• Aucun résultat trouvé

III. Cadre conceptuel 44 

III.6. Outils mis en jeu 47 

III.6.1. Approche ethnomédicale

Pour répondre aux besoins de l’enquête je me suis familiarisé avec l’approche ethnomédicale31.

L’ethnomédecine est définie par l’anthropologue Serge Genest comme « l’ensemble des croyances et des pratiques relatives à la maladie dans chaque société »[52]

L’ethnomédecine est, toujours selon Genest, caractérisée selon trois niveaux interdépendants : le biologique, le psychologique et le social.

La maladie est définie par l’OMS comme un « dysfonctionnement d’origine psychologique, physique ou/et sociale, qui se manifeste sous différentes formes ».

Ces définitions confrontées, il est aisé de comprendre l’intérêt de l’approche éthnomédicale de la prise en charge des violences faites aux femmes à travers le monde.

La problématique de la violence faite aux femmes est souvent considérée comme un désordre psychologique, résultant de troubles psychiques et somatiques des plus graves qui soient. Afin de mettre en place des moyens de lutte, il est nécessaire de procéder à une collaboration de deux méthodes, l’une occidentale, scientifique, et l’autre traditionnelle, de proximité, ne serait-ce que pour comprendre les modalités d’expression des conséquences post- traumatiques des violences afin de les identifier pour en faciliter la prise en charge.

L’ethnomédecine s’appuie donc sur le complémentarisme, c’est-à-dire sur l’utilisation non simultanée de deux grilles de lecture biomédicale et anthropologique. Ce mouvement s’oppose au comparatisme, qui conduit à construire des équivalences et des parallélismes entre culturel et individuel.

Il existe, selon le fondateur de l’ethnopsychiatrie Georges Devereux[53], trois types de thérapies : intraculturelle (thérapeute et patient appartiennent à la même culture), interculturelle (bien que thérapeute et patient n’appartiennent pas à la même culture, le thérapeute connaît bien la culture de l’ethnie du patient et l’utilise comme levier thérapeutique) ou métaculturelle (le thérapeute ne connaît pas la culture du patient mais connaît bien le concept de culture et l’utilise dans l’établissement d’un diagnostic et la conduite du traitement).

Il paraît donc essentiel de réfléchir à développer des techniques inter ou métaculturelles pour les soignants occidentaux venant exercer à Mayotte, afin d’optimiser la prise en charge des patients.

Ce constat est vrai pour toutes les pathologies, mais il l’est peut être encore plus quand il s’agit de repérer une situation problématique qui n’est pas considérée comme telle dans une société donnée, comme celle de la violence faite aux femmes en milieu traditionnellement patriarcal.

Et comme le souligne Devereux « [...] la majorité de nos erreurs de compréhension sont dues à l'illusion que nous connaissons déjà le cadre dans lequel le patient doit être compris, alors que nous ne le connaissons pas encore »[54].

31 Notamment en réalisant le Diplôme Universitaire d’Ethnomédecine proposé par l’Université de La Réunion,

49 La question des femmes victimes de violence se pose dans toutes les parties du monde, sans exception de couleur, d’origine, de coutume ni de religion.

Elle est basée sur une problématique machiste de domination physique et morale de l’homme sur la femme, et liée à un héritage culturel universel bien lourd à porter.

Le champ d’action ethnomédical dans notre étude inclut la nécessité absolue de faire respecter les droits fondamentaux de chaque être humain, mais ne peut s’exprimer qu’avec des outils adaptés à chaque culture, afin de faire comprendre et accepter ces principes de défense et de lutte, sans jamais choquer, ni brutaliser, au risque de faire resurgir ou amplifier les situations de violence, et fermer ainsi la porte à tout espoir de collaboration.

Un exemple d’application pourrait être la prise en charge d’une pathologie spécifique à Mayotte : la crise de Djinns, possession du corps humain par les esprits du monde invisible. La prise en charge de ce trouble psychiatrique, se manifestant généralement comme une crise de tétanie avec tremblements, manifestations hystériformes, est un des exemples types de la nécessité d’une double prise en charge en mettant en jeu des outils de l’ethnomédecine et ethnopsychiatrie. Les crises de Djinns peuvent alors être considérées comme un moyen d’expression d’émotion, d’anxiété.

Au vu de la description des conséquences psychiques des violences, de l’incompréhension dont font part les soignants quant à l’étiologie et la prise en charge de cette pathologie, il serait intéressant de se pencher sur le vécu socio affectif des femmes la contractant.

En effet, à cette limite de la classification psychiatrique occidentale s’en ajoute une autre : il existe une traduction culturelle du traumatisme, dont la diversité est un écueil de plus à la prise en charge adaptée des patients. Marie-Rose Moro et Thierry Baubet, psychiatres à l’hôpital Avicenne de Bobigny, ont illustré cette diversité par de nombreuses présentations propres à certaines cultures, appelés « culture-bound syndromes »[55]

III.6.2. Le questionnaire : issu de la pratique clinique

Le questionnaire utilisé a été inspiré de celui du Dr Emmanuelle Piet, et a donc été adapté pour répondre au mieux au contexte culturel qu’est celui de Mayotte.

Ce questionnaire a également été utilisé lors d’une enquête réalisée aux urgences de l'hôpital Robert Ballanger32 en lien avec l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint

Denis. La Seine-Saint-Denis, de par la diversité d’origine des patients, a constitué un premier laboratoire d’expérimentation de ce questionnaire en démontrant son acceptabilité et sa faisabilité.

Ce questionnaire a servi à structurer le recueil de données de plusieurs travaux universitaires et de plusieurs thèses de médecine.33

32 Enquête coordonnée par Dr Frédérique Broisin Doutaz, Praticien Hospitalier aux urgences De l’hôpital Robert

Ballanger.

33 Lazimi G. Dépistage des violences faites aux femmes : le questionnement systématique lors de la consultation

médicale est--‐il possible, efficace et intéressant ? [Mémoire dans le cadre du diplôme universitaire « Stress, traumatisme et pathologies »]. Université Paris VI; 2007 ; Lazimi G. Evaluation des violences faites aux femmes

: étude auprès de cent consultantes en médecine générale [Mémoire de DIU Formation complémentaire en

gynécologie et Obstétrique pour le médecin généraliste]. 2004. ; Delespine M. Le dépistage systématique des

violences faites aux femmes dans la pratique des sages‐femmes [mémoire pour le Diplôme d’Etat de sage- femme]. Faculté de médecine Paris Descartes; 2009 ; Jourdrier H, Violences conjugales, Grossesse et médecine générale enquête au sein de l’association SOS Femmes 93, Paris VI, 2012.

50 L’enjeu ici, était d’obtenir un questionnaire court, adapté au contexte mahorais, reproductible, et acceptable dans le cadre d’un dépistage systématisé compatible avec une forte charge de travail des professionnels de santé exerçant à Mayotte.

C’est suite aux entretiens exploratoires que nous avons pu aboutir à l’outil interculturel recherché.

Nous l’avons ainsi modifié après un long travail multidisciplinaire, pour y intégrer les variables sociales permettant d’appréhender le contexte local comme spécifiées dans l’introduction (polygamie, grossesse en cours, sécurité sociale, nationalité).

L’avantage d’un questionnaire court aura donc été d’améliorer la faisabilité et l’acceptabilité de cette étude auprès des investigateurs, et cet outil est conforme aux recommandations nationales[32] [56] et internationales[57] [58] à propos des outils de dépistage des violences faites aux femmes à travers le monde.