une identification maternelle archaïque, dimension davantage narcissique et également comme réalisation pré-œdipienne et œdipienne.